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n° 19091Fiche technique42507 caractères42507
Temps de lecture estimé : 24 mn
19/07/19
Résumé:  Une approche peut-être un peu différente du candaulisme ! Y ai-je réussi ? Les lecteurs me le diront.
Critères:  fhh cocus jalousie cérébral exhib -vengeance
Auteur : Scarlett O            Envoi mini-message
Tremblement de chair ou la belle Élise




Élise, encore toute nue, achève sa toilette lorsqu’elle entend Luc lui recommander :



Oh oui, elle sait et se dit que c’est reparti pour un tour !




oOo




Luc est extrêmement fier de sa femme, une jeunette qu’il a épousée il y a cinq ans alors qu’il venait de fêter ses trente ans, qu’elle n’en avait que vingt-deux et que cette séduisante gamine ne manquait pas de prétendants. Très svelte, des jambes splendides, une taille de guêpe, un buste divin, un fin visage encadré de soyeuses mèches brunes naturellement bouclées, elle capte les attentions qui s’enflamment vite de désir. Le bonhomme n’est pas du genre à dissimuler un bijou précieux au fond d’un coffre-fort et entend afficher devant tous le sujet de sa vanité.


Au début, la gentille Élise se prêta au jeu avec l’ingénuité nécessaire pour qu’il parût spontané. Elle s’enorgueillit des prévenances qui la poussaient sur le devant de la scène, se flatta de cette folle admiration que lui vouait son mari, et qui se raffermissait de celle des autres au fil du temps. Bientôt, l’époux estima néanmoins que l’écrin faisait de l’ombre au joyau en en dissimulant trop les plus belles gemmes. Les atours de sa princesse s’allégèrent et en costumier exigeant, il s’initia au choix des organdis éthérés, des soies translucides et des mousselines vaporeuses. Il devint expert en dentelles à larges mailles et résilles légères de toute texture pourvu que l’étoffe y cédât aux ajours. Élise encore se divertissait de ces vêtements qui la déshabillaient si élégamment et Luc, toujours, s’ébaudissait de ses succès. Il recueillait les regards ardents qui caressaient l’élue de son cœur comme autant de compliments adressés à sa personne.


Cependant, les premiers nuages s’amoncelèrent, car plus on dévoile sa fortune, plus on pousse à rapine et quelques goujats crurent que la dame s’offrait effectivement, voire que c’était avec l’agrément de son conjoint. Ils entreprirent de la courtiser ouvertement. Mal leur en prit. Luc encourageait et admettait les hommages, entendait que sa compagne y réponde à condition qu’ils demeurent feutrés, qu’on s’en tienne à un pieux badinage ; pas touche… surtout. Virulent, il s’en prenait à tous ceux qui lui semblaient avoir outrepassé les déférences visuelles ou verbales. Puis, lorsqu’ils se retrouvaient isolés, la malheureuse recueillait ses remontrances l’accusant d’avoir suscité ces attitudes déplacées. Dès lors, il imagina le pire et l’accusa de contrevenir aux devoirs d’une digne épouse.


Une jeune sirène, friande d’éloges, aussi encensée qu’Élise, ne résista pas indéfiniment à des déclarations enflammées, servies par des frimousses très engageantes. Avec l’intelligente rouerie propre à son sexe, jamais son époux ne suspecta ceux qui profitèrent de ses bontés tant elle sut détourner les soupçons, faire accroire que c’était des autres que venait le danger. D’ailleurs, elle ne connut pas de vraies aventures et se borna à des récréations éphémères, car elle aimait son mari.


En dépit de ses accès d’humeur, Luc l’engagea quelque temps après à se passer désormais de soutien-gorge et à parader en bas et porte-jarretelles sous ses tenues. Cette fois Élise tenta de le dissuader, de lui expliquer qu’avec ses tétons déchirant les guipures du corsage et ses chairs nues surlignées d’une jarretelle sous la voilette presque transparente de la robe, on allait la juger garce au moins, et qu’il lui serait peut-être difficile de contenir certaines réactions. Rien n’y fit et elle n’insista pas. Elle avait pris conscience qu’elle appréciait ces ferveurs qui la mettaient sur un piédestal ou lui valaient des dévotions très appuyées et, plus essentiellement, qu’elle se délectait de ces immodesties. Elle aimait plaire – c’est lot commun – et son mari avait exacerbé ce penchant. Elle détestait toutefois la louange vulgaire adressée plus aux charmes de son popotin qu’à ceux de son esprit. Une sage modestie lui interdisait de se laisser enfumer par des encensements outranciers auxquels elle faisait parfois mine d’accorder crédit.


