Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 18662Fiche technique19387 caractères19387
Temps de lecture estimé : 12 mn
16/11/18
Résumé:  Quand une femme s'éveille dans un monde nu...
Critères:  f h fh ff fffh hagé jeunes inconnu religion poilu(e)s cinéma exhib fmast hmast intermast fsodo jouet partouze sf
Auteur : Calpurnia            Envoi mini-message
L'abandon

Le manque de sommeil aidant, bercée par le rythme des stations, j’ai dû m’endormir dans le tram. À cette heure-là de la matinée, il n’y avait pas beaucoup de passagers, et tous étaient assis, plongés dans leur lecture ou leur téléphone portable. À ma montre, je me souviens, il était dix heures pile.


Quand je me suis réveillée, elle indiquait toujours dix heures. C’était le même soleil pâle de l’automne, le même fauteuil garni d’un velours verdâtre et fatigué. Mais, en redressant ma tête, j’ai sursauté : tout le monde était nu. Oui, complètement nu : les gens assis, ceux qui resteraient debout. Mais sans paraître en éprouver la moindre gêne. Dans le tram, et dehors, aussi. Sans voiles, les piétons, les cyclistes. Les hommes, les garçons avaient l’organe viril qui pendouillait majestueusement au rythme de leurs pas. Les dames avaient des chattes naturelles ou rasées, des seins abondants ou bien plus discrets, mais dans tous les cas, sans aucun tissu pour dissimuler leur anatomie.


D’un coup d’œil affolé, j’ai vérifié que mes habits n’avaient pas également disparu dans cette opération. Ouf, j’avais bien le pull et le jeans enfilé au matin. Je me suis dit que, puisque c’était un drôle de rêve, autant de vivre jusqu’au bout de son indécence.

Lorsque je suis descendue à l’arrêt suivant, j’étais trop perturbée pour me souvenir de la raison pour laquelle j’avais pris le tram. Alors, mes pas m’ont menée au hasard jusqu’au jardin public où personne, non plus, n’était vêtu. Des couples faisaient l’amour dans l’herbe, gays ou lesbiennes, hétéros en nombre équivalent. Certains même s’offraient une orgie à trois, quatre, ou plus, dans toutes les positions, avec toutes les pratiques, mais toujours avec une immense ardeur à copuler, y compris les amants qui pratiquaient le shibari, encordés dans les branches.


Le rut collectif était si généralisé que la pelouse était parsemée de flaques de sperme et de mouille féminine. D’autres, assis sur les bancs, se masturbaient tout en regardant les autres forniquer. Des femmes se servaient de vibromasseurs et de godemichés ; certaines se les échangeaient entre elles, après avoir joui les cuisses écartées. J’ai surpris de drôles de conversations où elles comparaient les grâces de leurs partenaires en utilisant un vocabulaire des plus fleuris. D’autres urinaient au pied des grands arbres centenaires, sans chercher le moins du monde à se dissimuler.


Partout où j’allais, les gens me regardaient bizarrement. Sans doute à cause de mon accoutrement. Poussée par la faim, j’ai tenté d’entrer dans une boulangerie pour acheter du pain, mais la vendeuse en colère m’a mis dehors en me disant de revenir avec une tenue plus décente, parce que son établissement n’était pas un lupanar. Ceci alors qu’un homme qui attendait son tour était en train de sodomiser, debout, la belle qui l’accompagnait, en la tenant par les hanches – ou bien était-elle une charmante inconnue qu’il venait de rencontrer dans la boutique ? Ils se sont tous moqués de moi, l’anormale. Je suis partie en courant, les larmes aux yeux, sans savoir où aller.


Troublée par cet épisode autant que par tant de luxure débridée, j’ai poursuivi mon exploration de cette ville que je pensais bien connaître pour y être née. Je suis entrée dans une église qui m’était familière, puisque j’y avais été baptisée une quarantaine d’années plus tôt, en me disant que peut-être la morale sexuelle de l’Église catholique aura fait de ce lieu un bastion contre l’impudeur généralisée ? Erreur ! Le prêtre y célébrait dans le plus simple appareil, revêtu seulement de son étole verte des jours ordinaires : un rectangle de tissu qui ne cachait en rien sa grande verge turgescente, avec au bout un gland humide et bien fendu. À la vue de cet homme qui ressemblait à un satyre poilu, debout devant la table sacrée, la voix solennelle et les bras levés pour la prière eucharistique, j’en ai éprouvé un violent spasme dans le ventre. Je n’aurais pas été autrement surprise si ses jambes avaient été remplacées par des pattes de bouc.


