n° 19407 | Fiche technique | 46620 caractères | 46620 8000 Temps de lecture estimé : 33 mn |
14/01/20 |
Résumé: Chronique de province : là où un notaire répugnant tente de faire chanter et d'abuser d'une bien sage femme mariée. | ||||
Critères: #vengeance #personnages fh hplusag extracon gros(ses) laid(e)s humilié(e) jalousie chantage contrainte | ||||
Auteur : Amateur de mots et de... Envoi mini-message |
Maître Roger Le Tourneux se renversa sur son fauteuil qu’il repoussa du pied pour l’écarter du bureau. Avec l’ongle de son pouce, il écailla d’un geste méticuleux un débris du menu de la veille qui se mêlait aux motifs chamarrés de sa cravate. Lissant d’une main le tissu douteux, il parcourut du regard la pièce avec un air d’autosatisfaction grossière.
Tout ça est à moi, pensait-il, alors que sa main droite empoignait ses parties génitales pour un grattage méthodique, signe chez lui d’une certaine satisfaction.
La pièce qui lui servait de bureau avait, avec ses boiseries mordorées, le charme un peu désuet d’un club anglais. Les meubles d’acajou et de chêne ciré reflétaient les couleurs mourantes des derniers rayons de soleil. Tout respirait le luxe discret de l’intérieur d’un esthète de province. Il eut une moue dubitative lorsque ses yeux, qui venaient de glisser sur les reliures lustrées de la bibliothèque, s’arrêtèrent sur une pietà en bois sculpté posée sur le marbre blanc d’une petite commode.
Il en était là de son sordide contentement quand un détail assombrit son front. Ah, mais bon sang, c’était trop beau pour être vrai !, ce vieux singe avait, dans un codicille, imposé que je conserve le bureau dans son état et qu’en plus je garde sa fille unique comme secrétaire. Ah, celle-là ! Avec ses petits airs de sainte-nitouche et ses fringues de bonne-sœur… Rien à branler, elle ne perd rien pour attendre ! Elle paiera pour le vieux… Putain, le pied !
Le tintement aigrelet de l’horloge le ramena au silence de cette fin d’après-midi d’automne. Il regarda les aiguilles. Oh, fais chier ! Déjà huit heures du soir.
Il se redressa, se moucha puis cracha dans le grand mouchoir à carreaux violet qu’il enfouit dans sa poche après en avoir analysé le contenu glaireux.
Encore une demi-heure de boulot et hop, c’est mercredi : la soupe aux choux de Germaine avec en prime une bonne partie de bête à deux dos ! J’va t’la faire reluire la cochonne, se réjouissait-il en imaginant la table de chêne de la cuisine sur laquelle il avait l’habitude, le mercredi, de besogner sa femme.
Maître Le Tourneux, reprit ses écritures avec le soin appliqué d’un tâcheron, penché sur les colonnes de chiffres, la pointe de la langue affleurant ses lèvres épaisses. À chaque fin de ligne, il passait son pouce et son index sur l’épaisse moustache qui barrait sa face rubiconde de bouffe-tout. Il tira sur quelques poils.
En voilà une que t’as pas réussi à me faire couper ! pensa-t-il. Cré vingt-dieux, mes bacchantes à la Staline ! Elles t’énervaient hein ! Il se souvenait encore du timbre onctueux de son prédécesseur : « Mon cher Roger, vous devriez raser cette moustache, ou du moins la tailler plus convenablement. Cela fait un peu rustique, vous ne trouvez pas ? » Rustique, rustique !, j’va t’en foutre du rustique… Tu pensais « cul-terreux », « pedzouille », c’est ça ?.
Roger Le Tourneux était le dernier et unique rejeton d’une longue lignée d’honorables métayers qui, depuis près de trois siècles, travaillaient avec dévotion et une fierté sans orgueil les terres des Laborde de Cornaillant. Terres que feu le dernier fils, notaire, avait fini par vendre faute de revenus suffisants pour tenir son train. Par attachement à la fidélité de cette famille, le tabellion avait pris le jeune Roger sous son aile. Mal dégrossi, il était travailleur, un peu laborieux, certes, mais à force d’encouragements, il avait fait son droit et intégré l’étude comme premier clerc.
