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n° 18962Fiche technique19760 caractères19760
Temps de lecture estimé : 11 mn
21/04/19
Résumé:  Le jour de son anniversaire, Félix découvre que sa secrétaire est une femme.
Critères:  fête anniversai travail nonéro humour
Auteur : Hashpimby            Envoi mini-message
Happy birthday, Félix !




Comme tous les jours, Félix émergea vers six heures. Il eût aimé dormir plus longtemps, mais il avait atteint l’âge où les besoins de sommeil s’effacent devant ceux de la vessie.

Et à propos d’âge, justement, les choses ne s’arrangeaient pas : aujourd’hui même, non seulement il gagnait – ou perdait, selon la direction du regard – un an au compteur, mais en outre, il changeait de dizaine.


Cinquante balais ! Il se souvint en tirant la chasse d’eau que, quelques années plus tôt, le demi-siècle représentait pour lui le degré ultime de la sénilité, la fin du parcours, le sapin irrémédiable. Aujourd’hui, il se sentait encore jeune. Enfin, jeune sans excès. Vaguement jeune, plutôt.


Les idées grisâtres ayant irrémédiablement pris le dessus, réveillé pour réveillé, pas question de réintégrer le lit conjugal. Et puis d’ailleurs, Chantal ronflait de plus en plus sur le matin.

Il enfila son peignoir et mit le cap sur la cuisine afin d’y préparer le petit déjeuner pour toute la famille. Il plaça les quatre bols quotidiens sur la table, chargea la cafetière et fit griller quelques tartines.

La radio qu’il écoutait distraitement annonça plusieurs règlements de comptes dans la banlieue marseillaise, un accident d’hélicoptère quelque part ailleurs, avant de reprendre le train-train navrant des déclarations politiques de la veille. La routine.


Une porte grinça, le plancher craqua et Camille fit une entrée ébouriffée et ronchonne :



Quelques minutes plus tard, ce fut au tour de Géraud de faire son entrée en bâillant et en se grattant le bas-ventre. Son père l’apostropha gaiement :



Géraud haussa les épaules, s’assit, et demanda :



Chantal arriva à son tour et s’assit pesamment.



Le petit déjeuner se prolongea dans l’écoute collective de la radio, puis chacun-chacune vaqua à ses ablutions, sauf Félix, préposé inamovible au rangement matinal de la cuisine.


La morosité qu’il ressentait depuis son réveil s’était transformée en ressentiment hostile à l’égard des siens : personne, malgré ses allusions répétées et pesantes à la date du jour, n’avait songé à lui souhaiter un bon anniversaire. Il tenta de surmonter le cafard traversier qui le gagnait en se disant que l’ingratitude des enfants tout comme l’indifférence conjugale étaient dans l’ordre des choses et du temps qui passe. Puis il alla à son tour se préparer pour une nouvelle journée de labeur.




**********




Le bus bondé, la chaleur moite de ce début d’automne, la perspective de l’interminable et inutile réunion qui l’attendait ce matin, tout contribuait à maintenir Félix dans une humeur morose. Néanmoins, en arrivant à son bureau, il prit sur lui et parvint à sourire à ceux et celles qui lui disaient bonjour : le chef est une sorte de baromètre pour ses subordonnés ; sa bonne comme sa mauvaise humeur sont contagieuses.

Il retira sa veste, desserra sa cravate, enfourcha ses lunettes de presbyte aujourd’hui cinquantenaire et prit place dans son fauteuil pour consulter le courrier du jour.


Fidèle au rituel quotidien, Adeline ne tarda pas à rentrer dans la pièce avec son plateau. Sans un mot, elle déposa l’une des deux tasses devant Félix, s’assit à son tour dans un des profonds fauteuils de cuir noir normalement dévolus aux visiteurs et prit sa propre tasse. Tout cela faisait également partie d’un rituel tacite, un instant subtil de hiérarchie abolie.



Félix se leva avec un grand sourire, s’approcha d’Adeline et l’embrassa platoniquement sur le front.



Il faillit lui dire combien il souffrait que personne dans sa propre famille ne lui eût témoigné la même attention, mais il se retint : il fallait tout de même garder ses distances.



Adeline rit et sortit du bureau dont elle referma doucement la porte.

Félix eut les plus grandes difficultés à se mettre au travail : le contraste entre l’indifférence familiale et l’attention de sa secrétaire accaparait son esprit.

Jusqu’alors, il avait simplement considéré Adeline comme une collaboratrice sérieuse et compétente. Il appréciait son calme en toutes circonstances, sa diplomatie, son efficacité, mais aussi sa finesse et sa perspicacité : elle savait lorsque c’était nécessaire le conseiller adroitement. La pertinence de ses observations, le regard qu’elle portait sur leur entourage professionnel lui étaient précieux.

Mais il réalisait aujourd’hui qu’il ne l’avait jamais regardée en tant que femme et s’en s’étonnait. Il la revoyait sortant il y a quelques instants de son bureau : jolie silhouette, élégance discrète… Bref, belle femme autant que précieuse collaboratrice.


Ce constat le troublait, tant il dénotait avec la sérénité routinière de sa vie conjugale. Une aventure avec Adeline ? Non ! Elle n’était manifestement pas de celles qui s’accommodent de sporadiques étreintes hôtelières, de préférence assez loin du bureau, histoire de ne pas être surpris par les collègues de travail. Non, le statut de maîtresse de cadre sup ne lui convenait pas. Et puis, de toute façon, il savait, pour l’avoir plusieurs fois constaté dans son entourage, que les amours de bureau finissent rarement en contes de fées.