Ce qui n’avait pas changé, par contre, c’était la moyenne d’âge des fidèles, a contrario de leur tenue vestimentaire : sans exception à part moi-même, celle d’Adam et d’Ève, avant le péché originel. Au moins, ils ne risquaient pas de laisser à la quête un bouton de la culotte qu’ils n’avaient pas. Dans les vapeurs d’encens, tous et toutes s’agenouillaient pour l’élévation, avec leurs rides profondes et tous les rhumatismes qui les faisaient souffrir dans ce mouvement. Mais beaucoup d’hommes bandaient et certains enfonçaient un doigt dans le derrière de leur moitié, sans pour autant cesser leur adoration pour le Christ ressuscité. Il y avait même un ancien, peut-être centenaire, mais vert comme un chêne du même âge, qui introduisait en même temps ses deux index dans les croupes offertes de deux paroissiennes en prière, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche. Celles-ci semblaient apprécier ce geste, en témoignaient de larges sourires de volupté, tandis que le phallus, brillant de rosée à la lumière du cierge pascal, se plongeait entre les fesses rebondies d’une troisième agenouillée devant lui. Discrètement, je me suis assise au fond de l’église.


Juste après, une jeune femme coiffée d’une couronne de fleurs blanches – il n’y avait quand même pas que des vieux – recevait le sacrement du baptême. Elle s’est allongée sur l’autel, les cuisses relevées en V, et le célébrant l’a dépucelée, mêlant d’un coup de reins le Précieux Sang du calice à celui du pucelage nouvellement perdu. Puis le parrain et la marraine, celle-ci équipée d’un long gode-ceinture, ont offert à leur filleule une double et vigoureuse pénétration qui l’a laissée toute tremblante de la joie d’avoir rejoint la grande famille des chrétiens. Pendant ce temps, l’animatrice entonnait, derrière son micro et accompagnée par l’orgue, le chant de communion tout en se laissant prendre en levrette par le curé décidément très en forme.


Je suis sortie avant la conclusion — probablement une vaste partie fine, pleine de ferveur religieuse, mais à laquelle je ne tenais pas à participer — pour continuer mon errance urbaine dans ma ville qui semblait devenue la cité du sexe débridé. Tiens, le cinéma porno qui avait fermé ses portes dans mes années de jeunesse, du moins en tant que salle de projection X, à cause de la concurrence d’Internet. Mais il avait poursuivi son activité pour vendre des sex-toys et des poppers, avec aussi des cabines où s’exhibaient des femmes en chair et en os. Il était toujours là, ouvert au public. J’ai constaté qu’il y avait de nouveau un film à l’affiche. Bizarrement, rien d’érotique : un western ancien. Par curiosité, je suis entrée. Les mêmes murs qu’avant, garnis de tissu rouge sombre. Heureusement, cette fois, la personne qui vendait les tickets d’entrée n’a pas émis d’objection à cause du fait que j’étais habillée, bien que je fusse la seule. Elle devait être habituée à toutes les fantaisies de ses clients. Une pancarte indiquait que l’entrée était formellement interdite aux moins de cinquante ans. Bigre. Je me suis dit que cette pornographie devait être terrible pour surpasser tout ce que j’avais vu dehors pour pas un centime. Mes cheveux gris ont témoigné à la place de la pièce d’identité que je n’avais pas.


Le film était en noir et blanc. Années 1950, semblait-il. Cow-boys audacieux contre Indiens cruels et bandits tueurs. Là, au moins, les acteurs sont vêtus, robes longues et chemises à carreaux de rigueur. Chastes baisers entre le héros intrépide et sa belle qui s’aiment follement malgré l’adversité. À tout moment, les revolvers fument, et il y en a qui s’allongent pour toujours. Les méchants, les cupides, les sans-pitié, mais aussi quelques innocents, trépassent sous l’action des six-coups, surtout vers la fin. Mes voisins de fauteuil semblaient s’en délecter. Tout le monde applaudissait. La justice, le bien et la civilisation ont triomphé, peu importe le prix en termes de vies humaines. Ces images étaient manifestement, pour eux, terriblement excitantes.


J’ai entendu des gémissements orgasmiques durant toute la projection. Surtout quand le sang coulait à flots et que les hommes s’écroulaient. Je me suis souvenue avoir déjà vu ce film quand j’avais dix ans, à l’école, un jour de pluie battante où notre institutrice avait remplacé la récréation par une séance de cinéma, pour nous récompenser d’avoir bien travaillé. Au générique de fin, j’ai entendu une femme dire à son compagnon que tout était génial, mais terriblement obscène, que cela l’inspirait, et qu’elle avait très envie qu’ils fassent l’amour dans toutes les positions.


