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Temps de lecture estimé : 35 mn
01/11/18
Résumé:  Après être tombée en panne de voiture, une femme trouve refuge dans l'hôtel d'un village qui s'avère bien étrange...
Critères:  f ff fff religion bizarre hotel douche dispute miroir pied jouet fantastiqu -fantastiq
Auteur : Calpurnia            Envoi mini-message
Hôtel des femmes

Le pauvre volant habillé de cuir subit les conséquences de mon énervement. Déjà, l’idée de rentrer chez moi dans la nuit du vendredi au samedi ne me plaisait guère. Et voilà qu’en pleine campagne vendéenne, dans un endroit perdu comme il y en a peu, ma Jaguar à la fidélité pourtant jusqu’ici irréprochable, cale et refuse de repartir ! Ma belle Nathy, seule dans notre appartement, doit m’attendre avec impatience, et va s’inquiéter. Et après cette semaine éprouvante de voyages continus, où j’ai roulé, roulé… je suis fatiguée, tellement fatiguée… que ne donnerais-je pas pour retrouver mon lit et me blottir tout le week-end contre le corps tout chaud et frémissant mon aimée !


La malchance se poursuit : j’ai beau tourner mon téléphone dans toutes les directions, pas de signal pour appeler l’assistance et ma douce et tendre. Même au sommet de la colline que je viens de gravir. Mais à partir de ce point de vue, en bas, j’aperçois un village que la brume commence à recouvrir : quelques maisons d’apparence ancienne, serrées contre une église. J’enlève mes chaussures à talons pour pouvoir marcher à mon aise sur un petit chemin de terre qui longe la route. Le crépuscule automnal reste doux, la brise qui caresse mon visage apaise ma colère et me permet un moment d’oublier ma fatigue. Aucun bruit autre que celui de mes pas. Je sursaute quand un vaste murmure d’étourneaux décolle du bois, non loin de moi. Il fait un détour pour éviter de survoler le village de Vermillon-l’Église dans lequel j’entre.


Personne dans les rues. Je cherche un bistrot où téléphoner, d’abord. Mais il semble qu’il n’y ait aucun débit de boissons dans les parages, ni ouvert ni fermé : rien. Par contre, le clocher vient de sonner huit heures du soir : il faut bien qu’il y ait quelqu’un pour l’entretenir. Sur la place centrale, j’avise un hôtel situé juste en face de l’église. L’établissement est étrangement vaste par rapport à la taille du village : pas moins de trois étages à cette bâtisse hors d’âge dont une pancarte indique à l’entrée :



Chambres disponibles – interdit aux hommes.



Charmant, l’accueil pour les messieurs priés de rester dehors ! Une corneille reste posée sur l’enseigne en fer forgé, immobile, silencieuse, le regard jaunâtre fixement tourné vers moi, au-dessus de la porte d’entrée. Ne me voyant pas retourner dans ma voiture pour y dormir – oui, dormir, enfin ! – je franchis le seuil sous l’œil suspicieux du volatile.

Une dame âgée tient la réception. Le fait qu’il y ait quelqu’un tient déjà du petit miracle : elle est la première personne humaine que je croise dans ce drôle de village qui me semblait tout à l’heure peuplé seulement de corbeaux.



Gratuit ? Mais alors, de quoi vit-elle ? Je commence à m’inquiéter sérieusement : dans quel coupe-gorge suis-je tombée ?



Elle tourne les pages où sont inscrits des milliers de noms, note ma présence, et me tend une clé accrochée à un porte-clés métallique, très lourd, à l’ancienne.



Plaisant ou pas, peu importe : je ne suis pas venue ici pour rester, et dès que ma voiture sera réparée, retour immédiat à la maison. Je gravis l’escalier dans un parfum lourd d’humidité, de fleurs fanées, de meubles anciens. Il n’y a aucun bruit : à croire que je suis la seule cliente. Paradoxalement, je préfère cela aux chaînes hôtelières modernes où tout est standardisé, triste et impersonnel. La chambre est à l’image du reste de l’hôtel : vétuste, cependant propre et accueillante, et surtout, le lit est confortable. Sans même prendre le temps de retirer mon manteau, je me jette dessus et m’endors aussitôt, surveillée par la pleine lune dont l’œil borgne émerge des brumes nocturnes au-dessus du clocher.


Un franc soleil à travers la fenêtre m’éveille. L’horloge de l’église sonne sans que je compte les coups dans ma demi-conscience. Je regarde l’heure sur mon téléphone portable, toujours désespérément privé de signal GSM : midi. Seize heures de sommeil sans rêves ont réparé mes forces. Après une période d’étirements, j’ai maintenant besoin d’une bonne douche bien chaude. Il n’y en a pas dans la chambre, mais la salle de bains est commune à l’étage. D’épaisses serviettes de coton blanc sont à disposition, et l’endroit est d’une netteté irréprochable, bien que les cabines n’aient pas de porte. Je me déshabille en me disant qu’il faudrait que j’aille chercher ma valise dans ma voiture pour récupérer du linge propre, puis je me glisse avec délice sous le jet brûlant.


