n° 18804 | Fiche technique | 51777 caractères | 51777 8710 Temps de lecture estimé : 35 mn |
28/01/19 corrigé 06/06/21 |
Résumé: Quatre histoires, quatre saisons, sans lien entre elles, ou presque. | ||||
Critères: #humour #nonérotique #policier #sciencefiction #initiation #confession fh ff jeunes inconnu amour cunnilingu pénétratio nopéné gifle | ||||
Auteur : Radagast Envoi mini-message |
Avant-propos.
Ce texte était destiné à un concours, Quatre Temps, qui ne verra certainement jamais le jour. Quatre histoires indépendantes, se déroulant chacune lors d’une saison différente, quatre histoires sans faits ni personnages qui les relient, sauf… qu’elles possèdent quand même un point commun.
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À l’époque, j’avais exactement dix-sept ans et demi passés de quelques jours, presque dix-huit on va dire. J’étais une petite brune aux cheveux courts et bouclés, comme le voulait la mode de l’époque. Une jeune fille timide et rêveuse.
Avoir dix-huit ans en mille neuf cent soixante-trois, c’est un peu comme en avoir huit ou neuf en ce moment, on te prenait pour un bébé, tu ne pouvais rien faire par toi-même, toujours obligée de quémander l’autorisation de papa, de maman. Messe le dimanche, couchée à neuf heures, après les devoirs. C’était pas rigolo la vie sous la poigne du grand Charles.
Je me souviens d’une scène surréaliste vue à la télévision naissante, le ministre de l’Information et de l’Intérieur réunis, venir en personne expliquer les programmes des uniques deux chaînes, qu’il allait y avoir la diffusion de Bonne Nuit les Petits vers vingt heures et ensuite hop, les enfants au lit. Les programmes se préparaient à l’Élysée, même pour les marmots.
Je n’ai plus la souvenance du nom de ce ministre, mais très bien de son visage. Quand tu entrevoyais sa trogne, tu n’avais plus aucune envie de te coucher, tu regardais sous le lit s’il ne s’y planquait pas. Il pouvait flanquer des cauchemars à Freddy Kruger⁽¹⁾.
Pas d’école mixte à cette époque, les filles d’un côté et les garçons d’un autre.
Le port de la jupe obligatoire pour les écolières, collégiennes et aussi les lycéennes, bien entendu.
Attention, la jupe qui cachait presque le genou, pas la honteuse Mini-jupe de Mary Quant que toutes les mères de famille redoutaient et que les pères de famille souhaitaient croiser… en douce.
Je ne te cause pas de donner un rendez-vous à un petit ami ; il fallait pour cela montrer quatre pattes blanches et se faire chaperonner par un adulte, on nous surveillait comme les joyaux de la couronne. D’ailleurs, le pédigrée du petit ami était étudié en long, en large et en travers. L’inverse étant aussi valable, je crois.
Bien entendu, il y avait quand même des accidents, des filles dont on parlait à mots couverts, des filles qui avaient fauté, qui tombaient enceintes – tomber enceinte, comme choper une maladie honteuse – et que l’on montrait du doigt, que la famille cachait, qu’on emmenait dans le plus grand secret voir une faiseuse d’anges, ou qui accouchaient sous X et dont les bébés étaient abandonnés à la naissance.
Des filles déshonorées pour la vie. À moins que les fautifs ne s’unissent en catastrophe devant le maire et le curé. Mais une tache restait toujours sur les coupables, ceux dont les commères disaient : « tu sais, les petits jeunes qui avaient fêté les vendanges avant les moissons »., Car à l’époque nous ne connaissions pas encore la pilule contraceptive. De même, acheter des préservatifs ressemblait au parcours du combattant. Tu les trouvais uniquement chez le pharmacien qui évidemment racontait tout à tes parents !
À cette période, j’étudiais au lycée Madame de Sévigné, j’étais en terminale Littéraire et devais passer le bac fin juin et, depuis la mi-mai, nous révisions. Nous révisions tellement que nous en devenions chèvres. Voir le soleil de printemps briller alors que nous étions enfermées dans des salles de classe sinistres n’améliorait pas notre moral.
Mes parents m’y avaient fourrée en pension, pensant que je serais plus motivée et mieux suivie, j’avais tendance à rêvasser, en fait je songeais au prince charmant, comme l’indécrottable romantique qui me caractérisait.
Les pionnes se comportaient presque comme des gardes-chiourme. Pas de sorties, à part le samedi midi pour rentrer chez soi et réintégrer le bahut le lundi matin. Sauf pour certaines « privilégiées », dont je faisais partie, qui ne rentraient qu’une fois par mois. Merci papa, merci maman, toujours pour me maintenir sous pression.
Quelques professeurs nous prenaient toutefois en pitié, ils nous emmenaient de temps à autre visiter un musée ou faire une randonnée pour nous changer les idées, c’était toujours ça de pris. Respirer un autre air, nous évader quelques heures. Notre professeure de musique nous emmena une seule fois au cinéma, voir La Mélodie du Bonheur.
Puis un jour elle récidiva, nous en nous proposant cette fois de nous faire écouter un concert. Nous, comme des folles, nous pensâmes de suite à Jonnhy Halliday, qui commençait à peine à faire parler de lui, ou mieux encore, Elvis !
Il ne fallait pas rêver.
