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n° 18978Fiche technique35265 caractères35265
Temps de lecture estimé : 20 mn
08/05/19
corrigé 23/05/21
Résumé:  Céleste entreprend une jeune femme qui, hallucinée, cède rapidement à ses avances en dépit de ses orientations sexuelles.
Critères:  ff frousses hotel cinéma fsoumise fmast 69 -fhomo
Auteur : Scarlett O            Envoi mini-message
Céleste fait son cinéma




Acte I – L’affût



Le faux-bond de son rendez-vous a libéré Céleste dès seize heures. C’est magnifique quand, dans un agenda tendu, se dégage ainsi le vertige d’un vide émancipateur. Elle décide d’exploiter l’aubaine pour improviser et s’octroyer un moment de passion. Le temps, exceptionnellement humide et maussade de cette mi-juin, réduit la terrasse des cafés à n’être que de médiocres terrains de chasse. Le gibier d’eau, en outre, ne recueille pas ses prédilections. Le cinéma, par contre, a déjà bien servi ses entreprises. Le clair-obscur complice des salles peut lever les inhibitions et alimenter nombre d’impromptus.


« Les séductions d’Alicia » décorent l’affiche racoleuse d’un multiplex. Un navet pseudo érotique qui recrutera ses spectateurs dans une faune trop timorée pour le X et lui préférant du β mièvre. Dans la salle, elle s’installe tout au fond, tout en haut, pour de ce mirador surveiller sa garenne. Le gibier, à cette heure, est clairsemé et elle n’y repère aucune pièce de choix.

Un peu avant le début de la projection, un couple prend place à quelques rangs devant elle, droit dans sa ligne de mire. Elle les détaille hâtivement.


Lui, la trentaine, un vrai coq de bruyère déployant une roue outrecuidante. Il pourrait être beau gosse s’il n’en portait pas si orgueilleusement l’assurance. Cette suffisance le rend immédiatement insupportable et vulgaire à ses yeux. Elle, une poulette avenante, au plumage roux flamboyant. D’abord, et surtout de dos, on ne distingue que ça. Belle taille, bien prise au demeurant. Il lui apparaît très vite que madame et monsieur ne partagent pas plus sentiments que motivations. On s’agite beaucoup, caquette et se vole dans les plumes. N’importe quel braconnier peut approcher sans risque d’être éventé.


Mylène est ici à son corps défendant, quant à son esprit… Son vicelard de mari veut mater du sexe illégitime sous couvert de ses complaisances. Au bout d’une vingtaine de minutes, alors que la pulpeuse Alicia vante les dessous de ses charmes, il lui susurre son désir tout en tentant de lui mettre l’affaire en main :



La jeune femme est outrée, moins par la requête que par sa brutalité et son absence totale de tact. Elle sait qu’y cédant, aucun jeu câlin, aucune contrepartie ne lui fera récompense. Son cher époux ne demande qu’à bénéficier des générosités d’Alicia par procuration.


C’est à cet instant qu’un individu vient s’installer dans l’allée au-dessus d’eux, juste dans leur dos. Sauf à être sourd, ce tiers a dû discerner les acidités de leurs derniers propos.

Ils ont effectivement confirmé à Céleste qu’entre eux, le torchon brûle. Elle adore, sait qu’elle y fourrera le nez sans vergogne ni souci de conciliation. Quelques phrases courroucées plus tard monsieur se lève et va bouder à cinq rangs de là, au côté d’une sosie d’Alicia, non sans avoir gratifié son épouse d’un rageur :





Acte II – La battue



À peine son mari éloigné, Mylène sent une pression sur son épaule. Ah non ! un tripoteur impénitent, elle va l’assaisonner ! Elle se tourne furibarde et offusquée, prête à l’esclandre et… découvre une charmante frimousse féminine qui lui décoche un clin d’œil rassérénant : compassion, regret, complainte, tout cela en même temps ; une moue enfin, qu’elle interprète :



Un mec en serait pour ses frais et elle n’hésiterait pas à lui dire son fait. Là, à l’inverse, elle est désarmée au point de s’en effrayer jusqu’à être terrorisée. Elle remballe ses animosités et esquisse à son tour une grimace qu’elle voudrait obligeante avant de se reporter vers l’écran. Une boule se noue au creux de son ventre, une houle déferle dans sa tête. La terre ferme et stable se dérobe et elle s’engloutit dans de mouvantes fondrières. Jamais le seul fait d’entrevoir un visage n’a suscité une telle émotion. Moins sans doute cette face elle-même que la pulpe gourmande de lèvres avides, le scalpel de pupilles qui vous transpercent et vous fouillent. Un pressentiment angoissant, entêtant et enivrant lui signifie que désormais elle verra la suite du film assise sur des charbons ardents. D’ailleurs, la main de plus en plus entreprenante campe sur ses positions.