Soudain, je m’aperçois qu’une jeune femme se trouve en face de moi, et qu’elle me regarde tandis que l’eau s’écoule également sur sa peau blanche qui me semble d’une pâleur extrême. Elle me sourit. Son visage est celui d’un enfant, ou d’un ange. Ses doigts courent sur sa vulve buissonneuse parsemée de savon. Elle poursuit son geste, lentement, puis se tend et jouit, la bouche ouverte, sans me quitter des yeux. Ensuite, elle coupe le jet, s’approche de moi et me demande :



Sans attendre ma réponse, elle sort de la salle de bains, enveloppée dans sa serviette qui ne cache même pas son sexe.

Je finis ma douche en pensant à ma peu farouche voisine à la peau couleur de neige, ce qui est une particularité physique qui m’attire. Quel âge doit-elle avoir ? Vingt ans, à peine, peut-être moins. J’ai l’impression qu’elle recherchait mon regard au moment de sa masturbation, et que son orgasme avait quelque chose à voir avec de l’exhibitionnisme lesbien. Tout cela m’incite à me caresser à mon tour, en espérant par contre que personne ne viendra me déranger.


Le début de l’après-midi est consacré à une balade dans le village. À la réception, je confie ma clé à la dame qui me souhaite une bonne promenade. J’en ai vite fait le tour, sans trouver aucune épicerie ni commerce alimentaire pour calmer la faim qui commence à me torturer l’estomac. Comment font les habitants pour se sustenter.

Par contre, une boutique de vêtements jouxte l’hôtel. J’entre. Le moins qu’on puisse dire est que la mode évolue lentement dans ce village, au point que je me demande, au vu des corsets, des crinolines et des châles de cachemire, s’il s’agit d’un magasin de déguisements pour un bal à l’ancienne. La vendeuse me laisse fouiller le présentoir de la lingerie. Ceux-ci me plaisent et semblent à ma taille. Elle me propose d’essayer les culottes de dentelles, des guêpières et les soutiens-gorges, des ensembles assez sensuels. Son manque de discrétion m’étonne, car elle me regarde me déshabiller complètement dans la cabine qui n’a pas de porte. En même temps qu’elle, je me vois dans le miroir. Magnifique. Il me semble même que les petites rides qui commençaient à apparaître sur mon front ont disparu, et que ma silhouette s’est affinée, comme si les cinq dernières années s’étaient effacées. Le bienfait d’une longue nuit de sommeil ?


Elle me tend un corsage, un pantacourt mauve en coton, des bottines de cuir confortables à la place des chaussures à talons hauts qui me faisaient mal aux pieds, et me suggère que garder tout cela sur moi. La gêne qui se trouvait entre nous pendant l’essayage des sous-vêtements s’est effacée. Elle semble ravie, et il me vient à l’esprit qu’elle doit passer ses journées à attendre de très rares clientes.


À la sortie, je lui propose ma carte bleue, et de nouveau, je m’entends dire que ce n’est pas la peine de payer. Quel est donc cet étrange village où l’argent n’a pas cours ? Enfin, si cela lui fait plaisir d’offrir sa marchandise ! Rhabillée à neuf comme je le suis, je n’ai plus besoin de retourner à ma voiture chercher ma valise. Mais je ne trouve aucun endroit me permettant de téléphoner, alors je m’adresse à la réception de l’hôtel où la même dame âgée semble vissée derrière le comptoir.



Perplexe, je retourne dans ma chambre afin de boire un verre d’eau au lavabo. En chemin, j’entends des bourdonnements mécaniques qu’il me semble bien connaître, et remarque un salon dans lequel six ou sept clientes sont réunies, assises en cercle sur des fauteuils, des canapés. Elles sont complètement nues et discutent entre elles. Certaines les mollets posés sur les accoudoirs, les cuisses largement ouvertes sur leur fleur sexuelle dont elles écartent les grandes lèvres entre pouce et index. Elles ont tous les âges, et s’adonnent ensemble aux plaisirs érotiques avec des godemichés, des vibromasseurs, ou bien seulement leurs doigts – mais sans se toucher les unes les autres. Je connais bien ce bruit, parce que mon métier est de vendre des jouets masturbatoires pour femmes. La personne qui était sous la douche avec moi fait partie du groupe.



Toutes éclatent de rire en même temps. Je me demande quelle énormité j’ai bien pu dire pour susciter une telle hilarité.



Une psyché devant laquelle je me tiens debout me renvoie un reflet assez plaisant de mon corps, trop sans doute : le miroir doit tricher en déformant l’image pour me montrer mince comme je l’étais à vingt ans. Je choisis un Hitachi à grosse boule qui se branche sur le secteur, un de ceux que je n’ai encore jamais vendus faute de posséder la licence, ni même essayés jusqu’ici. Je mets un peu de lubrifiant sur mes grandes lèvres et positionne un préservatif sur l’engin. Ouf, c’est puissant.



