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Temps de lecture estimé : 9 mn
11/09/19
Résumé:  Voilà ce que c'est de se lever tôt, très tôt. De là à se faire passer pour le gallinacé du village...
Critères:  revede voir nonéro
Auteur : Couple.libertinage      Envoi mini-message
Le joli coq

Il n’y aura pas de page blanche aujourd’hui. J’ai d’abord devancé le coq quant à l’heure de mon réveil. Devancé ? Battu à plates coutures, vous voulez dire. Pas de montre à mon poignet et encore moins sur la table de chevet. Pas de réveil ni de téléphone portable non plus. De toute manière, qu’est-ce que cela change ? Il faisait nuit lorsque j’ai ouvert l’œil. Des idées en pagaille dans la tête, voilà un bon moment que je tournais et me retournais encore dans le lit. Je repensais à la visite que nous avons faite hier à Orcival. Il n’y avait pas beaucoup de monde dans la basilique au moment où nous y sommes allés.


Loin d’être un fervent pratiquant, je dois bien reconnaître que j’ai été sensible à l’atmosphère de la crypte. Un silence pour ainsi dire total y régnait. Je voyais deux jambes finir de monter les dernières marches du côté opposé auquel je venais d’entrer. Seul. Seul je suis resté, pendant deux ou trois minutes. Je ne me suis pas assis. Sans doute ne voulais-je m’attarder dans cet endroit qui me troublait. Je n’ai pas non plus eu le courage d’aller au bout de la lecture de la prière écrite sur un support doré et déposée en dessous du Saint Sacrement. Par peur d’être confronté à ce qui touche au plus près de l’âme humaine. Il y a des moments où le courage vous manque.


Le visage tourné vers la fenêtre, je remarquai que le rideau fait d’une toile blanche de belle qualité et relativement épaisse laissait maintenant passer une lumière jaune, là-bas, tout au bord de l’encadrement. L’éclairage public sans doute, signe que le hameau dans lequel nous étions n’allait pas tarder à reprendre vie. À quelque mille mètres d’altitude, nous n’étions aucunement au milieu de nulle part. Quelle que soit la direction prise, il y a toujours un chemin susceptible de nous entraîner dans la nature, au milieu des pâtures, vers un autre sentier, filant vers les bois. Il fallait bien que Saint-Nectaire tire sa matière première de quelque part et c’est ici, dans les vallons, entre la Chaîne des Puys et le Sancy que nous avions choisi de vivre pendant quelques jours.


La fontaine, située à proximité de chez nous, ne s’était pas arrêtée de laisser paisiblement couler l’eau issue d’un captage voisin. Loin de nous empêcher de dormir, le bruissement de l’eau, le son du claquement lorsqu’elle touche la surface de celle déjà dans le grand bac rectangulaire, tout cela nous apaisait, au contraire. Nous étions à la montagne, certes loin des villages alpins perdus tout là-haut, protégés par des dizaines de virages, mais notre bonheur présent nous convenait.


Les seules voitures que je pouvais entendre, en tendant une oreille vraiment attentive, menaient sûrement leur conducteur vers une laiterie de la région, un entrepôt de matériaux ou encore un camion de livraison. Jacques Dutronc n’aurait ici pas trouvé les croissants illustrant sa fameuse chanson « Il est cinq heures » et nous étions bien loin de l’agitation place de la Concorde. Le silence que je savourais la fenêtre ouverte, blotti sous la couette, ce silence qui me rappelait celui de mon enfance, il m’emmena soudain une bonne dizaine de kilomètres plus loin. Au lac de Servières plus précisément, où nous nous étions arrêtés hier sur le chemin du retour.


Ce lac d’altitude d’origine volcanique donnait à découvrir un environnement composé essentiellement de bois avec, sur la rive opposée à celle où se trouvait le parking, une ouverture où l’on apercevait d’abord une grande étendue d’herbe, tentante invitation à pique-niquer puis vers le lointain, d’autres massifs d’Auvergne. En cette fin d’après-midi, un ou deux pêcheurs à la ligne s’affairaient sous un timide soleil. Hormis les discussions de quelques vacanciers en bermudas, leur téléphone portable tendu à l’horizontale afin de ramener avec eux un souvenir de ce joli panorama, tout était calme. Très calme. J’essayais de retrouver ici le même silence, mais en dépit d’une imagination poussée dans ses derniers retranchements je ne réussis qu’à obtenir qu’un ersatz de cette tranquillité si particulière.


Je fis dans ma tête le chemin qui nous ramenait à la voiture, la laissant à sa place, pour me diriger comme nous le fîmes douze heures plus tôt, vers le café-gîte de Servières, à cent mètres de là, au bord de la route départementale.