D’un naturel taiseux et méfiant, Roger était passé maître dans l’art de la dissimulation. Il détestait son protecteur d’une haine recuite et renfermée, mais savait, avec un rare talent, l’étouffer sous le masque d’une docilité mielleuse, proche de la soumission. Sa détestation s’était aigrie en une évolution lente qui avait fini par incruster son esprit comme s’enkystent les abcès. Son jugement, obscurci par un mélange de jalousie et de malignité, lui faisait interpréter chaque geste, chaque parole de son aîné dans un sens de plus en plus malveillant. L’accent aristocratique du vieux notaire, un peu traînant sur les finales, était ressenti comme arrogant, ses manières affables comme dédaigneuses, ses conseils comme des offenses blessantes et ses marques de sollicitudes comme condescendantes voire arrogantes.
C’est ainsi que, marié avec Germaine, une brave fille d’auberge, Roger avait, comme on répand les germes d’une maladie vénérienne, progressivement insinué dans l’esprit influençable de sa compagne la même aversion vicieuse. À la jubilation de l’annonce du décès de son prédécesseur avait succédé la déception du codicille. Le couple infernal avait convenu un soir de beuverie de se venger des années d’humiliations réelles ou fantasmées. Germaine avait bien un peu rechigné lorsqu’il lui avait exposé son plan. Tout d’abord, lui avait-il dit avec un air de margoulin :
S’étant assuré que son machiavel de caniveau ne lui ferait pas d’histoire si elle s’envoyait en l’air avec le mari de la petite, elle accepta le rôle qu’elle pensait être de favorite et qui n’était que de petite moukère.
Jeanne, avait rougi à l’évocation de cette pratique qu’elle n’acceptait de la part de son Roger que pour qu’il ne lui fasse pas la gueule. Elle n’aimait pas trop ça, d’autant plus que son homme était monté comme un âne.
Il avait fallu quelques mois pour que Germaine parvienne à ses fins.
Un soir, Roger rentra guilleret de l’étude et annonça à sa femme que Maud venait de lui demander une semaine de congé pour aller à Paris avec sa tribu d’enfants.
Deux jours plus tard, à force de minauderies et de finasseries, elle avait réussi à entraîner le capitaine jusque chez elle, puis du salon jusqu’à la chambre où elle avait appuyé discrètement sur le bouton qui commandait un appareil photo dissimulé sur une étagère.
Ce n’est pas que Germaine était au goût de Charles, mais elle avait une manière d’être, de se mouvoir, de parler qui transpirait le sexe. Elle avait, selon la réplique du film Podium « les yeux qui criaient braguette » et, le mari de Maud avait cédé à la tentation. Cette femme était l’exact opposé de la sienne. Une bouche pulpeuse à damner un saint, des seins énormes à tourmenter le plus farouche anachorète, des fesses charnues à impatienter le plus chaste ermite. Échauffé par ce fantasme et les propos prometteurs de la bonimenteuse, le mari de Maud s’était retrouvé nu, pris en main et en bouche par une Germaine frénétique tandis que toutes les cinq secondes l’appareil photo immortalisait des scènes dignes de l’objectif de Fellini. En deux heures le brave capitaine avait rendu les armes deux fois et était remonté à l’assaut des fesses mafflues et hospitalières de notre hétaïre locale. « Zob et conscience nettoyés » auraient écrit Frédéric Dard !
Loin s’en fallait. Notre valeureux officier de cavalerie avait regagné, solitaire et plein de remords, le foyer conjugal ruminant le sombre adage : Post coïtum animal triste.
Le soir même, maître Le Tourneux ouvrait une bouteille de mousseux en agitant la pellicule argentique sous les yeux admiratifs de sa Germaine.
Sans égard pour les courbatures de Germaine qui n’avait pourtant pas rechigné à la besogne, Roger culbuta sa bourgeoise sur les draps encore souillés de frais.
Consummatum Est, consummatum Ouest, la légitime du notaire dut se plier une nouvelle fois aux exigences de son mari, l’odeur de sueur en plus. Il sentait bon quand même le capitaine, pensait-elle les yeux fermés, la tête enfouie dans l’oreiller tandis que Roger ahanait entre ses cuisses.