C’est à ce moment-là que je remarque les tableaux libertins accrochés aux murs. Ils datent tous du XVIIIe siècle ou du début du XIXe : Fragonard, François Boucher… qui m’inspirent autant que le vibromasseur. Vraiment, c’est un beau salon, meublé et décoré avec élégance. Mais je suis au centre de toutes les attentions et j’ai la désagréable impression d’ignorer quelque chose de crucial que tout le monde connaît.

Nathy me manque. Au moment où je ferme les yeux, son visage lumineux envahit mon esprit. Je voudrais qu’elle arrive derrière moi sur la pointe des pieds pendant que je m’adonne au plaisir solitaire, afin de caresser tendrement ma chevelure, comme elle en a l’habitude lorsque nous sommes dans l’intimité de notre appartement.




oOo




Lorsque l’après-midi se termine, j’entre dans l’église. La porte n’est pas verrouillée, mais le lieu me semble désert.

Dès mon premier pas dans le narthex, une violente odeur d’encens me prend à la gorge. Des vitraux minuscules ne peuvent empêcher l’intérieur de l’édifice d’être plongé dans une nuit quasi permanente, avec pour seul éclairage des bougies fixées en cercles sur des lustres aux ornements compliqués, reliés au plafond par de longues chaînes. Le silence qui règne là est si pur qu’il m’oppresse en rendant audibles mes battements cardiaques, lorsque je suis immobile. Et pourtant, il faut bien qu’un sacristain soit présent pour allumer ces chandelles. Au centre, devant le chœur, un vieil encensoir doré, suspendu à une poutre, oscille lentement en répandant autour de lui, dans un brouillard de volutes blanches, le parfum qui m’enivre.


Une petite affiche donne des informations sur cette église du XVIIIe siècle dont l’extérieur me paraissait modeste, en dépit de ses dimensions étonnantes pour un si petit village, mais l’architecture baroque de l’intérieur vaut le détour. Consacré à Sainte Julie, patronne de la Corse, sa peinture monumentale de six mètres de hauteur par cinq de largeur trône à droite de l’autel. Je me dirige vers cette œuvre.


Quel tableau étonnant ! Loin des œuvres pudiques de Hironymus Bosch et de Gabriel Cornelius Max, il s’en dégage une très grande sensualité, sans pour autant négliger l’aspect tragique de la croix : celle-ci est transcendée par la beauté de la personne représentée. Une colombe s’échappe de la bouche de la sainte au moment où celle-ci, vêtue d’un simple pagne comme le Christ, succombe sur le bois de sa croix.

Le Christ, justement. Sa sculpture crucifiée, grandeur nature, se trouve juste en face d’elle, de l’autre côté du cœur, de sorte que Julie et Jésus, dans des postures semblables, semblent se regarder l’un l’autre dans un dialogue amoureux qui n’en finit pas. Je m’approche du tableau pour essayer de lire sa signature du peintre, mais sans parvenir à identifier un nom. Une notice manuscrite en bas du tableau indique d’ailleurs que l’auteur est inconnu.


Je me recule de quelques pas pour contempler dans son ensemble cette œuvre incroyable. À l’expression du visage, on dirait que la jeune femme qui a servi de modèle a été vraiment crucifiée tant le réalisme se révèle saisissant. Des petits pieds nus transpercés suinte un filet de sang écarlate jusque dans la terre. Capturée sur un bateau, Sainte Julie a été exécutée pour avoir refusé de sacrifier aux dieux romains. Malgré la violence du thème, un sentiment de paix et de sérénité émerge. La posture altière interroge ; triomphe de la foi chrétienne sur la barbarie, ou bien de l’éternel féminin sur la perversion masculine : qu’a voulu exprimer l’artiste ? Sur un bord de la scène, un centurion s’apprête à trancher les seins qui seront jetés contre les rochers où ils donneront naissance à des sources miraculeuses, comme le veut la légende.


J’ai soudain l’impression que Julie ne regarde plus le Christ, mais moi qui la contemple, et qu’elle me parle mystérieusement. Qu’elle murmure des mots d’amour et de compassion directement à mon cœur, sans passer par le filtre de ma conscience. Ce qu’elle me dit est tellement sidérant que je suis prise de vertige. L’encens m’enivre. Je cherche un pilier pour y prendre appui, un banc pour m’asseoir. Trop tard. Les lumières pâles des bougies dansent autour de mes yeux révulsés. Je perds connaissance et m’écroule sur la pierre froide.


Un gant humide et tiède doucement appliqué mon front m’éveille. Je me trouve couchée sur un lit, dans une chambre qui me semble être une cellule monacale. Une jeune religieuse en tenue traditionnelle me sourit. Sa face est celle d’un ange. Mais sa ressemblance avec Julie de Corse sur le tableau est troublante, comme si la sainte était descendue de sa croix afin de me soigner !



