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n° 19379Fiche technique14401 caractères14401
Temps de lecture estimé : 9 mn
03/01/20
corrigé 01/02/22
Résumé:  Le plus grand amour qui m'fut donné sur terr', je l'dois au mauvais temps, je l'dois à Jupiter : il me tomba d'un ciel d'orage.
Critères:  fh extracon amour revede nostalgie -occasion
Auteur : L'artiste  (Rêveur quadragénaire, je m'essaie à l'écriture.)      Envoi mini-message
Stratus, Nimbus et Cumulus





Le plus grand amour qui m’fut donné sur terr’,

je l’dois au mauvais temps, je l’dois à Jupiter,

il me tomba d’un ciel d’orage *




Dire Straits… Ah, Mark Knopfler et ses harmoniques ! Me laissant bercer par le son de sa Stratocaster, les yeux clos, je m’imprègne du solo magique de ce sultan du swing. La pluie qui crépite sur la baie vitrée de ma modeste demeure, une petite villa posée à flanc de colline et surplombant le port de Sète, m’offre le plus grandiose des spectacles. Une splendide dépression explose dans une succession d’éclairs qui tour à tour envahissent l’atmosphère, illuminant la nature de leur blancheur virginale et déchirant l’air dans un grondement tonitruant.


Installé confortablement, je savoure cette céleste représentation en me consolant avec un vingt ans d’âge aux arômes de raisin…, deux longues années à me morfondre et souhaiter son retour ! Le plus grand Amour qui me fut donné sur terre* m’apparut comme il se volatilisa, il me tomba d’un ciel d’orage* et s’envola aux premières éclaircies. L’ambiance aujourd’hui n’est pas sans me rappeler cette idylle que j’espère naïvement voir reprendre corps à la devanture de mon abri, guettant sa venue avec beaucoup de nostalgie, mon verre d’Armagnac à la main. L’eau ruisselle encore à mes carreaux, mais personne ne sollicite mon aide.




——oooOooo——




Nous nous rencontrâmes un soir de novembre, semblant paniquée, elle frappa à ma porte.

À l’époque, j’aménageais dans l’Hérault afin d’effacer, peut-être, le souvenir torturant de mon ex-femme qui s’enfuyait, ses valises sous les bras et les jambes à son cou, à l’issue d’une de mes énièmes crises de jalousie.


Comme aujourd’hui, je savourais cet instant un peu mystique au cours duquel les éléments se déchaînaient tout en noyant mon chagrin dans le sang du terroir gersois, lorsqu’elle m’apparut, terrorisée, en costume de nuit.

Elle renvoyait une image spectrale, mais délicieuse. La valse des éclairs la mettait par intermittence en lumière, rendant ce moment presque magique… surréaliste. Magnifique, elle semblait telle une fleur… si douce, mais surtout si fragile. Sa longue chevelure brune tombant en chute et ruisselant sur ses épaules brillait sous l’effet des trombes d’eau qu’elle traversa.

Les poings serrés, elle tambourina aux carreaux en réclamant mes bons offices.



Quelle étrange vision que cet être à l’apparence si flatteuse et dont la vulnérabilité manifeste ne pouvait que m’attendrir ! Quel danger fuyait-elle donc ? Quel qu’il fût, ce dernier la guida jusqu’à mon nid et, tel un chevalier servant, j’accourus prestement à son secours en tentant de lui libérer les battants de la véranda encore verrouillée.

Une fois la baie vitrée ouverte et alors que j’allais demander à l’ingénue la raison de son effroi, elle ne me laissa pas le temps de formuler un mot qu’elle se jeta à mon cou comme si je venais de réaliser un acte d’une bravoure incommensurable.



Délicieuse et mignonne comme tout, elle se blottit contre moi comme si sa vie en dépendait. Alors que je ressentais ses pulsations cardiaques s’emballer au travers de sa poitrine écrasée contre la mienne, son parfum subtil, lui, m’enivrait. La douceur de cette étreinte pourtant saugrenue m’irradia d’un plaisir intense et je me serais bien damné pour voir le temps se figer afin que ce moment n’en finisse jamais.


Ne sachant plus quoi dire, je lui accordai mes bras pour l’envelopper d’une altruiste tendresse. Compatissant, je me risquai à caresser la base de sa nuque d’une main protectrice pour tenter d’apaiser cet être ensorcelant qui venait de prendre refuge sous mon aile.


