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n° 19511Fiche technique8071 caractères8071
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Temps de lecture estimé : 6 mn
29/03/20
Résumé:  Comment donner courtoisement rendez-vous à une jeune femme en cette période de confinement ?
Critères:  #épistolaire #humour fh
Auteur : Samuel      Envoi mini-message
Lettre d'amour pour un rendez-vous à 18 h

Ma chérie,


Bon, c’est peut-être un peu cavalier de dire ainsi « ma chérie » et je ne voudrais pas que tu t’en offusques. Mais je sens tellement que les choses vont aboutir entre nous deux que je prends un peu les devants. C’est d’ailleurs toujours comme cela que ça se passe : on commence par prendre les devants, et c’est seulement par la suite quand on se connaît mieux que l’on s’occupe de derrière ou du derrière, comme tu voudras.


Bien sûr, nous nous sommes peu vus pour l’instant, mais quel instant ! Cette attente dans le cabinet médical, quand tous les deux nous portions le masque, ne sachant si nous étions contaminés ou pas… Et sais-tu que la plupart des rencontres sexuelles réussies se passent lors des carnavals ? Et certainement à cause des masques. Bien sûr, les nôtre étaient plus sobres, mais je voyais dans tes yeux combien tu saurais apprécier un jour ma conversation dont je ne t’ai fourni qu’un simple échantillon. Je t’ai parlé d’aller un soir au cinéma. Tu as fait non de la tête, mais je me suis demandé si cela ne voulait pas dire que l’on pouvait sauter l’étape cinéphile ou cinématographique pour celle du lit voluptueux. Oui, parce que je voulais te dire que je n’aime que les lits voluptueux.


Il faut que tu te dises surtout que si nous ne couchons pas ensemble, nous allons le regretter toute notre vie. Moi surtout. Mais toi aussi, parce que tu vas tout le temps te dire : un type comme ça, il ne fallait pas passer à côté. On peut très bien coucher ensemble dans cette période d’épidémie, parce que si nous avons tous les deux le virus, il n’y a plus de danger. Et si nous ne l’avons pas, alors on peut franchement s’éclater en se disant en plus qu’on aurait pu l’avoir et qu’on ne l’a pas. Alors, bien sûr, ce qui serait bête, c’est que seulement l’un de nous deux aie le covid19. Imaginons que je l’aie, tu l’attrapes et tu en seras d’autant plus vite débarrassée ; et si c’est toi, sache que je suis prêt à tous les sacrifices. Tu es ma Corona, je suis ton virus. Du reste, rien ne nous oblige à nous embrasser. Si tu as quelques craintes, je te prendrai délicatement par derrière pendant que tu regarderas mon image dans ton miroir (tu as bien un miroir ou une glace).


Tu vas me dire qu’on se connaît à peine, qu’on n’est pas fait l’un pour l’autre, que tu as un copain qui te satisfait complètement. Mais tout cela, tu t’en rends bien compte, ce sont de faux arguments. C’est exactement ce que disait George Sand à Chopin, ce qui n’a rien empêché de leur liaison tumultueuse. Oui, George Sand baisait tranquillement avec Musset ; Chopin dont elle connaissait juste quelques airs, n’était pas son type. Et pourtant ça ne l’a pas empêché de lui écrire : « Quand voulez-vous que je couche avec vous… », ou encore (qu’il faut lire une ligne sur deux en italiques) :


Je suis heureuse de vous dire que j’ai

bien compris, l’autre jour, que vous aviez

toujours une envie folle de me faire

danser. Je conserve le souvenir de votre

baiser et j’aimerais beaucoup que ce soit

une preuve que je suis aimée et désirée

par vous. Je suis prête à vous montrer mon

affection toute désintéressée et sans cal-

cul, et si vous voulez vraiment me voir

vous dévoiler sans aucun artifice mon âme

toute nue, daignez au moins venir chez moi


Tu vois bien que c’est exactement notre histoire !


Je suis sûr qu’à cet endroit de ma lettre, tu as déjà une main qui te caresse sans que tu ne t’en rendes compte. Imagine que ce soit ma main : c’est quand même plus confortable de lire une lettre à deux mains.