Je n’ai pas la force de répondre pour la remercier. Elle revient cinq minutes plus tard avec une grande tasse fumante posée sur un plateau. Difficilement, je me redresse. Je n’ai rien avalé depuis trente-six heures et réalise soudain que je suis affamée, alors je bois le liquide chaud d’un seul trait, puis je souris à mon hôtesse en guise de remerciement. Elle me sourit en retour en caressant mon front de sa main à la peau si fine qu’elle semble transparente.


Puis elle m’abandonne en me promettant de revenir bientôt. Immobile, je découvre du regard la décoration sobre de la cellule et son ameublement spartiate. Mais tout est propre et bien rangé, bien agencé. Je me sens en paix. Le thé me procure un sentiment de calme : tout l’énervement de la panne de voiture qui m’a entraînée dans cet étrange village semble évaporé.


La jeune religieuse revient, avec toujours cet éternel sourire aux lèvres que ne peux qu’imiter. Elle s’assied au bord du lit sur lequel je suis toujours allongée sur le dos. Elle ne dit rien ; son regard parle pour elle et ne dit que la joie de m’avoir rencontrée.

Sa main se pose dans ma chevelure, puis glisse du front au cou et les doigts agiles défont deux boutons de mon corsage afin de se promener sur mes seins à travers mon soutien-gorge. Cette privauté me surprend, mais je n’ai pas envie de m’y opposer. Elle me regarde droit dans les yeux. Les siens sont de feu. J’y lis un désir dévorant qui provoque en moi un spasme bien connu dans mon bas-ventre. Rêve érotique ou bien réalité ? Peu importe : je décide de renoncer à comprendre cette situation absurde et de m’abandonner aux événements, aussi surprenants soient-ils. Bien que physiquement fatiguée, je me sens divinement bien, détendue, les sens en éveil.


De fil en aiguille, de bouton défait en crochet dégrafé, je me retrouve torse nu, les seins libres livrés aux blandices de ma bien peu chaste religieuse qui semble plus intéressée par les plaisirs gomorrhéens que par la rigueur de la règle bénédictine. Elle pose sa tête sur la poitrine afin d’écouter les battements de mon cœur. Pendant ce temps, sa main court sur mon ventre, s’insère sous mon pantalon, et parcourt ma vulve à travers ma culotte. Elle se contente d’effleurer la zone intime de mon corps, mais l’effet est incroyablement voluptueux. J’écarte les jambes afin de lui offrir un meilleur accès. Sa main se retire pour caresser mes tétons, et même les pincer fermement – délicieux ! – puis retourne là où se trouve ce qui me fait frémir. Le majeur, sous la culotte, glisse le long de ma fente vulvaire, explore l’entrée du vagin. Je la guide de mon mieux.

Ensuite, c’est l’explosion. Je me sens me cambrer involontairement. Au moment de l’extase, je ferme les yeux et les images des deux Julie, celle qui est en croix et celle qui m’offre la jouissance dans sa cellule monacale se superposent. Dans mon obscurité, je sens le souffle chaud se poser sur la peau de mon cou en m’entraînant aux confins de l’orgasme.


Puis j’ouvre mes yeux. La belle religieuse a disparu. Mon ventre est encore en feu, c’est incroyable, au point que je ressens le besoin de me masturber. Les murs dansent autour de moi, et le crucifix accroché au mur semble me menacer de je ne sais quelle mesure de rétorsion contre ma volupté solitaire. À moins qu’il s’agisse de me prévenir contre une menace inconnue ? L’intuition du danger maintient mes sens en éveil. Attention, la revoilà ! Je reste allongée, immobile.

Lorsqu’elle veut passer ses doigts dans ma chevelure, j’attrape son poignet et je l’attire vers moi, brutalement, en saisissant son col de l’autre main pour l’immobiliser.



Interloquée, elle garde le silence. Je lui tords le bras pour l’obliger à parler.



Je relâche mon étreinte, et elle relève son habit sous lequel elle est complètement nue, mis à part deux bandages qui recouvrent ses poignets, et me montre les stries rosées qui parcourent son dos.



Un doigt dans sa bouche, elle hésite comme une petite fille qui a peur de dire une énormité.



Je fais ce qu’elle me demande, et j’entends des grognements très graves, des raclements de griffes contre le sol, ou les murs, parfois un mugissement. Il semble y avoir plusieurs individus. Aucun animal connu ne produit ces bruits. Soudain, mon imagination se met en marche, incontrôlable. Tout mon corps frissonne. J’imagine un prêtre en soutane, avec une abominable tête de taureau, en train d’abuser de femmes qu’on lui livre en pâture. Il me faut quelques instants pour me ressaisir.



Ses grands yeux noirs se mouillent de larmes. Je la prends dans mes bras pour la consoler.



