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n° 19642Fiche technique122636 caractères122636
Temps de lecture estimé : 69 mn
03/06/20
corrigé 05/06/21
Résumé:  Un soldat Français, fait prisonnier, est placé dans une ferme et soumis au travail obligatoire.
Critères:  fh fplusag campagne amour init -rencontre
Auteur : Roy Suffer  (Vieil épicurien)            Envoi mini-message
39-45 : Travail obligatoire




Deux mois de classes et six mois de « guerre » pour en arriver là ! Il n’avait même pas pu faire la rentrée des classes au premier octobre, sa première rentrée. La mobilisation générale l’avait pris à sa famille dès sa sortie de l’École Normale, en juillet, diplôme d’instituteur en poche. Il avait fallu suer sang et eau, à des centaines de kilomètres de son Auvergne natale, pour devenir un « soldat » en deux mois de cagnard. Et puis il était parti pour la frontière de l’Est, confiant comme les autres en la fameuse ligne Maginot. C’est vrai que cette défense était impressionnante, tellement que les « fridolins » l’avaient tout simplement contournée. Et il s’était retrouvé comme les autres, prisonnier sans avoir tiré le moindre coup de Lebel. Résultat, après quelques jours derrière les barbelés d’un camp, deux lettres peintes en blanc dans le dos, KG (Kriegsgefangener, prisonnier de guerre dans la langue de Goethe), ils avaient été entassés dans des wagons à bestiaux, puis dans des camions bâchés avant qu’on leur ordonne de marcher sur des routes inconnues vers un avenir ignoré.


À chaque village, parfois à chaque croisement, son petit groupe perdait quelques hommes, dirigés ailleurs. Lui-même avait été poussé à coups de botte et menacé d’un fusil sur un interminable chemin de cailloux. Le soldat n’avait cessé de le menacer qu’en arrivant dans la grande ferme, nichée au creux d’un vallon verdoyant. Jean avait peur des chiens, mais son gardien peut-être encore plus que lui. Et celui qui se précipita vers eux tous crocs dehors leur ficha une sacrée trouille. Un ordre claqua et le molosse stoppa immédiatement sa course, faisant demi-tour tranquillement. La silhouette d’une femme de haute stature, main en visière apparut. Elle échangea quelques mots avec le soldat qui fit volte-face et repartit d’où il venait. Quelle était donc cette sorcière qui faisait rebrousser chemin aux soldats comme aux chiens ?


Elle lui fit signe d’approcher. Son visage était grave, empreint d’une sorte de tristesse infinie. Elle le toisa d’un regard fatigué et lui indiqua la grange du menton. Le chien en profita pour venir le renifler, il n’osa pas le caresser. Dans la grange, il y avait des outils qu’il connaissait bien pour les avoir vus parfois chez son grand-père, pendant les vacances : herse, charrue, moissonneuse… toutes tirées par un cheval.



Comme il semblait ne pas comprendre, elle joignit ses deux mains contre sa joue en penchant la tête et fermant les paupières.



Elle l’amena jusqu’au puits et remonta un seau d’eau. Jean comprit et posa sa capote et sa chemise. L’Allemande courut jusqu’à la maison et revint avec un bout de savon brunâtre et un torchon.



Et il s’exécuta, posant pantalon, brodequins chaussettes, bandes molletières et caleçon. Tout penaud d’être ainsi en tenue d’Adam devant cette teutonne, il la vit grimper sur la margelle du puits, empoigner le seau et le lui verser sur la tête. Du pied, elle poussa le morceau de savon vers lui et se pencha pour renvoyer le seau se remplir. Jean grelottait de froid et d’une petite honte également. Ce n’est que quand il fut couvert de mousse qu’elle daigna lui balancer un second seau sur la tête. Pendant qu’il s’essuyait sommairement, la femme prit ses vêtements un par un avec dégoût et les posa dans une bassine.



Il la suivit jusque dans la maison, le torchon pudiquement enroulé autour de la taille et le maudit clébard qui lui reniflait les fesses. Il y faisait plus chaud, il s’approcha de la cuisinière en claquant des dents. La femme était partie dans une pièce voisine et revint avec quelques habits propres, appartenant probablement à son mari, mobilisé lui aussi. C’était un peu grand, mais il ne fit pas le difficile.



C’est un ordre qu’il avait déjà entendu tant de fois en quelques semaines qu’il sursauta. Zut, où étaient-ils ? Dans sa redingote, bien sûr. Il sortit les chercher, les rapporta, elle les prit sans les consulter et les déposa dans un tiroir qu’elle ferma à clé et lui montra qu’elle glissait la clé dans sa poche. Genre, « voilà mon vieux, tu m’appartiens, tu ne peux pas faire trois pas sans papiers ». Prisonnier, quoi, il fallait s’y faire.



Après les rations de l’armée, la roulante assez piteuse, ce furent des blocs de cailloux dénommés « pain » à tremper dans un brouet infâme où l’on trouvait tout sauf un légume connu. Oh oui, il avait faim, une faim à dévorer n’importe quoi, la vraie faim, celle qui vous coûte plusieurs kilos, de graisse d’abord, de muscles ensuite, de santé enfin. Elle mit une assiette sur la table, une forme d’écuelle grande comme un plat de service, une fourchette et un grand canif, un verre et une bouteille de vin blanc. Elle prit l’assiette et la remplit à la louche d’une partie du contenu de la marmite qui mijotait sur un coin de la cuisinière. Des pommes de terre… Il n’en avait plus vu depuis qu’il avait quitté l’Auvergne. Quelques feuilles de chou et un gros morceau de lard qui tremblait et mettait des yeux sur le jus qui baignait tout ça. Il ne se fit pas prier, s’assit sur le banc et se jeta voracement sur cette nourriture divine, le meilleur repas de sa vie.



La réponse claqua sèchement et le ramena à la dure réalité dont il s’était échappé un moment, à la faveur de la chaleur de cette cuisine et de cette bonne nourriture. Il termina son assiette sans dire un mot et but un verre de vin. Et peu importait si la « Madameuh » n’était pas contente, il s’était bien rempli la panse. Elle se leva, ramassa son couvert et le mit dans l’évier avant de se retourner vers lui :



Elle lui fit faire le tour de la propriété, ponctuant sa visite de longs soupirs. Ceux de ne pouvoir être comprise facilement, mais aussi ceux du regret de la situation. Par exemple, dans l’étable conçue pour une trentaine de vaches, il n’en restait plus qu’une, « für milch ». Non, ce n’était pas son nom comme il l’a cru tout de suite, c’était pour le lait, une par ferme. Les autres ? « Für Soldaten », réquisitionnées pour nourrir les bidasses, comme les cochons dont il ne reste que le souvenir du dernier tué…


Finalement, la guerre est aussi moche et stupide du côté des occupants que des occupés : on vous pique les bonshommes, on vous pique les neuf dixièmes des ressources « pour l’effort de guerre » et on voudrait le sourire de la crémière. En échange, on lui file un prisonnier pour faire le boulot, sous-entendu on repassera au ravitaillement bientôt. Sauf que le Jean se montra peu coopératif. Le jardin, en friche aux trois quarts, il voulait bien. Il cultivait son jardin et avait même eu des cours de jardinage à l’École Normale, car l’instituteur public devait « occuper bourgeoisement son logement de fonction », c’était dans les textes officiels. Elle avait beau lui montrer successivement une vieille jument de trait dont l’armée n’avait pas voulu, la charrue de métal et les champs à travailler en répétant « kartofelen », il laissait tomber ses bras en geste d’impuissance. Elle lui prit les mains et les regarda. Malgré quelques cicatrices récentes, ce n’étaient pas des mains de paysan, à l’évidence. Elle lui dit alors :



Son visage s’éclaira d’un léger sourire répondant à celui, éclatant, du jeune homme qui reprit :



Cette fois elle rit vraiment, lui tapa sur l’épaule en lançant une bordée de « ja ». Elle ne semblait pas trop y croire. Cependant, ce fut à cet instant fugitif que cette femme lui apparut autrement que comme garde-chiourme. Elle était très grande, presque autant que lui, pas blonde du tout comme le voudrait l’image d’Épinal, mais au contraire très brune sous son bonnet de cotonnade blanche, avec une mâchoire carrée et un menton volontaire ainsi que des yeux d’un bleu foncé assez fascinants. Quant au reste, blouse, tablier, gilet et chaussettes ne laissaient rien transparaître de ce grand corps athlétique. Ce rire bref mit un instant l’accent sur la femme. Mais sans plus pour Jean qui ramena ses pensées vers son état de prisonnier au service de cette « Madameuh ».


Elle lui montra également les nombreuses autres dépendances, soue, remises diverses, et lui fit visiter son univers privilégié, semblait-il, la basse-cour. Les volailles y étaient nombreuses et diverses : poules et coqs, canards, dindons, oies, pigeons et de nombreux clapiers de lapins. Les bestioles s’égayaient dans une cour fermée entre les murs de la maison, de deux granges dont l’une leur servait d’abri, et un dernier mur percé d’un portillon de bois donnait accès aux champs. Elle en profita pour ramasser quelques œufs frais, mais certaines femelles couvaient à l’écart. C’est probablement grâce aux importantes capacités de reproduction de ces volailles que la basse-cour était aussi fournie. Formidable usine de recyclage des déchets, Jean comprenait bien que, pour faire de belles volailles, il fallait du grain et que ce grain, il fallait le produire. D’urgence, vu la saison qui s’avançait. Il subodora qu’en réussissant à l’aider de cette manière, il toucherait un point sensible de sa geôlière.