Il faut que je te prévienne tout de suite, je ne fais pas l’amour de façon triste et peu imaginative. Je renouvelle l’acte sexuel avec une virtuosité qui m’étourdit parfois moi-même. Jamais deux fois pareil. J’ai testé des positions qui ne sont dans aucun manuel. Par exemple, tu connais l’expression « avoir le cul entre deux chaises », eh bien moi, je prends l’expression au pied de la lettre. Ainsi tu seras nue assise entre deux chaises (tu as bien deux chaises chez toi), avec juste ce qu’il faut d’espace entre elles pour que ton sexe soit ouvert de toutes ses lèvres. Et moi, je viens avec ce truc à roulettes qu’ont les garagistes pour travailler sous les voitures. Et je te fais une visite complète… Tu peux imaginer la jouissance d’autant que les roulettes permettent tout un tas de diversions sensuelles. Je fais attention tout de même de ne pas rayer le parquet et je sors mon outil de ma salopette : ça roule, ma poule ! Bien sûr, ce n’est qu’un exemple.


On peut jouer aussi à « avoir la tête dans le cul bordé de nouilles », mais ça, ce sera quand on sera franchement copains comme cochons. Ensuite, quand nous serons vraiment cul et chemise, on finira par avoir le feu au cul, mais rassure-toi, ce sera un feu de Bengale, un feu d’artifice comme à Broooodway.


Dans la salle d’attente, tu ne m’as rien dit du tout. Et j’ai apprécié cette discrétion, cette façon si délicate de ne jamais me couper la parole. J’ai juste réussi à copier l’adresse qui figurait sur ton dossier médical. Moi, au contraire, je parlais tout le temps pour te dire : c’est la première fois que je sais d’avance tout ce qu’il va arriver. Cette logorrhée, tu l’as bien compris, était un symbole, une image, une allégorie, une métaphore. Tout ce que ma bouche déversait n’était que la pulsion freudienne d’un phallus en mal d’admiration. De ton côté, tu faisais semblant de lire une revue féminine et j’ai bien vu que l’article sur l’orgasme avait retenu ton attention. Je lisais aussi, moi, mais dans tes yeux qui disaient si clairement : avec un mec comme ça, il n’y a pas moyen de le rater, cet orgasme, qui me fuit depuis si longtemps, depuis le temps des chaussettes blanches et des couettes à la Sheila, depuis le temps des chaussettes noires et des coups-oui-ça-fait-mal à la Johnny.


Une seule fois, ma partenaire de lit a dit n’avoir pas ressenti de plaisir à mes coups de boutoir. Or, j’ai appris par la suite qu’elle avait simulé le non-orgasme. C’est pour te dire qu’avec moi, c’est du garanti, du 100%. Ne va pas penser pour autant que je suis un dragueur impénitent. Non, comme tous les garçons, j’ai une petite expérience dans le domaine. Il faut bien quelques rencontres pour être à son apogée lorsque, d’un seul coup, on se trouve en présence de la femme au masque blanc dans une salle d’attente ET QU’ON SAIT QU’ELLE VA ÊTRE LA FEMME DE VOTRE VIE.


Et, du reste, quel merveilleux signe que nous nous soyons connus dans une salle d’attente. Moi, je peux dire que je t’ai attendue toute mon existence. Et toi, comment as-tu fait pour te trouver précisément là au bon moment au bon endroit ? Tu n’imagines pas le million de hasards qu’il a fallu pour que nous soyons tous les deux dans ce cabinet. Je ne devais pas venir ce jour-là et la secrétaire m’appelle pour me dire qu’une personne s’est décommandée… C’est miraculeux. Nous aurions pu ne jamais nous rencontrer et sache que rien qu’à cette idée, mon cœur semble fléchir, ma peau se flétrir, mon sexe se rabougrir et tout mon être blêmir.


Tu te demandes souvent ce que tu pourrais faire pour la planète, et je reconnais là ton âme généreuse. Eh bien, figure-toi que la planète est peuplée d’hommes, et que je suis un de ceux-là. Tu comprends tout de suite alors ce que tu peux faire pour la planète : avoir l’âme généreuse, mais aussi foutative.


Et, cerise sur le gâteau ! j’ai des préservatifs rigolos et toute une gamme parfumée au fenouil, au romarin ou à la ciboulette. Déjà cela donne à la soirée, une atmosphère fun qui laisse présager un sacré délire.

Sache aussi que je ne suis pas du genre « collant ». Une fois que nous aurons fait l’amour, il m’arrive souvent de m’éclipser, d’aller voir ailleurs ; ce n’est pas un problème.


Je n’ai pas besoin de faire un gros effort pour t’imaginer nue, mouillée de toi-même, mais tu as bien vu que moi aussi je me mouille pour que notre histoire qui a si bien commencé trouve un final à la hauteur de nos espérances. Je serais chez toi demain à 18 heures. Je n’aurai pas de masque, mais tu me reconnaîtras facilement : je ne porterai pas de sous-vêtements.


Ton Jules sans scrupules.