n° 18694 | Fiche technique | 35241 caractères | 35241 5722 Temps de lecture estimé : 23 mn |
02/12/18 |
Résumé: Fêtons le millénaire de la révolution française. | ||||
Critères: f fh complexe travail amour jalousie ffontaine fsodo jouet pastiche humour -sf | ||||
Auteur : Charlie Dupon (L'union fait la force) Envoi mini-message |
L’aéronef s’arrima au sas de l’unité d’habitation. Annabelle en descendit précipitamment. L’entretien qu’elle venait d’avoir avec son boss, le ministre d’État chargé des cérémonies et des commémorations ne s’était pas déroulé comme elle l’espérait. Elle était d’autant plus énervée que son aérotaxi avait mis près d’une demi-heure entre le siège de l’Imperium à Pékin et son duplex parisien, à cause de la circulation au-dessus de la Russie.
Elle avait besoin d’un moment de relaxation et se rua dans sa chambre.
Il lui suffisait d’ordonner par la pensée grâce à la puce que son compagnon lui avait offerte pour ses 50 ans. La tenue genre « révolution française » qu’elle avait revêtue pour impressionner le représentant de l’Imperium se dématérialisa et se reconstitua dans son dressing.
La brassière renforcée qui écrasait, dissimulait, son opulente poitrine et sa sage culotte prophylactique regagnèrent leur place après être passées à l’« hygiéniseur ». Libérés, ses seins s’affaissèrent légèrement. Elle ne put s’empêcher de jeter un œil dans sa psyché. Sa silhouette ne correspondait pas aux standards androgynes à la mode actuellement, mais elle s’en accommodait très bien.
Flottant à un mètre du sol, un robot, espèce de parallélépipède étroit pourvu de 4 bras et d’un appendice masculin sortit d’une des parois. Malgré elle, Annabelle frissonna, l’interdit… ! Si Ellebanna, son hologramme perso ne l’avait pas pervertie jamais elle n’aurait osé. Elle rosissait de honte à l’idée du plaisir que cette mécanique allait lui procurer. Cette machine, si elle avait été connue des services gouvernementaux, l’aurait envoyée directement en rééducation morale.
D’un orifice de R-Roco 30/8 s’échappa une brume translucide qui enroba progressivement Annabelle, la soulevant du sol. Elle se retrouva en position horizontale quelques centimètres au-dessus de sa couche, dans une bulle d’apesanteur aux fragrances capiteuses de jasmin, santal et autres effluves qu’elle n’identifiait pas. Les portes du nirvana s’ouvraient lentement. Le robot s’approcha et ses quatre mains entamèrent un massage complet de son corps. Partant de l’extrémité des orteils, les dextres expertes remontèrent délicatement, sensuellement le long de ses jambes. Arrivées aux cuisses, les deux paires se séparèrent : l’une effleurait son ventre de ses dix doigts papillonnants évitant soigneusement ses parties génitales qui pourtant appelaient, l’autre, à pleines mains, malaxait ses fesses. La conjugaison de ses deux caresses provoquait des élancements dans sa vulve. Malgré elle, elle ouvrit le compas de ses jambes. Déjà, R-Roco 30/8 délaissait ces lieux stratégiques pour atteindre sa poitrine et ses omoplates. Elle s’abandonnait, son corps s’amollissait, ses nœuds de stress se défaisaient. Elle aurait voulu qu’il s’attarde sur ses tétons tendus de désir, mais elle savait que cela ne se ferait pas. Des doigts, l’artefact dénouait les derniers points de tension sous sa nuque, d’autres doigts remodelaient la peau tendre de ses joues.
Lorsqu’elle accéda à un relâchement total, à une plénitude cérébrale, le pénis articulé de R-Roco 30/8 se positionna face à sa vulve. Le rouge au front, elle attendait que ce gland la pénètre. Jamais son compagnon n’était parvenu à lui donner autant de plaisir que cet artefact. Bien qu’il soit très attentionné, Norbert ne pouvait rivaliser avec les capteurs sensoriels qui équipaient le robot.
