Il est des nuits, des jours aussi parfois, qui marquent l’existence de certains d’une trace indélébile. Rien ne prédisposait le soir de ce 6 juillet à être autre chose qu’une simple avancée orageuse. Le ciel avait pris depuis le crépuscule cette couleur qui préparait l’apparition du tonnerre. Gros nuages sombres, humidité latente et moiteur faisaient coller à la peau le vêtement le plus léger. Puis la nervosité ambiante m’imprégnait petit à petit, alors que le vent soufflait plus violemment dans le grand marronnier devant la maison.
S’endormir dans de telles conditions relevait de l’exploit. Par contre, une somnolence entrecoupée de moments de semi-conscience m’avait enveloppée et je n’étais vraisemblablement pas dans un état normal lorsque je m’étais réveillée en sursaut. Un regard au cadran du réveil sur la table de chevet de ma couche m’apprenait que finalement j’avais bien plus dormi que je ne le pensais. Pourtant, tout mon corps semblait recru de fatigue. Le soleil qui éclairait l’extérieur, pénétrant par les interstices des volets de bois, venait lécher les lames du parquet de cette chambre que j’occupais seule depuis… toujours.
La maison, c’était celle de mes parents, reprise après leur décès et j’y vivais solitaire. Les rares hommes qui avaient franchi le seuil de cette longère familiale n’avaient guère séjourné plus d’une nuit entre mes murs. Il me manquait toujours cette étincelle pour en garder un plus d’une semaine. Celle qui embraserait mon cœur autant que mes sens, celle-là n’était jamais arrivée. Quant aux aventures, j’en avais eu de nombreuses, je devais l’avouer, mais depuis quelques mois, une certaine absence habitait ma demeure.
Je devenais plus difficile, plus casanière aussi et les élus ne se bousculaient plus, ou alors ils se trouvaient plus triés sur le volet. Un cycle sans personne ? Une longue période de jeûne, de disette ou d’abstinence ? J’aurais été bien incapable de le dire. Alors l’étrange lumière du jour qui allait bientôt inonder ma chambre ne dérangeait que moi. En m’étirant comme une chatte, je reprenais lentement contact d’un pied prudent avec un parquet plutôt solide. Ma nuisette abandonnée sur le drap repoussé sur le côté inoccupé de mon lit retrouvait sa place sur mes épaules.
En quelques enjambées, je rejoignais la cuisine pour y faire couler ce café n’attendant que l’eau bouillante pour m’enivrer de ses meilleurs arômes. D’un pas nonchalant, j’allais ensuite ouvrir les volets pour admirer cet astre qui réchaufferait mes vieux os. Mes trente-trois ans commençaient à peser tout de même sur ce corps qui me demandait de plus en plus d’attentions. Et chose curieuse, je comprenais soudain qu’il y avait un couac quelque part. Je ne saisissais pas du coup comment c’était possible.
On aurait dit que seule ma maison bénéficiait d’un soleil personnel. Au-delà des limites de celle-ci, tout était encore dans le noir le plus total. Mon esprit n’assimilait pas vraiment ce qui arrivait. La lumière n’était pas éblouissante, mais plus feutrée, chaude aussi, sans brûler. Et impossible de voir le ciel qui entourait ce halo lumineux. Sur la terrasse, baignant complètement dans un éclairage incompréhensible, il me sembla voir quelque chose bouger. Une forme penchait ce qui pour moi s’apparentait de suite à une tête.
Ce qui me regardait là avait de longs bras et le corps différait sensiblement de celui d’un homme normal. Je me demandai d’un coup ce que cet étranger faisait chez moi et pourquoi il avait allumé une telle lampe. Aussitôt, sans pourtant qu’un seul son franchisse les lèvres supposées de ce bonhomme, dans mon cerveau, une réponse venait s’inscrire. Naturellement, comme si mes pensées étaient lues par cet individu et qu’il me répondait par le même biais. Une réaction assez étrange, faite d’une sorte de peur vite réprimée par des ondes toutes positives émanant de l’individu qui avançait désormais vers moi, me surprenait d’un coup.
Un peu comme si l’autre cherchait à m’apaiser et pourtant tout se faisait en silence. Pas de son, pas de mot, juste cette sensation que tout se passait dans ma tête !
- — N’aie pas peur ! Comment t’appelles-tu ?
- — Jade… mais qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?
Mon ventre se serrait à l’idée qu’un inconnu se trouvait à moins de trois mètres de moi et qu’il… entrait dans ma cervelle. Puis il y avait cette impression d’impuissance, que les évènements s’enchaînaient sans que je sois en mesure d’intervenir d’une quelconque façon.
- — Vous… vous n’allez pas me faire de mal ?
- — Du mal ? Ce mot m’est… nous est inconnu, Jade.
- — Mais qui êtes-vous ?
- — Regarde !
La forme avait seulement levé ce qui me paraissait être un doigt. Il montrait un point que la lumière m’empêchait d’apercevoir.
- — Je viens de là-haut ! Il y a au-dessus de votre Terre des milliards d’autres mondes. Je viens de l’un d’eux. Mais t’expliquer tout cela prendrait trop de temps…
- — Vous… voulez dire que vous venez d’une étoile ? De la Voie lactée ?