Il repassa par la grange au coucher du soleil afin de se préparer une couche à peu près agréable pour dormir, au milieu du foin. Il entendit la porte grincer, eut à peine le temps de se pencher pour entendre :



La clé tourna dans la serrure, l’enfermant sur sa solitude. Il n’y aurait pas de dîner, il avait bien fait de se remplir la panse. Un petit vasistas lui montra un coin de ciel où les étoiles apparaissaient une à une. Il aurait bien fumé une cigarette, mais ni le foin ni l’absence de tabac ne le lui permettaient. Il s’endormit rapidement en concoctant son programme du lendemain. Le chant du coq le réveilla, c’est alors qu’il prit conscience d’une masse chaude blottie tout contre lui. En tâtant, il comprit que c’était le molosse de la ferme qui, faufilé par un passage dont il avait seul le secret, était venu partager sa chaleur. Cette forme d’adoption lui plut, d’autant que l’animal s’éveillait également, bâillant largement en découvrant une série impressionnante de crocs. Il valait mieux l’avoir pour ami. Il alla jusqu’au puits, trouva le morceau de savon brun et un torchon propre et se fit une rapide toilette torse nu. La température de l’eau était un bon moyen de se réveiller complètement. La porte de la maison s’ouvrit alors sur une brève invitation :



Chouette ! Un bon café et au boulot. En fait, c’est une tout autre odeur qui l’accueillit, plus lourde et plus grasse. Une assiette l’attendait avec trois œufs ramassés la veille et un morceau de lard de poitrine grillé. Pas de tasse, pas de bol (c’était le cas de le dire), mais un verre et la bouteille de vin entamée la veille. Il dut se forcer un peu au début, son estomac n’étant pas habitué à un tel traitement, puis l’appétit vint en mangeant. Et si c’était le seul repas de la journée, il valait mieux en profiter. Il remercia et déclara « garten », indiquant qu’il allait jardiner. Grâce à la visite de la veille, il trouva tous les outils nécessaires et se mit à défricher. Rapidement, les anciennes allées réapparurent, des rangées de fruitiers en espaliers le long du mur au sud, même des châssis, ces petites serres basses servant à faire des plants à partir de graines. Il piocha, arracha, racla le sol jusqu’au zénith et jusqu’à épuisement. Il avait accumulé une montagne de déchets végétaux au milieu d’un jardin qui avait repris un aspect presque normal, il n’y manquait plus que des plantations. Oui, mais encore fallait-il le bêcher. Il eut un bref instant de découragement. Mais la « Madameuh » arriva et battit des mains :



Manger ? Oui, pourquoi pas, bientôt sept heures que le copieux petit déjeuner était dépensé. Au programme, c’était du lapin, mais bouilli et toujours avec des kartofelen. Ah ! Où étaient les culs de lapins à la moutarde de sa maman, les civets aux petits champignons ou les lapins farcis d’avant-guerre ? Juste un petit regret, mais il ne se plaignait pas. Deux fois de la viande dans la journée, quelle aubaine ! Il aurait également préféré du vin rouge, mais… il but une bonne rasade de blanc. Elle lui proposa même un schnaps, qu’il refusa. Timidement, il suggéra « café » ?



Elle semblait vraiment et sincèrement désolée. Encore un coup de la guerre. Soudain elle bondit et courut dans une pièce voisine, revenant un instant plus tard avec un gros pot de terre cuite décorée qu’elle lui tendit. Il ouvrit avec difficulté le couvercle coincé par un boudin de caoutchouc, découvrant une belle réserve de tabac brun sur laquelle était posé un étui de papier à cigarette. Nom de nom, ce que ça sentait bon. Il se confondit en remerciements, tirant à nouveau un sourire de la « Madameuh » qui n’était vraiment pas laide, loin de là. Il roula sa cibiche avec attention et délectation anticipée. Quand le cylindre fut terminé, il referma soigneusement le trésor, elle lui passa une grosse boîte d’allumettes. Il s’emplit les poumons de cette drogue trop rare et souffla longuement, faisant des volutes bleutées dans les rais de soleil. La femme le regardait, le visage posé dans le creux de ses mains, accoudée sur la table, un sourire lointain aux lèvres. Ses narines frémissaient, humant l’air enfumé, lui rappelant de lointains souvenirs d’un mari aujourd’hui loin d’ici. Il en aurait bien roulé une deuxième, histoire de rattraper le temps perdu, mais elle alla ranger le pot, le serrant affectueusement contre elle.


Alors il retourna travailler et bêcha, bêcha tout l’après-midi. Non seulement il bêcha, mais il roula plusieurs brouettes d’un tas de vieux fumier bien décomposé, trouvé à l’arrière de l’étable, un miracle pour un jardin. Il rapporta également deux brouettes de fumier de lapins, très puissant et chauffant, excellent pour les châssis et la germination des graines. En retour, il transportait des brouettes d’herbe arrachée dans la basse-cour, provoquant à chaque fois un joyeux pugilat de volatiles. Même programme le lendemain, malgré son dos déjà bien fatigué et douloureux. Quand la terre fut prête, dans ce grand enclos d’environ vingt mètres par trente, il sollicita la Fraulein pour savoir ce qu’il devait semer. Elle l’emmena dans le grenier d’une petite remise, frais, sombre et sec, où trônait un grand meuble à tiroirs multiples, probablement récupéré chez un herboriste. Chaque tiroir, hélas étiqueté en allemand, mais ce n’était pas surprenant, contenait des stocks de graines récupérées au fil des années et des récoltes. Certaines étaient facilement identifiables, haricots, petits pois… d’autres beaucoup moins comme les minuscules plombs des graines de salades ou de carottes. Elle fit son choix et définit les zones d’importance sur le terrain. À la fin de cette première semaine de travail forcé, le jardin était net et ensemencé, la « Madameuh » était contente. Le lendemain matin, en déverrouillant la grange, elle déclara :



Au « petit » déjeuner, toujours aussi copieux, il la vit revêtue d’une robe de cretonne plutôt seyante, dont la ceinture mettait pour une fois en relief un postérieur rebondi et haut placé, une poitrine respectable sans être opulente et qui semblait avoir l’avantage d’une bonne tenue. Le bas de la jambe était fin, le pied bien cambré dans des ballerines de cuir noir. La chevelure sombre était pour une fois découverte, retenue par un petit chignon ce qui lui donnait un profil fort harmonieux. Il lui trouva beaucoup de charme et tenta un compliment :



Elle haussa les épaules, joignit les mains et fit un signe de croix. Ah oui, elle allait à la messe.



La réponse de Jean ne suscita aucune réaction. Elle prit une veste, noua un fichu sur sa tête, le mit dehors et ferma la porte à double tour. Puis elle sortit de la grange une vieille bicyclette grinçante et prit la direction du village. Quelques instants plus tard, la brise légère apporta le tintement lointain d’une cloche.


Keine Arbeit, mais je ne vais pas tourner en rond toute la journée, se dit Jean.


Il contempla de nouveau son œuvre, assez satisfait de lui, et pensa à l’une des clés de la réussite, l’arrosage. Si le puits fournissait l’eau nécessaire, elle lui parut cependant trop froide, il en savait quelque chose. Il roula jusque dans un coin du jardin un vieux bidon qu’il avait repéré et entreprit de le remplir avec des seaux tirés du puits. L’eau y prendrait une température plus tempérée et plus égale à celle de la terre de surface. Le remplissage effectué et le bas du pantalon bien mouillé, Jean continua de tuer le temps en grattant les herbes folles qui poussaient çà et là dans la cour pavée, décapant également le passage entre la route et le portail. La « Fraulein » le trouva en train de balayer ses déchets et lancer quelques seaux d’eau sur le pavage. Elle eut un grand sourire approbateur qui, joint au geste élégant avec lequel elle retira son fichu, renforça puissamment le charme qu’il avait déjà remarqué. Elle l’invita à entrer dans la cuisine à sa suite. Elle lui présenta une bouteille de vin du Rhin, couverte d’une belle étiquette celle-ci, et en remplit deux verres.



Jean goûtait son verre qu’il trouva très bon, bien qu’il préférât le vin rouge. Elle buvait à petites gorgées, et ses lèvres sur le verre le troublaient. Il émanait soudain de cette femme, qu’il n’avait encore jamais vue boire, une sensualité intense. Elle se leva en prenant une profonde inspiration et quitta sa veste en murmurant :



Jean voulut abonder dans son sens et tenta un bout de phrase :



Elle lui fit un sourire triste et installa leurs assiettes. Elle sortit une terrine d’un pâté qu’il n’identifia pas, mais très bon, et ils eurent chacun une patte arrière de lapin qu’elle avait réservée, avec des pommes de terre, bien sûr. La surprise du jour était un gâteau, sorte de brioche très sucrée avec des fruits confits, en guise de dessert étouffant, qui fit boire beaucoup. Fut-ce à cause de cela, mais l’atmosphère était soudain devenue conviviale, presque gaie, malgré les souffrances respectives. L’après-midi se prolongea par des échanges linguistiques et les apprentissages réciproques : une table – ein Tisch, une chaise – ein Stuhl, la porte – die Tür, ouvre la porte – macht die Tür auf, ferme la porte – macht die Tür zu… Il y eut beaucoup de rires, de mimiques, de « nein », de « ja ». Puis Jean s’excusa et dut aller satisfaire un besoin pressant. Le retour fut pire encore : « Mama, ich möchte gern lulu », il comprit vite comment les enfants allemands demandaient à faire pipi ! Ils s’amusèrent encore quelque temps avec les mots, mais cette fois la « Madame », qui ne disait plus « Madameuh », prenait des notes sur un cahier.


Puis elle emmena Jean dans une pièce voisine. Il fut estomaqué. L’endroit n’avait rien d’une pièce que l’on trouve dans une ferme. C’était tout simplement un bureau ou un salon d’intellectuel, avec son mobilier raffiné de style anglais, ces importantes collections de livres, une table de travail incrustée de cuir noir, un piano droit près de la fenêtre… Il ne comprenait pas :



Il y avait là tout Balzac, Flaubert, Maupassant, mais aussi Eluard, Ronsard, Villon, Hugo et bien d’autres. Tout un meuble de la grande bibliothèque qui comptait également trois ou quatre fois plus d’ouvrages en allemand. Ce petit bout de culture française fit du bien au prisonnier qui y vit un grand soutien moral possible et un nouveau pont entre lui et sa geôlière. Il comprit que son père avait fait la Grande Guerre, avait été gazé comme beaucoup et donc était mort assez jeune. Il devait être seul et sa fille, qui lui vouait un véritable culte, l’avait accueilli chez elle pour adoucir sa fin et avait reconstitué ici son univers, une chambre et un bureau avec toutes ses affaires les plus précieuses. Cet intellectuel était admiratif de la culture française et ayant appris la langue, se délectait de ses principaux auteurs en les lisant dans le texte. Sa fille avait à peu près quinze ans quand il était à la guerre, elle ne put bénéficier d’autant d’études. Après, il fallut assumer pendant des décennies le fameux slogan : « l’Allemagne paiera ». Elle s’est retrouvée mariée à un agriculteur, juste l’opposé de son père, et rapidement enceinte. Peu importait au fond, car devant les canons, les morts ont tous la même chair. Le mari était en Pologne où ça n’allait pas fort, le fils unique dans la marine et ne donnait de nouvelles que très rarement, mais la suprématie des océans semblait acquise.