Las, nous allions voir et entendre un duo, piano et violoncelle, on nous donna le programme, des noms de compositeurs qui nous disaient vaguement quelque chose, c’est tout. Musique classique, bien entendu.
Nous avions revêtu nos plus belles tenues – celles portées lors de la messe dominicale – et reçu l’autorisation exceptionnelle de nous maquiller légèrement.
Les musiciens étaient, paraît-il, de jeunes espoirs, évidemment notre école ne nous faisait pas écouter Glenn Gould ou Mstislav Rostropovitch.
Nous devions être une quinzaine, parquées au fond de la salle. Heureusement cette dernière n’était pas très grande, nous pouvions voir et entendre correctement.
Deux jeunes hommes entrèrent alors, l’un, petit et brun s’assit derrière le clavier du piano qui trônait au centre de la scène, l’autre tenait un violoncelle entre les mains et s’installa devant le public. Ils saluèrent tous deux sous les applaudissements de l’assistance.
Dès qu’il apparut, je ne vis plus que lui. Plus rien n’existait que lui. Grand, blond, mince et élégant. Dès les premières notes, je fus envoûtée par la musique et sa façon de manier l’archet, il ne jouait pas, il caressait les cordes. Durant une heure trente, je me trouvais dans un autre monde, dans une autre dimension. Je m’imaginais à la place de l’instrument, dans ses bras. Des ovations nourries saluaient chaque interprétation. Les paumes de mes mains chauffaient, tellement j’applaudissais moi aussi, au grand étonnement de mes voisines et comparses de classe.
Le concert terminé, nous nous approchâmes de la scène, nous voulions leur parler, les voir de plus près, faire aussi signer le programme pour obtenir un autographe d’un jeune artiste qui deviendrait certainement célèbre un jour. Surtout je voulais le voir, l’approcher, lui, entendre le son de sa voix.
Lorsque toute timide je lui tendis mon bout de papier, il l’a saisi, signé, tout en ne me quittant pas des yeux. Lorsqu’il m’a demandé mon prénom, c’est à peine si j’ai pu murmurer Gersande.
Il m’a embrassé la main, juste dans la paume et ne semblait pas vouloir me la rendre, je ne voulais pas la lui reprendre non plus. Nous devions paraître pour deux idiots à rester là, plantés et immobiles.
J’ai dû rougir, ma température augmenter au-delà des limites préconisées par la médecine. Heureusement les accompagnatrices ne virent pas notre petit manège, sinon je passais une semaine de remontrances avec lettre aux parents, pour conduite inconvenante.
Madame Dumas, la professeure me tira de ma rêverie en claquant des mains et en criant :
- — Mesdemoiselles, il est l’heure de rentrer, mettez-vous en rangs, direction le bus.
Je le quittai, ma poitrine se déchirait, la sienne aussi si j’en croyais ses yeux, gris, hypnotiques.
Je ne savais pas que l’on puisse aimer au premier regard.
Dans un accès de folie soudaine, au moment de monter dans l’autocar, je profitai d’une bousculade pour me cacher et rejoindre la salle de spectacle. Il rangeait son instrument quand il me vit. Il posa religieusement son violoncelle dans son étui et se précipita vers moi.
Jamais on ne m’avait étreinte ainsi, serrée dans des bras à en étouffer ; mais que je m’y sentais bien. Jamais encore un homme n’avait posé ses lèvres sur ma bouche, soixante ans plus tard, j’en conserve encore le goût, je me souviens de sa langue qui vint chercher la mienne en un premier baiser si fougueux, si extraordinaire.
Quelques minutes ou plusieurs heures plus tard, je ne sais plus, il me prit par la main et m’entraîna à sa suite. Lui et son ami logeaient dans un hôtel non loin de là, ils devaient encore donner un autre concert dans cette ville, le lendemain.
Ce fut dans une petite chambre d’hôtel qu’il me déshabilla, qu’un homme me vit nue pour la première fois, que je vis pour la première fois aussi un homme dans le plus simple appareil, exposant son désir devant mes yeux écarquillés.
Ce fut là, moi allongée sur le lit, qu’il posa sa bouche sur mon visage, mon cou, caressa mes seins, lécha mes mamelons tout roses, dressés et si sensibles, qu’il enfouit son nez dans ma toison et vint embrasser ce que dans mon dortoir on m’interdisait de toucher.
De sa langue il ouvrit mes lèvres gonflées et ruisselantes. Je crois que je perdis la raison, je voyais de grandes lumières et entendais un grondement. Ce n’était que mon cœur qui battait à tout rompre.
Je n’osais le toucher, lui ne se privait pas de me caresser, nulle partie de mon corps qui ne reçut pas l’hommage de ses doigts ou de ses lèvres cette nuit-là.
Pour lui j’ouvris mes jambes pour la première fois, et pour la première fois un homme s’y glissa, un homme entra en moi. Je sus quelque temps plus tard que pour lui aussi, c’était sa première fois.
Il pénétra mon ventre inviolé de la même façon qu’il jouait de son violoncelle, en douceur.
Je ne ressentis nulle douleur, simplement une légère gêne, bien vite oubliée.
Il paraît qu’il est rare d’obtenir un tel accord, surtout lors de la soirée inaugurale, pourtant cette nuit-là ce fut le cas. Il était mon archet, j’étais son violoncelle.
Pour la première fois de ma vie, je jouissais, je criais et je riais alors qu’un homme s’épanchait en mon sein.