La semaine suivante, Maud rentrait par le train de 12 h 57. À 13 h 34, elle ouvrait la boîte aux lettres et, pendant que les enfants défaisaient sagement leurs valises à l’étage, elle triait le courrier douillettement installée dans le salon devant une tasse de thé. Facture, facture, facture, appel au don d’œuvres de bienfaisance, lettre d’une vieille tante et… une enveloppe blanche sans timbre portant seulement son prénom calligraphié avec soin.
Intriguée, elle glissa sous le rabat la fine lame d’un coupe-papier et renversa le contenu de l’enveloppe sur la malle de voyage vernie qui servait de table de salon. La simple feuille dépliée contenait une photographie accompagnée d’une légende :
« Quand t’es pas là ton mari trombine la femme du notaire. »
Maud eut l’impression que son cœur cessait de battre. Foudroyée par la surprise, elle imaginait la pièce s’écrouler sur elle. Un tremblement fébrile agitait ses doigts et un sentiment de froid glacial envahissait ses membres. Sur la photographie en noir et blanc, elle distinguait sans aucun doute possible Charles, son mari, nu et, agenouillée devant lui Germaine Le Tourneux dans la même tenue. Le cliché ne laissait aucun doute sur l’objet qu’entouraient les lèvres de cette femme : le sexe bandé de son mari.
20 heures venaient de sonner. Maître Le Tourneux posa son crayon. Il est temps de rentrer, pensa-t-il, Germaine doit se demander ce que je fais. Au moment où il allait repousser son fauteuil, deux coups discrets, mais nets furent frappés à la porte de son bureau. Intrigué par ce visiteur du soir, il cria : « Oui, entrez ! » sur un ton où se mêlaient la surprise, l’agacement et une pointe d’anxiété.
La porte entrebâillée laissa passer la tête de Maud, sa secrétaire.
Bon Dieu de bon Dieu ! pesta-t-il intérieurement, ,mais qu’est-ce qu’elle vient foutre ici à une heure pareille ?
Roger avait toujours eu pour la fille unique de son prédécesseur un sentiment confus d’admiration et de respect, mâtiné d’une rancœur vicieuse. Il l’avait connue adolescente alors qu’il assistait son père et avait secrètement rêvé qu’un jour il aurait pu en faire sa femme. Non pas par amour, mais pour asseoir ses ambitions. Il avait souvent imaginé le vergé ivoire plié à l’italienne sur lequel aurait été gravé à l’encre bleu nuit : Antoine Laborde, marquis de Cornaillant, chevalier de la Légion d’Honneur, en union de prières avec Sybille, marquise de Cornaillant, ont l’honneur de vous faire part du mariage de leur fille Maud avec Monsieur Roger Le Tourneux. Très vite il s’était rendu compte de l’impossibilité d’une telle union et le fantasme avait fait place par dépit à une aigreur malveillante.
Maud, qu’il avait conservée comme secrétaire par l’obligation du codicille, continuait cependant à l’impressionner. Depuis son mariage avec un jeune sous-lieutenant de cavalerie, le nouveau propriétaire de l’étude s’était contenté de rajouter le titre de Madame devant le prénom qu’il utilisait lorsqu’elle était adolescente.
La fille de son prédécesseur n’était pas physiquement du goût de notre notaire. Il préférait les femmes enrobées, voire grassouillettes, enfin, des femmes avec des formes, avec des seins et des fesses faits pour la bonne baise. Maud n’était pas très grande et assez fine, mais ce qui frappait d’emblée les clients de l’étude, c’était son port de tête. Il agaçait parfois Roger qui le prenait pour une forme de dédain ou d’arrogance alors qu’il n’était que le fruit de plusieurs générations d’éducation soignée dont le maître mot était : Never explain, never complain. Jamais d’explication, jamais de plainte ! Chez les Laborde, s’expliquer était une marque de faiblesse dont les amis n’ont nul besoin et dont les ennemis ne feront aucun cas ; quant à se plaindre, c’était une forme d’impolitesse qui pouvait faire injure à la souffrance encore plus grande de son interlocuteur. La jeune femme était pétrie de cette politesse bienveillante, mais distante. À mesure que les années passaient, Roger avait progressivement transféré sur elle la haine étouffée qu’il portait à son père décédé, mélange d’amertume et de jalousie.
Entre le dormant et la porte de chêne sombre, le visage de Maud paraissait plus pâle que d’habitude.