Toute perturbée, la rouquine secoue la tête, la repoussant machinalement, presque à regret, s’étonne-t-elle. L’importune récidive et s’appesantit. Une haleine chaude vient l’appuyer et enflammer sa nuque. Où va-t-on ? Encore, elle la saisit afin de l’écarter ; elle est très fine, très blanche, avec des ongles saignants très effilés. Autour de l’annulaire s’enroule un aspic d’argent qui la fascine en condensant les séductions de la charmeuse. Elle n’a pas la force de lutter, se contente de la couvrir de la sienne puis de l’étreindre faiblement. Rêve-t-elle ? S’est-elle abusée ? Elle renouvelle le coup d’œil dans son dos. L’ombre magicienne toujours l’englue de son ineffable sourire. Sur son cou le souffle s’attise. Devant, une Alicia sûre de ses atouts, derrière, cette figure enjôleuse, et son cœur en chamade… elle est coincée ! Des convoitises l’encadrent de toute part et elle se devine une impérieuse envie d’y céder.


La sienne n’est pas la moindre. Convoitise de quoi pourtant ? Elle serait absolument incapable de le formuler. Convoitise de rupture peut-être, avec son conjoint, avec sa vie, avec elle-même. En un éclair, ça s’impose avec la simplicité d’une évidence. Elle réalise qu’elle n’est pas condamnée à perpétuité aux vicissitudes de son existence actuelle ; qu’il existe des alternatives à ce monde de recluse qui la confine dans ses monotonies. Et cette sirène doit en être l’ange annonciateur !


Tenaillée entre des aspirations contradictoires, Mylène comprend de moins en moins non seulement ce qui l’agite, mais encore sa manière d’y répondre tout en y discernant les progrès d’une insidieuse tentation. De bonnes fées se pencheraient-elles enfin sur son cas ? C’est un baume, mieux, un cautère que ce minois divin qu’elle n’a qu’à peine entrevu. Un apaisement, certes pas, et la tête lui tourne. Elle se sent menacée par un énigmatique danger qui conjugue félicité et fatalité. Une brève rêverie l’emporte tandis que l’écran superpose les physionomies éthérées d’Alicia et de l’aguichante inconnue.



Céleste plane déjà sur son nuage. À son geste initial, la jeune femme s’est retournée afin de la vilipender. Elle a désamorcé cette crise en y substituant une autre, plus sournoise et plus confuse. Plus pernicieuse et profonde aussi. Ce regard entendu, qui ne veut rien dire et peut ainsi tout dire y compris ce que d’ordinaire on ne dit pas, tant c’est gênant et indécent, a établi entre elles une complicité de femelles blessées. Maintenant, elle lit dans les soubresauts amortis de ces épaules, de vieilles rancœurs, des désarrois tout récents. Alors, à peine repoussée, elle relance l’assaut, plus fermement cette fois. Elle soutient cette offensive approchant sa bouche des frisottis roux qui agrémentent un cou gracile, caresse la nuque dégagée, tendrement offerte, de la chaleur de son haleine. Devant, on se rebiffe et secoue la crinière en signe de dénégation. La pauvrette encore veut l’écarter, cependant l’asthénie du geste s’oppose à son achèvement. Un instant, elle garde la fouineuse prisonnière, se retourne splendidement effarouchée et la dévisage presque suppliante, douloureusement. Elle paraît hébétée et esquisse un rictus qui se veut probablement sourire. Visiblement, madame a perdu pied et se débat de façon désordonnée espérant échapper à la noyade : c’est là, le moyen le plus efficace pour sombrer.


Céleste s’appuie sur le dossier de son siège et tout doucement halète dans la nuque de l’éplorée, puis s’enhardit et son souffle remonte au long du cou jusqu’à son oreille dont elle effleure le lobe du bout de la langue. Conjointement, elle précipite ses phalanges en avant, et les laisse un moment flâner sur le large décolleté de la blouse. Il faut que l’infortunée s’habitue, attende le meilleur, s’impatiente du pire.