Alors que les mains à la paume soyeuse pétrissaient ses seins et ses fesses, le membre d’une raideur perpétuelle commença à coulisser en elle, à être à l’écoute de ses moindres frémissements. Tous ses soucis s’envolèrent, un grand calme l’envahit et elle jouit sereinement.
Habituellement après une séance de ce type, elle se morigénait, culpabilisait, mais aujourd’hui elle avait passé une trop mauvaise journée pour s’en soucier.
Elle s’était réjouie d’avoir été nommée directrice du consortium universel de la mémoire (le CUM). Les accords intra-imperium avaient entériné depuis bien longtemps le fait que la direction du CUM soit toujours dévolue à une Européenne. Elle était fière d’avoir été choisie, même si les réformes budgétaires successives amputaient ses moyens d’année en année. Treize commémorations majeures étaient programmées cette année et elle devait faire avec de moins en moins d’argent… !
Point d’orgue de cette année 2789, la commémoration du millénaire de la Révolution française. Cerise sur le gâteau, la fonction tournante d’Élu Suprême renouvelable tous les trois ans était occupée par un Français ! Tout pour lui pourrir la vie…
La Révolution française ! Un minuscule point, un pas dans l’histoire de l’humanité. Bon… Quelque part, cela faisait surtout folklorique et n’avait aucune incidence dans la vie actuelle. Mille années plus tard, comme tous ses contemporains, elle n’en savait pas grand-chose. Il lui restait l’image de Marianne, la pucelle boutant la royauté hors de la Bastille, des troupes républicaines débarquant à Omaha Beach et Waterloo, morne plaine, enfin quelque chose comme cela, il faudrait qu’elle vérifie, elle n’était plus très sûre ! Il y avait surtout les « sans-culottes » qui avaient fait rêver tant de jeunes filles de sa génération. À ce qu’il paraît, ils avaient changé le monde.
Lucide, Annabelle avait conscience que la direction du CUM, comme la plupart des postes occupés par des humains, était, en général, une sinécure. Mais pour cette occurrence, la situation se révélait plus délicate. L’Élu, compte tenu de ses origines, tenait absolument à donner un éclat particulier à cette commémoration.
Une semaine auparavant.
Annabelle s’arrachait les cheveux qu’elle n’avait pas. Elle avait été convoquée par le ministre d’État chargé des cérémonies et des commémorations. Arrivé dans les bagages de l’Élu, il avait hérité de ce ministère, mais elle ne l’avait jamais rencontré personnellement, seulement aperçu aux manifestations officielles et il n’avait jamais manifesté le moindre intérêt pour son travail. Mais voilà, l’Élu était français, le ministre était français, elle était française et la Révolution aussi. Alors la haut fonctionnaire qu’elle était devait comprendre l’extraordinaire importance de cette commémoration. Il comptait sur elle pour que les festivités soient à la hauteur de l’événement et surtout, il exigeait que tous les peuples de la galaxie y participent et que chaque invitation soit rédigée dans la langue de l’invité, bien évidemment. Inviter toute la galaxie était une utopie, mais rédiger chaque invitation dans l’idiome de chaque civilisation paraissait stupide.
Comment allait-elle faire, elle maîtrisait à peine les nombreux idiomes encore usités par les autochtones de Terra, alors les langues extraterrestres… ! N’en parlons pas… ! La mise au point de l’ILOE (Intergalactic Language Of Exchange), langue synthétique et fonctionnelle, avait rendu les contacts plus faciles, elle était utilisée pour tous les échanges diplomatiques. L’idée de rédiger chaque invitation de cette manière ne pouvait que sortir de la tête d’un Français, une sophistication qui frisait la masturbation intellectuelle… !
Bon… ! Annabelle pourrait peut-être compter sur Norbert, son compagnon, Professeur es langues intergalactiques. Un cador dans sa partie. Cependant il restait de nombreuses langues non encore traduites. Avec l’ILOE, tout le monde s’en moquait et cela n’intéressait que lesdits linguistes.