Jean se saisit d’un petit ouvrage d’Eluard et commença à lire gravement :


« 

Je t’aime pour toutes les femmes que je n’ai pas connues,

Je t’aime pour tout le temps où je n’ai pas vécu

Pour l’odeur de grand large et l’odeur du pain chaud

Pour la neige qui fond, pour les premières fleurs

Pour les animaux purs que l’homme n’effraie pas…

 »


L’Allemande écoutait religieusement, mais hélas sans comprendre, ne profitant que de la mélodie des mots. Alors Jean s’arrêta soudain et se dirigea vers le piano.



Elle acquiesça, il s’assit, monta une longue gamme montrant que l’instrument aurait besoin d’être accordé, mais sans véritable catastrophe. Puis il leva le nez sur une partition ouverte, du Schubert bien sûr. Il commença à jouer, la femme s’assit sur le fauteuil du bureau, légèrement en travers, jambes croisées. Elle n’avait pas dû entendre sonner ce piano depuis de longues années, deux petites larmes coulaient sur ses joues. Quand le lied fut terminé, Jean s’arrêta, effleurant encore l’ivoire du bout des doigts avec un léger frisson dans le dos. C’était le curé de son village, organiste émérite, faisant chanter ses ouailles à l’harmonium et, disposant d’un piano au presbytère, qui l’avait initié, ses parents n’en auraient pas eu les moyens. L’École Normale avait conclu sa rupture d’avec le clergé, mais son prof de musique avait continué de lui donner des cours hebdomadaires de façon à constituer un petit trio avec deux collègues, au violon et à la flûte. Et voilà qu’aujourd’hui, à plus de mille kilomètres de chez lui, il tirait des larmes d’une Teutonne dont il était le prisonnier. La vie est parfois étrange.


Ils revinrent tous deux à la réalité alors que le soir commençait à tomber. Elle referma soigneusement la porte de ce sanctuaire où elle devait se recueillir quotidiennement, car il n’y avait pas la moindre trace de poussière, ni sur les meubles ni sur les livres. Jean se sentait marquer des points dans l’estime et l’apaisement de leurs relations qui, au départ, avaient tout pour être tendues. Elle montra la cuisinière en lui disant :



Elle leur fit en quelques minutes, avec du lait, des œufs et de la farine, deux sortes de crêpes épaisses sucrées avec des morceaux de fruits. C’était assez bon, bien que toujours lourd, un peu gras et très sucré. La nuit venue, il prit congé en la remerciant poliment. Ce soir-là, elle ne se déplaça pas pour aller verrouiller la porte de la grange. Mais le chien accourut dès que Jean se fut installé sur sa couche improvisée.


La semaine suivante, le jeune homme poursuivit le grand nettoyage de printemps. Il nettoya l’étable, l’écurie, la basse-cour, récupérant scrupuleusement fientes, bouses et crottin pour son jardin. Il répara un volet, le plancher d’un grenier, regonfla la roue de la charrette posée sur un essieu d’auto récupéré. Il en profita pour s’acclimater avec la grosse jument de trait en emmenant plusieurs chargements de détritus divers qui encombraient les cours et les recoins des bâtiments. La « Fraulein » le laissait sortir seul avec le cheval et la charrette, montrant la confiance qu’elle lui faisait désormais. Car il aurait pu faire des dizaines de kilomètres avec ce solide attelage et, qui sait, peut-être même atteindre une frontière. Certes, il n’avait pas de papiers, mais qui ferait attention en pleine campagne à un paysan allant ou revenant des champs ? L’idée lui traversa bien l’esprit, mais devenir poursuivi, sans cesse sur le qui-vive, la cible du premier tireur venu, présentait peu d’intérêt. Et puis au moins ici, il mangeait à sa faim.


Tous ces travaux accomplis, il se mit en tête d’aller plus loin et de tenter le coup. Non, pas de l’évasion, mais du labour. La jument semblait lui obéir, il sortit la charrue et monta son attelage. Il choisit le champ le plus proche, à l’herbe bien broutée par la vache et la jument, un grand rectangle d’environ deux cents mètres sur cinquante. S’il parvenait à planter tout ça en patates, ça ferait de la réserve pour l’hiver. Au début, tout se passa bien ou à peu près. Le sillon était hésitant, tant en direction qu’en profondeur, mais la terre était retournée. Puis soudain tout bascula. L’attache de droite, certainement mal fixée, lâcha, la charrue versa entraînant le bonhomme. Dans la panique, il hurla « Ho… Holà… Stop ! » que l’animal ne comprit pas. Dès qu’il cria « Halt ! », la bête s’arrêta instantanément.


Oui, mais Jean avait été traîné sur plusieurs mètres par les guides qui passaient sur son cou et sous son bras. Il se releva péniblement, un peu sonné, cracha la terre qu’il avait dans la bouche qui sortit rougie de sang. Voilà, ça y était, il l’avait sa blessure de guerre ! Le bras gauche était également bien râpé et sa main ramena du sang de sa tempe et de sa joue. Il remonta au puits, posa sa chemise et se lava à grande eau, dont la fraîcheur n’arrêta pas les petites hémorragies. Intriguée, Astrid sortit en courant et en criant plein de choses en germanique. Elle le fit asseoir sur une chaise, courut chercher des linges propres et commença à éponger. Puis elle attrapa une bouteille de schnaps, imbiba une compresse et tamponna doucement. La brûlure fut fulgurante et le fit crier et sursauter.



Il avala une grande gorgée qui lui brûla aussi l’intérieur, la seconde lampée passa mieux. Ça faisait quand même très mal.



Elle alla chercher un miroir rectangulaire dans un cadre en bois et lui montra son visage. Ouf ! Vision d’apocalypse. Certes, il y avait une belle éraflure de la tempe à la joue, mais aussi une barbe drue pas rasée depuis une dizaine de jours. Son rasoir, arme potentielle, avait été confisqué avant de venir. Il tâta la jeune toison encore très râpeuse d’un air dépité : il ne ressemblait à rien d’autre qu’à un pauvre hère mendiant dans les bas-fonds. Mais Astrid lui montra surtout quelques points où des gravelles et même un peu de terre s’étaient incrustés sous la peau. Elle le fit lever, plaça la chaise dans un rayon de soleil et s’y assit, un grand canif à la main.



Il s’agenouilla près d’elle et posa sa joue intacte sur ses cuisses, le museau près de son ventre chaud. Un instant, il redevenait petit enfant ayant pris une bûche à vélo, que sa maman allait soigner. Avec une infinie douceur, la femme souleva la peau de la pointe du couteau et retira une à une toutes les impuretés. Il ne bougeait pas même si parfois ce n’était guère agréable. Il était bien dans cette douceur, cette chaleur, cette odeur de femme. Il aurait pu y rester des heures. Elle termina avec une nouvelle dose de schnaps qui le sortit de sa torpeur. Alors elle alla jusqu’à la grange et revint avec une grande toile d’araignée. Il eut un mouvement de recul, mais elle le rassura :



Elle appliqua la chose sur la plaie, la recouvrit avec une compresse imbibée d’huile et lui fit un bandage sommaire autour de la tête avec un torchon. Ça et la barbe, « pirate », s’écria-t-il, et elle rit à gorge déployée, autant par relâchement que parce que le mot était identique, ou presque, dans sa langue, « Pirat ». Puis elle dit :



Elle l’accompagna et se chargea de diriger le cheval et de surveiller l’attelage, que Jean rattacha solidement. À force d’erreurs et d’efforts répétés, le métier rentra, et le labour se poursuivit, assez lentement, mais avec un effort minimum pour un résultat convenable. Oh bien sûr, un paysan confirmé se serait sans doute moqué. Mais peu importait, les patates pouvaient être plantées, ce qu’il fit dès le lendemain. Le jour suivant, ils attaquèrent un champ beaucoup plus grand dès l’aube, Astrid, le cheval et Jean. L’objectif était d’y semer de l’orge, il était bien trop tard pour le blé, pour lequel il faudrait attendre l’automne. Il leur fallut deux jours d’efforts pour arriver à bout de ce grand champ, et une journée à deux pour l’ensemencer. Ça, Astrid l’avait déjà fait et put montrer à Jean l’auguste geste du semeur. Après cela, ils décidèrent de se reposer un peu jusqu’au dimanche, harassés qu’ils étaient. Ils se contentèrent donc de soigner la basse-cour et d’arroser le jardin où les graines commençaient à germer. Si toutes les semences mises en place poussaient, ils auraient des récoltes largement excédentaires. Ceci compenserait peut-être cela, en termes de conserves pour l’hiver, de nourriture pour les volailles ou de vente sur le marché.


Les plaies de Jean commençaient à bien cicatriser et ne le faisaient plus souffrir tant qu’il n’y touchait pas. Astrid lui confia un coffret de bois rouge, acajou probablement en lui disant :



Elle y tenait certainement comme à tout ce qui avait appartenu à son père. Il manœuvra le petit loquet et découvrit un nécessaire de rasage usagé, mais de toute beauté. Rasoir pliant à manche d’ivoire incrusté de motifs, bol argenté, blaireau de vrais poils à manche d’ivoire, bloc de savon à barbe, bande de cuir d’affûtage et, dans le couvercle retenu par un lacet de cuir, un miroir à l’inclinaison idéale. C’était un objet magnifique, il en fut tout ému. En faisant bien attention, il put reprendre une apparence humaine convenable et se sentit plus à l’aise. Désormais, il se raserait tous les dimanches. Son seul regret ce jour-là, c’est qu’il ne put pas jouer de piano tant ses mains étaient douloureuses et couvertes d’ampoules. Ils se contentèrent donc de leur séance linguistique. Astrid faisait des progrès rapides, Jean également, mais l’allemand semblait vraiment plus difficile que le français. Bon an, mal an, ils purent bientôt tenir de vraies conversations, naviguant parfois d’une langue à l’autre.


