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n° 19227Fiche technique22461 caractères22461
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Temps de lecture estimé : 16 mn
07/10/19
Résumé:  Martin rencontre Brunehilde. C'est le coup de foudre réciproque.
Critères:  #historique #conte #vengeance fh amour humilié(e) contrainte
Auteur : Martin
Brunehilde

Avant-propos :

Ce récit n’a aucune prétention historique. N’y voyez qu’une histoire d’amour située au moyen-âge, période que j’affectionne particulièrement pour ses innombrables contes et légendes.




Brunehilde




Brunehilde a dix-huit ans. Blonde, élancée, exquise, elle ressemble à ces femmes normandes dont les origines se perdent dans des pays de glace et de longues pénombres. Ses timides yeux pervenche se réfugient derrière de fins sourcils presque blancs. Ses seins pigeonnants ne demandent qu’à sortir de leur volière. Brunehilde flotte plutôt qu’elle ne marche, la robe ondulant au rythme de ses pas légers.


Escortée par l’intendant du château seigneurial, sa colossale femme, leurs six enfants en ordre d’âge et quelques domestiques, elle se rend en procession pieuse et silencieuse à l’église pour la grand-messe dominicale. Les hommes du village se décoiffent et s’inclinent respectueusement au passage de la respectable et redoutée compagnie. Tous ignorent le nom de la resplendissante jeune femme et les regards s’interrogent : serait-ce la fille cachée du prince ? Ou de l’intendant peut-être ? Ou sa nièce de Bretagne, dont il est le parrain ? Ou encore la promise de son aîné ? Il n’a pourtant point encore de poils au menton, cet enfant-là !


Martin, le jeune oribusier (fabricant de bougies), ne baisse pas les yeux, mais s’émerveille de la façon qu’a la belle de marcher, de cambrer la taille, d’accuser à chaque irrégularité des pavés un adorable déhanchement.


Depuis la nuit des temps, la famille de Martin pourvoit la riche demeure des intendants successifs de chandelles en résine de qualité, mais jamais encore le garçon n’y a observé cette magnifique fille.



Elle lui adresse un léger sourire, découvrant ainsi une dentition blanche et bien rangée, qui enflamme aussitôt le cœur du puceau.


Mais la damoiselle détourne promptement le regard du garçon, car elle a des coquetteries de rose. Elle veille à préserver son mystère et, en femme très belle que les regards convoitent, fait mine d’accorder son attention comme un privilège, plutôt que comme un don.


Toute la journée du Seigneur et toute la nuit suivante, le sourire de Brunehilde n’a de cesse d’avorter toute tentative d’endormissement.


Le jour se lève enfin sur un fin brouillard qu’un soleil taquin de septembre déflore avec douceur comme pour montrer aux futurs amants la marche à suivre.


Le puceau n’y tient plus. Il se rend d’un pas appuyé au domicile de l’intendant et quémande la princesse auprès de Jeannette, la petite servante, qui connaît bien le garçon.



La servante retient un rire face à tant d’audace, ramasse ses jupes pour remonter les marches du seuil et s’exécute aussitôt sans omettre de refermer d’abord la robuste porte de chêne au nez du garçon.

L’attente semble éternelle et Martin craint que la belle ne refuse de quitter sa chambre et lui demande de passer son chemin. Il fait erreur sur toute la ligne.


Une dernière approbation du miroir, une ultime torsade avant de descendre. Devant la porte d’entrée, Brunehilde reprend son souffle en s’adossant au mur drapé de tapis venus de Flandre. Elle croise son châle sur sa poitrine que tourmente une respiration folle, tire le verrou de sa gâche et apparaît à son visiteur sur le seuil avec un naturel, une désinvolture, un calme désarmants.


L’homme fait aussitôt un pas vers elle, ôte respectueusement son chapeau à petits bords et demande :



La surprise n’est pas des moindres et la belle, après quelque hésitation, retrouve la parole :



Martin redresse une tête épanouie, ferme les yeux et prononce avec délice :



Il s’approche d’elle à moins d’une toise, la distance qu’il faut à ses mains pour boire à la chevelure blonde et soyeuse qui ruisselle devant lui. La jeune fille part d’un rire que le garçon rattrape et enveloppe. Pour prix de son insolence, il recueille un baiser.