- — De bien plus loin, et ça dépasserait ta compréhension et puis votre vision des choses est encore trop rétrograde pour que vous compreniez bien ce qui vous entoure.
- — Vous sous-entendez que nous sommes des idiots, des retardés mentaux ?
- — Non ! Juste des enfants… qui jouent avec le feu. Et à craquer quelques allumettes sans savoir, vous pourriez bien mettre en danger votre environnement immédiat. Le nôtre aussi par contrecoup.
- — Nos mondes sont donc liés ?
- — Tout ce qui existe est amalgamé. L’effet papillon, c’est bien ainsi que certains d’entre vous l’appellent et ceux-là ont raison. Mais tout est à l’échelle de l’univers.
- — Pourquoi êtes-vous chez moi alors ? J’ai peur de vous, mais quelque part, je suis sûre que vous ne me ferez aucun mal. Je ne saurais expliquer ceci.
- — Nous ne sommes pas des ennemis ! Juste de l’amour. Et parmi les habitants de cette planète, pour employer vos termes, nous avons choisi quelques élues.
- — Des élues ? Mais pour quoi faire ? Je ne saisis pas ce que vous me voulez.
- — Nous sommes déjà venus, il y a des millions d’années pour fertiliser cette boule bleue qui permettait d’engendrer le processus complexe de la vie.
- — Vous me racontez que vous avez semé la vie sur notre terre ? Alors pourquoi… pourquoi chez moi, là ? Cette nuit je veux dire ?
- — Parce que tu es un de nos choix. Tu fais partie d’une sélection de quelques douzaines de personnes, qui vont porter nos espoirs et nos attentes. Notre peuple a besoin que ce monde reste calme et que vous arrêtiez de jouer aux apprentis sorciers. Nous allons faire germer la sagesse sur cette terre.
- — Je… vous me faites très peur par vos propos bizarres.
- — Il n’y a rien que tu ne sois en mesure de comprendre. Et lorsque je rejoindrai ma planète, mon devoir sera accompli. Sache seulement que nous avons fait une première tentative pour vous sauver… il y a environ deux mille ans. Mais c’est par un homme seul que nous voulions vous inculquer quelques règles de base. Nous avons partiellement échoué.
- — … ?
- — Ne t’inquiète pas ! Nous avons pris toutes nos précautions et étudié toutes les hypothèses. Cette fois c’est grâce à vous, à vos corps de femmes, que nous ferons avancer ce monde. Nous vous avons observé et savons que ce sont finalement les femelles de cette planète qui sont les vraies maîtresses du jeu. Et toi et les autres élues de cette nuit… vous allez ensemencer la terre d’une sagesse infinie.
- — Mais… je ne comprends rien de ce que vous voulez me faire savoir.
- — Pas grave ! Contente-toi seulement de vivre le présent. Il va préparer votre futur et par extension favoriser le nôtre également.
- — J’ai… peur. Comment allez-vous faire ? Je ne sais rien de ce que vous me dites, et ne suis pas une élue.
- — Si ! Tu es celle que je dois préparer. Tu ne risques rien, ce n’est en aucun cas douloureux et ici, sur Terre vous appelez cela « faire l’amour ». Ensuite, je ferai en sorte que tu ne gardes aucun souvenir de ce qui va se passer… peut-être auras-tu quelque temps une impression d’un mauvais rêve… mais aucune des femmes choisies ne saura que nous sommes venus…
- — Je ne vois pas le but alors de ce passage !
- — Reste calme… tu dois comme les autres, porter le fruit de nos amours… parce que je suis envoyé uniquement pour toi. Pour que ton ventre serve de matrice à nos espoirs. Tu vas donc être la maman d’un enfant des étoiles… comme beaucoup d’autres cette nuit…
- — Mais… ce n’est pas possible ! Je ne veux pas…
- — Viens !
La forme restait d’une incroyable douceur dans ses propos et ses gestes. Mon esprit se trouvait comme envahi par un bien-être inexplicable. Le visiteur m’avait simplement fait avancer, mue par je ne savais quel mécanisme, j’obtempérai mystérieusement. Ma volonté semblait annihilée et je m’étais retrouvée dans la lumière incroyable d’une sorte de ouate. Rien de ce qui m’entourait n’avait de formes, de contours et pourtant, mon esprit, contrôlé par la créature n’avait ni crainte ni rébellion. Je me contentais d’être dans une sorte d’extase euphorique. Et les sons restaient seulement dans ma caboche.
Au fond de mon crâne, j’avais reçu un message me demandant gentiment de me dévêtir. Alors sans trembler, en la faisant passer par mes épaules, ma nuisette avait quitté mon corps. Prête à un sacrifice dont je ne connaissais rien, je n’agissais plus qu’en fonction d’une force inconnue, laquelle me dictait chacun de mes actes, de mes mouvements.
- — Pourquoi moi ? Pourquoi justement moi ?
- — Nous t’avons choisie parce que ton cerveau est un des meilleurs. Tu as de bonnes notions en mathématiques et c’est bien cela qui fait de toi une bonne candidate.
