n° 19116 | Fiche technique | 9352 caractères | 9352Temps de lecture estimé : 6 mn | 05/08/19 |
Résumé: Quand on aime la musique et le cinéma... quand l'envie de le faire, votre cinéma, est la plus forte... Un texte sans prétention, simplement pour évoquer les femmes. | ||||
Critères: amour revede | ||||
Auteur : Couple.libertinage Envoi mini-message |
En cette fin d’après-midi, je tuais le temps, de manière apathique, sur la toile. L’automne s’approchait et dehors il faisait frais. Cette période de l’année a toujours eu mes faveurs et j’avais choisi délibérément de laisser la porte-fenêtre entrouverte. Subitement, le vent se leva, faisant remuer les branches des deux arbres du jardin intérieur, en bas de notre immeuble. J’aimais écouter le bruissement des feuilles et je quittai donc ma chaise pour aller sur le balcon observer la scène de plus près. Mes avant-bras reposaient maintenant sur la balustrade. Je me laissai doucement bercer par la relative tranquillité du quartier et humai l’air.
En levant la tête, je vis, au loin, au-dessus du bâtiment voisin, le ciel devenir noir. Peu à peu, le vent se renforça et avec lui me parvenait, plus fort que d’habitude, le bruit provoqué par les trains grandes lignes qui passaient à quelques centaines de mètres de là. Pour les mêmes raisons, la circulation relativement soutenue sur la nationale me faisait regretter le calme de la campagne. Habiter en ville a un prix, pensais-je et je me réjouis de ne pas avoir à supporter les cris des enfants qui parfois jouent dans le jardin, bravant l’interdiction établie par le règlement de copropriété. Je restai ainsi, debout, pendant plusieurs minutes et finis par regagner le salon.
J’avais regardé tout ce que je recherchais. Des disques, des livres, j’avais comparé les prix, y compris en occasion, mais je n’avais rien acheté. J’attendais déjà de recevoir le DVD d’un film finlandais que j’avais vu au cinéma au début de l’année : « Fruit défendu », ainsi qu’un livre de photos consacré au festival blues de Binic. Et comme les impôts venaient tout juste de passer par là, je m’étais contenté de noter les meilleures adresses.
La moue sur le visage, signe visible de mon insatisfaction, j’amenai nonchalamment la souris sur l’icône des favoris. Un double clic me permit de faire afficher la liste et j’allai aussitôt au bas de la colonne. Comme le font de leur côté certains amateurs avec une ou deux bouteilles de vin, il m’arrivait de mettre en mémoire, sans classement particulier, et souvent par manque de temps, des adresses de pages Internet qui me semblaient intéressantes. Le moment était idéal pour faire un petit point sur d’éventuels petits trésors.
La première adresse que j’appelai se révéla être celle d’un groupe de musique portugais, Madredeus, groupe que j’avais découvert quelques mois auparavant à l’occasion du visionnage du film de Wim Wenders, « Lisbon Story ». Je me rendis vite compte, peut-être en raison de mon humeur du moment, que la musique du film commençait à remonter lentement et progressivement le fil de ma mémoire, comme la mélodie de « Guittara » qui commençait l’album. J’avais revu le film deux semaines auparavant, pour la troisième ou quatrième fois et je pensais pouvoir en saisir la musique pour la fredonner. Capricieuse, elle me faisait en réalité faux bond, elle m’échappait, mais je la retrouvai un peu plus loin. Telle l’introduction de ce morceau où la voix de la chanteuse se fait désirer pendant de longues minutes, elle me faisait attendre, attendre encore avant de pouvoir la maîtriser correctement. Je la laissai suivre les méandres, elle allait, elle venait, elle repartait, je tournai autour de la trame centrale, tel un désir qui monte, tel le plaisir ne demandant qu’à se libérer. Et au moment où l’on croit que la parole est là, elle se refuse, laissant la place à la guitare. Finalement, je fredonnai toutes les mesures musicales, changeant de tonalité, mais n’arrivant jamais aux paroles, délibérément. Je jouai ainsi quelques minutes avec mon plaisir, simplement heureux de me confronter à lui, de lui montrer que je l’avais vu, que sa compagnie me plaisait puis décidai d’écouter le disque, acheté en occasion au printemps.
C’est allongé sur le canapé que je goûtai au délice de l’écoute de« Ainda ». Je me suis laissé bercer par les mélodies. Cela n‘a pas été difficile. Des images, des impressions me sont alors rapidement venues à l’esprit, inspirées par la voix suave de la chanteuse portugaise. Laquelle chanteuse ne laisse pas le héros du film insensible à son charme discret.
