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n° 19036Fiche technique50482 caractères50482
Temps de lecture estimé : 32 mn
13/06/19
Résumé:  Des retrouvailles un peu farfelues... loufoques... registres de narration différents...
Critères:  fh confession -regrets
Auteur : Achour      Envoi mini-message
Une poire pour la soif




Sur sa page Facebook, Malika fanfaronne. Il n’est question que de ses prochaines vacances à Paris. En guise d’avant-goût, elle a illustré son envie par quatre photos ornées par ce commentaire, pour le moins, prometteur, on va dire, « C’est pour bientôt, au mois d’août »… Les photos montrent l’incontournable Tour Eiffel, la Bastille et le Sacré-Cœur. La quatrième est un petit médaillon qui représente la frimousse de Malika…


Edouardo sourit. Il fait même un « hein » aussi dubitatif que rêveur à lui-même. Cette frimousse, il la connaît très bien. Et comme chaque fois qu’il la croise, il ne peut s’empêcher de la regarder dans les yeux. Malgré le flou volontaire de la photo, le regard est assez expressif… Edouardo s’en détourne rapidement et passe à autre chose, n’importe quoi… Mais, aussi fugace qu’il soit, ce regard amène toujours avec lui un voile de mélancolie…


Malika était son ex. Ils ont tenu ensemble plus de deux ans. La première année, ils ont atteint le sommet, avec vue imprenable sur l’amour, le bonheur… La deuxième, ils ont entamé la phase descendante. Les dernières semaines, c’était carrément la dégringolade, affreuse… Disputes, insultes… Un jour, elle a décidé de retourner chez sa mère, à Montpellier… Seule… Et elle y est toujours, d’ailleurs, depuis maintenant… Trois ans, trois ans et demi…


Ils ne se sont jamais revus depuis cette séparation. Mais ils ont continué à se suivre, à s’épier même, sur Facebook, comme en témoignent les multiples « j’aime » et « j’adore » qu’ils s’échangent régulièrement… Ce n’est pas très consistant, certes… Mais, apparemment, de part et d’autre, ils continuent à s’accrocher à ce fil, aussi ténu qu’il soit… Il leur arrive même de parler ensemble sur Messenger. Mais leurs conversations, un peu forcées tout de même, sont restées superficielles, limite agressives, mâtinées d’envie et de bouderie… Cette fois encore, Edouardo est allé de son « j’aime », histoire de dire qu’il prend note et qu’il est là… Et dès le lendemain, il s’installe devant son écran pour voir la suite…




*****




La suite, sur la page de Malika, ce sont pas mal de « j’aime », quelques « j’adore » et quelques commentaires… Une amie a commenté par un : « la channnnce ! ! ! ! », ce à quoi Malika a répondu par un cœur reconnaissant…


Edouardo continue à lire les commentaires… Une autre amie : « ça me fait penser au roman de René Fallet, Paris au mois d’août »… Cette fois Malika répond plus longuement : « Ouiiii ! Figure-toi que j’ai lu ce roman il y a quelque temps maintenant. J’en garde un très bon souvenir. Je me souviens, je lisais et me promenais sur les lieux mêmes de l’action »…


Edouardo n’en lit pas plus. Il sort de chez lui et se met à marcher. Il veut sourire, mais il s’en empêche. Il s’en veut de vouloir sourire. Il se tend. Il se torture. Mais il finit par sourire. Oui, bon, j’ai le droit de sourire quand même, se dit-il, puisque je sais que ça me fait plaisir…


Plus que plaisir, ça le met en extase ! Ce roman dont elle parle avec… Avec quoi au juste ? Mélancolie ? Tendresse ? Peu importe… Le fait est que ce roman, c’est lui qui l’a offert à Malika. Ils en ont lu de longs passages ensemble et, enlacés en amoureux, ils se sont promenés sur les lieux de l’action, les quais de la Seine, vers la Samaritaine, en riant et en s’embrassant… Alors, coïncidence ou appel du pied ? Patience, patience… Le pied, il faut le garder sur terre maintenant… Les deux même…