Ce soir-là, le robot culinaire R-3GRO avait concocté un repas particulièrement succulent à base de protéines reconstituées formant une simili galette brun rouge, accompagnée d’éléments végétaux naturels amalgamés en longs fuseaux. Si on s’en tenait à l’histoire, jadis cela porterait le nom de steak et de haricots. Leur position sociale leur permettait ce genre de luxe, inconnu du peuple qui devait se contenter de tourteaux énergétiques, mais insipides.
Norbert, très amoureux d’Annabelle, l’honorait régulièrement, mais en citoyen conséquent, il prenait aussi toutes les précautions nécessaires. L’Administration avait depuis longtemps mis en garde les Terriens face à leur propre prolifération. Les études étaient formelles, d’ici l’an trois mille, la population terrestre atteindrait mille milliards d’individus. Heureusement, l’exode vers des exoplanètes se généralisait et permettait d’envisager une stabilisation de la population terrestre. De plus, depuis que la civilisation Kalamite avait introduit ses méthodes d’agriculture et ses productions d’énergie, le spectre de la famine s’éloignait. Quelle bénédiction d’avoir fait la connaissance de ce peuple.
Donc, ce soir-là, Annabelle entreprit son compagnon et lui suggéra une collaboration en vue d’une parfaite réussite de la commémoration souhaitée par le ministre. Norbert ne montra aucun enthousiasme, cela représentait un très gros travail. L’empire communautaire intergalactique comprenait plusieurs milliers de peuples totalement différents. Leurs langues étaient à l’avenant. La tâche n’était pas insurmontable pour Multivac, mais Norbert dut lui avouer que privilégiant l’ILOE, aucune instruction ne lui avait été donnée pour étudier les langues extra-terrestres.
Annabelle et Norbert se concertèrent. Il fallait faire un choix. Dans le temps qui leur était imparti, même en donnant des consignes précises à Multivac, celui-ci devrait engranger des millions de pétabits. Premier problème, transformer les différents supports linguistiques. Pour cela, ils auraient besoin d’équipes d’humains. Et là, ce n’était pas gagné ! En ce XXVIIIe siècle, faire travailler réellement des femmes et des hommes habitués à être servis par des robots relevait de l’exploit.
Une sélection s’imposait. Conserver une centaine de civilisations paraissait raisonnable. Il fallait maintenant déterminer les bons critères de sélection. Une moyenne entre les souhaits de l’Élu et la diplomatie intergalacticienne. Il ne fallait froisser personne.
Le principe fut trouvé par Norbert : pourquoi ne pas faire une étude statistique sur les échanges entre les différentes civilisations et privilégier les cent ou cent vingt peuples qui avaient le plus d’échanges avec Terra. Cela relevait de l’évidence, ces races avaient avec la Terre le plus d’affinités et plus pragmatiquement le plus de relations économiques.
Norbert, en universitaire éminent et zélé, s’attela donc à la tâche. Dans ce cas de figure et sans qu’aucune étude ne soit nécessaire, ils convinrent que Kalamite serait le premier invité et même invité d’honneur, tant l’Imperium dépendait des connaissances et du bon vouloir de cette civilisation lointaine. Ensuite il semblait évident de consulter le Circumgalaticus qui recensait l’intégralité des déplacements des membres de l’empire intergalactique. Il fallait aussi établir des critères pondérants. Certaines civilisations connues depuis cinq siècles avaient peu d’atomes crochus avec la Terre, alors que d’autres, plus récemment découvertes, accordaient plus d’intérêts aux échanges bilatéraux.
Ils privilégièrent ce dernier critère, établirent une liste qu’Annabelle devrait soumettre au ministre d’État qui à son tour consulterait les commissions idoines, ainsi que l’incontournable ministre des Affaires interstellaires, enfin cette liste probablement amendée serait soumise à l’approbation de l’Élu. Les caprices de celui-ci et les contraintes du calendrier exigeaient que ce parcours qui aurait pris selon l’usage des mois, voire des années ou même carrément oublié sur un bureau, soit effectué en quinze jours.