Quand enfin les doigts baladeurs se coulent sous le tissu, la malheureuse frémit, se trémousse et, dans un piaillement aigu, lâche :



… cesser ou continuer ? Il revient à Céleste de choisir.


Devant, on s’y refuse. Cela l’engage à penser que ce sont les deux indistinctement. Sous la peau onctueuse de cette gorge frissonnante, elle constate néanmoins une palpitation affolée qui clame l’acquiescement.


La pauvre Mylène est éperdue. C’est si bon, si poignant, tellement inadmissible ! Elle voudrait crier, trépigner, mais médusée, se sent paralysée. Quand les aiguillons sanglants rampent vers son sein, conduisant l’aspic fourchu, elle se prend à briguer le sort de Cléopâtre, d’autant qu’un autre serpent siffle à son oreille. Les ongles s’enfonçant sous les festons du soutien-gorge, pinçant des tétons étonnamment durs à force d’être dardés, cette chatouilleuse léchant tantôt son cou, tantôt son lobe auriculaire : tout cela est délicieux et confondant. Elle va défaillir, mais peut-être convient-il d’expirer avant toute rédemption et la renaissance à une vie plus exubérante. Elle gigote et se tortille puis soudainement tire sur ses genoux la veste qu’elle avait déposée sur le siège contigu et dissimule sa main dessous. On en est à l’épisode où, à l’écran, un adolescent lutine Alicia sous la table : Dire que je me tripote après avoir refusé cette privauté à mon époux ! .


Céleste n’a aucun doute quant à la nature de l’activité développée sous la veste quand elle remarque que le poitrail de sa proie se soulève et se creuse à un rythme qui s’accélère. Et là, brutalement, elle suspend sa caresse et se retire suscitant un soupir étouffé déguisant une émouvante plainte. Elle inflige à sa pouliche une interminable petite minute de déception, la laisse un instant sur le gril de ses frustrations et concupiscences. Elle en profite pour gribouiller quelques mots sur un papier puis se lève et vient s’établir à ses côtés. Elle ressent fort bien la bourrasque de panique qui dès lors l’ébranle, la devine qui se tétanise avant de lui jeter un coup d’œil furtif et apeuré. De toute évidence, cette femme est sage, n’a guère l’habitude d’être pelotée au cinéma, si ce n’est par son époux, et cède à une fascination, un besoin d’oubli et de revanche. Le bras sur l’accoudoir mitoyen, Céleste voudrait que la rousse vienne l’agripper. Il ne faut pas trop en demander. Elle conduit donc elle-même la fureteuse libertine qui précédemment s’égarait sous la veste vers sa propre bouche et en aspire le majeur après l’avoir ostensiblement humé. L’inconnue piaffe, tente de le soustraire. Peine perdue, Céleste prévoyant le mouvement le maintient fermement puis l’enveloppe de sa langue, le suce et le mordille.


Elle pose doucement sa main sur son genou – tressaillement – la pousse sous la veste – frisson – y déguste les tiédeurs intimes – convulsion… on l’attend ! La dame se mord les lèvres, retenant un cri, un soupir, une exhortation ? Elle resserre les cuisses en coulant un regard mourant à sa persécutrice. Les doigts montent un peu sur le tissu, redescendent, se glissent en dessous. Pour tant que l’obscurité ambiante le permet, Céleste distingue des yeux fous. Ils se révulsent de honte, d’attente, de plaisir… non pas encore, à moins qu’il ne s’agisse du plaisir d’accéder à la supplique si incongrue de ses sens, celui de se laisser faire, de bafouer sa morale et des convictions moribondes.


Elle muse maintenant, très haut, au seuil du sanctuaire, palpe ces chairs si délicates qu’elle perçoit frémissantes. Elle ne fait qu’effleurer la culotte pour imprégner ses phalanges des humeurs suintantes. Désappointée à nouveau, la rouquine jette – oh, presque insensiblement – son pubis en avant. Cela relève davantage du réflexe que de la volonté, mais indique clairement que déjà elle espère tribut plus vif et percutant. Lentement, à regret, les intrus refluent. Ils accrochent maintenant la bouche de Mylène, lui imposent l’odeur de son rut, de la salope en chaleur, le fumet du débordement des sens, du stupre et de l’outrage. Sans être vraiment agréable ni raffiné, le remugle est grisant et puissant. Quelle communion sont-elles en train de nouer, de consommer ? La soumise goulûment tète les doigts qu’on lui tend. À présent, elle halète et Céleste la sent éprise de désirs fous, inavouables, surtout à elle-même. Elle se penche à son oreille et doucement chuchote :



Cette voix, douce, mélodieuse et persuasive ôte à la fragile Mylène toute velléité de rébellion. Et ces mots, aussi improbables qu’irréparables, elle brûle dès lors de les confirmer !