Ce fut à cette époque que l’entreprise de Luc fêta le vingtième anniversaire de sa création et la salve de discours se prolongea par un apéritif dînatoire qui devait s’achever en soirée dansante. Tout le ban et l’arrière-ban des employés, clients et fournisseurs, beaucoup de monde avait été convié. Évidemment, Luc s’enthousiasma de l’aubaine et soigna spécialement la prestance et les élégances de son épouse.


Son employeur, Bernard Durieux, la quarantaine fringante, fort de son statut de chef d’entreprise, d’un physique sportif avenant et d’un portefeuille bien garni ne ménageait rien ni personne. Pour quelques individus, la haute opinion qu’ils se font d’eux-mêmes rabaisse corrélativement celle dont ils affublent les autres. Cet usage recèle néanmoins un écueil. À quoi sert-il d’être aussi extraordinaire si seuls des gens très ordinaires reconnaissent vos talents ? Afin d’y pallier, il intronisait régulièrement une adulatrice (certains affirmaient qu’il en était souvent plusieurs) qu’il parait de toutes les plus brillantes vertus et aptitudes tout en lui imposant d’encenser les siennes. On le disait grand coureur de jupons ce qui, aujourd’hui, au pied de la lettre, se réduirait à peu de choses. Ce soir-là, dès qu’il entrevit Élise, il sut qu’elle était éligible au poste. Quand son mari la lui présenta, il retint longuement sa main.



Ce mot lancé avec une outrecuidante morgue lui valut d’être instantanément pris en grippe par Élise qui, cinglante, rétorqua :



Elle ne sut toutefois pas s’empêcher de jeter son buste en avant. Il accusa le coup et son œil qui n’avait d’abord brillé que d’un éclat égrillard s’alluma d’une nuance de respect. Oui, décidément, la jeune femme pourrait occuper la charge.


Elle connaissait la réputation de ce Don Juan dont l’une de ses amies avait été la triste victime et ses exploits défrayaient fréquemment les conversations des collègues de son époux. Tout au long du cocktail, il l’avait ensuite cherchée et couvée du regard. En tant que chef d’entreprise, il se devait pourtant à ses plus gros (dans les deux sens du terme) clients. Elle essaya de l’ignorer tout en comprenant qu’à le fuir ainsi, elle montrait une certaine anxiété et sa vulnérabilité. Alors, parfois, résolument, elle le harponna à son tour de clins d’œil incendiaires. À plusieurs reprises, le matamore surgit derrière son dos et posant la main sur son épaule se pencha dans son cou en lui susurrant quelque anodine question dont, à l’évidence, il se moquait éperdument de la réponse. À chaque fois, elle repoussa la main assez brutalement et lui répondit sèchement. Quand, prolixe en flatteries, il loua sa beauté et son intelligence, elle l’admonesta en rétorquant :



Deux choses l’énervaient : que son mari ne bronche pas et que ce stratagème semble la désigner à tous, bien entendu au fait de la sulfureuse réputation du maître de céans, comme la nouvelle élue en titre.

Quand les danses s’amorcèrent, il tenta de l’inviter, mais elle prétexta une douleur à la cheville pour décliner. Il revint régulièrement à la charge sans plus de succès. Assez tardivement, le disc-jockey interrogea :



Élise qui suivait des cours de tango argentin et adorait cet exercice se porta aussitôt volontaire. Il fallut que l’animateur insiste afin que trois autres femmes la rejoignent.



Effarée, elle vit le Bernard la rallier, elle, sur la piste. Après de nombreux appels, le disc-jockey leva un second puis un troisième cavalier et l’une des dames profita de la défection masculine pour disparaître discrètement, non sans soulagement. Il ne serait donc que trois couples à s’exhiber et ce n’était pas là, en ce qui la concernait, vain mot. Dans sa tenue courte et presque diaphane, elle allait divulguer beaucoup de sa personne sous les feux des projecteurs qui transperceraient ses frêles atours.


