n° 18777 | Fiche technique | 20237 caractères | 20237Temps de lecture estimé : 12 mn | 13/01/19 |
Résumé: Elle n'a jamais aimé le sexe. Elle l'a longtemps fait quand même, parce qu'elle pensait que c'était comme ça. Mais la comédie a assez duré. | ||||
Critères: amour nopéné | ||||
Auteur : Martin |
Vendredi dernier, Hugues est rentré tard d’un interminable dîner d’affaires. À trois heures trente-huit du matin, pour être tout à fait précise. Il s’était chaotiquement déshabillé et glissé à côté de moi sous la couette. Puis, il s’est amoureusement lové contre mon dos, comme il le fait à chaque fois qu’il rentre un peu éméché. J’aime sentir son corps chaud contre moi, mais là, j’ai dû arrêter sa main qui entamait déjà une parade amoureuse sur ma fesse.
Il n’insista pas, comme d’habitude, et trouva rapidement refuge dans les bras de Morphée.
Soudain, j’ai remarqué que, de mon mari, n’émanaient pas seulement de puissants relents d’alcool, mais aussi une odeur diffuse de parfum féminin. Adieu, ma nuit ! Bonjour, l’angoisse !
Le lendemain matin, comme chaque matin, nous avons déjeuné tranquillement tout en discutant et en lisant nos mails. J’observai Hugues pendant qu’il se préparait un toast : rien de concluant, juste une légère carence en énergie. Sans doute avait-il mal aux cheveux. Il m’avait bien parlé de la soirée précédente, mais pendant un moment, j’ai envisagé de le couper net et de lui poser sans détour LA question qui me taraudait depuis trois heures trente-huit du matin. Il ne mentirait pas, je le savais, et c’est pourquoi… je me suis tue, dans toutes les langues.
S’il était arrivé quelque chose avec une autre femme, je ne voulais pas le savoir. Ça a toujours été mon principe depuis que j’ai dit à Hugues que je ne voulais plus faire l’amour avec lui. Pourquoi devrais-je y renoncer maintenant ?
Quand nous nous sommes promenés dans la campagne durant l’après-midi, je n’y ai même plus pensé. Vraiment ! Pas plus que lors du verre de vin pris amoureusement ensemble dans le seul café encore ouvert en cette saison. Je suis très heureuse d’avoir gardé le silence parce qu’il y a certainement du bon dans mon ignorance. C’est comme ça que je le veux, aussi étrange que cela puisse paraître.
Je me souviens exactement de la première fois où j’ai entendu parler de sexe. J’avais neuf ans. Ma petite voisine de dix ans m’avait raconté dans le détail comment les enfants sont conçus. L’histoire m’avait totalement horrifiée, je m’étais bouché les oreilles tout en chantant à tue-tête pour ne plus rien entendre de ces abominations. Quand j’ai vérifié les dires de ma copine auprès de ma mère et ai marqué mon profond dégoût, elle a ri de mon attitude.
Ce « plus tard », je l’ai attendu longtemps. Durant ma puberté, toutes mes amies ont tout naturellement commencé à s’intéresser aux garçons. Moi aussi, mais elles chuchotaient continuellement des cochonneries à leur sujet en imaginant ce qu’elles pourraient bien faire au lit, ou n’importe où ailleurs, avec eux. J’étais confuse à chaque fois. Je ne me souciais vraiment pas de ce qu’elles me racontaient. Le sexe oral que certaines semblaient déjà pratiquer avec beaucoup de plaisir me dégoûtait profondément et, en plus, je n’en avais rien à cirer des autres pratiques dépravées dont elles se glorifiaient.
Je me sentais différente et ça me tracassait énormément.
Pourtant, à plusieurs reprises, je suis tombée amoureuse et j’ai évidemment apprécié quand des garçons ont fait attention à moi. J’ai adoré flirter. J’ai aussi aimé embrasser et câliner. Mais si le gars en voulait plus, je l’arrêtais net et je lui montrais qu’il n’avait rien à espérer de moi.
Pendant longtemps, je pensais que je n’étais peut-être pas encore prête. Le temps allait réparer cette erreur de la nature, comme il l’avait fait en faisant enfin pousser mes seins à l’âge de quinze ans révolus. Certes pas démesurément, mais tout de même suffisamment pour attirer les regards des jeunes mâles. D’autant que le reste de mon physique ne semblait pas leur déplaire non plus et je ne résistais pas à leur en dévoiler un peu plus à la piscine ou à la plage…
Quand j’ai soufflé mes vingt et une bougies, et que « ça » n’était toujours pas fini et que trois relations avaient été occises brutalement parce que mes petits copains avaient totalement perdu patience, je me suis dit que je devrais au moins essayer.