À la vue de son regard troublé, et bien que le ton se voulut ferme, Le Tourneux devinait l’embarras de sa secrétaire. Il réfléchissait. Mais bien sûr, elle avait dû recevoir le courrier qu’il avait déposé dans sa boîte aux lettres. Elle ne devait reprendre le travail que dans deux jours. Elle avait donc bien mordu à l’hameçon et plus vite qu’il ne l’avait imaginé. Il était temps de la ferrer, calculait-il, de la ramener lentement vers son épuisette à la manière des brochets. L’homme hésitait entre un clavage à la touche ou un ferrage retardé. Le premier était plus sportif, mais risquait d’arracher le bec, le deuxième était imparable, mais il nécessitait plus de patience et le combat serait plus mou.
Roger amorça un mouvement pour se lever.
La voix était basse, presque étouffée, mais, dans le silence de l’étude désertée, elle résonnait comme une plainte. Le notaire fut impressionné par la gravité du visage qui reflétait cependant une forte tension intérieure. Sans un mot, il désigna de la main un siège en face de lui. La jeune femme s’y assit après avoir discrètement lissé l’arrière de sa jupe. Roger l’observait. Il refrénait une envie compulsive de se frotter les mains à la manière des maquignons flairant la bonne affaire. Il en était sûr, elle avait mordu, elle était cuite la petite mijaurée, mais, avec la prudence d’un entremetteur, il n’osait savourer encore une victoire qu’il espérait éclatante.
Il observait Maud. Si le dos était droit comme à son habitude, les épaules paraissaient légèrement voûtées comme sous le poids d’un fardeau trop lourd. Le port de tête n’avait rien perdu de sa superbe, mais les paupières étaient agitées d’un léger tremblement qui trahissait un profond désordre intérieur. Elle avait posé ses mains à plat sur sa jupe, immobile dans un état de quasi-sidération. Le Tourneux chassa l’ombre de compassion qui lui traversa l’esprit. C’est pas l’moment flancher, mon pt’it Roger, ressaisit toi, elle est à toi la petite pimbêche chichiteuse ! T’en as rien à foutre, elle paiera pour le père !
Il la détailla pour raviver sa haine. Tout en elle l’agaçait. Son allure de jeune fille bien élevée malgré ses quarante ans ; le chemisier ample de coton bleu ciel à encolure ronde volantée ; le kilt drapé, en laine épaisse qui descendait sous le genou et les collants de la même couleur. Putain ! Des collants, l’horreur ! Elle a aucune classe, pensait-il en l’observant, on dirait une petite pucelle sortie d’un pensionnat de bonne-sœurs. Il doit pas souvent grimper aux rideaux l’capitaine avec un glaçon pareil. Ah ! C’est pas la Germaine, avec ses bas et ses porte-jarretelles. J’comprends qu’il ait remis le couvert avec ma bourgeoise, le refoulé ! Ça devait le faire bander, le string et le soutien-gorge seins nus rouge et noir qu’elle portait pour l’exciter. Un truc à près de cent balles qu’il avait acheté lui-même au Dorcel Store. « Ce soutien-gorge en dentelle entièrement ouvert sur votre poitrine est une lingerie associant élégance et sensualité. Vos seins seront soutenus par un pad de mousse très fin, doublé d’une sublime dentelle raffinée. Un pompon sexy situé à l’entre-seins caressera subtilement votre peau », disait la pub. C’est pas la coincée d’Maud qu’aurait porté un ensemble aussi classieux ! Pourtant, à bien y regarder, elle était pas si mal foutue, la bougresse ! Bon, un peu maigrelette, mais avec du rouge à lèvres et à quatre pattes dans la position d’la chèvre qui broute, elle devrait être baisable.
Maud ne réagit pas devant la familiarité avec laquelle il venait de s’adresser à elle. Elle leva la tête et planta ses yeux sombres et ardents dans le regard porcin de son interlocuteur. Elle semblait avoir rassemblé toutes ses forces et le toisait d’un air ferme.
Arduité ! La voilà qui parlait comme son père, pensa-t-il. Ce mot, absent de son dictionnaire, le cinglait comme un coup de cravache. Encore une façon d’essayer de m’humilier ! Arduité ! J’vais t’en foutre de l’arduité, ma cocotte. Tu vas voir ! Si tu crois m’impressionner avec tes grands airs. Tu connais mal le Roger, Arduité… Arduité, mes couilles, oui !