La conquérante s’incline sur elle, la conquise ferme les yeux, entrouvre les lèvres, aspirée par la trombe de ses impatiences. Mais l’autre ne saurait partager sa proie avec une quelconque Alicia. Et puis, ce serait trop facile, trop immédiat. Une nouvelle fois, elle se borne à incendier sa victime de son haleine tandis que, du bout des doigts, elle coince un billet dans son corsage. Très vive ensuite, elle se lève et quitte la salle.


Assommée par ce départ imprévu, Mylène lit et s’étouffe :


« Tu m’excites ! Sommes-nous folles, soyons-le davantage ! Ce soir, 20 h, au bar du Hilton »


Et en guise d’oblitération la trace pourpre de ses lèvres.


Cette sommation la bouleverse. Non, je n’irai pas, qu’est-ce qu’elle s’imagine ! se ment-elle résolument. Pourtant, c’est sans appel, elle se sait déconfite, et ne conçoit cette ultime tromperie qu’en vue de sauver la face, de prolonger un subtil combat qui la déchire.




Acte III – La traque



Céleste est en embuscade. Enfoncée dans son fauteuil, derrière un pilier, elle surveille les entrées grâce au miroir disposé derrière le bar, sans grand risque d’être aperçue. Elle voit sa proie arriver… pas fière, la donzelle ! Elle s’est visiblement pomponnée et a sorti ses fringues de guinche. Ça lui confère un air un peu pute qui la rajeunit encore, signifie aussi qu’elle veut séduire : tant mieux !


Mylène s’avance, mal assurée. Chaque pas accentue son regret d’être là. Chacun l’enlise plus irrémédiablement, plus délicieusement au fond du bourbier de son opprobre. Elle hésite, cherche le bar, imagine que tous la surveillent et commentent son inconduite. Elle aperçoit enfin son ensorceleuse, tapie au fond d’un recoin, hilare presque, dégustant ses ignominies. Quand Céleste se redresse et vient vers elle, Mylène s’étonne de la découvrir si fluette et menue, mais jubile en admirant sa prestance, son charme et son élégance. Est-il simplement possible qu’elle puisse capter les attentions d’une telle dame ? Combien doit-elle paraître insignifiante en comparaison ? Quelle idée d’avoir voulu s’engoncer dans cette tenue de vamp qui la boudine ! En disposait-elle toutefois d’une autre capable de la mettre autant en valeur ?



Et là devant tout le monde, elle s’exhausse sur la pointe des pieds, vient plaquer la pourpre brûlante de ses lèvres sur la lippe gonflée d’angoisse de Mylène. Celle-ci espérait un peu de douceur, un brin de tendresse, un apprivoisement progressif. Finalement, elle apprécie cette promptitude qui la prive de tout recours à la réflexion. L’effrontée la repousse vers un canapé où, docile, elle s’affale épuisée. Perfide, l’enjôleuse se pelotonne tout contre elle.



La tête lui tourne avant le whisky – qu’en sera-t-il ensuite ?



Elle se demande si la flamme qui la dévore est en elle ou au fond du regard de son interlocutrice. Elle croise, décroise, recroise, ses jambes de plus en plus nerveusement, veut encore retenir le tissu qui remonte, inexorable, sur la soie des bas. Elle a pourtant envie, oui, que cette somptueuse créature l’admire, la désire et subodore que précisément son inclination se renforce du fait qu’il s’agisse d’une femme : la rupture n’en sera que mieux marquée. Elle ne se sent ni ne se veut lesbienne, néanmoins Sapho lui ouvre des perspectives de douceur et d’équité.


Céleste la détaille ; elle pourrait être jolie, plus jeune qu’elle d’une dizaine d’années, mais déjà sans âge, affadie par toutes les routines quotidiennes et les déconvenues de la vie. Elle les adore ainsi, des deux sexes, vulnérables, à la merci de ses caprices. Les épouses davantage, car elles sont, elles, conscientes de leur frustration. Une fois happées par le tourbillon, il est rare qu’elles reviennent à leurs tristes raisons. Celle-là s’est trouvée prise dans l’engrenage dès le cinéma et n’aspire qu’à s’y enfoncer. Et Céleste savoure cette peur renforcée d’envies, ses envies tenaillées par la peur, qu’elle remue si fort.