Dès les premiers pas, elle dut reconnaître l’indéniable expérience de son partenaire, un vrai danseur de tango, qui la guidait de tout son corps, par son poids, son buste et non les bras. Ses mains n’en restaient cependant pas inactives et l’une broyait ses phalanges tandis que l’autre semblait vouloir s’incruster dans ses reins. Leurs pupilles à tous deux flamboyaient de défi. Ils se mesuraient, attendant chacun une défaillance de l’autre. Bientôt pourtant, il lui importa peu, elle fut toute à son art et s’envola, transportée. Le brouhaha des conversations s’estompa très vite ; indubitablement, ils monopolisaient les attentions. Elle devinait les regards ardents qui, derrière les sunlights, l’escortaient, épiant les frémissements de son corps et les bonheurs de sa chair, reluquaient ses seins modestes certes, mais bien modelés et cabrés sous la voilette, ses jambes superbement galbées cambrées sur leurs aiguilles et se découvrant, dans de furtifs éclairs, très haut au-dessus des jarretelles. Elle augurait aussi des fébrilités de son époux, galvanisé par l’admiration qu’on lui consacrait.


Elle en oublia le butor pour ne considérer que le cavalier qui la conduisait. À peine se furent-ils accordés et trouvèrent-ils l’harmonie qui devait leur permettre de se libérer totalement que la musique se mit à nasiller puis s’étouffa, après un couac retentissant. Le disc-jockey confus annonça que l’ampli de sa sono venait d’expirer. Malgré cette interruption lamentable, les danseurs furent chaudement applaudis et Bernard se précipita sur l’électronique essayant de remédier à une panne qui s’avéra hélas définitive. Cette fin des danses sonna le glas de la soirée elle-même qui promptement s’acheva.


Le lendemain, son patron complimenta Luc, lui déclarant sa femme charmante (traduire bandante) et regretta que cet incident absurde ait tout gâché alors qu’ils étaient en passe de se rapprocher (entendre qu’il allait la peloter).





oOo




C’est ce samedi-là que nous surprenons Élise à sa toilette. Bien sûr, elle a entendu les recommandations de son mari et ce ne sont pas elles qui motivent son hésitation, néanmoins aujourd’hui elle se demande si, contrairement à ses habitudes, elle ne va pas y déroger et refuser de s’exposer au mufle qui est leur invité. Et puis, après tout, pourquoi ne pas le faire marcher, il sera toujours temps d’aviser.

Dès son arrivée, Bernard l’étreint fermement et tente de faire déraper son baiser vers ses lèvres. Elle fuit et se borne à effleurer sa joue.



Élise a compris, le programme est fixé et on a cure de son consentement. Le goujat ne va pas la lâcher et les allusions grivoises vont se succéder.

Ils s’agglutinent autour de la table basse. Luc occupe le fauteuil tandis que Bernard s’établit au centre du canapé, ne laissant d’autre recours à Élise que de se serrer dans l’angle contre lui.



Le fourbe sait se ménager des entrées fracassantes. Luc a en effet postulé à cette fonction, sans grand espoir de satisfaction, car d’autres lui paraissaient aussi compétents, bien que nantis d’épouses moins séduisantes, ne peut-il s’empêcher de penser immédiatement.

Lorsqu’Élise revient, apportant les coupes, elle reprend place à ses côtés.



Ce disant, pour apprécier la « sveltesse de la fringante compagne », il la déshabille du regard tandis qu’avec une savante nonchalance, il frôle régulièrement son genou au cours de manœuvres que le mari semble ignorer. L’apéro et le repas se déroulent ensuite dans une ambiance tendue, parsemée d’escarmouches et les discussions s’étiolent sans enthousiasme. Les esprits divaguent ailleurs.


Le libertin sait qu’il pourrait dès à présent pousser ses offensives. Cependant, il adore que ses proies grillent sur les braises de leur concupiscence, d’autant plus languissantes qu’il les aura longuement et soigneusement échauffées, d’autant plus vulnérables que mieux aguichées. Toutefois, le bonhomme présume Élise moins perspicace qu’elle ne l’est réellement et l’estime victime innocente et candide de ses billevesées. Il multiplie les flatteries, l’hommage de ses yeux qu’il adresse tant au minois, qu’au buste ou aux jambes et si le harcèlement visuel existait, monsieur en serait émérite. Il limite les gestes juste à de fugitifs effleurements, non pas par peur de se voir rembarré, mais il se réserve pour le dessert et n’aime pas écorner son plaisir.