Au programme de la semaine suivante, il fallait faire les foins. Jean savait à peu près manipuler la faux, mais il se voyait mal couper plusieurs hectares d’herbes hautes. Astrid lui indiqua que son mari utilisait au moins deux machines pour faire ça. Il inspecta les richesses mécaniques de la grange et en déduisit qu’il y avait là au moins une faucheuse et un râteau faneur. Attelage et en avant ! L’Allemande le laissa faire seul, la machine était avant tout une petite remorque métallique à deux roues, avec un siège et une barre de coupe latérale que le mouvement des roues actionnait. Il prit soin d’huiler copieusement la mécanique et de donner un coup de pierre à affûter sur les lames, ça il savait faire. Du coup, faire les foins lui parut un véritable plaisir au regard du labour. Sans être paysan, il savait que le foin doit sécher avant d’être rentré, doit être aéré et retourné, certainement le rôle de la faneuse. Et en avant ! L’instituteur jouait au paysan et y prenait un certain plaisir. Plaisir aussi que de voir le jardin verdir, même s’il fallait déjà enlever des mauvaises herbes, plus promptes à pousser que les légumes. Plaisir de voir le champ d’orge se couvrir d’un fin gazon vert tendre. Plaisir encore de remplir le grenier, là où il dormait, jusqu’au toit. Hélas oui, il n’y avait plus que deux animaux à nourrir et le foin était en excès. Mais pour Astrid, c’était nécessaire puisque sa vache arrivait en fin de lactation. Il fallait donc la faire couvrir à nouveau, ce qui supposait la naissance prochaine d’un veau.


Restait à reloger Jean, ce qu’elle fit sans difficulté, lui offrant une chambre à l’étage, car elle, depuis qu’elle était seule, dormait dans le « sanctuaire » de son père disparu. Un lit ! Dormir dans un lit, bientôt un an que ça n’était plus arrivé au jeune homme qui eut presque du mal à s’y accoutumer : trop doux, trop chaud, trop confortable, une gêne qui disparut très vite. Mais cette nouvelle proximité, presque intimité, avec sa geôlière le troublait. Cette fois, il pensait réellement à elle en tant que femme, certes la seule qu’il ait sous les yeux, mais qui n’en était pas moins désirable. Et son désir grandissait, devenant presque obsessionnel. Il atteint son comble lorsqu’elle l’emmena avec elle hors de la ferme, pour la première fois, le cheval attelé à la charrette et la vache attachée derrière. Le taureau géniteur était dans une autre ferme, à quelques kilomètres, on enferma les deux animaux dans le même enclos. Il fit connaissance avec le vieux couple propriétaire du taureau, les premières personnes que Jean rencontrait depuis Astrid. Ce qui lui permit de tester son allemand naissant, il ne s’en tira pas si mal.


Et puis il y a eu cet instant, ce moment magique bien que bref où, quand la vache et le taureau eurent refait connaissance, l’énorme mâle se dressa sur ses pattes arrière et retomba sur le dos de la vache vacillante. L’impérieuse nécessité de survie de l’espèce qui vous frappe en pleine figure, asséchant d’un coup la gorge, dressant tous les poils, faisant battre le cœur aux tempes, laissant une trace humide au creux des mains. Accoudée à l’enclos, Astrid eut un léger sursaut qui fit que son coude effleura celui de Jean, ils en furent électrisés tous les deux. Ils rentrèrent silencieusement, n’osant ni se parler ni se toucher, victimes tous les deux de la même secousse tellurique.



Ce fut la conversation du jour entre deux êtres bouleversés et confrontés à leurs propres désirs.


La moisson de l’orge ne fut pas à retenir dans les annales. Il y en eut un peu, suffisamment cependant pour alimenter la basse-cour, ce qui laissa assez de paille pour les litières. C’était malgré tout prometteur, car, si tout était fait au bon moment, on pouvait espérer une récolte convenable. On verrait avec le blé. Ce fut aussi l’occasion pour Jean d’apprendre à se servir de la moissonneuse, de la machine à battre mue par la jument, du tarare qui sépare le grain de la balle, et de la botteleuse pour faire de (presque) superbes parallélépipèdes de paille. Mine de rien, l’année était sauvée et Astrid en fut fort reconnaissante à Jean. Elle partait chaque semaine au marché, la charrette remplie de volailles et lapins, et de kilos de légumes en tout genre. Cumulant ainsi un beau petit pécule, elle put dès septembre faire l’acquisition d’un porc, animal essentiel à la nourriture allemande, de façon à l’engraisser pour le tuer en hiver.


Un jour même, elle rapporta à Jean un sac de jute dans lequel il trouva un grand torchon roulé. Astrid attentive lui dit de le mettre sur la table, de prendre des précautions. L’étoffe révéla une grosse boule de tabac bien serrée. Un échange teinté de marché noir avec un autre paysan qui en cultivait plus ou moins en douce. C’est-à-dire une partie officielle et une partie « perdue » à cause des intempéries… Il y avait longtemps que Jean avait vu le fond du pot, malgré une consommation très sage. Et ça lui manquait beaucoup. Alors ce gros paquet, il le reçut comme un cadeau du ciel, leva la tête et écarta les bras. Astrid prit ce geste pour elle-même et, cédant à une pulsion soudaine, elle se jeta dans les bras ouverts de Jean.


Le coup de gong était donné. Sentir ce corps chaud contre le sien, ces seins drus qui perçaient sa poitrine, cette joue si douce contre la sienne, Jean le timide referma ses bras sur Astrid la timide. Après un long moment d’immobilité où chacun prenait conscience de l’énormité de l’instant, où le sexe gonflé de Jean palpitait contre le ventre brûlant d’Astrid, une bouche trouva une oreille et l’embrassa, puis une joue, puis une autre bouche. Les deux s’aspirèrent en même temps et le chronomètre aurait dû partir pour le plus long baiser de l’histoire. Jean serrait Astrid contre lui pour mieux presser son sexe dur contre ses chairs tendres, ils perdaient souffle, grognaient et geignaient de plaisir et de désir et ne voulaient surtout pas que ça s’arrête. Ils s’écartèrent un instant pour se regarder, vérifier qu’ils ne rêvaient pas, puis se reprirent plus fort encore, comme le ressac d’une marée montante. Il voulait la prendre, la toucher, la découvrir toute entière et ses mains s’égaraient. Elle se savait déjà à lui, prise, possédée, conquise et heureuse de l’être. Elle avait peu d’expérience, livrée jeune et vierge à son mari et unique amant, il en avait encore moins, que quelques baisers furtifs volés au hasard de bals auvergnats. L’instinct les poussa vers le lit le plus proche, celui du papa.


Il fut nu en un instant, le sexe fièrement dressé battant contre son ventre. Il trouva que c’était bien compliqué de déshabiller une femme, entre blouse, robe, combinaison, petite chemise, soutien-gorge… En quelques minutes, elle fut couverte de sa salive, il l’avait explorée partout de sa bouche avide, elle avait adoré. Elle savait soudain ce que c’était que désirer un homme, de le vouloir en elle, sur elle. Elle s’empara de son sexe pour ne plus le lâcher, que lorsque le sien aurait pris le relais. Leur inexpérience et leur désir trop longtemps refoulé les poussèrent simplement et naturellement l’un sur l’autre. Elle l’accueillit, cuisses grandes ouvertes, il se jeta en elle comme pour se protéger d’un tir d’obus. Il ne se souvint que d’une chose en cette époque sans contraception : ne pas éjaculer en elle. C’est sûr que mettre sa geôlière enceinte, ça ferait désordre, surtout au retour du mari et du fils. Le fils… il n’était guère plus âgé. Quelle importance, elle était si belle, si fraîche, si désirable, si… merveilleuse.


Enfin, il était dans le ventre d’une femme pour la première fois. Qu’est-ce que c’était bon, chaud, doux ! Il aurait voulu que ça dure éternellement, mais l’issue se présenta très vite, trop vite. Juste le temps de lâcher de multiples jets de liquide nacré sur sa toison d’astrakan. Dommage ! Pour elle aussi qui n’atteignit pas le septième niveau des cieux étoilés, ce serait mieux la prochaine fois, peut-être. De toute façon, ça devait finir comme ça et elle ne regrettait rien.


Jean était fou, fou de bonheur. Il se leva d’un bond et se rua, nu comme un ver, jusqu’au puits et se versa deux seaux d’eau glacée sur le corps, rugissant et exultant. Il était enfin devenu un homme, un vrai, il venait de connaître la femme et les délices qu’elle procure.


Il rentra, se torchonna grossièrement et revint dans la chambre pour une image inédite d’une infinie poésie et sensualité. Sa maîtresse, silhouette diaphane dans le contre-jour de la fenêtre, finissait de s’essuyer le ventre qu’elle avait lavé à la cuvette et au broc de porcelaine décorés d’une table de toilette. Et ce geste d’une grâce extrême le bouleversa. C’est vrai qu’elle était d’une grande beauté, avec ses jambes très longues, fines et musclées, ses fesses très hautes et bien séparées en deux hémisphères bien distincts cachant une vallée sombre et profonde. Et ses seins, ronds et pleins, dont les aréoles presque brunes couronnaient très haut les globes, pointant vers le plafond deux tétons très gros et longs, encore dilatés de ses caresses. Il ne put résister à l’envie de laisser courir ses mains de ces superbes fesses à cette nuque qu’il voulait embrasser. Il se jeta sur elle, bisant, mordillant, suçotant, gobant tout ce qui passait à portée de sa bouche avide et pelotant tout ce qui passait à portée de ses mains. Elle gloussait et protestait sans conviction par de petits « Hans, mein Hans… ». Il bandait déjà fort, avait-il seulement débandé, quand ses sens se souvinrent d’une fragrance qui l’avait tout à l’heure envoûté, mais trop vite, car trop pressé d’arriver à ses fins.