C’est direct et la pauvrette est renvoyée dans les cordes. Elle voulait expliquer son comportement au cinéma, les foudres qui l’ont terrassée, cette fantastique attraction qu’elle ne comprend pas, bref, se perdre en confuses billevesées qui n’auraient, au mieux, trompé qu’elle-même. D’autre part, du moins c’est ce qu’elle croit, elle n’a pas été plus affriolée par le sexe féminin que par la promesse d’aventures délirantes et délurées. Elle s’en moque et ne prétend pas à un acte militant, non, simplement une fenêtre lui semble s’être ouverte vers les exaltations de la vie.


Sa suborneuse n’a que faire de ces savantes exégèses et se concentre sur son art consistant à déstabiliser et rassurer successivement. Non pas successivement, simultanément.



L’insistance avec laquelle Céleste fixe son bas-ventre ne permet pas à Mylène de se méprendre.



L’autre ne réplique rien, tout en renforçant les braises de son regard et elle a l’impression que le tissu de sa jupe va s’incendier. Si elle vacillait à son arrivée, en se levant maintenant et en franchissant la courte distance qui la sépare des toilettes, elle titube et, à chaque pas, le sol lui paraît se dérober alors qu’il ne s’agit que de se déculotter.


Dans le réduit carrelé, elle constate combien sa culotte est imbibée de ses sucs. Cela la surprend, mais autant la rassure ; elle n’a donc pas perdu toute faculté de s’émouvoir.


Être nue sous ses vêtements, bien sûr, elle en avait déjà nourri ses fantasmes, néanmoins cela lui était apparu puéril si tous, à l’entour, l’ignoraient : là elle va assurer le spectacle devant spectatrice… et quelle spectatrice. Quand elle revient, le poing droit fermé sur la dépouille d’une vie antérieure, elle a retrouvé une confiance inusitée.



À ce moment pourtant tout lui paraît possible. Elle se souvient de ces pensées inconvenantes qui, le soir tard, l’exhibaient parfois au coin d’un boulevard ou au comptoir d’un bar mal famé, la tenant éveillée sur sa couche d’infortune où ces excès l’abandonnaient pantelante, tout effarée de ses audaces. Au point où elle en est, abdiquer toute pudeur et décence, sentir un regard lourd de convoitises sensuelles la dévorer, capituler dans l’étreinte des bras d’un inconnu qui la désirerait réellement, lui semblent non seulement envisageables mais enviables et pourraient l’assouvir. Comme pour la conforter dans ses ruminations, l’implacable Céleste reprend :



Mylène ne peut s’empêcher d’ironiser : Elle est toute petite et je ne parviens qu’à la voir immense.


Cinq minutes, c’est plus de temps qu’il n’en faut afin de s’enfuir, c’est une éternité pour brasser des images splendidement exubérantes avec des désirs proscrits, c’est une perpétuité d’émotions. Elle se retient de la poursuivre et de l’interroger :





Acte IV – L’hallali



Lorsque, trois cents secondes plus tard, elle franchit le seuil du tabernacle, Mylène envisage tout, le pire surtout. Une bouffée de lumière solaire orangée l’éblouit, des griffes la saisissent qu’elle reconnaîtrait entre mille, déjà. La voix de miel, un rien éraillée, imperceptiblement chevrotante, ordonne :



On la pousse vers la grande baie vitrée qu’illuminent les ors d’un couchant qui enflamment les acajous rutilants de sa tignasse.

Sa geôlière la lâche, recule un peu, puis commande :



Elle la devine, dans son dos, détaillant ses formes au travers les vapeurs du tissu léger. Elle est fière, fière de ce que présentement elle inspire, fière de s’imposer à une femme, de s’imposer ainsi aussi à sa propre estime.



Elle avait beau s’attendre à tout, accepter amants multiples, cravache et jusqu’à la conjonction des deux, mais se faire elle-même l’instrument de son infamie, devenir simultanément tourmentée et tourmenteuse, là c’en est trop.