*****




Edouardo a passé les jours suivants à penser à Malika, guettant le moindre signe qui viendrait renforcer ce qu’il a pris pour un appel du pied. Rien n’est venu dans ce sens, cependant. Au contraire, c’est dans le sens inverse qu’est venue une indication. Il a ainsi appris au fil des commentaires que Malika logera dans le studio d’une copine. En échange, elle lui laisse son appartement à Montpellier pour la même période. Pas la peine de lui proposer de l’héberger, donc… Voilà, voilà, ne rêve pas…


Il continue à en rêver, néanmoins. Et plus il en rêve, plus il est tourmenté, émoustillé, excité… Il a envisagé mille façons de tenter quelque chose, de tendre une perche… Mais il n’a rien fait. La peur d’essuyer un énième échec le paralyse… Ses précédentes tentatives sont restées aussi vaines que douloureuses… À une semaine du mois d’août est venu le signe qu’il a désespéré de voir. Au commentaire d’une amie : « ça me donne envie de le lire ce roman, tu l’as ? », Malika a répondu : « Oui, mais fais attention, hein, j’y tiens. Il me rappelle trop de bons souvenirs »…


Edouardo est aux anges. Tu parles d’un méga signal ! Elle a envie de le revoir là, c’est clair, fils de clair… Vas-y maintenant, tente quelque chose, saisis la perche… Il s’empresse donc de commenter par un cœur… Pas la peine d’en dire plus, putain ! Elle sait et il sait qu’ils parlent de la même chose… Bon, et après ? Après ? Après Il va s’arranger pour l’attendre à la gare, genre surprise, tu vois… Puisque, par un autre commentaire, il a appris qu’elle prend le train, elle finira bien par lâcher un indice sur l’horaire…




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Effectivement, l’indice n’a pas tardé. À une amie qui lui demande si elle est prête, Malika répond par : « Ouf ! Les bagages, je te jure ! Heureusement ma copine vient m’attendre à la gare avec sa voiture »… Grillé, Edouardo ! Grillé fils de grillé… Et elle arrive demain… Tant pis… Il recourt à Messenger…





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Vers les vingt-trois heures, ils quittent le restaurant. Le repas est resté au stade de round d’observation, bons amis sans plus. Edouardo a bien essayé quelques discrètes ouvertures, à coups de compliments, de regards enamourés, admiratifs… Ça, pour l’admiration, Dieu lui est témoin, il n’a pas à forcer. C’est vraiment une belle femme, la Malika ! Son regard s’est alourdi, chargé de ne je sais quoi de majestueusement sensuel, voluptueux… Sa chevelure, fournie et frisée, lui donne l’air de ce qu’elle est, une lionne qui sait et peut aussi bien câliner que lacérer… Edouardo se dit que si, jusqu’à présent, il n’a pas réussi, il n’a pas échoué non plus… Et c’est ce qui importe le plus… Du moment qu’elle est toujours là, en sa compagnie, tous les espoirs sont permis… Gagne du temps, mon vieux, gagne du temps…


De la place d’Aligre, ils coupent par l’avenue Ledru-Rollin, puis se dirigent vers la Seine, côté quai de la Rapée… Ils continuent vers l’île Saint-Louis, traversent le pont de Tournelle et atteignent la rive gauche… Les voilà en plein Quartier latin… Parvenus boulevard Saint-Germain, Edouardo propose de boire un verre… Malika regarde sa montre… Ça y est, se dit-il, elle va prononcer la phrase couperet, tant redoutée, genre il est tard et compagnie… Mais Malika ne dit rien. Elle prend place à la terrasse d’une brasserie et Edouardo jubile. Il s’assoit en face d’elle… À peine installés, Malika attaque…



Avant de répondre, Edouardo prend son temps. Il enveloppe Malika d’un regard de chien battu et assoiffé, humble autant que lubrique…



Malika pose ses coudes sur la table et approche son visage d’Edouardo. Ravi, il fait la même distance en sens inverse. Mais le sourire de Malika le maintient à distance, sur la réserve… Un sourire border line, qui conjugue à la fois l’ironie et le scepticisme, l’espièglerie et la provocation… Edouardo en est perplexe. Au pire, se dit-il, ça sera pour demain soir… Cette idée le réconforte un peu… Il se sent gagné par un surplus d’assurance… Il élargit son sourire…