Elle a juste le temps de fermer la porte de l’armoire dans laquelle je suis dissimulée avant que le prêtre n’entre dans la cellule, sans frapper à la porte. Ils ne se disent rien, mais font l’amour sur le lit. Sans voir, j’entends tous les bruits de leur étreinte. Des baisers, puis une succion qui me semble être une fellation. Cela me paraît durer une éternité – peut-être est-ce parce que ma position recroquevillée est inconfortable. Mais l’aphrodisiaque continue son effet, allié aux échos de leur relation sexuelle. Les craquements du sommier. L’homme (ou la bête ?) doit peser lourd sur le corps de la frêle religieuse. Soudain, un grondement qui vient d’en bas. On dirait qu’ils se sont tous réveillés en même temps, attirés par l’odeur du stupre. Des sifflements, des claquements de mâchoires. Les bêtes de l’enfer. Ce zoo immonde me fascine plus qu’il m’effraie. Mourir dévorée par un serpent immense : mon fantasme secret depuis l’adolescence. L’orgasme me saisit sous cette pensée. Le cri de joie de Julie, elle aussi sous le feu de la jouissance.


Aiguillonnée par la curiosité, malgré le risque, je ne peux résister à la tentation d’entrebâiller très légèrement la porte de l’armoire afin d’apercevoir les amants, en profitant de ce que leur étreinte se trouve au maximum de son intensité. Ouf, ils n’ont rien vu. Mais je peux apercevoir seulement leurs pieds. Ceux du Minotaure sont humains, masculins, sans rien de particulier ; par contre, ceux de Julie ont de gros trous en plein milieu.


Leur accouplement terminé, ils se rhabillent et partent ensemble, heureusement sans verrouiller la porte de la cellule. Je rajuste mes vêtements, j’arpente le couloir avec prudence, repasse discrètement dans la nef de l’église en essayant de ne pas respirer trop d’encens, et quitte cet endroit sur la pointe des pieds, alors qu’il fait nuit noire.

Craignant d’être reconnue par ses habitantes, je ne veux pas passer devant l’hôtel. Il me faut m’éclipser le plus discrètement possible. Tant pis pour mon téléphone que j’ai laissé dans ma chambre. Sous le disque lunaire, il me semble reconnaître les ruelles que j’ai explorées dans l’après-midi. Mais les maisons se ressemblent, les angles que font entre elles les voies de circulation ne sont pas vraiment droits, et je ne sais plus où il faut tourner. Je suis perdue. Le village me semble soudain immense comme une métropole ! Après deux heures de marche rapide, l’aurore commence à effacer les étoiles, je suis en nage et toujours pas sortie du dédale de petites rues qui serpentent dans toutes les directions. Me voici de retour devant l’hôtel des femmes. Mon « évasion » est ratée – si tant est que je sois vraiment prisonnière, ce que je ne parviens pas à croire.

Épuisée, je décide de rentrer me coucher. Madame Samovar, toujours à son poste, à l’accueil, me demande si la balade nocturne que j’ai faite dans le village était belle et si j’ai pu téléphoner à l’église. Ne dort-elle jamais ?



Elle ouvre son gros livre et le feuillette.



Je me dirige vers le réfectoire quand elle me rappelle :



Après le petit déjeuner, je change d’avis et je demande à lire le journal où les circonstances de l’accident sont détaillées. Il y a même une photo de ce qu’il reste de ma voiture. Devant cette image, je fonds en larmes. Je n’entends pas la jeune femme pâle arriver derrière moi. Elle caresse tendrement mes cheveux pour me consoler. Comme Nathy en avait l’habitude.




oOo




L’église sonne trois heures du matin. Les insomnies qui me tourmentaient du temps où j’étais vivante continuent à me tourmenter. Je n’ai aucun souvenir de l’accident de voiture qui m’a ôté la vie, mais celles de Nathy, ma compagne chérie, repassent en boucle dans ma tête alors que mes yeux fixent le plafond. J’ai trop chaud et transpire sous ma chemise de nuit, car l’hôtel est trop chauffé. Sans doute est-ce normal de souffrir de la chaleur en enfer. Je pense aux jeux érotiques que nous pratiquions toutes deux, et pense à Daphné et Nathy qui doivent partager le même lit ; peut-être même, à l’heure qu’il est, échangent-elles des blandices en évoquant leur crime. Malgré moi, ma haine m’empêche de respirer librement comme les tentacules d’une pieuvre étranglent sa proie sous l’eau. Il faudrait que j’aille faire pipi.


Je me lève et quitte ma chambre pour me rendre aux toilettes qui sont au bout du couloir, sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne. En chemin, je change d’avis. Mon sexe et les jouets coquins du salon libertin m’appellent. Je descends les marches et entre dans la vaste pièce éclairée par la lune à travers les carreaux. Mes yeux habitués à la pénombre se passeront du plafonnier. Pas de vibromasseur : trop bruyant. Sur l’étagère, j’avise un superbe godemiché, très lourd, sans doute moulé en argent massif avec, affleurant à sa surface, un réseau veineux imitant le phallus à la perfection – enfin, pour le peu que je connaisse de cet organe. La professionnelle que je suis – pardon, j’étais : il faudra que je m’y fasse – des instruments de plaisir féminin, apprécie cet objet rare et précieux à sa juste valeur, le métal brillant sous la clarté lunaire, ni trop gros ni trop petit, juste de la bonne taille pour ma gaine vulvaire qui s’humidifie dans la perspective de cette pénétration.