Il coucha donc Astrid sur le dos et fourra son museau entre ses cuisses ouvertes. Hummmm ! Divin parfum qui imbibait les poils, et ce sillon rose et tout humide, ces pans de chair fripée qui s’en échappaient, ce trou encore béant de sa récente présence qu’ils dissimulaient. Il s’en régala à pleine bouche, manquant de rompre le frein de sa langue sur ses incisives. Astrid roucoulait, c’était délicieux, on ne lui avait jamais fait ça. Cependant… cependant, elle aurait bien aimé qu’il s’attarde un peu sur le petit bouton qui faisait le délice de ses nuits solitaires. Elle tentait bien de basculer le bassin vers l’arrière pour qu’il y revienne, mais lui croyait qu’elle jouait à s’échapper pour mieux s’offrir ensuite. Le clitoris ? Il ignorait même son existence. En revanche, il se demanda si l’accès à ces trésors ne serait pas plus aisé par l’autre côté, et il retourna sa bien-aimée sur le ventre et la hissa sur ses genoux. La vulve dilatée gicla d’entre le haut des cuisses, d’autant mieux que les fesses étaient bien séparées. Il se régala à nouveau lorsque, reprenant souffle, le spectacle de cette croupe offerte lui remémora instantanément celle de la vache saillie par le taureau. Il allait faire le taureau et, se dressant sur ses genoux, planta son sexe surexcité jusqu’à la garde. La femme miaula, il lui semblait aller bien plus loin ainsi et toucher le fond de son gland. Il se lança donc dans une cavalcade débridée. Le bruit de son ventre heurtant ce somptueux fessier, celui humide de son sexe dans l’autre, les vagues que cela provoquait dans ces masses de chair tendre, le ballottement des seins, ses couilles frappant la vulve gonflée, son méat heurtant le fond du vagin, tout l’excitait prodigieusement. Il était au summum de la félicité et sentait déjà son plaisir monter au fond de son ventre.


Astrid n’en revenait pas. Cette position fabuleusement bestiale, elle ne l’aurait même pas imaginée dans ses rêves les plus scabreux. La situation l’excitait beaucoup, mais son amant allait encore trop vite. Elle sentait bien qu’elle allait, une fois de plus, rater le coche malgré le plaisir qui frappait furieusement à sa porte. Elle essaya de le ralentir et de la calmer un peu :



C’était un mot qu’il ne connaissait pas encore. Il prit cela pour une incitation à aller plus vite, plus fort, plus loin et redoubla d’énergie pour pilonner ce divin postérieur. Le résultat ne se fit guère attendre. Suant de tous ses pores, un orgasme d’une violence inouïe le frappa au creux des reins. Il eut juste le temps de sortir sa queue de son écrin, et le coup partit d’entre les rondes fesses pour voler jusqu’entre les omoplates de sa belle et finit de s’épancher dans le creux de ses reins. Achevé, il s’écroula sur le dos d’Astrid qui s’affala à plat ventre, le sexe de son amant palpitant de ses derniers spasmes entre ses fesses. Hélas, elle était encore restée sur le bord de la route, pourtant tout avait si bien commencé. Mais comment lui dire qu’elle avait tutoyé le plaisir sans cependant l’atteindre ? Était-ce bien convenable pour une femme de près de quarante ans de souhaiter avoir du plaisir ? Oui, mais, si elle n’y parvenait pas maintenant, alors ce serait jamais.


Et puis il est des choses qu’on ne peut pas dire à un époux, dans le cadre sacré du mariage, mais que l’on peut exprimer à un amant, sachant que cette relation ne pouvait être que de courte durée. Son pays allait bientôt gagner la guerre, c’était certain, la propagande d’état le répétait sans cesse. Jean allait donc bientôt rentrer chez lui, dans une nouvelle province du futur Empire germanique, au même titre que la Pologne, la Belgique, le Luxembourg et sûrement bien d’autres pays encore. Car avec toute cette puissance réunie, plus rien ne pourrait s’opposer à l’expansion de cet empire. Et puis tout de même, Jean était son prisonnier, gentil, séduisant, mais en tant que prisonnier, elle n’avait qu’à commander et il n’avait qu’à obéir. Bon, ce n’est pas si simple avec les choses du sexe, il ne s’agit pas de labourer un champ. Le mieux serait sûrement de lui montrer. Mais n’était-ce pas aussi lui montrer ses faiblesses ? Ach ! Au diable toutes ces réflexions stériles, elle ferait selon son inspiration.


Pour l’heure, il fallait se débarrasser de ce poids mort qui l’étouffait. Elle esquissa quelques mouvements, il se retourna la libérant. Il était trempé de sueur et, par endroits, son sperme s’était étalé entre leurs corps en taches plus grasses. Il semblait épuisé, somnolent, au bout de ses limites. Elle lui embrassa la joue, le cou, l’épaule, descendit jusqu’au téton. Ses doigts coururent du sternum au nombril, traversant quelques flaques collantes, puis sa main se posa sur son sexe calmé, mais encore très sensible, ce qui le fit tressaillir. Elle regarda avec étonnement les testicules rouler sous la peau plissée des bourses qui se ratatinaient sous sa caresse. Bientôt, l’ensemble logea dans le creux de sa main, lui donnant une impression étrange de fragilité. Toute la fière et mâle puissance tenait dans le creux d’une seule main qu’il suffisait de crisper pour infliger une atroce douleur.


C’est bien peu de chose un homme, songea-t-elle. Pourquoi faudrait-il craindre cette virilité ?


Quelques gouttes sourdaient encore du sexe au repos, probablement chassées par le rétrécissement du tuyau. Si elle voulait encore en profiter et peut-être enfin accéder au plaisir, il valait mieux être certaine que ce conduit soit vide de toute semence. C’est dans cet esprit purement hygiénique et anticonceptionnel qu’elle se laissa glisser le long du corps de son amant et fourra son sexe dans sa bouche, suçant, aspirant et nettoyant d’une langue agile. Il eut quelques gémissements :



Elle n’avait jamais fait de fellation à un homme, aucune femme ne l’avait jamais sucé. Il trouva cela délicieux, presque insupportable tant son pénis était irrité. Elle fut surprise de sentir sous ses coups de langue la chose grossir à nouveau puis, petit à petit, lui envahir toute la bouche alors que Jean geignait. Elle joua encore un moment, tenant fermement la hampe, tétant le gland, tripotant les testicules pour les sentir rouler. Elle se prenait à faire des choses inouïes, certainement réprouvées par la religion, mais le simple fait de coucher avec un autre homme que son mari la condamnait par avance. Tout ça pour ce petit Français qui avait presque l’âge de son fils. Elle méritait bien quelques compensations, ne pas donner sans rien recevoir, ne pas prendre tous ces risques sans profiter de la fête. Elle remonta près de lui, le regardant dans les yeux.



Il se laissa glisser à son tour vers le bas du lit, écarta vulve et lèvres avec ses pouces et découvrit ce petit bourgeon rose avec étonnement. Il le tripota, il avait une certaine dureté, même en arrière où il percevait comme un court cordon. Sans rire, ça ressemblait fort à une petite bite. Quelle découverte ! Que de surprises recèle le corps féminin ! Plus il le tripotait, et plus la petite chose durcissait, vraiment comme une petite bite. Il le fit rouler sous ses doigts que les travaux des champs avaient rendus rugueux, et Astrid grimaça en aspirant l’air entre ses dents :



Ce qu’il avait de plus doux, c’était sa langue, il l’envoya en exploration. Il reçut l’approbation du jury par des :



Le petit « machin » était maintenant tout dur et tout gonflé. Et si ça éjaculait comme une petite bite ? Il y colla ses lèvres et aspira tout en continuant de le fouetter avec sa langue, un peu comme elle venait de lui faire. Pas encore d’éjaculation, mais la belle était agitée de secousses et respirait fort, criant maintenant ses encouragements. Il continua donc de plus belle jusqu’à ce que les cuisses se referment violemment sur ses oreilles et qu’elle fut secouée de puissants soubresauts. Il ne sentit point d’éjaculation dans sa bouche, en revanche son menton était baigné d’un jus abondant et odorant. Il était de nouveau très excité, le membre raide. Mais il n’eut pas le temps de passer à l’action.


Sa maîtresse le repoussa sur le dos et l’enfourcha de ses longues jambes, prit son sexe tendu et s’empala dessus jusqu’à la garde. Il se sentit plonger dans un univers liquide et chaud. D’un geste elle défit la pince qui retenait ses cheveux en chignon et, secouant sa tête levée, une lourde crinière noire tomba sur ses épaules. Dieu qu’elle était belle ainsi ! En appui sur son torse, elle se mit à osciller du bassin d’avant en arrière, veillant bien à frotter son petit bouton contre son pubis. Il sentait son pénis se plier et gonfler encore si cela était possible, à moins que son fourreau ne se resserrât pour mieux le presser, comme un tube de crème. C’était très bon, mais compte tenu des performances précédentes, il subissait une délicieuse masturbation sans le moindre orgasme à l’horizon. Elle en profitait pour alterner ses mouvements de bassin avec de petits ressauts qui soulevaient ses fesses.


Progressivement, tout s’accéléra. Tour à tour, elle se couchait sur son torse et levait ses fesses en cadence puis se redressait soudain en frottant son pubis au sien. Ses seins s’agitaient, il les saisit et les pétrit, leurs tétons étaient plus durs que jamais. Telle une amazone lancée au triple galop, Astrid devenait écarlate. Même ses beaux yeux bleus s’injectaient de sang. Un clapotis s’évadait de son sexe empalé, inondant cuisses et testicules de son amant et une frénésie s’empara d’elle en même temps qu’une vague de sueur couvrit tout son corps. Elle passait instantanément du gros dos à la cambrure la plus extrême, sa bouche grande ouverte lançant des « Ha » vers le plafond. Elle s’arqua une dernière fois, comme tétanisée ou frappée par la foudre puis retomba sur la poitrine de Jean, secouée de spasmes qui n’en finissaient pas. Il fallut de longues minutes avant qu’elle ne soit complètement calmée. Elle se redressa, essuya un peu de salive qui s’était échappée de sa bouche inerte et dit simplement :



Pour une fois, c’est lui qui était resté sur le quai de la gare, mais il n’aurait guère pu faire mieux. Astrid était ravie, intérieurement bouleversée par ce qui venait de lui arriver : un premier orgasme plus puissant encore que ses séances d’onanisme, car sans anticipation possible, et puis le second, ravageur, dévastateur, le plaisir total et absolu. Avant, elle le supposait possible, maintenant elle l’avait enfin vécu, elle pouvait désormais mourir sans rester idiote. Elle se leva, les jambes cotonneuses, prit le broc de porcelaine et alla dans la cuisine. C’est là que Jean la retrouva, les pieds dans une grande bassine, les cheveux sommairement attachés sur le sommet du crâne, en train de se verser des brocs d’eau tiède provenant pour moitié d’une bouilloire et pour moitié de la pompe à main de l’évier. Le spectacle de cette eau glissant sur ce corps sculptural l’éblouit. Sa trique insatisfaite reprit une turgescence apoplectique. Il s’empara du savon et, mettant un pied dans la bassine, couvrit cette anatomie de caresses glissantes et de mousse.