En effet nous n’avions pas prévu une pareille fin de spectacle, et nous nous amusions sans filet, d’ailleurs j’eusse été bien en peine de lui poser ce genre d’ustensile.
Entre deux étreintes nous nous faisions des confidences et des serments.
- — Tu te rappelles le premier morceau que j’ai joué ce soir, je te le dédie, ce sera notre musique, notre secret. À chaque fois que je le jouerai, ce sera pour toi.
Je ne sais plus combien de fois nous fîmes l’amour cette nuit, mais à chaque fois ce fut un moment de plaisir et de joie. Le lendemain matin aussi, nous nous remîmes à l’ouvrage, nous n’en avions jamais assez, autant moi que lui. Quand on a goûté à ces plaisirs, difficile de s’en passer.
Nous prîmes un petit déjeuner pantagruélique à la terrasse d’un café, puis un déjeuner tout aussi copieux, faire l’amour ouvre l’appétit !
Le soir, je l’accompagnais à son concert, dissimulée dans les coulisses. Comme la veille, je fus envoûtée par cette musique et son talent.
Nous restâmes ensemble quatre jours à faire l’amour, planqués dans la chambre, ne sortant que pour les repas.
Puis les policiers nous retrouvèrent. Car le lycée avait averti mes parents le lendemain lors de l’appel, parents qui lancèrent les limiers à nos trousses.
Isolés dans notre petite bulle nous n’avions ni écouté la radio, ni lu les journaux où l’on parlait de nous, le patron de l’hôtel nous dénonça.
Je fus ramenée manu militari chez papa-maman.
Il échappa à l’accusation de détournement de mineure grâce à son âge ; il avait juste dix-neuf ans, un mineur ne pouvait pas en détourner une autre – à moins de m’accuser aussi pour la même chose ! Et aussi de par l’intervention de Rostropovitch. Car c’était réellement un grand espoir.
Je passai le bac sous haute surveillance. Pour plusieurs raisons ; que je ne profite pas de ces épreuves pour me faire la malle – ce que je n’aurais guère hésité à faire – et parce que j’avais des symptômes très inquiétants pour les parents : nausées, absence de règles, de quoi effrayer toute mère qui se respecte.
J’obtenais tout de même mon bac avec mention bien, et au lieu de faire la fête le soir des résultats, ma famille se demandait ce qu’elle allait pouvoir faire de moi. Je devenais une de ces filles qu’il fallait cacher.
C’est alors qu’il intervint de nouveau dans ma vie, mon Romain, mon sauveur, mon premier et mon unique amour. Je ne sais comment il fit, mais il trouva notre adresse. Alors que papa, maman, ainsi que mes quatre grands-parents tenaient un conseil de famille – l’équivalent d’un tribunal de la Sainte Inquisition – en mon honneur, un camion se rangea devant chez nous, sur la plate-forme se tenaient deux hommes, un piano et un violoncelle.
Les premières notes de Notre morceau s’élevèrent dans la nuit.
Je pleurais comme une madeleine et mes parents commençaient tout de même à se poser des questions. Un homme capable de faire ce genre de chose pour leur fille méritait quelques attentions.
Puis, un protégé de Rostropovitch tout de même, ça ne se néglige pas !
Trois mois plus tard, nous nous sommes mariés en urgence, mon ventre s’arrondissant dangereusement pour la bienséance.
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Ils regardaient la légiste s’affairer autour du cadavre, un gars nommé Gérard Duval, quarante-sept ans selon ses papiers. Cheveux rares et bruns, la tronche en très mauvais état, il semblait avoir heurté le poing de Mike Tyson de plein fouet.
Sa femme, Gisèle, un peu plus jeune que le mari, pleurait et reniflait, assise sur une chaise, le visage couvert d’ecchymoses et les vêtements déchirés tachés de sang.
Un policier en tenue, bedonnant et le visage rubicond, s’approcha.
Le flic en civil grogna une réponse évasive. Jeune et baraqué, il mâchouillait une brindille ; difficile de s’arrêter de fumer.
Le flic soupira et s’intéressa au gars qui venait d’apparaître devant lui. Difficile de lui donner un âge, vu ses longs cheveux où pointaient quelques fils de gris et une barbe qui lui mangeait la moitié du visage. Au pif entre trente-cinq et quarante ans.
Des vêtements propres, mais rapiécés de partout sous une grosse doudoune aux multiples éraflures, – incongrue en cette belle et chaude journée de mi-octobre – de grosses chaussures aux lacets dépareillés, un bonnet aux couleurs passées enfoncé sur la tête. Il serrait contre lui un chien de race indéterminée et blessé à la patte.
C’était bien sa veine, une affaire qui semblait toute résolue d’avance, une femme venait de retrouver son mari, mort dans le hall d’entrée, la gueule en vrac, baignant dans son sang.
Elle-même couverte de sang, pas de quoi se creuser la tête, elle venait d’estourbir son Jules.
Et maintenant voilà qu’une sorte de SDF s’amenait et s’accusait d’un meurtre, dont, d’ailleurs techniquement, on ne savait pas encore si c’était réellement un meurtre.
Le médecin légiste interpella l’inspecteur :
Le type serra un peu plus fort son chien contre lui.
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Accoudé au bureau du policier, une tasse de café entre les mains, ne sachant trop comment poser ses fesses, l’homme transpirait, trop vêtu pour cette belle fin de journée d’automne.