C’est le serveur qui a choisi juste ce moment pour venir prendre commande. Malika se retourne vers lui et le gratifie d’un sourire de type paradisiaque…



Le serveur s’éloigne… Et Edouardo s’étonne…



Edouardo se crispe et se recule. Le serveur revient…



Malika se retourne vers lui et lui sourit comme si elle allait l’embrasser…





*****




Ils ont bu leur verre et ont commandé deux autres. Edouardo reste crispé, toutefois. Il fait ce qu’il peut pour se contenir, faire bonne figure… Mais le moyen de chasser ce voile de dépit et de tristesse qui lui mine le visage ! Jamais il n’a été aussi sincère avec elle, pourtant ! Et elle s’obstine à le soupçonner de Dieu sait quoi… C’est tellement injuste ! C’est vraiment bizarre, les femmes quand même…



Edouardo sourit et baisse la tête. Malika triomphe…





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Ils n’ont pas beaucoup parlé, ni sur le chemin du retour ni chez Edouardo. Ils ont disposé de la salle de bain tour à tour et ont regagné chacun son lit. Bon prince, Edouardo lui a laissé sa chambre et s’est contenté du canapé dans le salon. Toutes lumières éteintes, ils se sont endormis…


Edouardo, après un moment d’hésitation, allume son portable. Tiens ! Malika est connectée aussi ! Putainnnnnn ! Comment va-t-il faire, maintenant, pour ne pas lui parler ! Au moins lui souhaiter bonne nuit…





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Et c’est ainsi qu’ils ont passé leurs vacances, les plus belles de leur vie sans doute… Mais dès le quinze du mois, Edouardo a commencé à compter à rebours les jours et les nuits. Plus que quatorze jours, treize… Le matin il se réveille triste à l’idée qu’un jour nouveau est commencé et la nuit il s’endort heureux à l’idée qu’il va la passer dans ses bras. Une semaine avant la date fatidique fixée pour le retour de Malika à Montpellier, Edouardo est devenu franchement irritable. Il ne fait que répéter sans cesse : « je ne veux pas que tu partes, je ne veux pas que tu partes »…


Installés dans une brasserie proche de la place Contrescarpe, vers les dix heures du matin, ils savourent un petit déjeuner d’amoureux. Malgré tous ses efforts pour prendre sur lui et ne pas geindre, Edouardo est, ça se voit, bien triste, préoccupé… Malika s’agace…





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Nous avons laissé Malika la femme et Colombine la pigeonne dans le jardin. Sans s’en rendre compte, Malika a posé une question à Colombine : « Comment t’as fait pour trouver un mec ? »… Qu’elle l’ait posée réellement ou qu’elle l’ait simplement imaginée, peu importe. En revanche, ce qui est sûr, c’est que Colombine a répondu…





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Non, je n’ai plus grand-chose à ajouter à ce qu’a dit Colombine, à part ces quelques petites nouvelles que je vous livre. Nous sommes au mois de décembre et je suis à mon sixième mois de grossesse. J’attends… Héhé… Une fille ou un garçon à votre avis ? Je ne vous le dirai pas ! Et pour cause, je ne le sais pas moi-même ! Maître Edouardo s’est montré inflexible, on ne saura pas le sexe du bébé avant la naissance. Comme ça, a-t-il, argué, tant qu’il n’a pas encore vu le jour, on le traite avec équité, quel que soit son sexe. Je n’en suis pas convaincue, mais j’ai accepté. Ça fait plaisir à mon Edouardo et c’est ce qui compte…


Il est dehors en ce moment, à chercher des bûches. Moi, je suis confinée dans la maison aussitôt la nuit tombée…



Et voilà comment il a fait de moi sa prisonnière… La plus heureuse des prisonnières, je dois dire. Il fait bon chez nous. J’ai préparé la place de mon Edouardo, sur le fauteuil, avec son café, ses lunettes, son livre… Ah oui, il est en train de me lire Anna Karénine ces jours-ci, à haute voix… Il faut que notre enfant baigne déjà dans la littérature russe, d’après lui… Il faut dire que c’est un roman prenant, Anna Karénine… Et lu par mon mari, chaque mot prend son sens… Je l’écoute, assise à ses pieds, la tête sur ses genoux… Lecture… Baisers… Caresses…




FIN



ACHOUR