Timidement alors, elle remonte la jupe sur ses cuisses. Ces bas qu’elle a enfilés pour faire sa coquette enveniment à présent sa honte. Tout en retenant le vêtement d’une main, elle titille son sexe de l’autre. Son duvet très fin, très clair est détrempé par les larmes amères qui dégoulinent au long de son entrejambe. Jamais aucun homme ne l’a mise en cet état. Un doigt, puis deux, puis trois viennent pincer les cordes de sa lyre intime ; et elle vibre – elle vibre tant qu’elle en oublie l’humiliation. Elle s’ignorait en capacité de dispenser autant de plaisir et s’étonne de constater que les éléments de contexte influent de façon si déterminante sur la satisfaction de pulsions élémentaires. Elle ahane une litanie de borborygmes arrachés à ses tréfonds tandis que son regard s’hypnotise de visages aveuglants : Alicia, Céleste. Elle flageole bientôt sur ses guibolles, tordue et courbée en avant par ses allégresses. Elle lâche sa jupe pour s’appuyer contre la vitre, pendant que l’inquisitrice continue de fourrager au foyer de son jardin secret en la dévastant. Elle sent une ardeur gonfler – ça déflagre dans son ventre et se propage – ça ne va pas tarder à la submerger…



Le ton est doux, mais trop calme et posé. Jouer à tel point l’indifférence, c’est presque une gifle.



L’ordre a claqué, impossible d’y contrevenir, surtout qu’une sourde envie la pousse à s’exécuter. Ces fragrances femelles, pas vraiment agréables, mais si puissantes, si envoûtantes, ces odeurs charnelles terriblement émoustillantes composent un fumet qui semble concentrer des désirs insatisfaits depuis des lustres.



Mylène entend une délivrance en cette injonction. Enfin elle va pouvoir s’accorder à l’autre, ne plus être l’unique objet de ses propres turpitudes, se repaître de sa silhouette, la contempler et l’adorer. Elle a l’impression de renouer avec les amours de ses quinze ans, lorsqu’un frôlement fripon déclenchait des cyclones ou invitait à des béatitudes euphoriques. La belle s’est changée pour se parer d’un étroit fourreau amarante, très moulant que ne décore que le long cordeau de perles de ses boutons. Illuminée par lumières mordorées, elle flamboie ainsi qu’une torchère. Sans contenir ses fougues, la jeune femme se précipite.



L’onctuosité de la voix, plus que sa force de commandement, plie la gentille Mylène à sa sommation. Elle se le tient pour dit et, se précipitant aux genoux de cette maîtresse femme, entame le déboutonnage par le bas accompagnant son ouvrage de blandices énamourées, d’embrassades endiablées. Elle opère si bien, si fort qu’elle tire les premiers gémissements de sa sirène, signes incontestables des troubles engendrés. Dès que les hanches dégagées, elle s’emploie à abaisser les frous-frous de la culotte afin d’accéder à ceux qui ornent un mont de Vénus, jamais plus pertinemment dénommé, et se perdre en haletantes dévotions au cœur de son frisson noir.


Très vite des élixirs bouillants noient sa figure et sa bouche. Jamais elle n’a recueilli les prodigalités d’une consœur et elle s’en oint la face avec délice puis, se conformant à sa prière, fait sauter le reste des boutons de la robe tout en la renversant sur le lit. La belle est nue sous la muleta. Que de trésors dévoilés ! Elle défait le chignon qui libère des vagues ébène sur des épaules et un buste d’opale. Céleste, toute à ses abandons, lui sourit quand elle empaume ses deux moitiés d’orange, si fermes et si tendres, au pinacle desquelles rougeoie un somptueux bourgeon. Mutines, leurs langues se cherchent ensuite, s’évitent puis se nouent pour s’écarter et se fuir à nouveau. Les mains taquines ne demeurent pas en reste, tantôt prévenantes et câlines, tantôt offensives et batailleuses.