Un jeune poulet – un poussin ? – trifouillait le matériel d’enregistrement en vue de l’interrogatoire.
Bingo, se dit l’inspecteur Luc Marcheciel, en plein dans le mille.
Il but une gorgée de café, plongé dans ses souvenirs.
Il renifla et se torcha le nez d’un revers de manche.
Je faisais la manche aussi, un peu, par-ci par-là, mais les gens donnent plus des masses, c’est la crise qu’ils disent dans les journaux ; je me suis rendu compte que ceux qui donnent le plus, c’est ceux qui en ont le moins, comme pour les frites !
Les flics mirent un peu de temps à la comprendre celle-là.
Me suis installé au pied de la baraque à l’angle de la rue des Marais et de la Salsepareille. Il y a les conduits d’évacuation d’air qui en sortent, y sont chauds, faut prévoir l’arrivée du froid longtemps à l’avance, repérer et s’approprier les meilleures places, sinon des indélicats te les taxent.
L’inspecteur se demanda quand le Michel allait en arriver au fait, mais ne voulait pas le brusquer sinon il se fermerait comme une huître.
La médecin légiste, une petite bonne femme aux yeux bleus innocents et au joli postérieur venait d’entrer et se tenait immobile dans un coin. Elle écoutait le récit du clochard.
Luc Marcheciel se posait une question existentielle, accepterait-elle une invitation à venir casser une petite graine avec lui, et plus si affinités. Aux dernières nouvelles elle était redevenue célibataire, son Jules venait de la larguer pour une autre meuf à la profession moins macabre. Lui ça ne le dérangeait pas le moins du monde.
Son adjoint trifouillait toujours le système d’enregistrement, il espérait que ce dernier n’allait pas faire une connerie, il possédait deux mains gauches.
Tous les matins, il part et la dame elle fait le ménage, elle aspire, balaie, nettoie, elle ouvre grandes les fenêtres, secoue les couettes et elle met de la musique. Je peux l’esgourder de l’autre côté de la rue tellement elle met fort la sono. C’est du classique, je crois, mais c’est beau, j’en pleure parfois. Kiki aussi aime bien, il pousse des petits gémissements quand il l’entend. Je crois bien qu’elle le fait exprès de la mettre si fort, pour que nous l’écoutions aussi.
Il tendit sa tasse, réclamant ainsi un autre café.
Il resta le regard dans le vague quelques instants.
Tout compte fait, cette histoire n’est pas si inintéressante, pensa Luc.
C’est alors qu’arriva la juge d’instruction, Madame Élodie Moithous. Une bonne femme genre pète-sec, lunettes à écailles sur le nez et chignon strict sur le sommet du crâne. Jupe et veste noires, chemisier blanc, une gravure de mode déjà dépassée en mil neuf cent cinquante.
Le Michel reprit son récit, indifférent à cette interruption.
L’est ingénieur ou banquier, un truc comme ça, l’a une grosse bagnole étrangère, gagne du pognon à la pelle, le fait savoir et méprise ceux qui en ont moins que lui.
Il me le fait sentir d’ailleurs, toujours à m’insulter : Bon à rien, fainéant, résidu d’humanité.
Je laisse filer, mais ça fait mal.
Il lui faut absolument quelqu’un à rabaisser, à humilier pour se sentir grandi. Z’avez remarqué ces gens qui ont du pouvoir et qui écrasent, méprisent les autres, ne peuvent pas se sentir grands par eux-mêmes. Chez lui il n’a personne sous la main. Alors le plus souvent c’est elle qui en fait les frais.
Il mangea un biscuit que le médecin venait de lui donner.
Il but un peu d’eau.
Comment ne pas les entendre, il gueule tellement fort ; des reproches sur la maison, sur la bouffe, sur la musique qu’elle écoute. Même les fenêtres fermées je l’entends hurler. Il frappe aussi !
Je sais qu’il frappe parce qu’un jour je me suis approché et j’ai regardé par la fenêtre, elle se trouvait à terre et il lui tapait dessus en la tenant par les cheveux, des gifles, des coups de poing.
Après, il allume la télé et regarde une émission à la con. Les voisins ne mouftent pas, chacun sa merde comme ils disent, ils ne vont pas se mêler du malheur des autres. Chez les bourges c’est pire que chez les prolos.
Moi j’ai vu et j’ai rien fait, j’avais honte, je pouvais même plus regarder Kiki en face. J’ai juste pleuré, comme un gros con lâche.
Il semblait regretter son attitude.
Mais trois ou quatre jours plus tard, il recommence. Paroles de poivrot valent moins que du pipeau.
Il soupira.
Il réprima un sanglot.
Il respira un grand coup :
Il la tenait par un bras et il tapait, tapait, la malheureuse se protégeait comme elle pouvait, elle saignait du nez, de la bouche et elle pleurait. Pitié, arrête, s’il te plaît qu’elle gémissait.
Les mains de Michel tremblaient en évoquant cette scène.
Ses traits se durcirent à l’évocation de cette scène.
Alors je lui ai mis un coup de boule mahousse, un coup à montrer dans les écoles, juste là, sur le haut du pif, le sang a giclé de partout, et pour bien le terminer, j’y ai filé deux coups de poing dans la gueule. Putain que ça faisait du bien, presque plaisir.