Il contint la colère qui le submergeait et se pencha d’un air patelin vers celle qu’il considérait maintenant comme sa proie.
Maud s’arrêta, reprit sa respiration, et lâcha d’un trait le texte qu’elle avait soigneusement préparé et répété :
Maud venait d’extraire de son sac à main une enveloppe qu’elle déposa sur le bureau. Maître Le Tourneux, silencieux, l’observait en silence. Elle ne manquait pas de cran la p’tite aristo, pensait-il, avec un brin d’admiration. Ses lèvres pincées et ses narines palpitantes lui faisaient penser aux juments rétives qu’il avait débourrées à la ferme paternelle pour leur faire accepter le premier mors. Il se renversa lentement sur le dossier de son fauteuil et ouvrit le tiroir de son bureau dans lequel il rangea sans l’ouvrir la lettre et en sortit une grande enveloppe de papier Kraft qu’il déposa devant son interlocutrice en la poussant d’un doigt négligent.
Surprise, elle hésitait, fixant le papier brun-orangé. Roger s’était levé. Elle le suivait du regard, cherchant une réponse aux interrogations qui se bousculaient. Elle ne savait que penser, si ce n’est que tout cela prenait une tournure bien étrange. Il contourna lentement le bureau d’une démarche lente, mesurée, presque féline qui donnait l’impression d’un fauve flairant une proie acculée. Il lui parut soudainement inquiétant, presque répugnant.
D’instinct Maud avait toujours eu pour le notaire une certaine aversion. Elle ignorait tout des relations que ce dernier avait entretenues avec son père et encore plus du désir de vengeance qui le tenaillait. Son physique, tout autant que ses manières, provoquaient chez elle une forme de dégoût d’intuition. Il était gras – elle avait horreur de cela –, mais surtout, c’était la veulerie qu’elle devinait sous le masque de l’obséquiosité qu’elle exécrait. Son front bas et fuyant, ses petits yeux dissimulés sous d’épais sourcils broussailleux et surtout cette moustache épaisse aux crins drus retombant sur les commissures des lèvres comme celle d’un morse. Son garde-manger, disait Charles en plaisantant. À l’évocation de ce prénom, Maud fut prise d’un léger vertige. La vision de son mari avec la femme de ce porc. Elle se ressaisit, tenta de chasser l’image de cette trahison et se redressa.
Maître Le Tourneux qui était maintenant derrière elle, venait de poser une main sur son épaule. Elle frissonna sous le geste de familiarité, se raidit un peu, mais, refusant au notaire le spectacle de sa soudaine crainte, elle se pencha et ouvrit l’enveloppe. Une dizaine de clichés en tombèrent. Roger s’était penché par-dessus son épaule et étalait les photos. Il en saisit une qu’il planta devant les yeux de sa secrétaire.
Maud se figea. Au-delà du tutoiement que l’homme venait d’employer, c’était la vision de son mari entièrement nu, le sexe tendu comme un arc. Elle détourna les yeux et esquissa un mouvement pour se relever. La poigne se resserra sur son épaule.
Maud eut un sursaut et tourna la tête vers l’homme.
Roger s’était déplacé et s’était glissé entre le bureau et le fauteuil. Il se frottait les mains lentement comme un maquignon flairant une belle affaire. Il avait appuyé ses fesses sur le rebord du meuble et ses jambes, étendues de part et d’autre du fauteuil, privaient symboliquement sa proie de toute possibilité de fuite.
Maud s’était raidie et fixait Le Tourneux avec un air de défi dans lequel se mêlait mépris et le dégoût.
Impavide, le visage pâle, Maud regardait le notaire éructer. Il vomissait vingt années de sanies ravalées, de haine recuite, d’envie, de vengeance ruminée. Son visage couperosé avait pris un ton aubergine, ses grosses mains balayaient l’air. Une soudaine envie de vomir lui serra la gorge. Ce tombereau de vulgarité, cette indécence, cette obscénité qui se déversaient comme un flot d’immondices.
Il se tut quelques minutes et, d’un geste machinal, passa sa main dans son épaisse moustache avant de reprendre sur un ton cauteleux.