C’est alors qu’apparaît l’Ange de Désolation, sous les traits d’une monumentale paysanne armée d’un bâton de bois vert. La quarantaine bien entamée, elle a le cheveu gris tiré sous une coiffe et porte sur les épaules une lourde pèlerine qui lui donne un air de commandeur. Difficile d’être plus austère que cette grâce ancestrale qui rivalise avec les pires bigotes de la paroisse. Elle est sur ses gardes et son visage, d’une belle gravité, défie l’intrus.



Agréablement surpris par la défense mensongère de Brunehilde, Martin prend rapidement congé, lance un ultime regard à la belle et veille à ne pas passer trop près de la chère Tante Wisigarde. Il ramène toutefois chez lui une joie galopante, un bonheur effréné qui traverse comme vent chaud les blés mûrs. Il aime et se sent aimé. Il voudrait que le village entier le sache, que les cloches relaient la nouvelle par tous les villages jusqu’à Rome et même Jérusalem, que l’on réveille les morts pour leur annoncer l’événement et les recoucher ensuite.


Il fantasme déjà que l’exquise Brunehilde entre dans sa modeste cellule d’ouvrier : s’assurant que la porte est fermée, elle s’approche de lui et, avant qu’il ne dise un mot, laisse tomber son dernier vêtement. Elle est étourdissante de beauté, de luisance et de jeunesse. Sa démarche est retenue : comme une avancée rituelle pour laver cette offense à sa pureté. Elle capture la main de l’oribusier et la conduit jusqu’au territoire de son ventre…


Brunehilde, pour sa part, regagne sa chambre d’un pas léger, envoûtée par ce garçon beau comme les anges des peintures et prêt à tout pour la conquérir. Glissant comme couleuvres ses doigts entre l’étoffe pourpre et la toile claire de sa chemise, elle libère sa poitrine oppressée. Ses seins endoloris affleurent, s’agitent au rythme précipité de son souffle. Sa main tente de les apaiser, leur offre une onction ronde et légère comme caresse de mère sur la tête fragile d’un nouveau-né. Sa peau est douce. Délicieuse est la soie de son ventre. Brunehilde ferme les yeux sur un trouble inaccoutumé qui l’embrase par le dedans. Elle ne s’appartient plus.


Sans le savoir, les deux amants ont atteint le firmament précisément au même instant.


Les heures, puis les jours s’égrènent inéluctablement sans que les tourtereaux ne puissent se revoir, même furtivement. Jusqu’à ce matin d’automne où Martin, en livrant les nouvelles chandelles commandées par l’intendant, est interpellé discrètement par Jeannette, la servante allouée à Brunehilde.



Et il reprend prestement la livraison de chandelles, le cœur rempli d’espoir et d’amour.


Dans l’église Saint-Bavon, la famille de Brunehilde, dont la beauté illumine le lieu, et la horde impassible de domestiques font pendant à Martin et la joyeuse bande caquetante d’artisans, de commerçants, de paysans et de piliers de taverne qui sont la vraie vie du village. On attend l’officiant.


Il apparaît enfin à la porte de la sacristie au son des sonnettes : un véritable colosse dont la seule stature impose d’emblée le silence aux paroissiens et autres enfants de chœur. Lorsque, à la première oraison, il déploie ses bras immenses, l’autel se ramasse derrière lui comme un mouflet dans les jupes d’une nourrice et le grand livre déployé sur le lutrin de bronze prend timidement l’allure d’un bréviaire. L’abbé est ému en implorant le Ciel et tous ses saints d’éloigner les châtelains et leurs vassaux pour l’année entière de la maladie, du feu, des vaches maigres et des multiples tentations du diable.


Ce dernier point sera le plus malaisé pour le Seigneur Dieu, car l’assemblée entière n’a qu’une hâte : monter au château pour entamer les véritables festivités.


La grimpette est joyeuse et animée. Ensuite viennent le banquet, la table ensoleillée dans la cour par ce magnifique temps automnal, le dresseur d’ours, les plats gargantuesques qu’on accueille avec des vivats, le vin libérateur. Des musiciens lancent des rondes et des chansons. Plus tard, quand le soleil cligne de l’œil et retire doucement ses flûtes, les torchères sont allumées et la danse emporte son monde en pirouettes, rondes et tressautements.


L’intendant et sa dame semblent avoir relâché leur vigilance. Non qu’ils soient tout à coup devenus dociles, attendant le moment où leur nièce les rendra complices de sa liaison clandestine, qui outrage leur très chrétienne éducation. Ils ont tout bonnement largement abusé du divin nectar princier.


En virevoltant dans une ronde effrénée, Brunehilde, éblouissante dans sa robe bleue, perd l’équilibre et tombe dans l’herbe fraîche.