Je me remémorais simplement le goût si particulier du Picon-bière bu avec plaisir hier sur la terrasse et bien vite je me revis feuilleter les pages d’un roman de Jean Echenoz « Au piano » que j’avais découvert avec surprise sur une étagère de la bibliothèque dans la salle de café. L’agencement de cette pièce m’a plu d’emblée. Tout faisait chaud au cœur et j’aimais cette ambiance à la fois rustique et cosy qui ne s’était pas contentée de reproduire tout ce que l’on trouve dans les boutiques bobo.


Au risque de paraître rustre auprès de mes proches, je m’étais finalement mis à lire les premières pages du roman. Il y était question d’un chapeau et du Parc Monceau. De bien autres choses aussi, mais ce sont ces deux choses-là que je voulais surtout retenir. J’étais en ce petit matin tout à fait incapable de justifier cet intérêt pour le chapeau. En revanche, le parc parisien, situé à deux pas des beaux quartiers me rappelait un épisode datant d’une dizaine d’années. Le mot « Monceau » ne mit que quelques secondes pour s’effacer de mon regard pour aussitôt laisser place au souvenir d’une séance photo réalisée en compagnie d’une jeune femme.


D’emblée tout était si lointain qu’encore maintenant malgré mes efforts je serais bien incapable de dire où nous étions installés. Vraisemblablement à l’écart des passants, jeunes et moins jeunes. Nous n’avions pas à nous cacher, tous les deux. Chacun à notre place, nous étions des débutants. Elle étudiante, passionnée par la Chine si mes souvenirs sont exacts et moi, filant sur le demi-siècle, certainement plus âgé que son père et impatient – et fébrile aussi – d’appliquer ce que j’avais appris dans les livres concernant la photographie de portrait. Tout à mon enthousiasme, je n’oubliais pourtant pas ce jour-là de garder à l’esprit une notion très importante à mes yeux : valoriser le plaisir et mettre en forme ce qui se cache derrière l’apparence.


Sans doute quittai-je durant quelques secondes le bout de pelouse sur lequel nous étions installés. Dans le lointain du lointain, le chant d’un coq parvint à mes oreilles. Je n’avais pourtant aucune raison de fuir le souvenir parisien. Photo après photo, nous gagnions en confiance et en fin de compte le résultat que je constatais aussitôt rentré chez moi me laissa satisfait. Comme promis, je remis un CD avec la copie des prises de vues à l’étudiante. C’est en fixant le rideau maintenant transpercé de la première lumière du jour que je me rappelai, avec cependant un brin d’incertitude, son prénom : Marlène. Peut-être même que ma mémoire se joue de moi.


Adieu Marlène. Nous ne nous revîmes plus et si l’une de mes photos a fait l’objet de jolis compliments au moment où je les montrais aux membres du club-photo de ma ville, auquel je m’étais inscrit pour un temps, je n’ai pas gardé trace de ce premier pas dans la photographie de portrait. Sans commentaires.


Le jour était là, encore faiblard peut-être, mais il se montrait intraitable. Mon regard préféra s’échapper vers le plafond et le livre de Jean Echenoz se rappela à mon bon souvenir. Sans doute irai-je l’acheter une fois les vacances terminées. C’est en allant remettre ce livre au format de poche à sa place que j’ai croisé hier en toute fin d’après-midi un groupe de six personnes, hommes et femmes relativement jeunes, assis à une grande table. La trentaine environ. Comme ils n’étaient pas là lorsque je suis venu prendre le livre, j’en déduis aussitôt qu’ils devaient être au gîte d’étape. Ils devaient sûrement faire partie d’un groupe de randonneurs. Il y a de quoi faire ici et d’ailleurs le GR passe à deux pas d’ici.


En passant à proximité d’eux, mes yeux se posèrent sur le visage d’une femme. Le hasard fut ainsi et j’aurais pu tout à fait apercevoir plutôt la calvitie naissante ou la barbe mal taillée de ses voisins. Elle souriait d’une bien douce façon au moment où je passai dans son champ de vision. Ce fut bref. Très bref. Trop bref. Un rayon de soleil surplombant ce qui me sembla être une polaire d’un séduisant vert sapin. J’avais encore la folle idée de plonger mon visage dans sa chevelure épaisse et bouclée au moment de poser le roman sur l’étagère et je réfléchissais sans plus tarder au subterfuge que je pourrais utiliser afin de pouvoir la regarder à nouveau. Sans attirer l’attention. Me retourner simplement vers elle serait chose cousue de fil blanc.