- — Mais…
- — Chacune des élues a des particularités essentielles dans des domaines très divers. Et mises bout à bout, toutes vos connaissances, avec notre aide, serviront nos enfants… enfin… vos enfants seront les maîtres de cette Terre et pourront la faire évoluer dans un sens plus normalisé. Je veux te dire par là qu’ils seront appelés à de grandes choses. Tous recevront des dons spécifiques qui remettront votre planète dans un sens plus conforme aux lois universelles de la nature.
- — Je… je ne saisis pas ce que vous voulez me faire passer comme message !
- — C’est complexe et confus, pour un simple cerveau humain. Nous sommes venus pour que les enfants qui vont naître de cette nuit soient les réparateurs de votre terre. L’homme en a fait un cloaque, une poubelle, sans se préoccuper de ce qui peut arriver à cause de sa bêtise. Il est temps de mettre un terme à cela et un grand coup de balai dans cette fourmilière insensée.
- — Vous voulez dire que vous allez me faire un enfant qui va être un peu médecin du monde ?
- — Pas du monde… de l’univers tout entier. Mais il ne sera pas le seul à travailler au bien-être de… ce qui vous, et surtout nous entoure. Ce que vous percevez et ce que vous n’imaginez même pas ! Cette nuit sera celle des enfants des étoiles… À moi de faire maintenant ma part du travail pour lequel je suis venu…
- — Vous allez me faire l’amour ?
- — Je ne sais pas ce que cela veut dire vraiment et si je m’en réfère aux images que ton cerveau me renvoie… je peux te donner l’illusion que tu accompliras les mêmes gestes. C’est ton désir ? Je lis d’étranges images dans ta tête !
- — … ? Il m’est difficile de concevoir une autre manière de faire un enfant.
- — Je vais donc te donner satisfaction et faire en ta compagnie ce qu’ici, tous nomment « faire l’amour ». Et là, c’est toi qui seras mon guide… je ne suivrai que tes intentions, ta gestuelle.
Bizarrement les questions spontanées qui me montaient à l’esprit recevaient une réponse quasi immédiate. Il flottait dans l’endroit où je me trouvais une sorte de tendresse omniprésente. Cet étranger dont les contours m’étaient plutôt flous ne me semblait pas dangereux et il m’inspirait une sorte de confiance incompréhensible. Sans savoir comment, je me sentis déposée sur une couche dont je ne devinais que la présence. Mes doigts sentaient les contours alors que rien ne me les laissait entrevoir. Un truc de fou qui pourtant ne me donnait nulle angoisse. Couchée sur un nuage, c’était cette impression que je ressentais.
La chose, le fantôme qui s’avançait vers moi, je savais qu’il s’apprêtait à me toucher, à me prendre, à m’ensemencer et rien dans mon comportement ne reflétait une quelconque parcelle de peur. Pas de trouille monstrueuse devant l’énormité de l’évènement qui aurait dû me paraître inconcevable. Et venues de toutes parts, des milliers d’images, toutes dans des couleurs pastel, me faisaient frissonner. Tout mon être transpirait une envie qui se traduisait par des frissons partout. Je ne me reconnaissais pas dans la femme allongée là, sur un autel inconnu. Les mains… je ne savais pas d’autres mots pour les décrire, oui des mains frictionnaient mon corps.
Leurs langoureux allers et retours accentuaient de plus en plus une montée d’un désir charnel que je n’avais plus connu depuis bien longtemps. Je me sentais investie de toutes parts et mes premiers soupirs s’accentuaient dans des gémissements d’attente. Pour un peu j’aurais réclamé que ce… ce spectre me fasse l’amour le plus profondément possible. Même l’idée que mon ventre pourrait être ensemencé devenait une source de désir. Contrairement aux étreintes dont j’avais été actrice par le passé, celle qui m’arrivait me remplissait d’une joie immense.
Très lentement, ce n’était pas mon corps qui était possédé, mais bien tout mon être, esprit compris. Je ne saurais décrire ce qui se passait en moi. Mon cerveau participait activement à ces caresses à sens unique. Je n’avais pas besoin de toucher l’autre pour ressentir les douceurs de ce qu’il me faisait. Je songeais « fellation » et les sensations que je ressentais me transportaient dans cette figure très libre du sexe partagé. J’imaginais « minette » et ma chatte se trouvait immédiatement câlinée de la meilleure façon qui soit.
Combien de temps avait duré cet incroyable corps à corps où personne d’autre que moi ne combattait ? Quand j’avais ressenti le véritable besoin d’être saillie, mon vœu avait sur-le-champ été exaucé. Je pouvais ressentir les coups de reins d’un individu dont rien ne définissait une forme humaine. Mais j’étais bien, dans un monde fait de perceptions toutes plus animales les unes que les autres. Et jamais, au grand jamais, je ne m’étais sentie autant femme. À la question de savoir comment j’allais vivre une sexualité normale après cela, l’unique réponse que j’avais reçue n’avait rien de joyeux.
- — Ne t’inquiète pas ! Tu ne garderas de cette nuit aucun souvenir et tu retrouveras ta vie de tous les jours. Nous améliorerons sans doute ton quotidien pour que l’enfant n’ait à souffrir de rien… d’aucun manque.