Tandis que le tintement des gouttes d’eau tombant au sol devint de plus en plus discret, que les éclairs se firent plus épars et que le grondement du tonnerre s’éloigna, l’étreinte de ma belle, elle, s’atténua pour finalement me quitter. Ses yeux d’un vert éclatant me fixèrent un instant timidement, et l’air un peu gêné, mais reconnaissant, elle me dit d’un ton suave :



Ses lèvres vinrent se poser une fraction de seconde sur ma joue, et très vite s’en décollèrent en un léger claquement… Puis elle fila telle une ombre et s’éloigna sous la douce lumière émise des réverbères. Foulant délicatement les pavés encore humides de cette soirée d’orage, elle me laissa dubitatif et béat sur le seuil de mon domicile.


Une fée, un ange, je ne saurais pas définir ce qu’elle me parut être, mais sa visite me réchauffa l’âme et m’apporta un bonheur indescriptible. Mon cafard se changea en une joie intense et une folle envie de déjà la revoir. Les lourds nuages noirs se dissipèrent peu à peu et quelques étoiles scintillantes émergèrent… je me réinstallai rêveur dans mon fauteuil pour finir ma boisson.



Le lendemain, les idées confuses, je doutais de la véracité du moment insolite qu’il me semblait avoir vécu la veille. Cette visite tant impromptue qu’étrange ne cessa plus de me hanter. Une inconnue légèrement vêtue, délicieuse, d’une rare beauté, paraissant si fragile et venant frapper à votre porte pour se serrer dans vos bras puis repartir, ce n’est pas si courant ! Je me sentais moi aussi bien seul et avais besoin de réconfort, je ne savais pas quelle consolation j’avais bien pu lui apporter, mais son intrusion dans mon existence me redonnait de l’espoir. Ignorant son nom, l’unique chose dont je me souvenais était la chaleur de son corps contre le mien, la douceur de son étreinte ainsi que la délicatesse de son parfum.


Quelques jours passèrent et malgré une succincte enquête de voisinage, l’identité de ma muse demeura inconnue. Les soirs venus, je m’installais devant ma baie vitrée, un verre à la main, à souhaiter en vain que mon rêve se concrétise en la revoyant apparaître.


Ce ne fut qu’une semaine plus tard que mes espoirs se réalisèrent. Elle me revint, toujours aussi belle… superbe, mais semblant si frêle sous le fracas des éléments en furies. Terrorisée, elle implorait de nouveau mon aide et, comme la dernière fois, se jeta à mon cou lorsque je lui ouvris. Cette accolade la soulagea tout autant qu’elle me réconforta, ne voulant pas risquer de la voir à nouveau me fausser compagnie, je l’invitai à entrer.



M’asseyant à ses côtés, elle se colla contre moi lorsqu’une décharge fracassante illumina la pièce. Dans mes bras tandis que le tonnerre rugissant nous assourdissait, elle tremblait comme une feuille. Sa tête sur mon épaule, j’enfouis mon nez dans ses cheveux, m’enivrai un instant de son odeur et la gratifiai d’un léger baiser sur le front. Elle leva les yeux pour me regarder tendrement et vint poser ses lèvres contre les miennes.

Dans un premier temps surpris, je ne pus résister à lui accorder ce baiser ô combien doux, chaud et sensuel ! Jamais je n’oublierais la volupté de ce dernier : sa bouche semblait du miel, sa langue… un subtil nuage, qui, caressant, enveloppa timidement la mienne.

Le désir grandissant, mes mains partirent à la découverte de sa peau et se faufilèrent sous la nuisette de satin, notre étreinte s’intensifia pour devenir torride et enflammée. Ce ne fut que lorsque ma visiteuse s’attaqua à la ceinture de mon pantalon qu’une lueur de lucidité émergea à mon esprit : même si j’avais envie d’elle, l’attirance éprouvée ne devait pas m’en faire perdre la raison. Comme il était inconcevable pour moi de profiter de la situation, je mis à regret fin à la magie en décollant ma bouche de la sienne.


La colère électrique s’apaisa, mon inconnue semblant avoir enfin conjuré sa frayeur énonça un craintif et presque imperceptible « merci »… puis m’accorda un dernier baiser avant de s’éclipser. Un peu abasourdi, je la laissai de nouveau m’échapper.


Au réveil, je trouvais une preuve de son existence, cette chimère prenait corps au travers d’un mot glissé sous ma porte.