Ça fait pas pareil que de cogner sur une petite nénette épaisse comme une plume qui peut pas se défendre, que je lui disais en tapant.
Tout remontait, tout revenait, les insultes, le mépris, les bleus de cette jolie femme, mon Kiki qu’était blessé, tout est remonté, comme une coulée de lave dans un volcan : ça mijote en dessous du bouchon et d’un coup, boum, il pète, comme il disait le Tazieff.
Mais malheureusement, ça n’a pas fini comme ça.
Il a battu des bras et il est tombé dans l’escalier. L’a roulé, roulé, sa tête a fait cracboum. Mort.
Voilà, vous savez tout. Elle a touché son cœur, et elle m’a dit de partir et de ne rien dire, qu’elle allait s’arranger. Elle allait vous raconter des bobards comme quoi c’était elle qui l’a estourbi. La croyez pas, elle a déjà reçu trop de coups.
Et le gros nounours de se mettre à pleurer.
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La médecin appela l’inspecteur et lui chuchota :
La juge écoutait attentivement.
L’inspecteur se prit la tête à deux mains.
À ce moment l’autre flic émit un petit cri plein de confusion.
Un autre officier entra dans le bureau.
Luc Marcheciel se passa la main sur la nuque et se décida.
Ils regardèrent partir le couple, Michel Lecas très attentionné tenant Gisèle par la main, Kiki boitillait à leurs côtés.
C’était le quart d’heure romantique, le moment idéal de se jeter à l’eau pour l’inspecteur Luc Marcheciel.
Le flic fit un grand sourire béat, puis saisit d’une inspiration soudaine il demanda à la cantonade :
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Dans la rue, des CRS affrontaient d’étranges manifestants, qui les chargeaient en chantant des psaumes et hurlaient slogans tels que : Une famille, c’est un papa et une maman, les bombes lacrymogènes répondaient aux chants religieux ou aux Taubira, casse-toi !.
Paul regardait la rue depuis sa fenêtre, très irrité et consterné. Bandes de nazes !.
Son ami Gérard arriva essoufflé, les yeux rougis, se servit un grand verre d’eau fraîche et s’assit lourdement sur la chaise qui craqua un peu.
Paul se tut quelques minutes, Gérard le laissa réfléchir sans intervenir. Puis il se décida alors que dans la rue les cris redoublaient de violence.
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- — Il faisait une chaleur étouffante, nous étions en pleine canicule, je logeais dans un petit studio en haut d’un immeuble, à quelques rues d’ici en fait. Un coin calme avec une petite cour intérieure.
Le soleil tapait tellement fort que je fermais les volets presque toute la journée, ne les ouvrant que très tôt le matin ou lorsque le soleil se couchait afin de faire entrer une hypothétique fraîcheur.
Je revenais du travail vers minuit, minuit et demi, je prenais une douche et paressais dans la chambre, je lisais un peu, je regardais aussi dans la petite cour intérieure les derniers pigeons venus chercher quelques fantomatiques gouttes d’eau dans des bacs à fleurs.
Comme chaque soir, depuis plusieurs jours à la même heure s’élevait une musique d’origine céleste qui semblait venir de partout et de nulle part.
À cette période de l’année peu de gens résidaient dans le coin, tout le monde bronzait à la mer, prenait le frais à la campagne ou les fesses dans une rivière. Qui pouvait bien écouter cette mélodie, toujours la même ?
C’est par le plus grand des hasards que je les découvris dans un appartement situé presque en face de chez moi, de l’autre côté de la cour.
L’une d’elles sortit sur son balcon, entièrement nue, elle tenait un violoncelle. Une légère ombre brune voilait le confluent de ses longues jambes. Comme je te le disais, il faisait de plus en plus chaud et lourd, elle aussi souffrait de la canicule et cherchait un peu de fraîcheur.
Elle s’assit et plaça l’instrument entre ses jambes écartées.
Notre petite cour intérieure ne possédait pas d’éclairage, seules la pleine lune et la lumière diffuse de son appartement illuminaient son corps qui baignait dans une sorte de clair-obscur digne d’un Caravage. Elle avait laissé la fenêtre ouverte.
Elle était mince et élégante, uniquement vêtue de sa parure naturelle et de ses longs cheveux bruns. Ébloui par cette jeune femme, je ne vis le piano que lorsque les premières notes s’en échappèrent. Une autre jeune femme se tenait assise devant le clavier. Une blonde aussi belle et nue que la brune qui attendait, les yeux fermés, l’archet prêt.
Puis le violoncelle vint joindre sa voix presque humaine aux notes cristallines du piano. Malgré la chaleur, je frissonnais. Pas un bruit venu de la rue ne troublait ce moment de grâce. Moi qui croyais entendre un disque depuis tout ce temps, j’écoutais en fait un récital donné par ces deux jeunes beautés.
Tu aurais pu me croire envoûté, hypnotisé, voire ensorcelé, je me trouvais en fait dans un état second. Je les admirais et même les vénérais tellement leur musique était belle.
Les bras entouraient l’instrument à la manière d’un enfant fragile, l’archet manié avec douceur glissait et ses doigts blancs effleuraient les cordes pour en tirer un poignant vibrato.
Derrière elle, la blonde caressait les touches pour délivrer des sons limpides dignes des anges. Elles vivaient avec leurs instruments, accompagnaient de leur corps chaque note. J’assistais à une danse à la fois profane, païenne, mais tellement divine.