Installée dans un fauteuil empire, les pieds calés sur les accoudoirs, je relève ma chemise de nuit. J’admire mon corps dénudé dans la psyché que j’ai positionnée juste en face. Il semble qu’en passant dans l’au-delà, j’ai retrouvé les grâces de mes vingt ans. L’idée de les garder éternellement me trouble : il est difficile de s’habituer à ne plus vieillir. Mon vagin lubrifie si bien qu’il n’est pas utile d’en ajouter sur le godemiché. Mais je n’arrive pas à l’insérer. Bizarre. J’écarquille les yeux pour voir mon sexe dans le miroir, et découvre ainsi la raison pour laquelle je n’y parviens pas : j’ai retrouvé le pucelage que j’avais perdu avec Béatrice, il y a vingt-deux ans, une jolie étudiante rencontrée dans le métro. Elle avait ouvert le passage avec ses doigts, car j’avais envie de découvrir la sensation d’être remplie. Cela fait sans doute partie des surprises de la résurrection. Me voici redevenue jeune fille.


Deux flammes brûlent derrière moi ; je les vois dans le miroir. Ce sont les yeux de la jeune femme pâle qui a des iris qui sont comme des brasiers, des incendies de lune, et sa bouche est ouverte en grand, comme pour émettre un cri d’effroi qui ne vient pas. Je me retourne : elle était sans doute là avant moi et n’a pas fait un seul bruit pour signaler sa présence. Je me retourne en frissonnant. M’espionnait-elle délibérément, ou bien est-elle là par hasard ? Elle murmure :



Je lui laisse finir son rêve de somnambule. Puis elle se réveille, et se rend compte de ma situation.



De la tête, je lui fais signe que oui. Comment pouvait-elle savoir que je viendrais ici en pleine nuit ? Elle s’approche, se met à genoux devant moi qui suis toujours à demi allongée dans le fauteuil empire, dans la même position, cuisses écartées. Sa main gauche stimule doucement mon clitoris ; de l’autre, son index fin, lubrifié de salive, transperce mon hymen, puis elle y revient en ajoutant le majeur afin de finir de déchirer ma membrane, sans douleur, et même en provoquant un orgasme lorsqu’elle stimule mon point G dans un mouvement « viens ici ». Sa bouche s’approche de la mienne et nous nous embrassons. Puis elle me prodigue un cunnilinctus, en se servant de sa langue comme d’un petit pénis qui se glisse à l’intérieur de ma fente blessée. Ma vessie est sur le point d’exploser, ce qui amplifie ma volupté.

Elle porte ses doigts ensanglantés à sa bouche et les suçote avec délice, et répète en murmurant, les yeux à nouveau rougeoyants de deux étranges flammes vives :





oOo




Une semaine passe. À moins que ce soit un mois, ou dix ans : ici, ni temps ni les saisons n’ont plus aucune importance. Les habitudes s’installent. La vie est facile à Vermillon-l’Église : aucune contrainte, aucun emploi du temps à respecter. La compagnie des autres pensionnaires de l’hôtel des femmes n’est pas désagréable. Elles font preuve d’un réel effort pour faciliter mon intégration. J’envisage d’ouvrir un salon de massage à côté de la boutique de vêtements, pour m’occuper, et me demande seulement ce qu’il en sera de notre étrange cohabitation dans plusieurs siècles, ou millénaires. Cela fait sans doute partie de notre châtiment. Mais peut-être après tout que la fin des temps est proche et que tous, innocents et criminels, allons être réunis dans le Ciel.


En attendant, je passe le plus clair de mon temps à marcher seule dans le village en pensant à celle qui m’a conduite à tuer un innocent avant d’organiser mon accident mortel de voiture. Dans mes nuits d’insomnie, je me tourne et me retourne dans mon lit sans parvenir à détourner mon esprit du souvenir de son visage aimé. Malgré ce qu’elle a commis, j’aimerais la revoir. Pourquoi a-t-elle fait cela ? Seulement pour rejoindre Daphné ? Pourquoi, dans ce cas, ne s’est-elle pas contentée de me quitter au lieu de m’éliminer ? Par vénalité, parce qu’elle est l’unique bénéficiaire de mon assurance décès ? Peut-être aussi avait-elle peur, concernant Pierre, que je révèle notre crime, ou que je me rende compte de son mensonge. En quoi serais-je apte à la juger moralement ? Que sais-je de son histoire d’avant notre rencontre ? Rien ! Elle ne m’en a jamais parlé.