À la sortie, un jeune homme m’a marché sur le pied. J’ai cru qu’il avait fait exprès, pour se moquer de moi, à cause mon accoutrement. Je me suis fâchée. Comme il semblait toujours me narguer et que ses excuses m’ont paru ironiques, hors de moi, je l’ai giflé. Il ne s’est pas défendu, mais comme un petit enfant, il a pleuré et hurlé à pleins poumons, ce qui a eu pour effet d’attirer des badauds qui ont fait cercle autour de nous sur le trottoir, visiblement ébahis par la scène qui venait de se produire. Faute de comprendre quelque chose à la situation, j’ai voulu m’enfuir, mais les gens autour m’ont retenue par les bras, et ils n’avaient pas l’air indulgent. J’avais beau me débattre, ils étaient trop nombreux pour que je puisse me dégager. Puis des policiers sont intervenus. Pour tout uniforme, ils avaient un brassard marqué « police », mais, eux non plus, rien pour cacher leur nudité. Ils m’ont passé les menottes et embarquée dans leur voiture, avec un mélange de ménagement et de fermeté. Au début, j’ai protesté. Mais je me suis calmée quand j’ai compris l’inutilité de toute résistance. De toute manière, je voulais que quelqu’un m’explique pourquoi j’étais la seule personne vêtue.


Mais aucune sorte d’explication n’est venue. Trois mois d’incarcération préventive plus tard, j’ai été jugée pour le crime d’agression physique et condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, à l’isolement intégral et sans aucune possibilité de libération anticipée, attendu que le jeune homme n’avait pas fait exprès de me marcher sur le pied et qu’il s’était excusé, attendu le caractère totalement gratuit de mon acte de brutalité.


C’était la peine maximum : le ciel m’est tombé sur la tête. Mon avocat commis d’office avait pourtant plaidé la circonstance atténuante de sortir d’un cinéma pornographique où la violence extrême du film avait pu m’influencer. En vain : rien n’a ému les jurés qui me regardaient comme une bête fauve assoiffée de sang, une carnassière femelle de la pire espèce. On m’a dissuadée de faire appel, à cause de la gravité de mon cas : sans espoir. Ce serait une perte de temps et d’énergie. D’ailleurs, je ne possédais pas les moyens financiers pour me battre sur le terrain judiciaire. Pendant mon procès, les médias s’étaient déchaînés contre moi. Il ne restait plus qu’à me faire oublier.


Au moins, en prison, je pouvais garder mes vêtements sans que personne n’y trouve à redire, toute seule dans ma cellule. À défaut de liberté, j’y ai bénéficié d’un certain confort. Une cabine de douche rien que pour moi, d’une propreté impeccable, dont je pouvais me servir à volonté. Les repas étaient végétariens et tout à fait corrects. Je n’étais pas obligée de travailler. La télé m’hypnotisait. Vingt heures par jour, je regardais des séries à l’eau de rose, absolument insipides, mais distrayantes quand même. Du sexe à gogo, de la tendresse au kilomètre, du bonheur sucré jusqu’à l’écœurement, mais pas une larme de chagrin, pas un juron, ni un mot plus haut que l’autre. Ils ne diffusaient que ce genre de programme, sur une cinquantaine de chaînes. Devant l’écran, je me masturbais à plein temps, par désœuvrement, en profitant de cette intimité. Les saisons ont passé à travers les barreaux de ma cellule. En été, à cause de la canicule, je ne gardais sur moi que la seule culotte que je possédais. Mais je tenais à ce dernier rempart de dignité.


Les gardiennes qui venaient me porter mes repas et me chercher pour la promenade, toujours en solitaire, restaient peu causantes, mais elles n’étaient pas méchantes, ni indifférentes à mon sort ; je crois même qu’elles avaient pitié de moi. Elles m’ont donné des crèmes apaisantes lorsque je m’irritais le clitoris à force de me caresser. Quelques-unes m’ont proposé d’avoir une relation sexuelle avec elles. Ce n’était pas interdit. Il y avait même des salles aménagées spécialement pour pratiquer l’accouplement, avec des coussins et de la musique relaxante. Comme je ne suis pas lesbienne, au début, j’ai refusé, puis j’ai changé d’avis au bout de quelques mois, pour ne plus être seule au moment de l’orgasme. Elles savaient s’y prendre avec délicatesse, en glissant leur main sous ma culotte sans m’obliger à la retirer. Elles étaient spécialement formées pour exercer ces pratiques avec les détenues, pour nous apaiser et ainsi décourager toute tentative d’évasion. Cela m’a fait du bien. J’en oubliais l’absurdité de la situation.