Élise s’impatiente effectivement. Elle a prévu des assauts qui ne viennent pas et des répliques percutantes dont elle s’étouffe à force de les ravaler. Pendant tout le repas, elle s’exaspère de ne subir que quelques flagorneries. Cette situation exacerbe les tensions générées par l’attente et, elle en a pleinement conscience, la déstabilise et la fragilise. Elle a déjà constaté, avec surprise, que des renommés scandaleuses, en dépit des condamnations sans ambages dont elles font l’objet de la part des femmes, loin de les faire fuir, les attirent curieusement, surtout les plus sages. Elle s’est dit, qu’à l’instar des phalènes fascinées par la flamme qui va les brûler, qu’elles n’ont de cesse de virevolter autour de ces personnages pervers, tant qu’elles ne leur ont point succombé. Il n’y a nulle hypocrisie dans leur comportement et elles blâment ces Don Juan aussi sévèrement et de bonne foi qu’elles désavouent ultérieurement leur propre comportement et c’est à leur corps défendant qu’elles obtempèrent aux obscures exigences qui les contraignent à confirmer la force de l’inéluctable en dépit de leur volonté et de leur goût. La jeune femme devine qu’elle se compromet dans une telle périlleuse dynamique et se demande quels seraient les agréments supplémentaires que le prétentieux pourrait lui fournir par rapport à d’autres hommes et son mari spécialement. En même temps, elle n’hésite pas à tendre son chemisier sur l’insolence de ses tétons ou à fendre sa jupe très haut sur la lactescence provocante de sa cuisse.


Le désappointement de Luc s’accroît progressivement. Il n’est pas sot et savait fort bien qu’il invitait le loup dans la bergerie familiale. À cet instant, il est partagé jusqu’au déchirement, flatté par l’admiration que son patron porte à sa femme, content de la promotion importante qu’on lui fait miroiter et, selon son habitude, dévoré de jalousie. Ce cocktail est explosif. Il se rassure en se disant que même si sa chère Élise cédait aux charmes du bellâtre, la Bavière imposerait bientôt une distance qui mettrait terme à toute idylle. Plus viscéralement, ainsi qu’à chaque fois qu’il s’est trouvé dans ces circonstances, des envies contradictoires le tenaillent. Oui, il tient à son Élise et n’admet pas de la partager, pourtant, s’infligeant un grand écart absurde, il reconnaît nourrir un désir insensé et sauvage de la voir se convulser nue, soumise à une étreinte étrangère.


Il l’imagine défoncée par un braquemart monstrueux, se tordant gémissante sur le pal d’un quelconque Casanova, déployant des fureurs insoupçonnées alimentées par l’incongruité d’une situation à laquelle elle aurait cédé presque malgré elle. Il se l’évoque, prise en levrette, cabrant son poitrail et offrant ses fesses à l’épieu qui la défonce, se révulsant d’un plaisir animal, et venant tout à la fin, barbouillée de sperme, quêter le refuge de ses bras en vue de le consoler et se consoler, honteuse d’avoir goûté tant de ravissement dans ceux d’un autre.


Il discerne confusément la dépravation de ses incontrôlables pulsions, aussi irraisonnées que déraisonnables, et concède que sa passion possessive loin d’y faire obstacle en est l’aiguillon ; que paradoxalement, c’est elle qui le pousse à exhiber sa douce moitié, que c’est elle qui l’enflamme d’une appétence trouble et revitalise ses convoitises jamais plus qu’en ces moments où la belle est susceptible de lui échapper. Il s’interroge sur la manière dont elle vit ceci, suppose qu’elle se délecte de sa jalousie et l’interprète comme une preuve d’attachement. Cède-t-elle au reste, ainsi que le prétendent certains à propos des femmes, à des instincts de salope si friande de la giclée que prête à se faire saillir par n’importe qui ? Si, dans son esprit, Bernard condense tous les prestiges, il n’en a pas moins été enchanté quand son épouse lui a confessé l’antipathie qu’elle voue au personnage. Elle ne s’adonne donc à ces manigances qu’en vue de lui complaire à lui, sans faire courir de vrais risques à leur couple. Sa nomination à Munich augmente cependant ses embarras en le mettant en position de dépendance reconnaissante et il redoute que d’aucuns n’y voient qu’une promotion canapé par délégation.


C’est dans ces dispositions et la perspective d’une conflagration que les trois regagnent le salon après le dîner, chacun avec ses pensées, ses craintes et ses envies.

Bernard jubile tant il aime tenir ce rôle de l’araignée ourdissant sa toile. Il est désormais confiant ; une sorte de prescience lui indique, à coup sûr, qu’une nouvelle conquête lui est promise. D’ailleurs, si la belle regimbe encore, sa respiration s’est faite courte, trop courte. Elle allume en son œil cette étincelle qui révèle clairement qu’elle n’aspire qu’à se donner. Elle fera peut-être mine de le contrer, lui opposera quelques dénégations purement formelles, néanmoins l’attitude de madame a d’ores et déjà changé et il a parfaitement compris qu’elle l’attend et s’énerve de cet assaut sans cesse différé qui l’agace.