Par chance, j’ai assez rapidement connu une relation intéressante. Avec Thomas, un homme charmant aux merveilleux yeux bleus et qui avait six ans de plus que moi. Il avait déjà pas mal d’expérience en matière de femmes. Je lui ai dit honnêtement mon appréhension pour tout rapport sexuel même avec lui, que j’affectionnais pourtant énormément. Il m’a juré que si je le laissais faire, cela allait s’arranger.
Cela ne s’est « PAS » arrangé. Alors que lui semblait apprécier le moment, moi, j’attendais patiemment que ça passe. Ce n’était pas la douleur somme toute assez réduite de la défloration qui posait problème, mais l’acte lui-même ne me procurait aucun plaisir. Et cela alors que Thomas faisait vraiment de son mieux et avec beaucoup de délicatesse pour m’exciter : mes seins, mon cou, mes lèvres du haut et celles du bas, mes oreilles, mes pieds, mon clito, mon petit trou… tout y est passé !
Ensuite, une fois sa semence profondément enfouie en moi, il s’est effondré à mon côté.
J’étais profondément déçue. C’était donc « ça » dont tout le monde parlait avec une étincelle lubrique dans le regard, ce que les gens aimaient tellement faire et refaire, partout et à toute heure ! Comment se faisait-il que moi, je ne m’y intéressais pas du tout et que ça me paraissait toujours aussi anormal ? Et surtout : comment pourrais-je changer cela ?
Plus de pratique, ai-je pensé. Donc nous l’avons fait, fait et refait, inlassablement. Personne ne rechignait à la tâche, surtout pas même moi ! Ainsi, je me suis entraînée un max à… simuler. Faire semblant d’aimer ça et d’en redemander. Le summum ! J’ai même pris quelques initiatives, mais dans le seul but de préserver encore un peu mon secret. Parce que je n’osais pas le révéler à Thomas, tant je craignais qu’il ne me quitte.
Que ça n’ait pas fonctionné entre nous n’avait rien à voir avec notre vie sexuelle. Nous nous sommes finalement séparés sans heurt et avons décidé de suivre chacun notre propre chemin.
Quand j’ai rencontré Hugues, je n’ai rien dit de mon désintérêt pour le sexe. J’étais devenue une actrice accomplie à présent. Il n’y a vu que du feu. Il m’a promptement demandée en mariage et j’ai accepté avec beaucoup d’enthousiasme. Et quand nous avons essayé de faire un enfant, je l’ai même fait avec un certain plaisir, car cette fois, il y avait un but et puis, j’espérais ainsi me retrouver plus souvent dans les bras de mon petit mari. Nous avons eu trois enfants en cinq ans.
Au cours des années suivantes, la fréquence de nos rapports sexuels a rapidement diminué. Nous étions épuisés par notre jeune famille et nous nous endormions dès que notre tête touchait l’oreiller. J’étais contente que nous le fassions si rarement et que nous nous limitions au minimum syndical : ni sexe oral, ni anal, juste quelques caresses en préambule, suivies d’une rapide pénétration vaginale. Et puis dodo. J’ai presque commencé à penser que Hugues ne s’en souciait pas non plus.
Malheureusement, après quelque temps, il avoua que l’intimité entre nous lui manquait et que naturellement, il en souhaitait plus. J’ai répondu que je ne pouvais plus faire semblant et que je n’avais plus réellement besoin de rapport charnel. Son visage se décomposa net. À l’issue d’un interrogatoire très soutenu, j’ai reconnu que je n’avais jamais vraiment apprécié le sexe pour le sexe.
C’était un coup dur pour lui, il se sentait atrocement trompé.
Les nombreuses conversations avec un thérapeute nous avaient réussi. Nous nous sommes rapprochés et avons établi la liste de ce que nous aimions tous les deux : les câlins, les caresses superficielles, les conversations intimes, les activités sportives et culturelles en commun. Mais le sexe est resté un réel problème.
Maintenant que Hugues connaissait mon aversion à la chose, il ne l’aimait plus non plus. La pensée qu’au lit, j’essayais juste de lui faire plaisir de temps à autre, sans éprouver moi-même la moindre satisfaction, lui était insoutenable. Je me sentais très coupable. J’avais tout fait foirer, je n’étais bonne à rien, je m’étais même tiré une balle dans le pied en avouant tout.
Par la suite, je me suis forcée à simuler un certain enthousiasme, comme autrefois avec Thomas, peu importe si ça m’aiderait ou pas. Je voulais seulement sauver mon couple. Hugues a eu la délicatesse de faire semblant d’y croire.