Je n’ai pas eu à me forcer, elles sont arrivées naturellement, ses images de femmes, souriantes, dont la vue souleva mon enthousiasme. Je les trouvais jolies, simples, mais jolies. Je ne voyais que leur visage, le reste ayant il est vrai peu d’importance. Peut-être se promenaient-elles dans la rue ou étaient-elles assises sur un banc, dans un parc ou encore allongées sur l’herbe, au bord de l’eau. Le temps était peut-être comme aujourd’hui et voulant étirer l’été jusqu’à l’extrême limite, elles avaient tout de même été obligées de mettre un petit gilet par-dessus leur robe légère. J’eus à cet instant, le souvenir de femmes anglaises ou bretonnes, croisées ici ou là, par une fraîche température, portant jupe au-dessus du genou, et n’hésitant pas à laisser deviner la forme d’un sein. Sans vulgarité aucune, avec délicatesse souvent, elles ont à chaque fois, immanquablement, provoqué des éclairs sous mon pauvre crâne d’homme.
Entre deux chansons, je pris tout à coup conscience de l’arrivée de la pluie. Le vent avait redoublé d’intensité et je percevais comme tout à l’heure le bruissement des feuilles dans les arbres. Je me levai. Arrivé à la porte-fenêtre, je sentis la fraîcheur extérieure attaquer ma peau telle l’eau de mer qui vous fige brusquement lorsque le soleil ne l’a pas assez réchauffée. Pour autant et pour rien au monde, je n’aurais voulu manquer ce spectacle de la pluie tombant dru sur les toits environnants. J’avançai sur le balcon et y restais un quart d’heure environ.
Bientôt, dans mon dos, je reconnus le rythme lent de « O Tejo ». Les gouttières de l’immeuble débordaient, mais l’intensité de la pluie avait diminué. Je me laissai bercer par les premières mesures. J’aimais beaucoup cette chanson. J’accompagnais la mélodie en remuant mon corps lentement, d’un mouvement chaloupé. Je voulais qu’elle me pénètre, je désirais la sentir s’emparer de mon corps tout entier. Les notes d’accordéon s’égrainaient lascivement, j’étais sous le charme. Mais tout cela était trop doux à mon goût, je n’en profitais pas assez. J’en voulais plus, bien plus, je voulais chavirer. J’allai donc augmenter le son de l’amplificateur et recaler le titre au début.
Revenu sur le balcon, je m’approchai de la balustrade. De fines gouttes d’eau mouillaient mes mains que je tenais jointes par-dessus la rambarde. J’étais devenu un pêcheur, un pénitent, debout sur la colline qui surplombait le port. Au loin les navires quittaient l’Europe ou s’apprêtaient à y accoster. Je me balançai au grès de la mélodie, de droite à gauche puis de droite à gauche, laissant la voix de la chanteuse me guider lentement par-delà l’océan.
Je m’inventai une âme féminine que j’aurais pu croiser il y a bien longtemps lors de mon unique séjour en Irlande. Je l’aurais aperçue sur une plage, près de Dublin où j’étais effectivement allé me promener un dimanche, avant de partir, le lendemain, vers le Connemara. Du haut de la falaise, de nombreux couples profitaient du soleil de mai. Et cette femme marcherait seule, se dirigeant vers l’escalier que je voulais emprunter. Des souffles de vent irréguliers auraient rabattu ses cheveux roux mi-longs sur son visage et systématiquement elles les auraient remis en place. Inutilement. Elle refusait de se laisser faire, elle voulait avoir le dernier mot, mais qui peut affronter le vent en étant sûr de l’emporter ? J’aurais pris la décision de faire durer ces instants si charmants et me serait assis sur les marches. Lorsqu’elle serait arrivée à quelques marches de moi, je me serais levé et l’aurais regardée. Le vent, ici, soufflait plus fort et alors qu’elle se serait apprêtée à me croiser, ses cheveux se seraient plaqués devant ses yeux. Aveuglée, elle se serait brusquement arrêtée, manquant ainsi perdre l’équilibre. N’écoutant que mon cœur, je me serais précipité pour la retenir. Elle aurait levé la tête, porté sa main à son visage et une fois les cheveux écartés m’aurait regardé en souriant. Aussitôt, elle aurait fait un pas de côté et aurait poursuivi son chemin. Peut-être que ses yeux auraient été verts, peut-être que ….
Soudain, deux mains me saisirent par la taille. Encore plongé dans ma rêverie, je me retournai et mon regard se posa dans celui de ma femme. Elle ne manqua pas de remarquer mon trouble et je l’observai maintenant plus attentivement. Elle se rapprocha de moi et le vent souffla soudain, lui faisant tomber une mèche devant les yeux. Je l’écartai et plongeai dans son regard. Lentement, elle me sourit. Je pris son visage dans mes mains et l’embrassai longuement.