Pendant plus de quatre minutes, je restai en apnée, incapable de bouger, osant à peine respirer de peur de faire cesser cet instant de grâce. Les dernières notes retentirent, flottèrent encore quelques secondes dans la nuit telles des messagères des cieux.
As-tu déjà eu cette impression étrange, une fois une œuvre terminée, que ce qui suit en fait encore partie, que le l’auteur en a aussi composé le silence ?
Je me remettais à peine de ma catalepsie que la blonde se leva et vint embrasser la brune sur la bouche. Un long baiser, un vrai baiser d’amoureux. Le plus étonnant, c’est que cela ne me choqua pas.
Elles allèrent s’allonger sur le lit, devant la fenêtre, et elles s’aimèrent. Et je les regardais, subjugué.
Je ne me considérais pas comme un voyeur, un vicieux, un pervers, non. J’admirais une scène d’une beauté éthérée.
Je savais que ces caresses étaient la suite naturelle et logique de ce morceau. C’était beau, c’était sain, c’était pur.
Aucune vulgarité dans ces baisers sur la peau, le cou, les seins.
Nulle obscénité dans ce tableau.
Lorsque la brune sentit les lèvres de la blonde se poser sur sa source de vie, son visage rayonna de félicité. La blonde jouait du corps de son amie comme de son piano, elle en jouait avec toute son âme, tout son amour, toute sa passion.
Comme par miracle, mon corps de mâle ne réagissait pas à cette vision, nulle pulsion malsaine ne me troublait, seul mon esprit flamboyait. Je voyais quelque chose de pur qui ne pouvait être souillé.
Lorsque la brune se tendit, que son corps s’arqua, je sus qu’elle venait d’atteindre l’ultime frontière.
Lorsque ensuite elles s’embrassèrent, se câlinèrent en de doux frôlements de doigts, je ne vis qu’un tendre abandon, que de l’amour.
De l’amour dans les regards échangés, les mains qui se serraient, les doigts entrelacés, les paroles murmurées.
De nombreuses nuits cet été-là, je les observais, sans jamais savoir si elles se doutaient de mon manège. Parfois je ne faisais qu’écouter, emporté par la magie de leur dextérité, les imaginant ensuite s’aimer et se caresser.
Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues, mais je suis sûr, au plus profond de moi-même qu’elles vivent encore ensemble, une si belle passion, une telle adoration ne peut disparaître, s’étioler. Elles étaient aussi liées par leur amour de la musique.
Elles m’ont encore appris une autre chose, importante : que l’Amour est universel.
Je sais que cela peut paraître un sacrilège, mais j’espère sincèrement, de toute mon âme qu’elles ont ou auront un enfant, car une si grande affection ne peut rester vaine, stérile.
Et que si elles le désirent, je serais là pour le baptiser, ce serait même un honneur pour moi. N’en déplaise à ces cons qui manifestent.
Curieux, Gérard posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs minutes.
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Les pilotes, le commandant et ses adjoints admiraient le spectacle de cette planète verte et de ses deux lunes, éclairées par la lumière ambrée d’une étoile de type G.
Techniquement, les écrans géants remplaçaient avantageusement les antiques pare-brise panoramiques, permettant de zoomer sur tel ou tel point de ce monde, révélant des détails invisibles à l’œil nu. Mais il manquait cette note de poésie que la plus belle des techniques ne remplacerait jamais, celle de voir réellement les astres tournoyer en une lente valse.
Malgré toute leur robustesse, les feuilles de verre et de plexiglas même blindées au tungstène ne possédaient pas la résistance d’une plaque de métal.
Le gigantesque Vaisseau d’Exploration Stellaire Baruch Spinoza était parti de la base lunaire Tycho Brahé quatre années standard auparavant. Assemblé dans l’espace en orbite lunaire, cette merveille de technologie couronnait la première coopération internationale en ce domaine.
L’équipage se composait d’un millier d’hommes et de femmes de toutes nationalités. Des techniciens chargés de faire fonctionner le navire, des navigateurs pour le diriger, des militaires pour assurer la sécurité à l’intérieur, mais bien évidemment lors d’éventuelles escales.
Et surtout des scientifiques de toutes disciplines chargés d’étudier des planètes situées autour de l’étoile Épsilon Éridani, susceptibles d’abriter la vie. Ayant colonisé la Lune, Mars, Titan et quelques gros astéroïdes comme Cérès, l’Homme n’avait pas trouvé de traces de vie dans le système solaire. Maintenant il se lançait vers le vaste univers.
Mais pendant le voyage vers Épsilon, un étrange signal venu d’un tout autre quadrant de la galaxie fut capté par les appareils du navire. Après moult palabres, le conseil décida de changer de cap et de se diriger vers la zone d’où était partie cette émission.
Cela faisait tellement longtemps que l’humanité recherchait une intelligence dans l’univers, on n’allait pas rater une si belle occasion.
Selon le Catalogue stellaire Gaia, cette étoile se nommait GZ 257 AR, dans la constellation de l’Aigle.
Comme cet astre possédait la couleur des prunelles d’un lion, il fut décidé de la baptiser Sekhmet, onze planètes tournaient autour de Sekhmet, dont une seule dans la zone de vie. La fameuse planète verte, qu’il fut décidé de nommer Érin. Un plaisantin nomma ses deux lunes Tintin et Milou.