- — Mais…
- — Tu n’auras plus à travailler. Mener à bien la tâche qui t’est confiée sera un travail de tous les instants. Tu devras lui donner la meilleure des éducations. Il ne peut, il ne devra jamais avoir de problème particulier. Rassure-toi, le moment venu, nous reviendrons pour guider nos fils et nos filles. Fais-lui faire les meilleures études, qu’il suive sa route sans peur.
- — Comment pouvez-vous croire que je vais tomber enceinte de cette manière ? Comme ça à la première tentative ? Je suis dans un rêve ? Pire… une hallucination, un cauchemar ?
- — Pas le moins du monde ! Mais depuis longtemps nous avons appréhendé vos mœurs et vos modes de reproduction. Nous en savons tous les mécanismes.
- — Vous avez joui aussi fort que vous m’avez fait jouir ? Avez-vous pris du plaisir à me faire l’amour ?
- — Je ne t’ai pas fait ce que tu nommes « l’amour » !
- — Mais… comment est-ce possible ? Je vous ai bien senti en moi ! Les incroyables sensations que j’ai ressenties, je ne peux les avoir inventées…
- — Non ! Ce sont seulement les sommes de tous les épisodes charnels que tu as vécus que j’ai fait revivre en un seul. Un peu comme si pour te rendre heureuse, tous les hommes qui sont venus en toi se réunissaient en une seule et unique participation sexuelle.
- — C’était pourtant bien vous qui étiez en moi !
- — C’était seulement l’image que tu voulais avoir de moi ! Et je n’ai participé que dans ton esprit, juste pour ensemencer ton ventre. Tu es désormais une mère porteuse d’un enfant des étoiles. Ton fils, oui pour toi ce sera un garçon, naîtra dans des conditions identiques à celles de tous les nouveau-nés de cette planète. Je reviendrai de temps en temps, pour m’assurer que tout se passe bien… maintenant, regarde ceci.
J’avais porté mon regard sur un objet que l’inconnu tenait à bout de bras. Une petite décharge électrique semblait alors traverser l’espace qui me séparait de cette lumière violente. Ensuite… eh bien, je n’avais plus aucun souvenir de ce qui venait de se passer. La vie quotidienne avait repris son cours normal. La tourmente était passée et le ciel enfin net et clair ne perturbait plus mon sommeil. Au réveil, les oiseaux chantaient et je n’avais aucun besoin de me faire du souci. Tout était limpide, pas un nuage pour rappeler la nuit moite de la veille. Je n’aimais pas et n’aimerais jamais les orages !
— xxxXXxxx —
Ce n’était que quelques jours plus tard que, me sentant plutôt nauséeuse au réveil, ceci plusieurs matins de suite, je me rendis chez mon médecin généraliste. Histoire de passer un examen de routine afin de voir si quelque chose clochait chez moi. Je me pressentais étrangement dérangée depuis plus d’une semaine déjà. Et j’honorais donc le rendez-vous pris pour le milieu de matinée de ce mardi. J’attendais très sagement dans une salle en compagnie d’autres personnes. Quand mon tour arriva, mon bon vieux docteur me tendit la main et m’invita à le suivre dans son cabinet.
- — Alors Jade, qu’est-ce qui vous arrive ? On ne s’est pas vu depuis…
- — Oh ! Longtemps ! Je crois que c’était pour l’injection contre la grippe, ça remonte à l’automne dernier.
- — Eh bien tant mieux ! Moins on vient me voir, mieux c’est, non ? Et puis à votre âge, on est en pleine forme.
- — Ben… pas tellement depuis quelque temps ! Je me lève et après mon petit-déjeuner j’ai souvent des nausées ! Ça m’arrive même après les autres repas de la journée… alors je m’inquiète un peu.
- — Vous vous surmenez ? Vous êtes toujours célibataire ?
- — Personne ne veut de moi.
- — Ce ne serait pas plutôt le contraire ? Vous ne voulez donc pas d’un mari ?
- — Ils sont difficiles à trouver de nos jours, docteur.
- — Je vois… un grand brun ténébreux avec des muscles…
- — Pas spécialement ! Non, je préfère les hommes qui ont quelque chose dans le crâne, genre instruction plus que gros bras.
- — Le mieux serait d’en trouver un qui allierait les deux atouts… enfin, dites-moi tout. Donc vous avez des nausées ?
- — Oui, et de plus en plus fréquentes.
- — Vous avez changé d’alimentation dernièrement ? Vous suivez un régime ? Vous n’avez donc pas de petit ami… attitré ?
- — Rien de tout ceci.
- — Vous vomissez ou c’est juste un état latent ?
- — Il m’arrive de passer par la case toilette, oui !
- — Alors vous voulez bien vous déshabiller que je vous examine ?
- — Je… j’enlève tout ?
- — Pour l’instant votre corsage que je prenne votre pouls et votre tension.
- — D’accord !
Gérodias Beaulieu pratiquait depuis des années la médecine dans sa campagne natale. Après ses études à la faculté de la Sorbonne, à Paris, il était revenu s’installer dans un village proche de son lieu de naissance. Depuis, il en avait vu défiler des patients, jeunes, vieux, entre deux âges et de tous les sexes. Il connaissait bien des secrets d’alcôves, reçus comme des confessions lors de visites à son cabinet. Mais pour l’heure, la belle plante qui se trouvait là n’avait jamais fait parler d’elle. Elle était sa patiente depuis la maternelle et ne venait jamais le consulter pour rien.