Il l’a aperçue écartant volontairement les pans de sa jupe afin de bien exposer la jarretelle ; leurs regards se sont alors croisés et elle a dû saisir qu’il n’était pas dupe de ses minauderies. Il est fier de lui, car la partie lui semblait délicate et il déplore presque l’excessive vulnérabilité des remparts dont elle se protège. Hormis ses appétences pour cette jeune beauté, il n’éprouve rien à son égard, tout au plus admire-t-il son sens de la répartie, mais il cède avant tout à l’éternel besoin de se rassurer quant à ses capacités de séduction. Luc, lui, condense ses mépris. Il s’en méfie toutefois et le surveille étroitement, car il le sent instable et susceptible de déraper au plus mauvais moment. Plein de malice, il se demande quelles grimaces afficheront les tourtereaux quand ils s’embrasseront demain ?


À peine ont-ils repris leurs places au salon que le portable de Luc sonne. Élise, prétextant la préparation du café, s’éclipse à la cuisine. Celle-ci n’est séparée de la pièce à vivre que par un muret surmonté d’un large plan de travail accueillant lui-même des étagères décoratives à claire-voie. Bernard qui s’est approché silencieusement se place derrière elle en évitant de la toucher, puis se penche sur sa nuque qu’il enflamme de son haleine. Sans l’avoir vu venir, elle perçoit sa chaleur dans son dos. Elle sait qu’il est là et se maudit de sa disponibilité, de ses empressements. Lorsque Luc auparavant s’est précipité sur son téléphone qui émettait une sonnerie bizarre et a dit « C’est ma nièce, Vanessa, celle qui souffre d’un cancer », elle a compris qu’il voulait s’effacer et lui laisser le champ libre, car elle ne lui connaît aucune nièce de ce nom.


Elle clôt maintenant ses paupières, présageant l’imminence d’une attaque. Un doute la taraude ; qui donc compte-t-elle satisfaire en accédant à l’inepte sollicitation qui l’a entraînée à cette situation ? Le cador… assurément, non ! Luc ? À son sujet, elle doit s’avouer qu’il ne lui déplaît pas de l’enferrer sur le pal de ses jalousies et qu’en l’occurrence ses sentiments se résumeront à cela ! Tout au fond, elle doit bien admettre aussi que cette conjoncture l’allume et qu’elle brûle de s’essayer, pour une fois, à l’amour sans s’encombrer d’amour, que sa sensualité la pousse au sexe, au sexe brut, brutal même, qui lui permettra de jouir sans souci de l’autre.


Bernard la devine qui se raidit, basculant sa tête sur le côté, tendant l’albâtre frissonnant de son cou, dégageant d’un geste gracieux la mèche qui y folâtre. Il administrerait volontiers l’embrassade du vampire à cette gorge gracile qui palpite, mais souhaite surtout éterniser ce moment qui suspend leurs désirs. Dès qu’il y aura planté le sceau brûlant de son baiser et reçu son agrément, la suite ira de soi, la partie sera gagnée. Il regrettera alors une trop prompte reddition. Tous ces atermoiements ne visent qu’à prolonger des minutes exquises. Elle a fermé les yeux et pousse un léger soupir presque imperceptible. Quand il pose ses lèvres, juste sous l’oreille, elle tressaille et lâche un « non » très peu assuré, l’un de ceux si fréquents chez les pucelles et les épouses qui signifie l’inverse de ce qu’il dit. Il sait qu’elle l’attend et l’espère. « Tu me rends folle adorable Élise », murmure-t-il, puis il batifole dans son cou et remonte venant titiller le pavillon auriculaire de langue et de dents. Ce jeu fait seulement d’effleurements et de suçotements esquissés persiste interminablement. Quand il la mordille avec plus de virulence, une crispation cambre la belle dont tous les muscles se contractent. Et puis, en un soubresaut, elle s’ébroue, comme si elle évacuait les tensions accumulées dans un sublime tremblement de chair.