Si Mylène, un moment, a aspiré à des amours apaisés, leur fusion est de laves, de cris, de fièvres et d’ardeur. Elles roulent, s’emmêlent de façon si désordonnée que la rousse se retrouve dénudée sans se souvenir d’avoir quitté ses vêtements. Un instant, elle a honte de sa poitrine qu’elle juge trop lourde, mais le brasier qu’y allument les lèvres de Céleste la rassure, d’évidence, elle plaît ainsi. Et ce brasier se fait embrasement lorsqu’elle s’établit à califourchon sur le visage lui ouvrant ses mystères. Lentement, elle se courbe en avant pour agripper ses hanches, perdre sa bouche sur des nymphes si étrangères à ses désirs passés et se gaver encore de leur dive liqueur. Quand, les jambes savamment entrelacées, leurs pubis se percutent déclenchant des ébranlements qui vrillent leurs chairs, les deux femmes soudent leurs regards vides sur un horizon sillonné d’éclairs de jouissance. Mylène, dès lors, n’est plus qu’une longue plainte, un ahanement modulé par quelques trilles plus vifs sur fond d’un râle caverneux. Des scènes orgasmiques combinent onirisme et réalité, plongeant ces pétulantes ménades dans un délire luxurieux. Les draps mêlant leurs sueurs et leurs mouilles sont à la fin les meilleurs témoins de leurs débordements, qu’il faut entendre au propre comme au figuré.


Une fureur passionnée balaya tout. Mylène vécut la soirée comme un feu d’artifice, sauf que seuls y explosèrent deux corps enflammés par leurs effusions. Oui, une tourmente l’emporta ; oui, elle sentit ses chairs, son sexe, ses seins ravagés. Ce ne fut rien en comparaison de la tornade qui saccagea son esprit. Ce plaisir négligé et oublié, si farouchement prohibé, la faucha, la bouleversa jusqu’à l’anéantir ; un retour de boomerang, aussi virulent que terriblement exultant. Plusieurs fois, Céleste la confronta au grand miroir qui trônait, face au lit, dans la chambre. Elle eut une difficulté extrême à reconnaître cette tribade rousse échevelée, cette splendide femelle cabrée par ses émois, aux naseaux frémissants, aux babines luisantes des sèves de sa comparse et lui fut infiniment reconnaissante de lui dévoiler ainsi ce versant de sa personnalité.


Si au début, elle se montra plutôt craintive, passive et réservée, bientôt elle ne tarda pas à compenser d’immémoriales frustrations par des véhémences qui stupéfièrent sa partenaire.


Céleste aussi, depuis le cinéma, avait volé de surprise en contentement. Elle, la perverse petite rouée qui préférait de coutume circonvenir à consommer (mais est-on perverse pour si peu ?), atteignit au bonheur dans les deux registres. La candide Mylène la combla au-delà de ses espérances. Si d’ordinaire, elle ne se laissait guère transporter, elle accéda à une vraie volupté, se prit à son propre jeu et les ingénuités de cette jeune rouquine la ravirent autant que ses impulsions. Elle atteignit, entre ses bras vigoureux, à une détente et une évasion que l’attention portée à ses manigances lui escamotait trop souvent. Dès le départ, les alternances de ses alarmes et de ses élans, de ses rebuffades et de ses ferveurs l’avaient enchantée. Elle dégusta ensuite les langueurs de sa proie, surveilla d’un œil attentif les palpitations de sa poitrine, les spasmes de son ventre. Elle la vit passer une langue fébrile sur ses lèvres desséchées tandis que ses yeux se révulsaient. Vanité et succès d’amour propre, certes, mais pas seulement. Voulait-elle se rassurer quant à ses capacités de séduction ? Elle n’en avait cure ! Non, d’une manière générale, elle aimait le sexe exempt de contraintes, les étreintes fugitives d’un soir qui l’élevaient sur des sommets ourdis si délibérément éphémères qu’elle n’appréhendait pas d’en choir.


Mylène enfin dut se faire violence pour se résoudre à la quitter et rentrer chez elle. À aucun moment, elle ne s’était conçue sous l’emprise de Sapho. Ce n’était pas ses semblables qui l’attiraient, c’était celle-ci. Celle-ci qui, depuis le cinéma, depuis cette main lovée sur son épaule, l’avait rendue folle, annihilant le poids de ses lugubres ratiocinations. Et c’était si bon d’être folle ! Une détermination supérieure et étrangère l’avait gouvernée et elle avait senti qu’elle ne s’appartenait plus. Elle comprenait ce que certaines lui avaient décrit sous le vocable d’enchantement : un mystère qui travestit la réalité pour l’embaumer !


Elle savait que désormais sa vie basculerait et que d’un monde de faux-semblants, elle verserait dans celui d’authentiques passions. En trois heures de câlins éperdus, elle n’avait temporairement abdiqué sa volonté que pour mieux la recouvrer et venait de reconquérir une plénitude de femme.




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Si le lecteur souhaite découvrir un peu mieux le personnage de Céleste, il pourra lire « Les intransigeants » d’Asymptote sur le présent site.