Jade était plutôt jolie, et il ne pouvait s’empêcher de se dire que c’était dommage qu’une aussi belle fleur passe sa vie seule. Elle détachait un à un les boutons de son chemisier et lorsqu’elle se trouva en soutien-gorge de dentelles, Gérodias eut comme un soupir. Les jeunes hommes devenaient-ils assez bêtes pour ne plus voir une telle beauté ? Alors comme pour oublier cette réflexion idiote, il se colla son stéthoscope sur les oreilles et entreprit de faire son travail. Son rapide examen ne lui apportait pas les réponses espérées.
- — Bon, jusque-là tout me semble aller à merveille. Vous mangez bien, de bon appétit ?
- — Oui, sur ce plan-là aucun problème !
- — Et vous dormez suffisamment ?
- — Normalement oui… là encore tout est correct.
- — La date de vos dernières règles ?
- — Mes… règles ? Mais ça fait au moins six mois que je n’ai eu aucun rapport sexuel avec un homme. Je ne pense pas que…
- — Je pose toutes les questions utiles à la bonne compréhension de ce qui vous arrive. Mais c’est vrai que sans amant…
- — Oui ! Je ne peux pas être enceinte… ou alors c’est l’œuvre du Saint-Esprit !
- — Il paraît qu’il est arrivé qu’une femme enfante sans avoir de rapport avec un garçon !
- — Vous voulez parler de Marie ? Il y a bien longtemps que je ne suis plus vierge, je peux vous l’affirmer.
- — Je vous crois sur parole ! Mais je ne dois négliger aucune piste. Et les symptômes que vous me rapportez s’apparentent parfois à un début de grossesse…
J’avais haussé les épaules. Le bon praticien semblait intrigué. J’avais alors fouillé dans ma mémoire. Mes dernières règles remontaient à… presque un mois. J’aurais donc dû avoir les suivantes depuis… merde, je n’arrivais plus à avoir les idées nettes. Quelque chose ne tournait pas rond dans ma tête ? Il s’avérait impossible que je sois enceinte. Il eut fallu qu’un homme passât dans mon lit, ce qui n’était pas le cas. Gérodias n’avait pas trouvé et il réfléchissait.
- — Bon, je vais vous faire une ordonnance. Vous allez prendre les comprimés que je vous prescris pendant quelques jours, deux ou trois, pas plus. Si le problème persiste, revenez me voir. N’hésitez surtout pas.
- — Merci Docteur ! Je suis certaine que tout va s’arranger. C’est simplement un petit dérèglement dû à je ne sais quelle cause. Avec ces antis vomitifs, je suis sûre que tout va rentrer dans l’ordre.
- — Espérons-le ! Il n’y a pas lieu de se mettre martel en tête non plus !
Le samedi matin de la même semaine, assise à nouveau dans la salle d’attente, je guettais l’arrivée du docteur Beaulieu. Dès qu’il me vit, il s’empressa de me faire entrer dans son cabinet.
- — Je suppose que si vous êtes là, c’est que notre affaire ne s’est pas arrangée !
- — C’est le moins qu’on puisse dire. Non seulement vos pilules n’ont eu aucun effet, mais je crois que c’est pire encore.
- — Cette fois je vais vous examiner plus attentivement. Avoir des nausées matinales peut être la conséquence de bien des maladies… mais je vais en avoir le cœur net. Vous voulez bien passer dans la cabine et vous dévêtir ? Passez la blouse qui s’y trouve.
- — Je dois me mettre totalement nue ?
- — Gardez votre soutien-gorge et votre culotte si cela vous gêne… je vais devoir cette fois fouiller un peu, vous comprenez ?
- — … ? Vous persistez à me croire enceinte ? Ce n’est pas possible, je vous l’ai déjà dit.
- — Le mieux est de s’en assurer, ne croyez-vous pas ?
- — Bon ! Alors, allons-y, comme ça tous les deux, nous serons tranquilles.
À nouveau, j’avais ouvert les boutons de mon chemisier et, celui-ci retiré, ma jupe avait elle aussi trouvé refuge sur le crochet qui servait à pendre les vêtements. Ensuite, une blouse rose peu seyante sur mes formes, j’étais revenue vers le généraliste qui semblait perplexe.
- — Vous voulez bien vous étendre sur la couche d’examen ?
- — Bien sûr !
J’étais en position semi-allongée et lui se penchait sur moi. Le frais de son stéthoscope me surprenait une nouvelle fois. Parallèlement à cette opération, il me tâtait le poignet gauche. Il finissait par un sourire.
- — De ce côté rien d’anormal ! Vérifions donc le foie.
Il venait de me tâtonner le ventre, à la recherche de l’organe qu’il voulait ausculter. Puis il ouvrit légèrement la blouse. Il fit simplement glisser mon cache-seins, tripota quelques secondes celui qui se présentait à lui.
- — Ils sont anormalement enflés non ?
- — … ? Vous croyez ?