Le notaire était intarissable, il vidait son cœur comme un alcoolique ses tripes : des années de rancœur, d’amertume, d’aigreur…
Maud se leva brusquement. Elle lui faisait face, le toisant d’un air de mépris.
Roger se redressa comme sous l’effet d’une gifle. Il la dominait d’une tête et, malgré son aplomb apparent, Maud se sentit soudain à sa merci. Il posa sa main épaisse sur l’épaule de la femme et s’approchant sa trogne sanguine à quelques centimètres du visage, il reprit d’un ton insinuant.
Puis, se ravisant devant l’apparente détermination de son interlocuteur, elle reprit :
Puis après un long silence, il reprit sur le même ton patelin.
La main de Maître Le Tourneux caressait l’épaule de Maud. Il avait encore approché son visage. L’haleine épaisse du notaire parvint à ses narines et elle esquissa un mouvement de recul. Dans un éclair de lucidité, au milieu de cette scène surréaliste, elle crut comprendre les insinuations.
Elle tenta de reculer, mais la main gauche se fit plus ferme sur son épaule.
Tout en parlant, il avait saisi entre ses doigts le nœud du carré de soie qui entourait le cou de Maud. Elle eut un sursaut de recul. Dans son esprit les rires hypocrites, les propos faussement compatissants, la pitié bigote de la bonne société du canton, se mêlaient en un fracassant tumulte. Épuisée, à bout d’arguments, l’idée de la résignation s’insinuait en elle. Aucune parade ne semblait suffisamment solide pour contrer l’odieux chantage. À bout de résistance, par un réflexe inconscient de survie, elle laissa son esprit se noyer dans une sorte de prostration volontaire. Comme une martyre foulant le sable de l’arène, elle ferma les yeux, renonçant à une lutte inégale.
Tous ses sens, bien qu’engourdis, percevaient cependant le moindre bruit, le plus léger contact, l’odeur la plus diluée, comme amplifiés et pourtant lointains. Elle entendit le crissement satiné de la soie et le tissu glisser sur sa peau. Puis les doigts boudinés du notaire défirent avec lenteur les boutons de nacre de son cardigan. Elle imaginait le visage porcin crispé par un rictus obscène, les yeux chiasseux se repaissant de chaque centimètre de peau que ses mains dévoilaient. Le cardigan venait de glisser le long de ses bras. Roger reprit son lent effeuillage. Elle entendait son souffle libidineux à quelques centimètres de son oreille. Il peinait à défaire les boutonnières du chemisier et marmonnait des propos incompréhensibles. Le seul mot qu’elle parvint à comprendre fut celui de « salope » qui fouetta sa pudeur comme une gifle. Il lui prit lentement chaque poignet pour en défaire les boutons puis le chemisier rejoignit le cardigan sur le plancher.
Maud, restait silencieuse, comme prostrée.
Roger fut pris d’un rire gras.
Tout en parlant, il avait glissé son index sous la petite rose de dentelle blanche entre les deux bonnets. Il tira légèrement et la relâcha. Le bruit sec de l’élastique sur la peau claqua comme la mouche d’une chambrière.
Maud fit passer ses mains dans son dos et dégrafa les deux crochets de métal. Elle ramena lentement le tissu qu’elle maintint par réflexe serré contre sa poitrine entre ses poings fermés.
Il saisit lui-même les deux mains crispées qu’il abaissa, dévoilant la poitrine menue.
Il saisit entre ses doigts les deux petits mamelons bruns et les étira lentement.
Il se mit à genou devant sa proie et déboucla la lanière de cuir qui fermait le kilt drapé. L’épingle Claymore enlevée, le lourd tissu écossais glissa le long des jambes et échoua sur le plancher avec un bruit étouffé.
Tout en parlant, il avait posé ses deux mains sur les jambes gainées de nylon et remontait lentement. Le crissement de ses paumes calleuses sur le voile tendu parvenait amplifié jusqu’aux oreilles de la secrétaire immobile. Il glissa deux doigts sous l’élastique qui sertissait le ventre pâle et entreprit de dérouler le tissu. Passées la taille et les cuisses, il s’arrêta à la vue de la culotte blanche.
Son regard s’attardait sur la confortable culotte, détaillant sous le tissu l’arrondi plus marqué du pubis.
Maître Le Tourneux s’était relevé.