Elle a, à présent, envie de trépigner d’impatience, sent monter une incoercible effervescence qui la secoue. Fichtre, il va croire qu’elle s’offre à lui – c’est ignoble et exaltant. C’est de justesse qu’elle se retient d’implorer, « Vas-y donc, enfin ! » Une main palpe ses fesses, l’autre se glisse sous son chemisier et s’empare illico de l’un de ses petits seins. Ce fripon décoche des lancées cuisantes. Lorsque la première espiègle s’égare sur son ventre, agrippe et tire l’élastique de la culotte vers le bas, elle a l’impression de revivre son dépucelage, une mésaventure forte et inédite qui la bouleverse.


Bientôt le mouvement se fige ; elle a enfilé ce linge intime par-dessous les jarretelles auxquelles il s’accroche désormais. La main, dès lors, remonte vers son sexe et quand elle y atteint, la jeune femme la coince entre son pubis et le rebord du plan de travail. Elle s’ouvre à la visiteuse anonyme espérant que celle-ci la fouille sans ménagement, ce dont elle ne se prive pas avec des répercussions immédiatement si dévastatrices qu’elles la plient en avant. Elle comprend qu’être la souris de ce matou, qu’au demeurant elle n’apprécie guère, renforce ses sensations, que s’adonner à des troubles qu’elle désapprouve la rend plus attentive à leurs effets et de ce fait plus réceptive et émotive.


Tandis qu’il l’accule contre le meuble, Bernard exulte ; la donzelle propage ses vibrations et trépidations. Il pince alors vigoureusement l’un de ses mamelons. La belle éructe et rouvre des yeux égarés qui rencontrent ceux de Luc de l’autre côté des rayonnages. Il est toujours rivé à son téléphone, mais ne répond que par balbutiements à des questions que, semble-t-il, personne ne lui pose et ses doigts sont blancs tant il serre convulsivement le récepteur. Il est congestionné et la fixe d’un regard hébété mêlant admiration et blâme, colère et satisfaction. Aucun de ces sentiments ne plaide en sa faveur et elle éprouve un violent besoin de le châtier et de le faire souffrir. Depuis trop longtemps, il la conduit là où elle ne songeait pas à se rendre, eh bien il est temps maintenant d’achever le voyage et tant pis s’il en trouve la dernière étape amère. Elle se détourne donc et accorde des lèvres gonflées de convoitise salace à Bernard.


Un index ardent planté dans la chatte, une langue conquérante flattant son palais, ses fièvres l’emportent et elle sait, qu’en ce qui la concerne, aucun retour n’est possible, qu’elle est partie à la conquête d’un plaisir complexe et raffiné où le mental ne prendra pas moins de place que les sens ; que seul son mari pourrait enrayer le déroulement prévisible de la suite.


Luc dépose enfin son téléphone et elle revient au salon, traînant Bernard dans son sillage, à petits pas, flageolante, portant le plateau où les tasses s’entrechoquent avec un tintement qui dénonce ses agitations. Elle dépose les cafés sur la table basse et s’affale au centre du canapé tandis que son suiveur se colle tout contre elle de sorte à pouvoir caresser son genou.



Le pauvre Luc est assommé par cette diatribe qui ne lui laisse guère le choix qu’entre se fâcher ou concéder. Minable, il ne parvient qu’à articuler :



Tout en rabattant très haut un pan de la jupe d’Élise, la découvrant ainsi jusqu’à l’orée du pubis, révélant le boudin de la culotte toujours accrochée aux jarretelles, et dénonçant de ce fait les attouchements dont il l’a gratifiée à la cuisine, il poursuit :



Il palpe maintenant la jambe très haut, s’enfonçant dans les moiteurs de l’entrecuisse. Élise émet un bref jappement et renverse sa tête en arrière tout en tentant de favoriser cet accès.



Il se penche sur elle et détache minutieusement, avec une exaspérante lenteur calculée, les jarretelles de droite. Multipliant les feintes maladresses, il en profite pour dorloter, pincer et égratigner les chairs si secrètes qu’il dévoile. En même temps, il poursuit sa péroraison sachant qu’il importe de les étourdir tous deux en permanence, sans leur laisser le loisir de la réflexion.