- — On dirait bien, oui ! Vous voyez l’aréole est plus violette que la normale, signe d’une petite dilatation. Je vais vous examiner… plus bas ! Vous voyez ?
- — Je n’ai donc pas le choix ! Alors, faites vite, ce n’est pas ce que je préfère, les touchers vaginaux.
- — Désolé, mais je dois faire mon travail, et vous rassurer totalement.
Les mâchoires serrées, je l’avais laissé faire. D’abord il avait enfilé un gant de latex, puis celui-ci enduit de gel, pour éviter la douleur je présumais, il avait enfoncé un de ces doigts en moi. J’avais senti cette intrusion médicale et ma respiration restait très crispée. Il devait ressentir ma résistance.
- — Détendez-vous ! Ce ne sera pas long. Juste pour m’assurer… que…
- — Oui que… ?
Le vieux bonhomme me regardait avec insistance. Il ne souriait pas, mais son air en disait long sur ce qu’il pensait.
- — Vous n’avez pas eu de rapport depuis combien de temps me disiez-vous ?
- — Au moins six mois, je vous assure.
- — Eh bien, il faudra m’expliquer comment sans homme vous avez su vous faire engrosser.
- — Mais… non ! Vous faites erreur. Ce n’est pas possible.
- — Je ne peux rien vous dire d’autre. Si vous ne me faites pas confiance, consulter un autre praticien ou mieux votre gynécologue. Vous en avez bien un d’attitré ?
- — Oui… mais je ne la vois qu’une fois par an, pour une visite de contrôle.
- — Cette fois ce n’est plus pour un examen de routine que vous devez vous y rendre, mais bien pour un début de grossesse. J’en ai déjà vu des femmes enceintes au tout début… mais aucune ne prétendait ne pas avoir couché depuis plus de six mois.
Visiblement il ne me croyait pas. Je n’arrivais pas à imaginer ce qui m’arrivait. Comment sans que je m’en sois aperçue pouvais-je avoir baisé avec un type dernièrement ? J’avais beau tout retourner dans ma caboche, rien n’était plausible. Pas de fête où je serais sortie bourrée, dans les deux sens du terme… non je ne pouvais pas comprendre que le docteur Beaulieu ne faisait pas erreur.
- — Vous êtes certain que… je suis bien enceinte ? Parce que, franchement… je n’ai aucun souvenir de rapports avec quiconque depuis plus de six mois, je vous assure.
- — Écoutez… je veux bien vous croire, mais alors c’est un prêtre qu’il vous faut, et préparez les papiers pour un nouveau miracle. Un Messie tout neuf va donc voir le jour… mais vous pouvez encore le faire passer… l’avortement existe de nos jours et il est légal dans certaines conditions…
- — Mais… je… je ne… non ! Comment pourrais-je être en cloque alors que je n’ai pas vu un mâle depuis si longtemps ? Existe-t-il une autre possibilité ?
- — Pas à ma connaissance, mais je ne suis qu’un vieux médecin de campagne. Je vais vous diriger vers un psy. Il saura bien faire quelque chose de tout ceci !
- — Vous me prenez pour une folle ? C’est bien cela ? Une folle ? Mais bon sang, je sais pourtant bien… ce que je fais de mon corps… et quand je couche avec un homme, je m’en souviens, d’habitude.
- — Vous voyez que vous n’êtes plus aussi catégorique !
— xxxXXxxx —
Les jours qui avaient suivi cette visite médicale, je n’arrêtais pas de pleurer. Mes nausées restaient aussi nombreuses et n’arrangeaient en rien mon état d’âme. Je me résolvais au bout de quinze jours à demander une contre-visite à ma gynéco. Celle-ci avec un large sourire confirmait le diagnostic de son confrère. Comment lui expliquer que je n’avais rien fait pour que cela puisse arriver ? De toute manière, cette Sofia « machin chose » s’en tamponnait de mon problème. Pour elle comme pour Beaulieu, il fallait une bite, du sperme et que tout cela se mélangeât dans une femme pour engendrer la vie.
Je n’envisageais même pas les réactions de ma famille, celles de mes amis. Quant à celles de Léa, ma meilleure amie, j’entendais déjà ses commentaires…
- — « Ne me raconte pas que tu ne sais pas qui t’a engrossé ? Tu es une fieffée cachottière. À ta meilleure copine tu n’as jamais dit avec qui tu passais tes nuits ! Pire tu m’as menti tout le temps en prétendant que tu ne t’envoyais pas en l’air depuis des mois… »
Sûr qu’elle ne voudrait rien entendre de mes explications. Dire que la vérité ne serait pas bonne à citer devenait un euphémisme. C’était en lisant une revue que tout bêtement, j’étais tombée sur un cas similaire au mien. Quelque part dans une région voisine, une jeune femme avait attenté à ses jours, défrayant la chronique en jurant les « Grands Dieux » qu’elle n’avait jamais couché avec un homme et que pourtant, sans explication, elle était enceinte. Ses amis, sa famille, tous la montraient du doigt et elle n’avait plus supporté cette mise à l’index.