La surface était couverte de forêts, d’où sa couleur émeraude.
Cette planète ne faisait que commencer à les surprendre.
Les hommes et femmes qui composaient l’équipage se tenaient immobiles devant les écrans, la bouche sèche. Des formes géométriques parsemaient la surface, en zoomant au maximum il ne faisait aucun doute qu’ils avaient affaire avec des constructions. Si signal il y avait, il ne pouvait être le fruit du hasard, ni venir d’un pulsar ou d’un quasar.
Devait-on descendre, prendre contact ? Vaste programme et énorme responsabilité. Des analyses furent effectuées, oxygène à vingt-deux %, pas de traces de gaz toxique, atmosphère respirable, gravité légèrement plus faible que sur terre.
Il fut décidé d’envoyer sur la planète un groupe d’exploration. Évidemment, tous voulaient y aller, du pilote jusqu’au toubib en passant par le cuistot, tous voulaient descendre. Ils étaient venus pour ce moment !
Le commandant Hubert trancha. À tout seigneur tout honneur, il dirigerait l’expédition. Il fallait un militaire pour ce genre de situation. L’accompagneraient le Professeur Raton, écologue, zoologue et biologiste; le Dr Minne, exo-ethnologue ; le Dr Malher, physicien et un historien des religions, le pasteur Louis.
Le physicien étudierait la technologie des hypothétiques habitants, le militaire leurs forces et leur potentielle dangerosité, le biologiste se renseignerait sur la faune, la flore et l’environnement, l’ethnologue examinerait le comportement et la culture des habitants, le pasteur tenterait d’analyser les éventuelles croyances et religions.
Si tout se déroulait bien, d’autres équipes descendraient au sol et mèneraient des recherches plus poussées.
Un empêcheur de tourner en rond indiqua que nulle femme ne faisait partie de ce groupe, preuve qu’une phallocratie rampante sévissait toujours.
On intégra alors au groupe Mademoiselle Winter, documentaliste, qui filmerait l’expédition. Travail hautement important que la mise en mémoire de ce premier contact.
Un pilote dirigerait le petit vaisseau lors de la descente et lors du retour.
Quatre gardes armés assureraient la sécurité de tout ce petit monde, il ne fallait pas non plus effrayer les autochtones.
Après avoir vérifié, revérifié plusieurs fois de suite le matériel, ils embarquèrent, le cœur battant et les fesses serrées.
La navette, baptisée Professeur Tournesol, descendait vers le sol de la planète, dirigée de main de maître par le chef pilote. Tout se déroulait à merveille, quand, arrivé à mi-chemin tout partit en quenouille.
Les commandes ne répondaient plus, créant la panique à l’intérieur du petit vaisseau.
La documentaliste filmait l’échange, à tout hasard, malgré la situation catastrophique.
L’engin atterrit de lui-même, en douceur, près d’une construction pyramidale. La question se posa alors : « sortir ou pas », question vite réglée quand les portes s’ouvrirent toutes seules, celui ou ceux qui dirigeaient l’appareil continuaient de faire ce qu’ils voulaient.
Les gardes sortirent en premier, sur le qui-vive, arme prête à tirer, mais restèrent au pied de la passerelle, figés sur place, incapables du moindre geste.
En désespoir de cause, les autres sortirent à leur tour, les fesses de plus en plus serrées.
À quelques dizaines de mètres de l’appareil, des êtres humanoïdes les attendaient, le sourire aux lèvres.
Grands, élancés et élégants, le visage délicat, une bouche fine, des évents en guise de nez, deux yeux aux couleurs d’or, les six membres graciles, deux jambes et quatre bras. La sveltesse étant une conséquence de la faible gravité, estimait le biologiste. Une longue chevelure verte couvrait la tête des deux personnages.
Bref, pas des humains, mais indiscutablement proches, créés selon le même modèle.
Des arbres immenses, aux troncs dorés, au feuillage vert tendre bruissaient dans la légère brise. Des insectes zonzonnaient dans l’herbe haute. Des animaux à six pattes paissaient paisiblement au loin, des petites bestioles poilues s’amusaient avec de jeunes habitants, certainement des enfants. Les animaux s’enfuyaient dans les arbres pour revenir aussitôt en volant dans les bras des petits.
Une rivière serpentait non loin de là, le paysage paraissait bucolique.
L’être fit un geste gracieux de ses longs doigts.
La voix semblait venir de partout, y compris de l’esprit même des terriens.
Le commandant ne voulait aucunement froisser ses hôtes, ils n’avaient aucune intention belliqueuse et d’ailleurs les habitants de cette étrange planète ne semblaient pas désarmés, prendre les commandes à distance du Professeur Tournesol, paralyser les gardes et bloquer les armes n’était pas une mince affaire.
Comme s’il lisait dans les pensées, leur hôte les rassura :
Plus petit, plus fluet, l’instinct de Madeline Winter lui soufflait qu’elle se trouvait face à une habitante.
L’exo-ethnologue se disait qu’il fallait changer les termes, aujourd’hui ils étaient les extra-terrestres.
Ils furent emmenés à l’intérieur du bâtiment dépourvu de toit, sur des gradins les attendaient une foule importante et calme. Des êtres vêtus de toges colorées fabriquées dans un tissu fin et léger.