Sans s’intéresser à celles de gauche, il lui fait replier la jambe droite de sorte que, distendant fortement la culotte, il puisse y faire passer le pied. Immédiatement, la belle profite de cette liberté et écarte allègrement les cuisses révélant les chairs cramoisies d’une splendide et louche orchidée. Elle devine les deux mâles fascinés et porte les mains à son buste qu’elle cabre outrageusement. Elle tend l’étoffe sur le renflement des sombres aréoles qui transparaissent derrière la soie légère et excite un instant les tétons qui dardent impatients puis entreprend de défaire son chemisier. Bernard l’encourage :



Remarquant le papillon tatoué au-dessus de l’un de ses seins :



L’index chafouin est revenu muser et s’amuser dans le sombre vison dont elle décore Cythère et c’est avec un vrai bonheur et une franche exaltation qu’Élise poursuit le déboutonnage de son chemisier. Au fur et à mesure, elle sent son poitrail se gonfler d’ardeurs équivoques. Étonnamment, elle est moins incommodée maintenant de se dénuder ainsi face à Bernard que devant son époux, qu’elle le fixe d’un air tristement contrit. Pourtant loin de l’inhiber, la présence de ce dernier catalyse ses émois. Sans qu’il ne participe à l’action, il les stimule et en amplifie l’intensité. Elle se répète l’adage qui voudrait que la gêne proscrive le plaisir et pense qu’au contraire, dans certaines circonstances, elle le pimente voluptueusement. Ces mains sur son ventre et son buste, ces lèvres lui bouffant la chatte, elle sombre en se repaissant du visage de Luc où le désir se le dispute à la colère, l’effroi à l’envie. Quand Bernard la fouille, elle saisit sa tête qu’elle appuie contre sa bouche d’ombre dont il n’a pas retiré les doigts qui trouvent dorénavant le renfort de sa langue. Elle entonne dès lors un concerto prodigue en trémolos perçants et en vibrants glissandos avant de grimper prestement vers le coup de timbale de la déflagration.


Pour Luc, empêtré dans ses aspirations contradictoires, c’est délicieusement insupportable.

Il déteste les imposteurs qui se pavanent sur les cuisses de son épouse, fourragent dans des intimités qu’ils outragent. Il hésite à les identifier. Il lui semble, par moment, que ce sont ses propres phalanges qui arpentent le doux moelleux des chairs horripilées et se perdent en leurs luxurieuses moiteurs. Il hait la sentir ainsi offerte et réceptive à une lubricité étrangère, mais celle-ci est-elle vraiment étrangère ? N’est-ce pas lui qui l’a conduite et contrainte à cela ? N’est-il pas seul maître d’œuvre ?


Il tremble comme une feuille, on l’écorche vif et il se retient difficilement de hurler, de pleurer, d’applaudir, d’assommer son patron, d’étrangler son épouse ou de se cogner la tête contre les murs. Sa vie se suspend à ces coups d’œil nombreux qu’elle lui décoche tantôt dégoulinants d’amers remords, semblant quêter un pardon, tantôt assassins, brillants de provocation, d’ironie ou même de moquerie. Il imagine sa révolte et sa ferveur, la brûlure troublante et excitante qui la galvanise. Largement dépoitraillée, la jupe roulée autour de la taille, un bas toujours fixé avec la culotte à son porte-jarretelles tandis que l’autre pendouille autour de son genou, elle ressemble à une pensionnaire de maison close du siècle passé ou à une malheureuse qui subit un viol. Selon le reflet dont elle illumine ses prunelles, elle bascule dans l’une ou l’autre de ces catégories.


Élise se rend compte qu’en définitive, elle aime ces enchevêtrements du sentiment où décidément rien n’est simple et voilà qu’elle baise en prenant son pied avec un individu qu’elle n’estime guère devant un mari hyper jaloux qui l’a jetée dans les bras du matamore. Après sa brève et fulgurante jouissance, elle repousse son partenaire et se relève. Dans l’œil de son conjoint, elle a surpris une lueur insolite qu’elle n’y avait jamais décelée. Ah, monsieur veut qu’elle s’avilisse pour soulager ses vanités, il veut du candaulisme, il va en avoir et apprendre jusqu’à quel point l’exercice consiste à baiser avec et dans son cerveau. Elle veut désormais le punir tout en le satisfaisant, le punir de cette satisfaction, constituer de la satisfaction la punition. Les jambes écartées, droites et raides, elle se plie en équerre, rabat sa jupe sur ses hanches puis, appuyant ses avant-bras sur l’accoudoir du canapé, frétille lascivement de la croupe.