Il couvrit ses protestations de sa bouche avide qui aspira langue et lèvres, les boursouflant de voracité. Ses seins avaient peut-être le poids de la quarantaine, mais sous ses palpations et ses succions ils redevenaient si drus et si durs que bien des filles de vingt ans les auraient enviés. Puis ses mains rendues douces par le savon s’engagèrent dans son intimité, l’une par la vulve dilatée, l’autre par la raie culière. Les doigts agiles tripotaient tout ce qu’ils rencontraient, pénétraient les moindres anfractuosités. Si bien que lorsqu’un pouce roula sur son bourgeon alors que deux doigts envahissaient son vagin et que, dans le même temps, un majeur s’insinua dans son anus pour s’y agiter comme un ver coupé, elle crut que le sol se dérobait sous elle.


Ses jambes secouées de contractions saccadées ne la portaient plus, et c’est pantelante que, au mépris du carrelage qu’ils inondaient, il l’attira en appui sur la table et l’embrocha en écartant à peine les fesses. Des jambes aussi longues rendaient très facile l’acte d’amour debout. Il en profita à grands coups de reins, cramponné à ses seins qu’il pétrissait, étirait et dont il massacrait les tétons. Elle râlait, ahanait, frappant la toile cirée du poing ou du plat de la main. Dans sa propre cuisine. Il n’y avait donc pas de limite à cette folie furieuse. Et ce corps qu’elle ne reconnaissait pas, venant pourtant d’être satisfait, qui retournait immédiatement dans les sphères du plaisir, devenant soudain incontrôlable. Où était la prude, sérieuse, réservée, calviniste, Astrid, soudain livrée à des bacchanales en pleine cuisine ?


Jean de son côté avait bien saisi la leçon : il lui fallait durer le plus longtemps possible, ne pas se laisser aller à son propre plaisir. Il découvrit vite que les changements de rythme pouvaient lui être fatals, alors il fixa le tempo et s’y tint, pilonnant en cadence, décollant du sol les talons de sa belle à chaque coup de boutoir. Quand, au bout de sa queue, le corps magnifique se tendit, que le fourreau se contracta violemment, que la belle se cambra en rugissant, il sut que c’était gagné. Alors il laissa libre cours à son désir. Mais, si le plaisir de sa partenaire dopait le sien, son vagin liquéfié et soudain trop doux ne facilitait pas la conclusion. Il dut lui empoigner les hanches et redoubler de violence pour commencer à sentir monter l’extase. Astrid pensait n’en plus pouvoir et protesta :



Comme un train peut en cacher un autre, il en va de même pour l’orgasme féminin, elle l’apprit à ses dépens. Une nouvelle vague monta en elle, surpassant la précédente, puis une autre et une autre encore. Puis soudain ce fut le coup de grâce, le vide intégral, l’absence, la privation, vécue comme un déchirement de ce membre qui lui quitte le ventre et l’achève d’un coup. Elle s’écrase sur la table, anéantie, bouche ouverte. En deux pa,s Jean est face à elle, sexe à la main, il l’enfourne dans cette bouche offerte et l’inonde de quelques petits jets, le fond de ses réserves. Elle hoquette, bave, se recroqueville, glisse jusque sur le banc. C’est bien cela « la petite mort ».


Tout au long du dîner qu’ils prenaient par habitude face à face, ils se regardaient comme on regarde un miracle, un saint ou le plus beau paysage du monde, avec une flamme d’extase et d’infinie admiration dans les yeux. Cette fabuleuse expérience bouleversa leurs vies. D’abord, Jean partagea la couche d’Astrid au rez-de-chaussée. Ensuite, il ne se passait pas de jour, quel que soit le moment de la journée, sans qu’une violente montée de désir ne les poussât l’un vers l’autre. Tout se passait comme si chacun reconnaissait en l’autre la source d’un plaisir immense, comme si les corps se reconnaissaient et se trouvaient irrésistiblement attirés l’un vers l’autre en raison inverse du carré de la distance qui les séparait. La loi du magnétisme ou de l’attraction universelle s’appliquerait-elle à la sexualité ? Mystère, toujours est-il que lorsque ces deux-là se retrouvaient à moins d’un mètre, ils ne pouvaient que se jeter l’un sur l’autre avec voracité.


Dès qu’il l’avait dans son champ de vision, il entrait dans une érection incontrôlable ; dès qu’elle l’avait dans son champ de vision, son ventre se liquéfiait. Ce pouvait être n’importe où dans la maison, dans la grange, dans l’étable, dans la basse-cour ou dans le jardin, mais parfois aussi en plein champ ou dans les bois, même sur la route dans la charrette qui les transportait. Ils étaient devenus esclaves de leurs sens, drogués à la fornication. Plus on fait l’amour, plus on a envie de faire l’amour, et mieux on fait l’amour. Tout se passant essentiellement dans la tête, comme Astrid était certaine par expérience que cet homme-là savait la faire jouir, immanquablement il l’envoyait à chaque fois au septième ciel. Et elle aimait ça, et il aimait ça.


Un triste et pluvieux matin d’automne, le chien se mit soudain à aboyer rageusement, ce qu’il n’avait pas fait depuis l’arrivée de Jean à la ferme. Un véhicule militaire entra en trombe dans la cour. Avaient-ils été vus, dénoncés ? Astrid rappela le molosse et un officier descendit de la voiture kaki. Il claqua des talons :



Son acolyte le suivit portant une lourde serviette qu’il posa sur la table. Il en sortit quelques feuilles dactylographiées.



Jean arriva en courant sous la pluie. Heureusement qu’il s’était retenu de crier en retour « j’arrive mon amour » ou quelque chose de ce genre, se dit-il en voyant la voiture.



Jean monta les escaliers quatre à quatre et redescendit avec la capote sur le dos.



C’est Astrid qui sortit de la poche de son tablier la petite clé fermant le tiroir du buffet et y prit les papiers.



Sur ce, il sortit une matraque et fit ouvrir la bouche du prisonnier pour regarder ses dents, sa gorge. Il prit un mouchoir pour tirer sur ses oreilles et en regarder le fond, examina ses mains, lui fit poser ses sabots pour regarder ses pieds. Ne trouvant rien à reprocher il déclara :



Les deux militaires remontèrent dans leur voiture qui démarra en trombe, comme la pluie. Attiré comme à l’habitude, Jean s’approcha d’Astrid qui le repoussa.



Ils retournèrent tous deux à leurs occupations respectives et ne se retrouvèrent que le soir.



Il leur fallut cependant plusieurs jours pour retrouver cette naïve liberté, berceau de leur bonheur. Et ils firent bien d’en profiter. Car la visite suivante, cette fois pas en voiture, mais en carriole, fut celle du bourgmestre du village accompagné du pasteur.



Ils lui remirent ses papiers, des bouts de carton presque illisibles et sa plaque de soldat, preuve de sa mort. La femme essuya quelques larmes avec le bas de son tablier.



À la suite de cette annonce, Astrid sombra dans une période de grande tristesse. Non pas que le décès de Herbert lui provoque une peine immense et inconsolable. Elle n’en était pas amoureuse, vivait avec lui par habitude sans en tirer un grand bonheur. C’était malgré tout son époux, un homme avec lequel elle avait partagé vingt et un ans de sa vie, finissant par s’habituer. Non, ce qui l’inquiétait, c’est que cette annonce sonnait comme un coup de semonce. Elle avait fauté, il fallait payer, ce qui développait en elle un effroyable sentiment de culpabilité. Quelque part, elle avait l’impression d’avoir tué Herbert en connaissant le bonheur avec Jean. Et ce bonheur était si grand que la note risquait d’être très salée. Désormais, elle tremblait pour Peter sur son bateau, son fils, son petit, son enfant, la chair de sa chair, porté neuf mois et sortit de là, de ce ventre qui lui faisait mal. Mal, car vrillé par la crainte pour son fils, mal aussi du désir toujours brûlant pour Jean qu’elle réprimait avec toute la violence de ses idées noires. Jean fut d’une délicatesse admirable. Il ne demanda rien, ne s’imposa en rien, reprit sans qu’elle le lui demande ses quartiers dans la chambre de l’étage. Il lui dit simplement :



C’était juste ce qu’il fallait pour lui tirer droit au cœur. Le bourgmestre fit sa cérémonie, le pasteur dit sa messe. Astrid, vêtue de noir, sembla plus pâle et plus longue et mince que jamais.

Pour Jean, elle était fabuleusement belle, mais il garda cette observation pour lui. L’hiver s’annonçait sinistre, malgré les efforts consentis, les réserves pleines à craquer, les bâtiments restaurés et nettoyés, le matériel entretenu et soigneusement rangé. Tout, il lui semblait avoir tout fait pour qu’ils soient heureux et dégagés de tout souci, et patatras… Il ne pouvait rien contre ce qui venait de l’extérieur. Et cette fichue guerre qui n’en finissait pas… Il en était là de ses réflexions, dans la cour avec sa fameuse capote « KG » pour supporter la fraîcheur de la nuit débutante en fumant sa cigarette quotidienne. Le chien était assis près de lui, il lui grattait machinalement la tête, ils étaient complètement amis maintenant. La porte s’ouvrit, Astrid vint le rejoindre, elle prit son bras et posa sa tête sur son épaule. Ils regardèrent un instant la lune nouvelle hisser son croissant par-dessus l’étable.



Il repoussa les volets qu’elle crocheta de l’intérieur puis plaça le lourd panneau de bois sur la porte vitrée. Il passa un moment les mains au-dessus de la cuisinière puis accrocha sa capote à une patère. Il allait monter dans sa tanière quand elle l’appela :



Il se doutait bien que ce ne serait pas le grand soir, mais qu’importe. Au moins partageraient-ils leur chaleur. Elle se glissa contre lui en lui tournant le dos, incapable de contrôler son érection. Sentant son membre dur contre ses fesses, Astrid le prit et le guida vers son vagin.