Retour au présent (du futur).
Quelle ne fut pas sa surprise quand ce matin, une semaine seulement après l’envoi du document, elle fut convoquée à Pékin où son boss voulait la voir à trois heures p. m. Un aéronef l’avait cueillie à son domicile après un lunch rapidement expédié.
La liste proposée avait reçu l’aval de l’Élu donc du ministre, son supérieur direct, mais l’Illustrissime triplait le nombre d’invités… ! Les invitations devraient être envoyées le plus rapidement possible. Certains déplacements étaient longs et il fallait anticiper… ! Cela, elle l’avait prévu. Le deuxième souhait/ordre du « grand sachem », que chaque invitation soit écrite dans les langues autochtones, compliquait singulièrement la chose.
À l’écoute de ces instructions, Annabelle comprit qu’elle entrait dans le dur. Son linguiste de compagnon n’allait pas apprécier. Déjà qu’il baillait de fatigue pour les cent invités conservés initialement, trois cent quatre (car tel était le nombre exact d’invitations), il allait voir rouge. Trop habitués à ce que Multivac fasse tout le boulot, les humains ne s’investissaient plus guère, son Nono ne faisait pas exception. Il allait avoir un sacré boulot de programmation pour que l’ordinateur central lui crache ces trois cent quatre invitations dans les temps.
Le CUM lui avait alloué des crédits correspondant à une année terrestre de recherche pour cette scrogneugneu (oh ! elle avait juré !) de Révolution française. Mais les caprices de l’Élu Suprême avaient été au-delà de son budget prévisionnel. Déjà, elle avait dû racler les fonds de tiroir et elle n’avait plus les moyens de se payer les services d’autres spécialistes. Son Nono d’amour allait devoir se débrouiller et fissa… !
Elle ne s’était pas trompée sur sa réaction. Lorsque, après sa séance de relaxation avec R-Roco30/8, elle entra en contact par vidconf, avec son linguiste de compagnon, celui-ci faisait la gueule. Annabelle supposa que le ministère l’avait déjà averti des exigences de l’Élu, mais il écouta à peine ses doléances et finit par l’interrompre :
En quinze ans de vie commune, elle n’avait jamais entendu son Nono jurer.
Annabelle sentit la tuile en approche et qui arrivait en rase-mottes au-dessus de sa tête.
Quelques heures plus tôt :
Pendant qu’Annabelle restait perplexe, à l’unité de travail du CUM, Norbert avait déjà lancé Multivac, maudissant les idées de grandeurs de ce… d’Élu. Avec toute son équipe, il scannait méthodiquement tous les documents nécessaires à l’unité centrale pour étudier les divers idiomes de leur pré liste. Il n’avait jamais autant travaillé de sa vie. Encore quelques jours et il pourrait faire la surprise à sa dulcinée. Elle serait contente. Il aimait lui faire plaisir et généralement, ça générait des envies qu’il s’empressait de satisfaire. Sa béatitude érotique fut troublée par un court message de Multivac : « Impossible d’établir nomenclature du langage Kalamite, aucune donnée. C’est celui-ci qu’il faut garder. »
Le Kalamite ! Il est vrai qu’il n’avait pas encore été interprété… ! Cela n’avait d’ailleurs jamais été utile, car les représentants de cette planète s’exprimaient avec une parfaite aisance en ILOE et personne n’avait cherché plus loin… ! Ce peuple cultivait d’ailleurs une grande discrétion. Ils ne se manifestaient que quand c’était indispensable.
Dès qu’il eut intégré la réalité du message de Multivac, il avait mis ses équipes au travail. Ils avaient recherché des ouvrages en Kalamite et n’en avaient trouvé aucun sur Terre. Norbert avait pris contact avec l’ambassade de ce peuple et avait reçu un refus cinglant. Il avait alors voulu contacter la représentation terrienne sur Kalamite et il avait eu la désagréable surprise d’apprendre que la planète mère n’avait jamais ouvert les portes de son monde à aucun diplomate. Ce fait étrange posait de nombreuses questions, mais Norbert n’en avait cure. Son seul problème : il lui fallait un support pour interpréter cette langue.