Je vous exprime toute ma gratitude ! Ayant une peur panique de l’orage, votre sollicitude à mon sujet me réconforte.

Margot


Cet ange était donc de chair et de sang ! Elle hantait mes jours et mes nuits depuis plus d’une semaine et ne quittait plus mes pensées : la simple évocation de sa personne me procura des frissons.


Le mois de novembre… quelle belle période si particulière ! Contemplant les cieux dans l’espoir d’y voir divers nuages précurseurs d’orages, je guettais la formation d’éventuels stratus, de divers nimbus, ou d’hypothétiques cumulus qui, comme souvent en automne, naissaient sur la cime du mont Saint Clair pour finir par recouvrir totalement cette dernière d’épaisses nuées grisâtres s’obscurcissant pour éclater en début de soirées. Oui, quelle magnifique saison… ! Quel bonheur de sentir cet air frais et sec continental se confronter à celui plus chaud et humide maritime, créant de magiques dépressions annonçant la visite de celle qui prenait une place de plus en plus importante dans mon existence !


L’atmosphère spécialement électrique de cette fin d’année rendit les entrevues avec ma Margot plus fréquentes et je vécus chacune d’entre elles intensément. Toutes furent teintées d’un savoureux mélange de tendresse, de protection et de connivence, mais surtout d’un désir brûlant réciproque qui ne faisait que croître. Ses visites restèrent toujours très brèves… le temps que la nature s’apaise, mais torrides au plus fort de la tempête. Notre passion consommée devint addictive, et lorsque le déchaînement des éléments s’éloignait, son départ me déchirait inévitablement le cœur.

Cette affinité naissante me semblait partagée, bien que mariée, la complicité dont elle faisait preuve à mon égard ne laissait que peu de doutes à ce sujet.


Chasseur d’images amateur et féru de ce genre de phénomènes météorologique, son époux la délaissait dans la tempête pour assouvir son loisir et immortaliser sur sa pellicule la fureur de Jupiter. Il fut bien mal inspiré de ne pas se consacrer à une activité moins risquée, car sa promise avait une peur panique, presque phobique, du tonnerre et venait chercher en son absence du réconfort dans mon giron.

N’eût-il pas pu se contenter de prendre des clichés de levers ou de couchers de soleil ? Notre environnement comptait tellement de trésors à figer sur papier argentique, n’eût-il pas pu, par amour pour sa douce, trouver d’autres modèles plus opportuns ?

Peu importe, la ferveur de son conjoint pour la photo me permit d’entretenir la mienne pour sa moitié… les négligences de ce mari cocu me comblèrent de bonheur.


Décembre arriva, les trombes s’atténuèrent et me privèrent des visites de Margot. Je ne l’oubliais pas pour autant et elle restait omniprésente dans mon esprit. Le manque des moments en sa compagnie se fit de plus en plus ressentir et, désemparé, j’aurais alors tout donné pour la revoir courir chercher ma protection. J’implorai la colère céleste pour qu’elle me vienne en aide afin que les intempéries me ramènent ma douce, mais rien… l’épisode cévenol s’achevait en me dépossédant de mon amour.


J’entrepris donc une tournée de porte-à-porte dans l’espoir de la retrouver. Interrogeant passants et voisins j’appris qu’elle avait déménagé. Son mari plutôt doué de son art avait fini par être reconnu et s’était vu offrir un poste lui permettant d’assouvir son loisir de façon rémunérée dans le golfe du Mexique.




——oooOooo——




Je n’ai plus jamais eu de nouvelles, mais tous mes sentiments les plus profonds lui restent entièrement dévoués. Ne pas ressentir de nostalgie m’est impossible quand le ronronnement du tonnerre résonne au loin. Je l’attends désespérément dans l’espoir de l’entendre frapper à mon huis, me suppliant de la protéger des flashes intermittents provoqués par les décharges électriques dépressionnaires.


Comme deux ans auparavant, l’orage bat son plein ce soir et mon moral demeure en berne. Une pointe dans la poitrine me transperce de part en part, Margot me manque !


La pluie se calme… une étoile scintille à nouveau, mais personne n’est venu. La voix du sultan a laissé place à celle de Morrison… « Riders on the storm » prolonge ce moment mélancolique, je ferme les yeux pour mieux ressentir sa présence auprès de moi.


« Toc, toc, toc, toc »





- FIN -




Une pensée pour Georges Brassens dont je me suis largement inspiré.

* Phrases issues de la chanson « L’orage »