Immobiles, le pénis palpitait, le vagin se contractait sporadiquement, mais ni l’un ni l’autre ne bougèrent. Il fallut du temps pour trouver le sommeil, l’excitation vrillée aux ventres. Ils finirent par s’endormir ensemble, connectés et constituant comme un être unique. Astrid s’éveilla la première et contempla son amant dans un sommeil profond. Inutile de le réveiller, la vache n’était plus à traire. Quand il sortit des limbes, elle engagea la conversation :



Ces quelques mots débarrassèrent Astrid de ses réticences, d’autant plus facilement qu’elle bouillait de désir. Elle se jeta sans retenue sur son amant, le dévora de la bouche au sexe et s’offrit une chevauchée identique à celle qui l’avait, la première fois, menée à l’orgasme. Le sort était conjuré, ils reprirent leur vie amoureuse et ce qu’elle qualifiait de débauche et fornication. Et tant mieux, car l’hiver fut long et rigoureux, au point que Jean dut atteler la jument en plein janvier pour aller débarder le bois qu’il n’avait pas eu le temps de rentrer. Ils avaient énormément consommé, par la rigueur de l’hiver, mais aussi parce que les cheminées de la chambre et du bureau étaient allumées presque en permanence. C’était indispensable, ils étaient si souvent nus… Un jour même, comble de la dépravation, alors que Jean jouait une valse au piano, Astrid esquissa un pas de danse, se remémorant des cours qu’elle prenait enfant, avant 1914. Jean trouva cette arabesque, ce pied tendu bien cambré, et ces bras arqués si harmonieux, qu’il encouragea sa belle à continuer puis à… se mettre nue et de danser pour lui. Le divertissement coûta trois bûches dans le bureau et deux dans la chambre où ils finirent.


Pour « faire la fête » au cochon, c’est pour cela que l’on appelle en campagne « la Saint cochon » ce jour de meurtre, le charcutier du village leur demanda d’attendre que les fêtes soient passées. N’ayant pas d’invités, ils n’y virent pas d’inconvénient, l’animal aurait simplement pris quelques kilos de plus. Avant le lever du jour, l’homme arriva discrètement à vélo, emmitouflé dans une parka sombre, le lundi suivant le premier janvier. C’était son jour de fermeture, il ne voulait pas attirer l’attention, ni sur les propriétaires du cochon, ni sur lui et son activité illicite. Astrid, habituée à cet exercice, avait tout préparé : quantité d’oignons et de sel, multiples gamelles, bassines d’eau chaude, etc. Elle avait demandé à Jean de sortir toutes les machines agricoles de la grange et de la nettoyer méticuleusement, d’y installer plusieurs grandes tables, des planches sur des tréteaux. Jean était impatient, il n’avait jamais assisté à ce sacrifice. Grâce au foin du grenier et aux portes fermées, les cris du goret seraient, espéraient-ils, fortement étouffés, l’éloignement du voisinage ferait le reste. L’homme habile musela l’animal dès son arrivée en entourant son museau d’un torchon noué. Une corde attachée aux pattes arrière et il se trouva suspendu aux poutres de la grange. Astrid se précipita dessous avec une grande bassine pleine d’oignons émincés, le couteau ne trembla pas et le sang gicla illico. L’animal n’avait même pas eu le temps de crier qu’il était déjà mort. La dextérité du professionnel était remarquable et il expliquait bien, Jean se fit son élève. D’abord, arracher les onglets, il en fit un quand le charcutier fit les trois autres ; racler la peau au couteau pendant qu’Astrid l’arrosait d’eau bouillante. Puis vint la découpe, remarquable. Non seulement ses couteaux étaient affûtés comme des rasoirs, mais l’homme connaissait parfaitement l’anatomie de la bête et trouvait sans chercher les jointures sous la peau.



Ça avait l’air tellement facile ! Jean s’y essaya. Ce ne fut pas parfait, mais pas un massacre non plus. L’important était de comprendre « le truc » pour éventuellement pouvoir le refaire. Mais Astrid courait comme une folle de la maison à la grange. Jean comprit qu’il valait mieux l’aider, elle, afin qu’elle ne s’épuise pas. Le professionnel, lui, n’avait pas l’air de peiner beaucoup et allait très vite. De plus, il se contentait de débiter les morceaux, mais tout le travail restait à faire ensuite : hacher, bouillir, mettre en bocaux ou en terrines, dans la saumure ou au saloir, faire les boudins, les cuire, faire les saucisses… Ils auraient pour au moins deux jours de travail acharné, surtout à deux, mais également toute une année de réserve de viande si tout était bien fait. Un peu avant midi, Astrid choisit un morceau dans le filet, le barda d’une lame de gras et l’enfourna avec des pommes de terre. Ce serait le repas de fête auquel le charcutier était convié. Le soir, ils mangeraient les rognons et le lendemain le cœur, pièces qui ne se conservent pas. Les poumons firent la joie de la basse-cour ainsi que quelques déchets qui firent celle du chien.


Le bonhomme était gentil et, voyant l’inexpérience de Jean, resta une bonne partie de l’après-midi pour les aider à faire les choses les plus délicates, boudins, saucisses, salamis… Il connaissait bien la maison et dit à Jean de prendre une caisse et de le suivre. La chose pesait bien une trentaine de kilos. Il monta à l’étage puis au grenier où, derrière le linge en train de sécher, il ouvrit une sorte de placard à double porte. Une sorte de trou noir apparut et une bouffée de fumée en sortit. Ce n’était rien d’autre que le conduit, élargi pour cet usage, de la cheminée de la cuisine où la cuisinière ronflait pratiquement toute l’année. Il décrocha des barres de bois noircies par la fumée où pendaient encore trois ou quatre saucisses qu’il plaça devant. Derrière, il accrocha toutes celles qu’ils avaient montées, grandes et petites, et quelques morceaux de poitrine soigneusement salée.



Quand il décida de partir à la nuit tombante, Astrid lui demanda de prendre ce qu’il souhaitait. Il la regarda droit dans les yeux :



Le travail se prolongea fort tard et reprit très tôt le matin. Astrid ne cessait de placer de grandes lessiveuses sur le feu et d’attiser la cuisinière. Elle mettait son gros réveil à sonner à intervalles réguliers. Les bocaux stérilisés refroidissaient ensuite tranquillement à même le sol avant d’être descendus à la cave. Dans le four, les terrines se succédaient au bain-marie, bien soudées avec de la farine et de l’eau. Jean remplissait des petits fûts, qui auraient pu contenir du vin, avec des pièces de viande, selon les instructions de sa maîtresse : une couche de sel, une couche de viande et ainsi de suite jusqu’en haut. Ensuite on complète avec de l’eau. Tout y passa, même la graisse découpée en bardes fines. Tout le reste finit dans une grande bassine qu’ils placèrent, tout à la fin, sur la cuisinière. Quand la graisse fut fondue, ils la versèrent dans des jattes de terre cuite qu’ils laissèrent refroidir sur le bord de la fenêtre. Le liquide huileux cailla en une pâte blanche qui servait à cuisiner. Une partie servit à recouvrir les boudins pour les conserver quelques jours.


La cuisine, malgré sa taille, était totalement encombrée par toutes ces productions et Jean se proposa de les descendre à la cave. Astrid lui fit ranger seulement trois ou quatre bocaux et l’emmena dans l’étable. À eux deux, ils déplacèrent les bottes de paille rangées le long du mur. Elles étaient posées sur une sorte de plancher qu’on aurait cru disposé là pour éviter que la paille ne prenne l’humidité du sol. En fait, ce plancher recouvrait une ancienne fosse où l’on récupérait l’eau des toits, avant que le puits ne soit creusé. Inutilisée depuis, elle allait reprendre du service, constituant une bonne cachette assez vaste et fraîche. Les amants y rangèrent leur trésor, Jean y rapporta même quelques stocks de légumes, de fruits et de vin. L’endroit avait peu de chance d’être trouvé à moins d’une fouille très minutieuse ou d’un coup du hasard, en revanche s’il était découvert ils perdaient tout d’un coup. Cela valait la peine d’être tenté, car la cave serait, elle, obligatoirement visitée.


Quelques nuits plus tard, ayant à peine eu le temps de se reposer, c’est la vache qui vêla. Jean ne savait pas non plus comment cela se passait, mais heureusement Astrid était habituée. Elle fit ce qu’il fallait avec dextérité sous le regard admiratif de son amant. Un petit veau sortit, relativement malingre, faisant faire la grimace à l’éleveuse :



Mais la vache, après l’avoir léché un instant, se coucha de nouveau et reprit ses efforts.



Elle se remit au travail, aidant sa vache de son mieux, tirant sur le veau de toutes ses forces, au risque de prendre un coup de sabot. Le second était un peu plus dodu, c’était un mâle, un taurillon.



Ils prirent bien soin des veaux, leur apprenant à téter cet affreux lait jaune, juste après le vêlage, qui leur est, paraît-il, indispensable. Le printemps tardait à venir, le ciel était perpétuellement couvert et les champs toujours boueux. Il fallut bien des précautions pour que Jean rapportât, poussés sous châssis exposé au sud et sur couche chaude de fumier de lapin, les premiers radis. Les premiers légumes frais de l’année, un petit bonheur. Parallèlement, les plants de salades, de betteraves et de choux étaient beaux, bientôt prêts à être repiqués. Le jardinier était fier de ses propres graines, récupérées l’an passé et qui « donnaient » bien. Cela lui conféra le courage nécessaire à bêcher ses parcelles, en prenant soin de ne pas mettre les mêmes plantes deux années de suite au même endroit. Il faisait chaque année un rapide croquis du potager pour s’en souvenir.


On mit les bêtes au pré, les veaux grandissaient vite et prenaient de la force en jouant et courant. Le temps des labours et des semailles revint, ils firent cela de concert, parce qu’Astrid redoutait encore un accident, mais Jean avait pris de l’assurance et du savoir-faire, et surtout parce qu’ils aimaient travailler ensemble. En principe, on aurait du blé, de l’orge, un peu d’avoine et beaucoup de pommes de terre.