Faire l’impasse sur les Kalamiteux, les rayer de la liste, était totalement impensable. Depuis un siècle, ils avaient mis en œuvre sur terre des techniques révolutionnaires. Les rendements agricoles étaient sans aucune mesure avec ceux du passé. Leurs centrales énergétiques délivraient une énergie quasiment inépuisable. Norbert pensa à une vieille locution latine « Panem et circenses »* qui devenait maintenant « tourteaux énergétiques et jeux vidéo ». Cela abrutissait peut-être le peuple, mais maintenait une paix sociale. Les Kalamiteux assuraient aussi un suivi médical et hygiénique des Terriens. De plus, chaque année, une centaine de millions de Terriens émigraient vers leur galaxie pour y vivre une vie meilleure. Déjà soumis technologiquement et logistiquement au bon vouloir de Multivac, les Terriens, accueillirent les Kalamiteux comme des bienfaiteurs et avaient pris garde à ne poser aucune question gênante.
Il expliqua tout cela à sa dulcinée et conclut :
Norbert coupa momentanément le son de leur transmission. Elle le vit attentif, écoutant elle ne savait quoi. Certainement une bonne nouvelle, car un grand sourire éclaira son visage.
Norbert consulta cette toute petite brochure dont son ami avait refusé d’indiquer la provenance. Un rien, qui faisait à peine dix mille caractères. Cela serait-il suffisant pour l’unité centrale ?
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La communication coupée, Annabelle se creusa la tête. Une soirée festive, si malheureusement Norbert n’était pas parvenu à déchiffrer l’opuscule ne suffirait pas. Il fallait qu’elle soit motivante, cela aiderait son chéri à se dépasser, se surpasser, à travailler, quoi… ! Elle interpella R-3GRO en vue de concocter rapidement un repas festif. Le robot se rengorgea d’être ainsi sollicité. Le challenge était clair, il fallait impressionner le convive et surtout le convaincre.
Imprudemment, elle lui avait fait miroiter… Il fallait aussi qu’elle réfléchisse à ne pas rater cet « after diner ». Elle regarda donc le mur de son bureau et y projeta Ellebanna, son hologramme de réflexion. Sa propre image se profila sur la cloison.
L’hologramme s’effaça et la directrice du CUM se replongea dans ses dossiers. Elle n’avait pas prévu ce genre de difficulté. L’Élu, jeune coq pédant ne manquerait pas de lui faire payer la moindre faute. Sa longue lignée aristocratique de grands commis de l’administration ne la protégerait pas. Il lui fallait un sans-faute. Ce fut le moment que choisit Ellebanna pour réapparaître :
Annabelle sursauta à l’interpellation, mais se concentra immédiatement sur le futur échange.
Soudain, un hologramme statique apparut aux côtés d’Ellebanna.
Annabelle s’approchant de Marylin.
Ellebanna secoua lentement sa tête de droite à gauche. La naïveté et l’hypocrisie d’Annabelle le consternaient bien souvent.
L’hologramme désigna du doigt l’image interdite de la femme. Annabelle fixait aussi cette représentation et sa glotte montait et redescendait lentement. Non, pensait-elle. Elle n’allait pas s’avilir à cela, pas elle, ce n’est pas possible. Une demi-seconde, un frisson la parcourut. Mais non, elle ne pouvait pas : c’était illégal. Elle regarda à nouveau son hologramme qui bien sûr, ayant lu dans ses pensées, secouait lentement la tête de haut en bas.
Annabelle était abattue, mais retrouva rapidement ses moyens et sa combativité.
Ellebanna poussa un long soupir et regarda intensément Annabelle.