Afin de cacher son émotion, elle se penche pour ramasser la fleur tombée de ses cheveux. Martin est conquis par le trouble de la jeune femme, par sa main coquette qu’elle rappelle pour domestiquer une mèche rebelle.


Très vite, Martin et Brunehilde se perdent et se retrouvent au rythme des tarentelles, s’éparpillent en éclats de rire, se rejoignent en tendres accolades. Jusqu’à ce que la jeune fille emporte son homme à l’insu de tous, à l’abri des regards, dans une chambre où les attend le drap immaculé d’une couche plutôt large pour une chambre de servante.


Martin lui dit qu’il l’aime et le lui répète à vau-l’eau. Il ne connaît plus que ce mot-là. Dans la lumière flottante de la lampe à huile, ils se découvrent l’un l’autre. Il effleure ses épaules blanches. Ses mains d’artisan pourtant si sûres, si expertes, tremblent quand elles touchent les calices sacrés des seins de la belle. C’est son plus beau voyage sur la planète Amour. Ce serait leur plus beau voyage si Brunehilde n’avait choisi ce soir-là pour confesser sans détour à Martin :



Martin éteint la lumière pour que la flamme ne trahisse pas ses yeux brillants. L’amour qui volait tout en haut dans sa tête s’est brisé l’aile. Dans le noir, ensemble, ils pleurent.



Il rallume la lampe tant son désir de découvrir la belle nue sur sa litière feutrée est grand. Brunehilde, crinière folle, des yeux de félin, la peau blanche, se cambre puis se glisse vers l’homme, la gorge haute, la hanche ondoyante. Elle le désire abandonné, sensuel et sonore d’amour. Elle s’enroule autour de lui en lui frisant à peine l’épaule… de son haleine. Elle démêle avec lenteur la chevelure noire du compagnon, reprend sa mouvance. Elle le pénètre du regard. Que de nœuds dans ce corps, alors que le visage recèle tant de douceur !


La parade est muette, un ballet d’effleurements. Qui sera la proie de l’autre ? Lequel des deux rompra l’affût ? Nouvelle torsion de la femme ! Passent des seins généreux médaillés d’aréoles claires, des invites à la caresse. Qui des deux prendra l’autre ? La taille de Brunehilde est fluide, le creux de ses reins rebondit comme vague sur une coque retournée.


Les mains de l’oribusier n’en peuvent plus de ces lointains attouchements de pupilles, de ce lent apprivoisement de parfums, de ce jeu d’approche et d’esquive. Ce sont elles qui soudain prennent, pétrissent, tenaillent, caressent, pénètrent. Sous leur bâillonnement, une lionne se réveille.


Dans ce combat de fauves, Brunehilde sort ses griffes. Des deux, elle est la plus sauvage, la plus vorace, la plus bestiale. Elle fusionne, ébrèche la terre pour répandre le feu. Elle brûle des forêts d’attente, offre sa passion aux vents qui l’attisent. Son plaisir monte dans les airs comme la flamme crachée d’un bateleur. C’est un bûcher de cent toises, un volcan qui jaillit.


Frappés par le même éclair, les deux amants retombent dans les bras l’un de l’autre dans un frémissement d’étincelles et de scintillements. Le silence emporte leurs extases vers le ciel. Le remords de Martin est du voyage.



À la mi-novembre, Brunehilde est à nouveau au château, sous les tours massives et arrogantes encadrant le pont-levis, la plupart du temps en position basse en période de paix.



La belle interpelle de son œil bleu le regard glacé des armures qui cernent le portail. Dans l’habitacle, chaque son éclate comme décharge d’arquebuse. Elle se fait amener jusqu’à la chambre haute où le prince a coutume de recevoir ses invités et surtout ses jeunes invitées, à ce qu’on chuchote au village.



La damoiselle, décidée, ne l’a pas écoutée.


Peu gâté par la nature, Valdémar joue les grands séducteurs sans le moindre complexe. Mis à part son nez grec, il n’a rien d’un Apollon, mais s’aime tel quel, juge sa monacale bedaine aussi affriolante à l’œil qu’une pastèque au gosier d’un assoiffé. En un mot, il a pour les appas charnus une vénération, pour ne pas dire un culte, et pour les… culs dodus, une adoration. Si d’autres princes cherchent leur plaisir dans les combats, la chasse ou les arts, Valdémar assouvit sa passion immodérée pour la croupe et autre rotondité de l’anatomie féminine.