En tremblant, j’avais appelé le journal pour savoir dans quel hôpital cette femme avait été admise. Après de longs palabres, une âme charitable dans les bureaux du quotidien avait fini par craquer et j’avais eu la précieuse information. C’était sans dire un mot de mon état à quiconque que j’avais décidé d’entreprendre le voyage pour rencontrer cette femme nommée, d’après le journal, « Mona ». Léa, apprenant que je voulais partir voir une malade décida de m’accompagner et pas question pour moi de chercher à la dissuader de venir aussi.
Un trajet de quelque trois cents kilomètres nous avait menées vers cette Mona qui nous regardait comme deux curiosités. Elle se demandait pourquoi deux inconnues débarquaient dans la piaule où les médecins la couvaient comme le lait sur le feu.
- — Bonjour ! Je m’appelle Jade et voici mon amie Léa.
- — Oui ? Bonjour, mais on se connaît ? Il ne me semble pas.
- — Non ! J’ai lu votre histoire dans le journal, et j’ai eu très envie de venir vous voir.
- — Ah ! C’est donc si beau à voir une folle ? Parce que pour tous ici… enfin tout le monde se plaît à dire que je suis folle à lier. Rendez-vous compte, une cinglée qui se fait engrosser sans seulement savoir de qui. Imaginez un peu, une tarée qui hurle que personne ne lui est passé dessus, bien que son ventre prouve le contraire… c’est bien ce que vous êtes venues saluer, une dérangée du ciboulot.
- — Pas du tout ! Moi, je vous crois sur parole…
- — Ah bon ! Vous me croyez ? Et pourquoi donc devriez-vous être plus royaliste que le roi ? Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que de ne pas être crue…
- — Détrompez-vous ! Je sais parfaitement ce que vous vivez… vraiment !
- — Jade ! Comment peux-tu affirmer une chose pareille ? Tu ne veux tout de même pas te moquer de… Mona ?
- — Pas du tout ! Mais il faut que je vous confie un secret à toutes les deux…
- — Un secret ? Mais pourquoi avoir fait tout ce chemin juste pour me dire un prétendu secret ?
- — Eh bien… personne n’est au courant, mais je suis dans votre cas, c’est aussi simple que cela.
- — Comment ça, dans mon cas ? Je ne pige pas très bien ce que vous voulez insinuer !
- — C’est pourtant facile à comprendre, non ? Je suis aussi enceinte et je n’ai pas touché un mec depuis plus de six mois… Vous saisissez pourquoi je peux vous faire confiance ? Vous et moi, vivons la même histoire.
- — Attends, Jade ! Tu ne prétends pas que tu attends aussi un enfant ? Que comme Mona, tu dis ne pas savoir de qui il est ? C’est dingue comme truc.
- — Peut-être ! Mais c’est simplement ce qui m’arrive aussi. Et tu me connais mieux que la plupart des gens. Tu sais bien Léa, que je ne mens jamais. Surtout sur un sujet aussi grave. À quoi ça m’avancerait de raconter des bobards…
Une chape de plomb tombait d’un coup sur la petite chambre au milieu de laquelle le lit médicalisé de la malade bouffait tout un pan du mur. Léa, scotchée dans son élan ne parvenait plus à articuler correctement une seule parole. Sa respiration s’était bloquée et la patiente assise sur les draps frappés du nom de l’hôpital écarquillait deux yeux d’un bleu profond. Ses cheveux mal peignés d’une couleur tirant sur le roux, la jeune femme restait elle aussi bouche bée. Une autre qu’elle avait un problème similaire au sien ? Ah moins que ce ne soit encore un coup des maudits journaleux en mal de copies.
Personne ne savait plus quels arguments avancer. Mona alors, reprit d’une voix blanche le dialogue que l’annonce de Jade venait d’interrompre quelques fractions de seconde. Le silence pesant était à nouveau troué par une question plutôt saugrenue.
- — Vous êtes enceinte de combien de temps ?
- — D’après mon gynécologue… bientôt deux mois. Et ce con n’a rien trouvé de mieux que de me proposer de me faire avorter.
- — Deux mois… c’est bizarre ! C’est sensiblement depuis cette même période que je dois avoir des nausées, d’abord matinales et désormais continuelles. Peut-être pourrions-nous déterminer quel genre d’évènement est intervenu dans nos vies à un moment qui fait que nous ayons fait des trucs sans nous en souvenir ?
- — Enfin Jade… nous résidons à des kilomètres de cette dame, alors comment une chose pourrait-elle vous être arrivée d’une manière identique, avec un pareil intervalle ?
- — Je n’en sais rien ! Ce que je constate, c’est que Mona et moi sommes toutes les deux dans le même cas.
- — C’est vrai… je crois que c’est depuis un soir d’orage que je me suis sentie plutôt bizarre…
- — Un orage ? Mais nous en avons eu un chez nous aussi ! Un balaise, tu t’en souviens Léa ? Je le sais parce que cette nuit-là j’avais eu un mal de chien à fermer l’œil. J’ai toujours craint le tonnerre. Il paraît que c’est idiot puisque ce sont les éclairs qui sont seulement dangereux.
- — Alors Mona et toi auriez été victimes d’un orage ? Ça n’a aucun sens ce genre de réflexion !
- — Sauf si quelque part un incident identique nous est arrivé…
- — Comment ce serait possible à deux ou trois cents bornes d’écart ? On nage en plein délire les filles !