Il y a quelques années, je suis tombée sur un article parlant de l’asexualité. Dans ce document, elle était décrite comme une nature, tout comme l’homosexualité. Un pour cent de l’humanité ne s’intéresse tout simplement pas au sexe. Ces personnes le ressentent comme non-naturel, désagréable, voire insupportable. J’ai lu des expériences d’autres femmes, mais aussi d’hommes, et je me suis pleinement reconnue. J’ai pleuré. J’ai même beaucoup pleuré. Le fait de découvrir tous les sentiments contre lesquels je luttais depuis si longtemps, écrits là, noir sur blanc, était une révélation totalement inespérée. Je me suis sentie reconnue et renforcée. Je pouvais enfin abandonner mes sentiments d’infériorité.
Cependant, cela aggravait encore mon aversion sexuelle. Peu importe combien j’aimais Hugues, et peu importe combien j’aimais notre famille, je n’en pouvais tout simplement plus. Si je me respectais et respectais mon propre corps, je n’aurais plus à m’imposer ce maudit sexe, et tant pis pour ce que cela signifierait pour mon mariage.
Hugues et moi avons beaucoup parlé. Grâce à l’article et aux informations supplémentaires recueillies sur Internet, il a pu mieux comprendre ce qui me tourmentait depuis toujours. Pour lui aussi, c’était un soulagement : il avait compris que cela ne dépendait pas de lui, ni même de ma propre volonté. Il m’avoua que jusqu’alors, il croyait qu’il n’était pas assez attrayant pour moi, qu’il s’y prenait mal au lit, ou que je ne l’aimais pas vraiment. Un temps, il m’avait même imaginée grimpant d’une manière obscène au rideau avec un amant, un grand black monté comme un satyre.
La virilité de mon époux en avait pris un sacré coup. Virtuellement castré était son expression.
C’était libérateur pour lui de pouvoir se laisser aller. Même la décision de ne plus faire l’amour redevient libératrice, a-t-il déclaré. Maintenant, il n’avait plus besoin d’espérer, de rêver de cette courte période de sexe tous les mois environ. Mais serait-il toujours capable de s’en passer ? Il ne pouvait pas promettre ça, dit-il honnêtement. Il était certain qu’il ne voulait pas me quitter : nous nous entendions bien, étions heureux et offrions un refuge à nos enfants. Il ne voulait pas abandonner ça.
J’en étais très heureuse. Nous avons décidé ensemble de mettre le sujet de côté pour le moment. Je n’aurais jamais pensé que c’était possible.
Nous en avons cependant reparlé une fois. C’était deux mois après avoir lu l’article. Hugues m’avait semblé plus nerveux que d’ordinaire. Je pensais qu’il était en manque de sexe. Je lui ai dit que je comprendrais si de temps en temps il allait chercher un peu de plaisir à l’extérieur.
J’y avais bien réfléchi. Je savais que je prenais le risque de le perdre un jour. Mais je ne voulais pas que Hugues éprouve un sentiment de culpabilité s’il allait voir une femme pour assouvir ses besoins sexuels. Ce ne serait pas juste envers lui. Une chose était sûre : je ne voulais rien savoir le jour où cela arriverait. Mais même aujourd’hui, la pensée de Hugues dans les bras d’une autre me fait toujours très mal.
En m’écoutant, Hugues est d’abord resté neutre, noyé dans ses pensées. Au bout de quelques interminables secondes, il a réagi, à ma grande surprise, en disant que tricher n’était pas son genre. Qu’il se débrouillerait d’une manière différente, avec les histoires érotiques de REVEBEBE par exemple ou des films porno. Internet en regorge et il y en a pour tous les goûts.
J’ignore s’il a toujours tenu le coup par le passé…
Vendredi dernier, j’ai soudainement douté et ces moments de doute se sont multipliés depuis. Mais je ne demande rien et lui ne dit rien. Tout le sujet du sexe est devenu tabou entre nous. Cela peut sembler forcé, mais ce n’est pas le cas. Nous sommes heureux ensemble et apparemment c’est bon pour nous et, même après que nos enfants se sont envolés un à un, Hugues ne m’a jamais envoyé de signal comme quoi il envisageait de me quitter.
Même si nous n’avons plus fait l’amour depuis onze ans maintenant. Je ressens un tel soulagement que je n’aie plus jamais à le faire, que je paie volontiers le prix de l’incertitude quant à la loyauté de mon mari. Je me fiche qu’il puisse se glisser occasionnellement dans le lit d’une autre.
J’espère seulement que nous vieillirons ensemble, et cela me suffit amplement.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, Armande et moi sortions tous les deux d’une relation amoureuse. Si elle n’avait pas l’air d’en souffrir outre mesure, moi, j’étais encore profondément meurtri par la fin brutale avec mon ex.