Des lunes, il en décroche l’une… ou l’autre. Se comportant tout naturellement en maître du pays, il n’hésite pas à s’en prendre aux gens du cru qui entravent ses desseins.


Brunehilde n’ignore rien de cette réputation et c’est le cœur battant qu’elle fait sa révérence devant le prince.



Le lendemain, le magnifique destrier noir du prince emmène ses cavaliers sur les sentiers forestiers jonchés d’un tapis de feuilles dorées. Au bout de quelques lieues, le prince arrête sa monture.



Il attache le cheval à un arbre et sort son épée du fourreau.



Le visage du noble s’enflamme de convoitise. Brunehilde ne s’émeut que très superficiellement. Valdémar se dresse devant elle et insinue ses mains pour la dévêtir. L’épais manteau tombe en premier, puis corsage dont il sectionne les lacets de la pointe de son épée. Les jupes suivent aussitôt. La belle n’a plus que sa courte chemise pour voiler sa nudité.



Brunehilde n’a pas le choix : elle ôte son ultime vêtement et entame une danse d’abord un peu figée, mais qui, étonnement, devient progressivement plus lascive, faisant sauter sa poitrine libérée, exhibant régulièrement sa croupe cambrée au prince. Elle tourne autour de lui, le provoquant en le frôlant, faisant jouer toute sa sensualité pour le rendre fou. Elle n’hésite pas à caresser ses seins et à glisser ses doigts sur le duvet de son pubis. Cela semble plaire au prince, qui ne tarde pas à battre des mains pour l’encourager.



Brunehilde se ressaisit pour mieux réfléchir.



À ces mots, le noble pose son épée contre un arbre, dégrafe son manteau et est sur le point de retirer sa chemise quand Brunehilde s’empare de l’épée et tranche sans hésiter la tête de son agresseur.


La belle enfile alors calmement ses vêtements, enroule la tête sanguinolente dans le manteau de Valdémar, prend place sur le destrier, cale son horrible fardeau entre ses genoux et guide l’animal jusqu’au centre du village.


Elle lave la tête à l’eau claire de la fontaine et l’expose sur le parvis de l’église. Puis crie à tout qui veut l’entendre d’une voix chargée de rage :



C’est jour de marché et les villageois assistent abasourdis au spectacle particulier. Tous se précipitent. Certains applaudissent, les jeunes femmes surtout, d’autres ne réagissent pas, par crainte d’éventuelles représailles venant du château.


Martin, qui y vend les chandelles de son maître, n’a rien raté de la scène et est en émerveillement pour sa belle. Il laisse son échoppe en plan pour la rejoindre, crachant au passage sur la tête du prince.

Arrivé à la maison de l’intendant, il entre sans s’annoncer, gravit quatre à quatre les marches du perron puis de l’escalier intérieur et pousse la porte de la chambre de Brunehilde, en larmes sur le lit.



Quand les lèvres de Martin rejoignent celles de Brunehilde, elle n’a plus rien d’une guerrière. Ses armes, ses cuirasses et ses boucliers ont à présent disparu pour ne laisser sur le champ de bataille qu’un sanglot d’enfant égarée. Elle ne pleure ni sa dignité perdue ni l’humiliation qu’elle a essuyée devant le prince, elle pleure le gâchis de sa vie. Pour la première fois, elle quitte son enveloppe pour parler à cœur nu à l’oribusier. Elle est autre, encore, dans sa fragilité hésitante, inexplorée. Elle marche à reculons sur les sentiers caillouteux de son adolescence et chaque pas lui entaille la chair. Elle a quinze ans quand un prince la contraint à l’innommable. Elle ne s’aime plus d’avoir été offensée.



Martin répond avec son corps et est entraîné dans un vertige de chair et d’étreintes. Il se laisse submerger dans cette source chaude et bienfaisante. C’est un amour brut, violent, animal qui les traverse l’un comme l’autre, un amour qui ne se nourrit pas de paroles, mais de secousses et de semence. Sans cesse, ils ont besoin de se prendre, de se combiner comme les couleurs du peintre sur la palette. Ils s’abandonnent à leur instinct, s’accouplent plus qu’ils ne s’unissent. Elle s’offre à lui comme l’éclair s’offre à l’orage.



Jeannette passe devant la porte de la chambre, restée entrouverte, perçoit des bruits particuliers provenant de celle-ci, jette un œil, referme délicatement l’huis et sourit de tant de bonheur.