Madame Samovar, avec laquelle j’ai de longues discussions, me dit :



Finalement, qu’importe : qu’elle le regrette ou non, je lui pardonne sa trahison, et n’ai d’autre hâte que de me blottir à nouveau dans ses bras. Mon cœur est tout brûlant de cette attente.

Un soir, rentrant de ma longue promenade, je trouve Nathy assise dans la pénombre de l’escalier de l’hôtel. Elle fume, comme à son habitude, maquillée et coiffée avec soin, et son corsage déboutonné est entrouvert sur sa poitrine nue. Autour de son cou se trouve une cordelette fermée par un nœud coulant. Plus désirable que jamais, elle me sourit et me dit : Viens ! . Je me précipite vers elle pour l’embrasser, les sens en feu ; mes bras ne se referment que sur du vide, car elle n’est qu’une impalpable illusion qui disparaît dans un sanglot et l’épaisse fumée de sa cigarette. Pour avoir confondu le monde des morts avec celui des vivants, je n’ai réussi qu’à me tordre la cheville sur une marche. Tel est aussi l’enfer où l’amour est un mirage.

Je redescends voir madame Samovar pour lui expliquer ma décision. Elle note ce que je lui déclare dans son cahier, et me dit :



Mais le temps passe, et aucune réponse ne vient. Je m’ennuie. Me masturber quotidiennement en compagnie des autres femmes est excitant au début, mais je m’en lasse progressivement. Je voudrais de l’action, de l’émotion forte. Alors je vais voir madame Samovar ; après m’avoir patiemment écoutée, elle me tend le formulaire numéro Z666 qui permet l’accès au bestiaire infernal du sous-sol.


Mon entrée sous la terre est prévue pour demain soir. Mais avant, je veux passer un moment tendre avec la jeune femme pâle qui ne veut pas me dire son prénom, et qui me tourne autour depuis mon arrivée dans le village. Vers midi, je toque à la porte de sa chambre. Vêtue d’une élégante robe à la grecque – tenue vestimentaire d’une époque ancienne – elle est en train de déjeuner seule d’un morceau de viande rouge qu’elle consomme crue, peut-être parce que les réchauds sont interdits dans cet hôtel, peut-être aussi parce qu’elle préfère la manger comme cela. Elle me propose de partager son repas. Au début, j’hésite devant cette nourriture ruisselante de sang. Mais j’ai faim, alors finalement j’en prends un petit morceau, puis un autre. J’ignore de quel animal est issue cette chair et préfère continuer à l’ignorer, pour qu’elle ne repasse pas par le même chemin. Elle me dit :



L’enquête a suscité une série d’expertises, avec des « experts » que l’on a été chercher dans les églises aussi bien que dans les asiles d’aliénés. Après m’avoir interrogée à grand renfort d’instruments barbares, et violée avec tous les raffinements imaginables, les curés ont affirmé que j’étais possédée par un démon issu de l’ancienne Gomorrhe, puis les docteurs ont qualifié ma folie meurtrière d’irrémédiable : pour une fois, la science et la religion sont tombées d’accord. De nos jours, les psychiatres me diraient psychopathe, car je prenais un réel plaisir à ôter la vie de mes victimes, à l’aide d’un couteau de boucher soigneusement affûté, comme celui-là. Mais c’était par la douceur, le charme et la séduction, et non pas la contrainte, que je parvenais toujours à ce qu’elles fussent consentantes à m’offrir leur chair frémissante et goûteuse. Bref. Ce diagnostic n’a pas empêché les juges de m’envoyer directement sous la guillotine, et je n’ai rien tenté pour les en dissuader, car je trouvais cette issue plutôt excitante. Il fallait bien, pour rétablir l’ordre public, déverser encore un peu plus de sang dans les entrailles d’une terre assoiffée. Mon cas a beaucoup intéressé les gens de loi. Les magistrats ont intrigué entre eux pour qu’on les charge de s’occuper de moi d’une manière définitive. Je crois que les jurés ont également pris un réel plaisir à me déclarer pleinement responsable de mes actes afin d’assister, au petit matin, à la petite cérémonie au cours de laquelle celle qu’on surnommait « la veuve » m’a tranché la tête. J’avais dix-neuf ans, et physiquement, je plaisais beaucoup aux hommes, bien que ce ne fût pas réciproque. J’ai toujours préféré les femmes, surtout gustativement.


Elle me voit regarder la viande avec un regard suspicieux.




Comme je n’ai plus faim, assise en face d’elle, je lui masse les pieds pendant qu’elle évoque ces souvenirs en finissant son repas. Elle ne dit rien d’explicite à mon sujet, mais son regard en dit long sur le désir qu’elle me porte. Vraiment, aussi cinglée (ou mythomane ?) soit-elle, avec ses yeux séraphiques, elle est belle, d’une beauté discrète, silencieuse, retenue dans son expression et pourtant, je sens le feu intérieur qui la dévore. Elle est morte comme je le suis, et pourtant, nous sommes plus vivantes que jamais dans cet hôtel étrange en marge du monde. Comme tous les condamnés à mort, son corps mortel doit se décomposer sous une allée de cimetières, en un emplacement secret : en tant que maudite par la société, elle n’a même pas droit à une sépulture qui permette à ceux qui se souviennent d’elle de venir se recueillir. Seules les mésanges bleues s’arrêtent pour picorer les vers sur la terre humide qui la recouvre.