Je préférai alors mettre à profit les quelques instants qui me séparaient de l’instant où décemment je devrais quitter la pièce pour inspecter les autres livres, sur l’étagère du dessous. Ils étaient sans intérêt et mon regard soudain s’éclaira : un vieux boîtier argentique se tenait une étagère plus bas. Je me saisis de l’appareil. Un Kodak, de référence Bonnette A (à vérifier) ; les molettes de réglages justifiaient sa présence ici : il y a bien longtemps que ce pauvre appareil n’était plus en mesure d’imprimer le moindre paysage sur la gélatine. Tout en souriant à ce pauvre petit cube métallique, j’avais tourné la bague des ouvertures. Elle n’avait pas subi les affres du temps, car elle fonctionnait encore. Sans réfléchir, je mis mon œil dans le viseur et me déplaçai sur le côté pour être face à la fenêtre donnant sur une vallée.


Cela ne m’apporta rien de plus sinon le plaisir de plonger par l’esprit dans un temps révolu. Révolu ? Pas pour quelques irréductibles des développements chimiques, mais à coup sûr si leurs regards s’étaient portés sur moi, ces gens m’auraient classé dans la catégorie des dinosaures. Un bref instant, l’idée de faire la mise au point – encore que l’appareil me parut en trop mauvais état – sur le sourire de la jeune femme me sembla réalisable. Le bon sens – la morale aussi – me ramena dans les clous. Le sourire au coin des lèvres, je venais de poser le boîtier avant de quitter la pièce. Sans oser porter le moindre regard à ce visage rond sur lequel les dents très légèrement en avant présentaient un certain charme.


J’avais fini par me lever. La grande salle du rez-de-chaussée était encore sombre, même si le chant du coq se rapprochait maintenant des habitations. Tout à l’heure, lorsqu’il sera dans le secteur, il sera temps de prendre mon petit-déjeuner. Mais en attendant, debout devant la fenêtre, je continuais à penser à cet endroit au bord de la route, accueillant et synonyme de réconfort pour les voyageurs itinérants.


Une curiosité grandissante me poussa à allumer l’ordinateur et à me connecter sur internet. Le wifi ne faisait pas faux-bond ce matin et je trouvais rapidement le site de l’endroit, sans ressortir la petite carte prise près de la caisse. Les tarifs étaient très abordables et toutes les précisions nécessaires pour un bon séjour y figuraient. Je découvris les autres types d’informations en cliquant sur les titres. Soudain, à côté du mot « Météo » je découvris, plein de surprise, celui de « Webcam ». Je savais que ce genre de chose agrémentait bon nombre de sites, notamment lorsqu’il s‘agissait d’endroits en montagne. Machinalement, je cliquai sur le fameux mot. La page mit du temps à s’afficher. Allons bon. Après tout, une webcam à cet endroit… que pouvais-je espérer trouver ?


Un soudain éclair surgit à mon esprit : et si la caméra était placée sur la terrasse ? Et si le groupe de jeunes s’était levé de bonne heure, avec deux ou trois volcans au programme ? Et si la jeune femme avait voulu terminer sa nuit en rêvassant, dans la fraîcheur matinale ? Certes, il était précisé que la température là-bas était inférieure d’environ trois degrés à celle du village en contre-bas, Orcival. Un gros pull aurait pu rendre les choses possibles. Elle aurait pu se réchauffer les mains en les entourant autour d’un bol de café brûlant.


Tout à mon imagination débordante, je n’avais pas vu qu’une image était apparue sur l‘écran. Bien évidemment, elle ne fut pas à la hauteur de mes espérances. Si la date du jour ainsi que l’heure correspondaient bien à la réalité, je ne pouvais rien distinguer. Tout était gris et pas en raison du temps. Gris foncé sur la droite, gris clair du côté gauche de l’image. Après tout, la caméra n’était pas gérée par une station d’altitude, réputée, et bien sûr aux capacités financières bien supérieures. Et puis, il fallait que je refasse preuve d’un certain sens des réalités. Pour de logiques raisons de confidentialité, comment serait-il possible de montrer au monde entier une personne de passage sur une terrasse de café ?


Cette fois, le coq est arrivé près du hangar voisin. Et même si la webcam du gîte-étape a pris des couleurs, je ne finis par découvrir un semblant de vallée environnante. Il ne manquerait plus que je passe mon temps à chercher dans l’image un hypothétique sentier, où passerait… Le volatile s’en donne maintenant à cœur joie. En ce qui me concerne, fini de jouer secrètement au joli coq, il est l’heure de faire chauffer le café et de réécouter « No Dados ! » de Reese McHenry que je me passe en boucle depuis tout à l’heure.