Au centre de l’amphithéâtre, à quelques centimètres au-dessus d’une dalle de pierre flottait un globe de cristal de près d’un mètre de diamètre. La jeune documentaliste ne perdait aucune miette de ce spectacle, ses interlocuteurs se laissaient filmer, aucunement contrariés, elle n’oubliait aucun détail, consciente de réaliser un film pour l’Histoire, si jamais ils pouvaient rejoindre le Baruch Spinoza et la Terre.
D’un geste des bras, il désigna l’étrange objet lumineux flottant au-dessus du sol.
~o ~
Au-dessus d’eux le ciel bleu clair se teintait de gris, le soleil disparaissait au profit des deux lunes. Des oiseaux aux quadruples ailes paradaient au sommet de la construction. Une odeur fruitée flottait dans la légère brise.
Il posa ses longs doigts fins sur les tempes, le front et le sommet du crâne de l’humain tandis que ses autres mains se posaient sur le globe de cristal qui s’éclaira, une grande sphère lumineuse engloba l’ensemble de l’arène.
Des images apparurent dans la bulle créant un début de panique dans l’assistance.
Dans la nuit naissante on vit des champignons atomiques raser des villes entières, des avions lâcher des chapelets de bombes sur des humains sans défense qui couraient éperdus de terreur ; des hommes et des femmes alignés devant des fosses alors que des soldats leur tiraient dans le dos ; une petite fille nue pleurait et courait sur une route, la peau du dos brûlée et la chair à vif.
Un par un les autres humains passèrent devant le Creuset des Âmes, inquiets de ce qu’il pourrait révéler.
Des images se succédèrent aux images, créant des remous dans le public.
Des baleines harponnées et lacérées, des dauphins baignant dans une mer de sang ; les centrales nucléaires en Europe ou au Japon explosant en des nuages radioactifs devant des responsables corrompus et incapables de réagir ; des usines libérant des tonnes de gaz mortels à Bhopal ou Seveso.
Des hommes, des femmes et des enfants enfournés de force dans des wagons et transformés en cendres, en squelettes vivants ou en cobayes pour soi-disant purifier une race.
Des forêts primaires rasées pour y planter des palmiers à huile, des grands singes exterminés ; des éléphants abattus par des braconniers pour un peu d’ivoire, des félins chassés pour leur peau. Des animaux tués juste pour quelques grammes d’ailerons ou de cornes pour satisfaire la libido de certains hommes. Des animaux de laboratoire martyrisés. Des poissons flottants le ventre en l’air dans une eau souillée.
Des hommes qui vénéraient des dieux créés de toute pièce, dieux qui réclamaient leur dû de chair et de sang.
Les fidèles qui tranchaient des têtes en poussant des cris de joie et pataugeaient dans le sang, leurs victimes sacrificielles encore agitées de spasmes.
Des meurtres exécutés par des fanatiques pour soi-disant rejoindre un hypothétique paradis alors qu’ils venaient juste de créer l’Enfer.
Des religieux Hutus exhortant leurs ouailles pratiquer un génocide sur des Tutsis dans l’indifférence générale.
Génocides déjà pratiqués sur des Arméniens, des Kurdes, Juifs, Mohicans…
Des Hindous et Musulmans se massacraient réciproquement avec allégresse.
Un homme sur un cheval ordonnait : Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. L’Homme et ses dieux n’avaient que peu évolués et appris en mille cinq cents ans.
Des pesticides épandus par milliers de litres, qui stérilisaient les sols, provoquaient des mutations génétiques, des malformations sur les nouveau-nés et détruisaient les pollinisateurs, empoisonnaient la nourriture, provoquaient tumeurs et stérilité.
Des marées noires baignant les côtes et engluant oiseaux et poissons ; des milliers d’hectares de forêts desséchées partaient en fumée.
Des monceaux de plastique descendaient les rivières, engluaient et étouffaient les océans. Des femmes et des enfants vendus comme esclaves sexuels dans des marchés à ciel ouvert ; des peuples entiers exterminés, en Europe, Amériques ou en Asie. On vit aussi des femmes et des jeunes filles souillées, les viols utilisés comme des armes tout à fait banales et parfois légales.
Des hommes et des femmes humiliés, torturés, mis au ban de l’humanité, condamnés à mort à cause de leurs orientations sexuelles, non conformes au dogme en vigueur.
Des tempêtes, tornades, déluges, fonte des glaces provoqués par l’inconscience des hommes, par leur cupidité. Un air devenant de plus en plus irrespirable, des déserts remplaçant les prairies.
Au fur et à mesure qu’ils passaient entre les mains du Maléen, les scientifiques et militaires humains s’écroulaient, en pleurs, en position fœtale. La jeune documentaliste continuait de filmer, bouleversée. Dans le vaisseau le reste de l’équipage regardait impuissant et glacé d’effroi.
Il tendit la main vers Magali Winter. La jeune femme agita la tête, quémandant en vain du soutien auprès de ses collègues.
Les doigts se posèrent sur ses cheveux et sur le globe dont la lumière s’intensifia.
Dans la nuit, sous le regard des deux lunes, l’assistance écoutait respectueusement s’élever les premières notes de la Sérénade de Schubert.
~oOo~
⁽¹⁾ Freddy Kruger : personnage du film d’horreur Les griffes de la nuit
⁽²⁾ Kervé : terme de patois du Nord signifiant ivre, rond comme une queue de pelle…