Annabelle avait une très forte envie d’envoyer tout promener, de tout laisser tomber, mais elle était encore toute jeune, à cinquante ans. Elle n’avait pas envie de passer les cent cinquante prochaines années de sa vie dans un emploi subalterne et au « trou du cul de l’univers »… ! Loin de Norbert… ! Son Norbert… ! Non, décidément, il fallait en passer par là.
Annabelle resta songeuse un moment, mais qu’un moment. Apparu comme par magie, un robot habilleur se présentait à elle.
Déjà, il tournait autour d’elle à grande vitesse et la scannait sous tous les angles. De sa voix suave il dit :
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L’hologramme d’Annabelle se matérialisa dans leur unité d’habitation. Il y interpella le robot culinaire.
R-3GRO dévisagea Ellebanna avec une forte envie de l’envoyer paître, mais il n’était qu’un robot. Et les robots n’ont officiellement pas d’envie !
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Pendant ce temps, à l’unité de travail de l’université, Norbert avait transmis le petit fascicule à Multivac en lui demandant de s’y mettre séance tenante. Au bout d’un temps qui lui parut très long, une heure de Terra, un premier résultat tomba. Le titre de l’ouvrage : comment servir l’homme. Multivac précisa qu’il avait traduit « par homme », un mot signifiant probablement représentant de la race dominante de Kalamite.
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Annabelle, après être passée entre les tentacules de l’YSL, se trouvait maintenant vaporeuse. Son « accoutrement » de dentelles, de soies et de tulles, lui procurait un ensemble de sensations des plus curieuses. Rien à voir avec la froideur et la contrainte de sa combinaison en kevlar. « Quel calvaire devrait-elle encore endurer pour convaincre son compagnon ? » gémit-elle avec un zeste d’hypocrisie. Ellebanna, sans y être invitée s’immisça dans son soliloque. Ce qui pour Annabelle n’augurait rien de bon.
L’hologramme poussa un long soupir désabusé et continua
Ellebanna, d’un geste du bras, déclencha donc la vidéo et au milieu de la pièce apparut un canapé avec un couple d’acteurs assis. Annabelle fut tout de suite interloquée, car ces acteurs avaient leurs visages, à elle et Norbert. Madame la directrice du CUM resta scotchée, choquée, stoïque et à son grand dam, excitée devant cette représentation jusqu’à la fin…, puis elle resta un long moment hébétée.
Devant le manque de réaction de l’humaine, il l’interpella.
Un frisson parcourut le dos d’Annabelle, non décidément il fallait en passer par là… ! Elle allait devoir payer de sa personne. Encore une fois, elle chassa les pensées belzébuthiennes qui avaient traversé son cerveau.
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Le robot culinaire avait concocté des plats extraordinaires. Norbert, pourtant fin gourmet, toujours prêt à s’exclamer, picorait, taiseux, le nez dans son assiette. Il n’avait jeté qu’un regard distrait à la tenue extravagante de sa compagne, sans commentaire. Annabelle se sentit blessée. Tous ces efforts, ces transgressions, pour être dédaignée. Et si Ellebanna s’était moquée d’elle. Elle convoqua son hologramme pour une conversation privée. D’un ton où perçait la colère, elle lui demanda mentalement :
L’hologramme haussa les épaules et répondit :
L’aller-retour ne dura que quelques secondes. L’hologramme faisait grise mine… !
La directrice du CUM regardait son compagnon, perdu dans ses pensées.
Le Bip de son hologramme la ramena à la réalité.
Annabelle s’arma de son plus beau sourire :
L’homme sembla sortir de sa léthargie et regarda sa compagne sans vraiment la voir.
Remarque :
Comme il faut rendre à tout seigneur, tout honneur, ce petit texte m’a été inspiré par la lecture d’une nouvelle de science-fiction de Damon Knight (1922-2002) qui s’intitule « To serve Man », parue en novembre 1950. Un récit bien sûr largement agrémenté à la sauce Charlie, avec quelques épices personnelles et un zeste, un très gros zeste de Dupon, normal pour une nouvelle culinaire… ! »