Elle apostrophe rageusement son amant du soir :



Lui, réalisant que la maîtrise du jeu risque de lui échapper, se hâte d’extirper de sa braguette un chibre impatient. Il le dirige vers les incandescences de la belle, mais c’est elle qui, déchaînée, jette son postérieur en arrière et enfile l’engin dans son vagin en s’accompagnant d’un énorme soupir. C’est elle encore qui initie le mouvement de va-et-vient et conduit le priape aux tréfonds de son sexe qu’elle contracte sur lui. Elle comprend que ces deux mâles la souhaitent salope, la veulent femelle en chaleur totalement dominée par ses pulsions et soumise aux leurs et qu’elle aura beau faire, rien ne sera suffisant.


Elle qui se refuse d’accoutumée à feindre des émotions qu’elle n’éprouve pas, veut présentement étaler ses allégresses et en rajoute dans la grossièreté des mots, l’indécence des gestes, la suggestivité des cris. Une insolite dynamique la convainc elle-même de ces exagérations qui finissent par la submerger. Elle se sait particulièrement éblouissante quand elle s’enlumine des éclats du plaisir ; là elle y adjoint ceux de la luxure. Peut-être ne vise-t-elle ainsi qu’à une intensification du châtiment ; elle en doute tant elle y trouve son propre compte.


Agrippant l’un de ses seins d’une main, accrochant l’autre à ses reins, le piteux Bernard, un instant dépassé, parvient finalement à imposer son rythme. Alors pliant sur les jarrets, elle gigote frénétiquement du popotin qu’elle balance d’une jambe sur l’autre en en cadençant la valse de ses borborygmes stridents. À nouveau, elle cherche les yeux de son mari et dès qu’elle les a aimantés, intensifie ses déchaînements. Révulsée, elle atteint promptement à la félicité et à un orgasme ravageur qui la fait chanceler sur ses guibolles, tandis qu’elle pique du nez en avant, s’écrasant la face sur le canapé dans une ultime vocifération. Elle voudrait maintenant se pelotonner tout contre son époux, mais il doit l’espérer et, à aucun prix, elle ne veut lui octroyer ce succès, surtout qu’elle imagine la tête du Bernard plein de narquoise condescendance devant la scène. Elle reste quelques secondes étourdie, puis se redresse :



Ravis l’un et l’autre à l’idée de ce triolisme, Bernard achève de se dénuder pendant que Luc se hâte de retirer tous ses vêtements. Élise cependant tarde à les rejoindre et une gêne sensible s’établit entre les hommes occupant les angles opposés du canapé et s’astreignant à l’examen des fendillements du plafond. Lorsqu’elle revient enfin, elle s’est vêtue de pied en cape dans une mise des plus classiques dépourvue de toute fantaisie affriolante et tient une caméra vidéo à la main.



Puis se tournant vers Bernard qui dans son coin essaye de se faire oublier appréhendant que la suite des évènements ne finisse en eau de boudin :



Sans davantage leur accorder d’attention, elle quitte la pièce.




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(*) L’histoire de Candaule est aussi ancienne que l’Histoire elle-même, car elle ouvre le premier chapitre de « L’enquête » d’Hérodote d’Halicarnasse, soit le premier livre d’histoire rédigé vers 450 avant notre ère. (L’enquête I - 7 et suivant). Hérodote désigne un poème d’Archiloque de Paros comme sa source.


Le roi Candaule trouvait sa femme plus belle que toutes les autres. Sans cesse, il vantait à Gygès, officier de ses gardes du corps, les charmes de son épouse et un jour, il l’invita à se convaincre, de visu, de la beauté de celle-ci. Gygès refusa, mais le roi insista.


Dissimulé derrière la porte de la chambre nuptiale, Gygès assista au coucher de la reine. Mais, au moment où il s’esquivait, la souveraine l’aperçut. Feignant de n’avoir rien remarqué et persuadée que son mari avait voulu l’humilier, elle jura de se venger. Le lendemain matin, elle convoqua Gygès et lui offrit l’alternative d’être exécuté ou de tuer Candaule, de s’emparer du trône et de l’épouser. Gygès repoussa d’abord cette proposition, puis, devant son insistance, il se résolut à tuer Candaule.


La reine le cacha à l’endroit où il s’était dissimulé la veille ; Candaule mourut, poignardé par Gygès durant son sommeil. Quand il fut installé sur le trône, sa royauté fut contestée par des adversaires qui s’inclinèrent néanmoins devant la sentence de l’oracle de Delphes qui le confirma dans cette fonction. Détail significatif : l’histoire n’a pas retenu le nom de la reine, épouse de Candaule. On peut trouver Nyssia, attribué tardivement à la souveraine par un historien de la fin du premier siècle de notre ère, Ptolémée de Chennos.