- — Va savoir Léa… mais comment faire pour en avoir le cœur net ?
- — Ça, c’est mon domaine ! Bonjour Mesdames !
Un grand froid venait de plomber l’ambiance. Un grand type aux tempes argentées se tenait dans l’encadrement de la porte. En blouse blanche, il avait tout l’air d’un médecin.
- — Je me présente : Harold Damhani ! Je suis médecin et je pratique l’hypnose. J’ai surpris quelques bribes de votre conversation ! Loin de moi l’idée de m’immiscer dans vos affaires, mais je crois que pour vous rendre compte d’un fait oublié, l’hypnose pourrait vous aider.
- — L’hypnose ? Vous… enfin je crois que c’est de la foutaise.
- — Attends, Léa ! Toutes les solutions sont bonnes à étudier de près dans notre situation. En tout cas en ce qui me concerne, je suis prête à tout essayer… et vous, Mona ?
- — Pour qu’on me croie et que je sache ce qui m’arrive… qui est le salaud qui m’a mise dans cet état… je ramperais sur le ventre des jours et des nuits.
- — Ma parole, vous êtes toutes les deux aussi tarées l’une que l’autre.
- — J’aime bien moi votre logique et vos réactions. Votre amie est une de ces éternelles sceptiques. Mais rassurez-vous, Madame Léa, c’est bien votre prénom ? Rassurez-vous, c’est médical et sans vrais risques pour la santé de quiconque !
Il clouait le bec de ma péronnelle de copine, et ce avec un sourire, ce qui ne gâchait rien. L’homme ne devait guère avoir dépassé la quarantaine. Il avait le teint mat des gens qui prennent souvent le soleil. Ses yeux sombres gardaient à son visage un côté rieur, amusé pour le moins. Léa le bouffait littéralement des quinquets. Ça en devenait presque gênant. Il était d’une stature normale, rien d’imposant en lui, si ce n’était ses longues mains fines. Un charme fou émanait de cet homme. Et je réalisais soudain que ma follette d’amie craquait littéralement sur le type aux cheveux corbeau. Mona aussi avait remarqué le fait.
Seul cet Harold faisait mine de ne pas s’apercevoir du trouble de mon amie. La pâmoison de ce poison de Léa s’intensifiait encore alors que le docteur se remettait à nous vanter sa thérapie.
- — Vous savez, il suffit d’essayer ma méthode et au bout de quelques heures, on peut revenir au moment du trouble !
- — Des heures dans un cabinet médical… ça dure si longtemps…
- — Ah… je me suis mal exprimé, en quelques séances voulais-je dire… quelques séances durant entre trois quarts d’heure et une heure. J’aurais seulement besoin de votre adhésion pleine et entière pour ces sessions, c’est juste primordial. Si les patients sont réfractaires, il me sera impossible de travailler correctement.
- — C’est du pipeau tout ça ! Allons, les filles, vous n’allez pas vous laisser entraîner dans ce genre de salades. Vous ne voyez pas que ce… veut seulement profiter de vos inquiétudes.
- — Madame Léa ! Je suis médecin et à ce titre, comme tous mes confrères, j’ai prêté serment… Bon mesdames, je vous laisse réfléchir et si vous envisagez de venir me consulter, voyez avec le personnel de l’établissement ! Tout le monde sait où se trouve mon cabinet privé… Bonne fin de journée.
Il tournait les talons, comme pour échapper aux regards brûlants de Léa. Celle-ci finalement avait attaqué pour ne pas montrer ses faiblesses. Personne n’était dupe et sûrement pas le bonhomme qui lui avait lancé un de ces sourires que l’on ne voyait d’ordinaire que dans les pubs de la télé. Mona attendait sans doute que je m’exprime sur le sujet de l’hypnose. Mais c’était à chacune de nous deux de décider en son âme et conscience. Je penchais déjà pour une visite à ce type. C’était juste mon affaire. Léa une fois de plus mettait les pieds dans le plat.
- — Je suis sûre que tu vas faire la folie de consulter ce charlatan ! C’est bien dans ta nature ça, Jade.
- — Tu te calmes, oui ? Tu crois que nous ne nous sommes pas aperçues qu’il te bottait ce… mec. Il t’a tapé dans l’œil dès qu’il a ouvert la bouche. Et puis s’il a la solution, s’il nous permet de comprendre ce qui nous arrive, alors oui, j’irai le voir à son cabinet. Ça ne te regarde nullement.
- — Ne vous querellez pas, s’il vous plaît ! C’est vrai que nous avons remarqué que vous aviez pris un coup de foudre… nous, apparemment, c’est d’un orage que sont nés nos problèmes… alors nous ne sommes pas si éloignées les unes des autres !
C’était le mot de la fin ! Notre visite à cette jeune paumée s’était achevée sur ces sages paroles de notre nouvelle amie. Nous avions pris congé de Mona en nous promettant de nous revoir très rapidement. Elle devait rester encore quelques jours sous la garde des médecins, mais était toujours aussi farouchement déterminée à savoir. La note d’espoir distillée par le docteur Damhani lui avait rendu une certaine confiance. Je devais avouer que pour moi aussi c’était une bouffée d’oxygène.
À suivre…