Pour mon anniversaire, un admirateur qui ne me connaissait que par ce que les journaux avaient écrit sur moi m’a fait parvenir un très beau, très efficace et probablement coûteux vibromasseur, accompagné de photos de lui et d’une lettre fort aimable, romantique et pas vulgaire du tout, dans laquelle il disait qu’il m’aimait sincèrement et qu’il voulait divorcer de sa femme, puis se marier avec moi en prison, même s’il savait que je ne sortirais jamais – mais j’avais la possibilité de lui faire un enfant grâce au parloir. Comme je n’aurais pas pu le garder avec moi, il me promettait qu’il s’en occuperait très bien, malgré mon incarcération, et qu’il m’associerait à distance à son éducation. C’était l’avenir qu’il projetait pour nous. Je crois que mon passé criminel l’excitait beaucoup : cela s’appelle l’hybristophilie. Nous avons correspondu quelques mois avant qu’il abandonne son idée que je trouvais foutraque. Il avait même réussi à me faire parvenir des sous-vêtements neufs, tout en dentelles et en soie, ce qui était totalement prohibé ; il avait pour cela soudoyé quelques gardiennes.


Celles qui étaient chargées de me surveiller n’avaient sur elles ni matraque ni aucune sorte d’arme, et de toute manière pas de ceinture pour porter tout cela. La biométrie remplaçait les clés physiques. J’avais l’impression qu’elles me considéraient comme folle, éventuellement dangereuse, manifestement excentrique par mon refus obstiné d’être nue, mais docile et habituellement calme. Il ne leur fallait donc pas relâcher leur attention en ma présence et, de fait, elles se tenaient sur leurs gardes, et je les soupçonnais de glisser discrètement des sédatifs dans ma nourriture afin de se prémunir contre tout risque d’agressivité de ma part. C’était cela : la société avait besoin de se protéger de la déviance de mon comportement.


Après avoir vainement tenté d’écrire à la victime de mon crime pour lui demander pardon de l’avoir giflé dans un moment d’énervement – il n’a jamais donné suite à ma requête, et, de toute manière, son pardon n’aurait rien changé à ma condamnation –, je m’étais résignée à mon enfermement et à l’absence de réponse au pourquoi de cette situation insensée.


C’est au hasard d’une conversation que j’ai surprise une nuit d’insomnie, que j’ai appris que nous étions en 2068. Par miracle, la psychologue pénitentiaire m’a prise au sérieux quand je lui ai dit que je me croyais cinquante ans en arrière. Les savants s’en sont mêlés, les physiciens comme les médecins. Ils ont daté mes cheveux au carbone 14, ce qui a permis de prouver que je ne mentais pas. J’ai fait la une des journaux. Un spécialiste des particules a émis l’hypothèse qu’une fluctuation quantique avait donné naissance, en un lieu et un instant aléatoire, à un micro trou noir qui m’avait avalée avant que je sois recrachée cinq décennies dans le futur.


Entre-temps s’était déroulée la révolution naturiste. Des montagnes de chemises, de pulls, de caleçons, de soutiens-gorge et de culottes avaient été brûlées dans d’immenses autodafés vestimentaires. Le réchauffement climatique avait permis de s’en dispenser, et la pudeur corporelle était abolie. Dans le même temps, tout acte d’agressivité, aussi mineur fût-il, était devenu strictement prohibé. Le système scolaire avait su étouffer dans l’œuf tout sentiment de violence envers autrui. La seule tolérance dans ce domaine restait les films anciens qui parlaient de la guerre et du meurtre comme des pièces du musée des horreurs, afin de servir de repoussoir. Et encore, à condition d’avoir l’âge minimum de cinquante ans.


Exceptionnellement, eu égard à ma candeur et au caractère improbable de mon aventure, j’ai bénéficié d’une grâce présidentielle. On m’a libérée un matin, comme ça, sans me prévenir. Un foyer pour sans-abri m’a accueillie. Ma maison, abandonnée depuis trop longtemps, avait été détruite et remplacée par un immeuble de bureaux. La célébrité m’a permis de démarrer une activité de conteuse pour adultes : devant une salle, je parle de mes souvenirs d’une époque sombre et révolue où, quotidiennement, des hommes se flinguaient pour une place de parking ou un doigt d’honneur en voiture. Chaque soir, lors de ma représentation, des spectateurs frémissent en écoutant mes histoires, dont celle de ma propre vie, puis celles du monde d’avant avec ses bagarres, viols, meurtres, incestes, etc.


Cela les excite beaucoup, visiblement, surtout les messieurs qui, dans l’auditoire, se font soulager leur dame aux mains habiles, ou bien se débrouillent tout seuls pendant que leur moitié se caresse en s’affolant de mes propos scandaleux et obscènes. J’ai le droit de raconter ce que je veux, à condition de vérifier que chacun et chacune venu suivre mes récits a bien atteint l’âge de cinquante ans. Un journaliste enregistre régulièrement mes témoignages, pour la mémoire, pour que les générations futures sachent à quel point l’ancienne société était horrible.


Pour cela, j’ai dû abandonner les tissus qui couvraient ma peau. Définitivement.