Maud esquissa une moue qu’elle réprima par un sursaut de fierté. Ne pas donner à ce porc le plaisir lubrique de ma honte, pensait-elle, le priver du bonheur que pourrait faire naître chez lui l’image de mon humiliation. Elle se baissa et finit d’enlever ses collants puis, saisissant fermement l’élastique de la culotte, elle la fit glisser le long de ses jambes et se redressa d’un mouvement brusque. Pour la première fois depuis le début de cet odieux chantage, elle ouvrit les yeux et planta son regard dans celui du tabellion.
Elle était nue au milieu de la pièce face à son bourreau. Dans la pénombre, sa peau pâle faisait une tache claire, presque lumineuse à l’exception de la marque sombre qui fleurissait à la fourche des cuisses. Seuls son front et ses joues étaient légèrement empourprés par l’émotion. Roger fut, un instant, saisi par la noblesse de son attitude. La nuque était tendue, le visage, dont la pâleur était rehaussée par la chevelure sombre ramenée en chignon, était impavide, comme figé à l’exception d’une ride froncée entre ses yeux. Elle me déteste, pensait-il. Il devinait dans les yeux fixes toute la haine et le mépris qu’elle lui portait. Un vague sentiment de honte l’effleura qui provoqua chez lui un regain de veulerie.
Il avait saisi la main de Maud et l’avait appliquée sur sa braguette. Sous le tissu épais, elle sentit le sexe gonflé. Il déplia les doigts et se massa l’entrejambe avec la main ouverte qu’il maintenait fermement.
Prenant Maud par les épaules il l’obligea à se retourner.
Il la saisit à la nuque, juste sous le chignon et la força à se courber en deux.
Les mains, posées à plat sur les deux hémisphères pâles, écartèrent les fesses.
Il se saisit de la lampe de bureau dont il souleva l’abat-jour. Le sillon fessier à peine plus sombre dévoilait ses mystères. Sous le petit médaillon froncé que couronnaient quelques petits poils fins, le périnée brun se couvrait progressivement de l’amorce moussue d’une toison qui allait en s’épaississant jusqu’à couvrir et masquer la vulve.
Malgré la pression de la main au creux de ses reins, Maud se releva et fit face à son tortionnaire.
L’horloge sonna la demie d’un tintement aigrelet.
Surpris, le notaire resta quelques secondes bouche bée.
Maître Le Tourneux affichait un air ridiculement théâtral.
Maud, les mains croisées sur le bas de son ventre, regardait d’un œil sardonique les doigts de Roger s’échiner sur les boutons de sa chemise qu’il jeta sur le bureau, bientôt suivie du pantalon.
Il se recula de quelques pas. Esquissa un pas de danse grotesque et fit glisser le caleçon douteux qui servait de dernier rempart au plus pitoyable tableau que les vénérables boiseries du bureau de feu maître Laborde avaient aperçu.
Nu, Roger était encore plus repoussant. Une nuque de bison, des épaules légèrement voûtées, recouvertes d’un poil roux qui descendait sur une poitrine large comme une armoire. En lui, tout débordait. Il était aussi répugnant extérieurement qu’intérieurement. La bouche lippue, sous l’épaisse moustache broussailleuse, esquissait une grimace qu’il voulait être un sourire charmeur. Sa panse formait deux plis de graisse jaune et molle qui s’affalaient sur son pubis. Campé sur deux jambes chétives, il avait passé une main en coupe sous ses bourses tandis que l’autre empoignait un sexe épais, noueux comme un cep de vigne qu’il agitait lentement en exhibant le gland violacé décalotté.
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase ni de voir dans le regard de Maud un éclair fulminer.
La porte du bureau s’ouvrit et le flash d’un appareil photo crépita en rafales. La dernière photographie fut celle du regard ahuri du notaire, juste avant que le poing de Charles ne s’écrasât au milieu de son mufle rubicond et que ses génitoires n’entrent violemment en contact avec le genou de l’officier.
Assis sur le sol, une main sur le nez, une autre sur les testicules, Roger eut juste le temps de sentir le crachat de Maud et de voir sa silhouette disparaître sous l’imperméable que lui tendait son mari.
Charles rassembla les clichés épars sur le bureau et les glissa méticuleusement dans l’enveloppe de papier Kraft.