Évidemment, j’ai d’abord été séduit par le physique d’Armande. Dès le premier instant, j’ai su qu’elle serait la femme de ma vie. Elle n’était peut-être pas la plus belle fille du monde, mais sa silhouette mince et élancée avec tout ce qu’un homme attend du corps d’une femme et surtout son magnifique sourire m’ont rendu dingue. Je lui ai bien vite découvert des tas d’autres vertus. En fait, j’étais tombé amoureux fou d’elle !
Nos rapports sexuels, débutés après plus d’un mois, ont été tout à fait encourageants. Je trouvais Armande très bien au lit, une femme manifestement expérimentée et j’en étais heureux.
Il y avait toutefois un truc qui me turlupinait : après l’amour, alors que beaucoup d’amoureux aiment à rester un moment dans les bras l’un de l’autre, à parler de leurs émotions et sentiments, voire à s’endormir, Armande, elle, semblait toujours pressée de passer à autre chose et quittait la chambre au plus vite. Jamais de bisou de satisfaction, de petit mot d’amour ou de regard complice après un bon moment d’intimité. Je n’ai pas voulu y accorder trop d’importance, mais j’en arrivais parfois à me poser des questions sur sa perception de nos rapports sexuels.
Nous avons eu le bonheur de voir trois beaux enfants agrandir notre famille. Mais ça a été une période ardue à la fatigue cumulée : grossesses difficiles, nuits d’insomnie et d’inquiétude… Malgré tout, mon désir était resté intact, mais mon épouse semblait avoir enterré le sien et j’en souffrais. Mais je continuais à espérer et même à croire en un avenir plus rose !
Depuis pas mal de temps, je devais me contenter d’une vie sexuelle atrophiée. Quand Armande m’a révélé son asexualité, j’ai eu un trou noir : je n’avais déjà pas grand-chose en la matière, désormais je n’aurai plus rien. Si j’avais eu une arme sous la main, je l’aurais sans aucun doute dirigée vers ma tempe.
Puis, tout d’un coup, des images de bonheur ont déroulé dans ma tête : celle de notre cadette qui me disait « Je t’aime très fort, papa ! » lors de la dernière fête des Pères a été la plus forte.
Il me fallait de toute urgence voir la vie du bon côté et j’ai répondu un peu hypocritement que j’étais libéré de devoir constamment espérer et rêver. Je pense avoir été convaincant, tellement convaincant que j’y ai presque cru moi-même… pendant plusieurs années.
Vendredi soir, j’ai prétexté un dîner d’affaires pour aller boire un verre en ville. Dans le bar où je noyais l’avenir de mon couple dans un double cognac, une femme est venue prendre place à côté de moi. Une belle brune d’une bonne trentaine d’années avec un décolleté aussi profond que ma déprime. Son parfum était très puissant, mais de qualité.
Elle me prit par la main et me tira vers une sorte d’alcôve où généralement les amoureux se bécotent à qui mieux mieux. Je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai confié mes problèmes. Elle m’inspirait confiance, m’écoutait sans juger et c’était ça qui m’importait. Nous avons bu quelques verres et j’ai même reçu divers baisers affectueux sur la joue et certaines caresses, mais jamais rien de déplacé, juste de quoi me montrer son empathie. Pourtant, elle m’excitait. Je l’aurais volontiers baisée sur place, mais par pudeur et respect, j’ai gardé ça pour moi.
Jusqu’au moment où elle me proposa de nous rendre à l’hôtel voisin.
J’ai bien entendu hésité un instant, mais je n’entendais que le cri désespéré de mes testicules. Nous sommes sortis du bar. Dans l’ascenseur de l’hôtel, elle s’est blottie tout contre moi, sa main sur ma braguette, sa poitrine écrasée contre la mienne. La tension dans mon slip devenait très forte.
Arrivés devant la porte de la chambre, mon portable se fit entendre.
Ce con de Stéphane était devenu simultanément un emmerdeur hors pair et… mon ange gardien. Je lui ai répondu que je venais de quitter un dîner d’affaires et que je le rejoindrai dans un bar près de la mairie pour prendre un verre ensemble…
J’ai présenté mes excuses à la dame et me suis enfui sans demander mon reste. Un peu con, mais soulagé d’avoir préservé mon couple. Je ne saurai jamais si cette femme était une professionnelle ou une simple nymphe solitaire.
Un taxi m’a ramené à la maison. Je suis péniblement arrivé dans la chambre et me suis déshabillé. Le réveil indiquait trois heures trente-huit. Comme d’habitude, Armande me tournait le dos et faisait semblant de dormir. Comme d’habitude, je me suis lové plein de désir contre elle. Ma main s’est aventurée sur sa fesse, mais, comme d’habitude, elle a aussitôt dû prendre le chemin du retour.
Mon rêve m’a rapidement ramené devant la porte de la chambre d’hôtel. Cette fois, j’ai coupé mon portable…