Impossible décidément de concentrer son attention sur le dossier Bartholomé. Il prit donc l’initiative de téléphoner à Chantal dont il digérait mal l’indifférence de ce matin. Mais il est vrai que, tout comme l’erreur, l’oubli est humain. Peut-être une infime suggestion parviendrait-elle à lui rafraîchir la mémoire ?



Rien à faire ! Il reposa le téléphone et tenta une nouvelle fois de concentrer son attention sur son dossier. Quelques minutes plus tard, le téléphone sonna. C’était Chantal qui le rappelait :



Il se força à rire à son tour et raccrocha. Maintenant c’était évident : elle avait oublié. Parfaite démonstration de l’érosion conjugale.

Adeline rentra dans la pièce. Elle était décidément très agréable à regarder.



Adeline se mit à rire :





**********




La réunion fut aussi longue qu’ennuyeuse et inutile. Félix parvint à cacher son agacement et son impatience en griffonnant des petits voiliers sur son bloc. Il se lança même dans une tentative de caricature de Bartholomé, mais dut se rendre à cette évidence qu’il n’était pas doué pour le dessin.

Vers treize heures enfin, l’ordre du jour fut épuisé. Félix était sur le point de quitter la pièce lorsque Bartholomé s’approcha de lui, un sourire aux lèvres :



Il n’hésita pas longtemps. Certes, Bartholomé était ennuyeux comme la pluie, mais c’était le moyen rêvé d’oublier ses préoccupations :



Faux cul, mais à la guerre comme à la guerre…


À peine installés à la table du luxueux restaurant où Bartholomé avait manifestement ses habitudes, ce dernier commanda du champagne.



Félix n’eut pas le loisir de s’interroger sur cette amitié-là. Le déjeuner fut aussi ennuyeux que la réunion. Très en verve, Bartholomé évoqua successivement ses vacances sur la côte basque, sa voiture – deux cent mille au compteur, jamais ouvert le capot – l’éducation de ses enfants, sévère, mais juste, la cherté de la vie. Il fit également part à Félix de ses opinions politiques – de la détermination, mais pas d’extrémisme – et de pronostics audacieux sur le prochain Championnat de France de foot.

Après le café, il confia sur un ton plus confidentiel à son invité qu’il avait trouvé la réunion matinale longue, ennuyeuse et inutile, mais qu’il avait été heureux de parler avec lui et de constater qu’ils partageaient les mêmes idées.



Après avoir remercié son hôte, Félix regagna son bureau, avec un peu de mauvaise conscience en raison de l’heure tardive. Il s’accorda néanmoins l’absolution en se disant qu’il était humainement impossible de déroger au rite du repas d’affaires.

Adeline ne fit aucun commentaire, mais Félix remarqua son air narquois et en fut amusé.




**********




En fin d’après-midi, le personnel quitta progressivement les locaux. Félix en aurait volontiers fait autant, mais, position hiérarchique oblige, il se sentait obligé de partir le dernier. Et puis ce soir, il n’avait pas très envie de rentrer chez lui pour retrouver l’indifférence familiale.


Il lisait distraitement une vague étude de marché, lorsqu’Adeline rentra dans le bureau.



Ils s’installèrent l’un en face de l’autre devant une table basse au bar d’un palace voisin. Adeline commanda un Martini, Félix se contenta d’un jus de fruits : le champagne de midi n’était pas loin.



Ils papotèrent de choses et d’autres : les difficultés de l’entreprise, les collègues de travail, la conjoncture… Puis la conversation devint difficile. Il y eut quelques blancs que l’un et l’autre s’efforcèrent tour à tour de combler de banalités, et enfin, un long silence.


Mais où veut-elle en venir ? se demandait Félix avec une curiosité mêlée d’appréhension, elle ne va tout de même pas me proposer de…



C’était inattendu, inespéré même, mais un peu inquiétant aussi.



Tandis qu’ils marchaient dans la rue côte à côte en silence, le cœur de Félix battait la chamade. Il n’avait jamais trompé Chantal, mais bon… cette fois, c’était différent ! Son indifférence ce matin… indifférence de toute la famille d’ailleurs ! Une trahison, d’une certaine façon… Alors une trahison en vaut bien une autre, non ? Pas très grave ! Juste retour des choses. Et demain il n’y aurait qu’à expliquer à Adeline qu’il avait eu un moment de folie et puis voilà… Pas compliqué !



Dans l’ascenseur ils restèrent silencieux. Félix regardait fixement ses pieds.



Après avoir ouvert la porte de l’appartement, la jeune femme alluma la lumière et fit rentrer Félix dans le salon. La décoration était sobre et de bon goût. Il émanait de l’ensemble une impression de confort tranquille qui correspondait à merveille à la personnalité de l’occupante des lieux.



Elle quitta la pièce et bientôt Félix entendit un bruit d’eau. Elle devait être en train de prendre une douche.

Il se servit un whisky, choisit un disque sur la pile de CD, et s’assit dans un profond canapé. Mais il ne parvenait pas à fixer son attention. Son cœur battait de plus en plus fort. Et ce bruit d’eau toujours, comme une invitation explicite à la suite des choses.

Il se leva, revint au milieu de la pièce se frappa dans les mains et esquissa un entrechat :



Le bruit d’eau cessa. Il entendit quelques pas précipités, puis toutes les lumières s’éteignirent.

Il commença à se déshabiller en rythme sur la musique, façon strip-teaseuse, en faisant voler un à un tous ses vêtements autour de lui.


Une porte s’ouvrit, il y eut une lumière dorée et Adeline rentra dans le salon portant un gâteau d’anniversaire orné de cinquante bougies.

Derrière elle, Chantal, Géraud, Camille, plusieurs personnes de l’entreprise dont le directeur général, et une bonne dizaine d’amis proches.


– Happy birthday to you, Félix ! chantait en chœur cette joyeuse compagnie.


Puis la lumière revint.