Ses petons d’albâtre sont ravissants et délicatement parfumés à la sueur de femme. Elle frémit sous les sensations que lui procure mon massage alterné avec un grignotage des orteils, du bout des lèvres. Sa respiration devient profonde ; elle bascule sa tête en arrière et glisse une main sous un pan retroussé de sa robe, pendant que je poursuis mon geste jusqu’à que la trituration des petits pieds, associée à sa masturbation, déclenche sa jouissance qui ne se manifeste que par un soupir de joie. Elle me remercie d’un sourire et me dit :



Une fois complètement dévêtue, je m’allonge sur la table et ferme les yeux, livrée à son appétit. Elle m’attache solidement par poignets et chevilles, puis… pourquoi conter la suite, qui n’est que folie ? Non, elle n’est pas mythomane.




oOo




Le lendemain soir, Madame Samovar m’invite à descendre avec elle des escaliers de pierre en colimaçon qui me semblent sans fin. Nous parvenons à une grande salle voûtée éclairée par de nombreux flambeaux et séparée en deux parties par une épaisse grille. Des chaises se trouvent d’un côté ; de l’autre, une épaisse porte de fer, devant laquelle notre hôtesse m’invite à patienter, avant de s’éclipser. La zone du public se remplit progressivement avec notamment la jeune femme pâle, la blonde obèse, la métisse à l’épaisse chevelure, autant de compagnes dont je n’ai jamais connu les prénoms et qui ignorent le mien, mais aussi Julie et la vendeuse de la boutique de vêtements. En fait, il me semble que la totalité de la population de Vermillon-l’Église est réunie.


Lorsque la salle est comble, madame Samovar revient et me demande de me dénuder complètement, en m’expliquant que la bête n’aime pas le goût des vêtements. Elle recouvre l’intégralité de mon épiderme d’une grande quantité d’huile parfumée, comme pour embaumer la morte que je suis déjà. L’ocre des flambeaux colore ma peau luisante de leurs feux, ce que des miroirs me permettent d’observer. L’excitation monte et me fait mouiller, ce que je ne fais rien pour cacher au public qui me crie des mots d’encouragement. Toutes, je les aime, elles qui m’accompagnent. J’ai peur, et en même temps, je suis heureuse de me trouver là, en attendant que s’ouvre la porte de fer.


Enfin, celle-ci dévoile l’hôte que l’inframonde a préparé pour moi. Celui-ci ne me déçoit pas. Le serpent mesure environ vingt mètres de long pour un de diamètre. Ses écailles dessinent des motifs mystérieux. Son regard jaunâtre est identique à celui du corbeau qui m’a accueilli sur l’enseigne de l’hôtel. Des crochets longs comme des sabres. Ce sifflement m’est familier, pour l’avoir souvent entendu dans mes nuits d’insomnie. La créature tourne autour de moi, patiente dans la découverte de sa proie. Mon corps ondule en rythme avec le sien. Les yeux dans les yeux, nous dansons ensemble une sarabande mystique. Exactement le scénario de mon fantasme. Il me fascine comme je le fascine.


Des ténèbres de sa gueule ouverte émanent des parfums mêlés de luxure, de joie, de tristesse et de mort : tous les souvenirs des quarante-sept ans ma vie de femme s’y trouvent rassemblés, de l’odeur de la cour de l’école maternelle de mes trois ans à celle de la voiture qui fut mon bûcher tragique, en passant par le tabac que fumait Nathy, les petits pieds fins de la femme pâle et toutes les fragrances des amantes qui se sont coulées dans mes bras depuis mon adolescence. Nous nous approchons peu à peu. Nous nous apprivoisons. Je n’ai plus peur. Une volupté insane surgit de mon ventre et m’irradie toute entière. Je crois que je vais jouir comme jamais, sans même avoir besoin de me caresser, pleinement offerte au monstre dont le gouffre buccal est maintenant à portée de mains. La dévoration est une extase. Je me couche sur le sol, jambes relevées, pour qu’il m’avale par les pieds, sans se précipiter pour m’engloutir, comme pour me déguster et prolonger mon délicieux supplice.

Lorsque seule ma tête dépasse encore à l’extérieur, j’aperçois Nathy qui se trouve dans le public. Elle se déshabille, ouvre la porte de séparation et vient me rejoindre, pour s’abandonner elle aussi au monstrueux serpent.


Elle et moi, réunies à nouveau dans un amour total, nous allons fusionner, accouplées dans le ventre de la bête, dans la contemplation d’étoiles ruisselantes de lumière, pour l’éternité.