Un beau matin, Frantz, le voisin le plus proche, un bonhomme d’environ soixante-dix ans, débarqua hors d’haleine et fourche à la main :



Astrid bondit jusqu’à la basse-cour et poussa le maximum de volailles vers leur abri. Cette petite construction avait une première partie grande ouverte, utilisée librement par les volatiles, et une seconde pièce sans ouverture, petite remise fermée par une porte de bois. Elle les poussa jusqu’au fond, ferma la porte et, à grands coups de reins, dressa une douzaine de bottes de paille devant. Il ne resta plus qu’une demi-douzaine de poules et trois lapins visibles. En principe, les gallinacés plongés dans le noir se tiennent tranquilles. Pendant ce temps, Jean enfila sa capote « KG », on ne sait jamais, vérifia que leur cachette était bien recouverte, ajoutant même quelques bouses repoussantes, prit les deux veaux par les longes et s’enfuit à travers champ vers un petit bois voisin. Les jeunes bovins semblaient s’amuser au début, courant allègrement avec lui. Puis il fallut traverser des haies d’épines, un ruisseau, et là il fallait les tirer un par un. Jean arriva dans le bois essoufflé, épuisé, couvert de boue et d’égratignures. Espérant juste que les veaux n’allaient pas appeler leur mère, il les attacha à deux arbres, leur laissant assez de longe pour pouvoir brouter un peu et se câliner comme ils le faisaient souvent. Puis il scruta l’horizon en direction de la ferme. Il vit arriver la voiture et les deux camions bâchés.


Ils entrèrent en trombe dans la cour, firent le tour du puits, se tenant prêts à repartir. La voiture stationna juste devant la porte de la cuisine. Le chauffeur descendit et se tint presque au garde-à-vous, son passager de droite descendit à son tour et vociféra quelques ordres aux six soldats descendus des camions. Ils se dirigèrent par groupes de deux vers la grange, l’écurie et l’étable. Un officier adipeux était vautré à l’arrière de la voiture, fumant un gros cigare et lisant un journal. Astrid, pâle, et le visage fermé, se tenait immobile, bras croisés, dans l’encadrement de la porte. Elle s’était rapidement changée et portait sa robe noire de deuil sous son tablier immaculé. Rapidement, les hommes de troupe revinrent avec la vieille jument et la vache, confiées à la surveillance de l’un d’eux, et poursuivirent leurs investigations dans la cave et le poulailler. Le petit chef s’agaça :



Les quelques biens récoltés constituaient un maigre butin, alors le sous-fifre vociféra et leur hurla de chercher mieux et partout. Ils durent pousser la femme de côté pour entrer dans la maison. Quelques instants plus tard, une goutte fit déborder le vase. On entendit quelques mains inexpertes plaquées sur le clavier du piano qu’ils commencèrent à déplacer pour l’emmener.



Toucher au piano de papa, le voir emmener et bringuebalé par ces rustres et finir dans un bordel militaire, jamais !



Au mot « héros de guerre », l’obèse avait claqué les talons. Quand Astrid avait montré du doigt le portrait de son défunt mari, habilement disposé sur le buffet avec la croix de guerre dans un coin du cadre, il avait quitté sa casquette. D’une voix grasse, il lâcha comme un crachat :



Astrid ne bougea que lorsque le bruit des moteurs fut devenu inaudible. Elle tremblait des pieds à la tête, autant de colère, de rage que de peur, car l’œil jaunâtre du gros libidineux lui avait fait froid dans le dos. Un instant elle s’était dit : ça y est, moi aussi je vais accompagner le piano dans un bordel du front. Elle sortit une bouteille de Schnaps bien cachée, s’assit et en but une rasade. Ayant repris ses esprits, elle ramena les bêtes à l’abri, redescendit les conserves à la cave, remporta les volailles dans la basse-cour et relâcha les autres. La grosse citrouille et le piano attendraient le retour de Jean. Le jeune homme, toujours caché derrière son arbre, attendait que le soir tombe pour rentrer. Il avait bien entendu les véhicules repartir, mais, sans jumelles, il n’avait pas vraiment compris ce qui se passait et se méfiait. Du petit tertre où il était, le corps de ferme ressemblait presque à une forteresse, avec ses hauts murs de pierre grise et le peu d’ouvertures vers l’extérieur. Il revint doucement, faisant le moins de bruit possible, caressant les veaux pour les calmer, faisant une halte d’observation derrière chaque haie. Lorsqu’il atteignit l’étable et que les veaux purent aller téter, il faisait fin nuit.



Ils se narrèrent leurs aventures respectives, Jean fondit d’admiration pour sa bien-aimée qui les avait sauvés et Astrid suça les égratignures de son chéri pour les soigner. Il roula la citrouille à la cave et remit péniblement le piano en place. Tous deux s’endormirent en se cajolant.


Le jardin commença à produire assez tôt, les stocks de l’année précédente étaient largement excédentaires, ce qui permit à Astrid de commencer à vendre des légumes sur le marché, avec quelques volailles. Cela lui procura l’avantage de pouvoir acheter du pain et du tabac pour Jean qui raffolait des deux. L’inconvénient, ils le vécurent un matin en découvrant que leur jardin avait été « visité », et que quelques malandrins avaient pillé des légumes et abîmé d’autres en opérant de nuit. La « forteresse » qui était apparue à Jean n’était pas inviolable, notamment parce que le mur entourant le jardin sur trois faces ne mesurait qu’environ un mètre cinquante. Il décida de faire quelques travaux et Astrid dut effectuer des dépenses imprévues de poteaux métalliques, barbelés et ciment. Jean surmonta le mur de trois rangées de barbelés acérés qu’il prolongea jusqu’aux murs de la basse-cour. Il couvrit également le dessus des murs d’une couche de ciment fixant des tessons de verre, vieilles bouteilles cassées récupérées. Il compléta son travail en remettant en service le portail d’entrée de la ferme, passablement rouillé et coincé dans les herbes par des années d’inactivité. Il le redressa, le graissa, le repeignit et trouva une chaîne et un cadenas de belle taille pour le fermer. Cet imposant barrage ralentirait également d’éventuelles intrusions de l’armée, permettant de se préparer à leur pillage.


En fait, l’armée ne vint plus jamais dans leur ferme ni dans les fermes voisines, tous les soldats étaient mobilisés sur les fronts à partir de 1943. L’effort de guerre restait obligatoire, il fallait porter soi-même sa contribution à l’Hôtel de Ville. Inutile de préciser que la collecte fut limitée.


Ces travaux eurent une conséquence inattendue sur le comportement d’Astrid. Sans doute se sentit-elle mieux protégée, encore plus à l’abri des regards. Cela la rendit à la fois plus tranquille et plus libre. Elle osait plus souvent se promener nue dans la maison et, un jour d’été après une sieste fort crapuleuse, elle osa accompagner Jean qui avait choisi de faire quelques ablutions avec l’eau du puits. Ils jouèrent comme des gamins au bord d’une rivière, se poursuivant et s’aspergeant, suffocant lorsqu’ils étaient frappés par l’eau glacée.


Bientôt cependant, la guerre les rattrapa. Certaines nuits, des grondements sourds parvenaient jusqu’à la ferme et, par les fenêtres de l’étage et par temps clair, on pouvait apercevoir au loin des rougeoiements dans le ciel. L’aviation alliée bombardait des sites stratégiques dans un premier temps, comme des usines d’armement, puis des villes tout entières par la suite. Astrid était inquiète pour son fils dont elle n’avait plus reçu aucun courrier depuis plusieurs mois. Cependant la vie continuait et, dans le cas peu probable d’un bombardement plus proche, ils avaient confiance dans l’abri que procurait la solide cave voûtée. Les récoltes de blé, d’orge, d’avoine également et surtout de pommes de terre furent enfin très bonnes.



Elle avait fait de grands progrès et se délectait en lisant quelques ouvrages de la bibliothèque de son père, avec l’aide de son amant qui lui expliquait patiemment le sens des mots ou des tournures qu’elle ne comprenait pas. De son côté, Jean comprenait et parlait l’allemand couramment, hormis quelques tournures locales et triviales, avec même un peu de l’accent régional. Ils achetèrent à nouveau des cochons, beaucoup plus tôt, beaucoup plus petits et beaucoup moins chers. Mais il y en avait trois, une femelle et deux mâles, de quoi commencer un nouvel élevage. Quand les bestioles eurent quelques mois et furent assez dodues, Jean souhaita en sacrifier un pour s’essayer seul cette fois à la découpe. La réussite fut au rendez-vous, malgré quelques erreurs et hésitations. Et puis un porcelet de soixante kilos demandait beaucoup moins de travail qu’un cochon de cent cinquante. Tous les deux étaient fiers de cette autonomie conquise, et on continua d’engraisser les deux autres. À maturité, ils firent saillir la femelle par le mâle, une expérience assez décevante : un coït très rapide, un pénis très fin, rien de l’impression fantastique que procure un taureau ou un cheval. En revanche, quelle productivité ! C’est à huit porcelets que la femelle donna le jour la première fois, douze la seconde fois dans l’année. Vingt porcelets en un an ! Jean n’en revenait pas et s’en confia à Astrid :



Elle rit, ce que voulait Jean, elle le voulait aussi. Et puis elle admirait cet esprit français, vif, détectant toujours la faille, contestataire, prenant les gens à leur propre jeu. Les voisins furent heureux, ne sachant que faire pour les remercier. Mais à chaque fois, Jean insistait lourdement sur son message : faites-les reproduire et donnez des couples à votre famille, vos amis, qu’ils en fassent autant. Si bien qu’en quelques mois, toute la population du coin se sentit mieux, à l’abri d’un manque de nourriture. D’autant que le porc était pratiquement l’aliment de base dans ce pays, avec les pommes de terre bien sûr.


Tout semblait si merveilleux, ou presque. Hélas, le bourgmestre et le pasteur vinrent une nouvelle fois faire tinter la cloche du portail. Cette fois, plus d’erreur possible, avant même qu’ils n’entrent Astrid tomba dans les pommes. Le bateau de son fils avait été touché par deux torpilles et avait coulé à pic, sans survivants. La pauvre mère tomba dans une langueur que l’on appelle aujourd’hui dépression nerveuse et ne put assister ni à la cérémonie ni à l’office dédiés au jeune homme. Il faut dire qu’ils en avaient du travail, bourgmestre et pasteur : il ne se passait pas de jour sans qu’une nouvelle dramatique ne touchât une famille. On passa très vite de Frau Grüber à d’autres, l’oubliant dans sa ferme isolée avec pour seuls compagnons son chien et son prisonnier. Jean redoubla de tout : de soins, d’attention, de travail également, car Astrid n’était plus capable de faire quoi que ce soit et passait souvent ses journées couchée, à pleurer toutes les larmes de son joli corps.


Levé dès cinq heures, couché à vingt-trois, le jeune homme essayait de tout assurer. Son travail à la ferme, la cuisine, la lessive, la basse-cour… Il demanda même une autorisation au bourgmestre pour venir vendre au marché. On lui accorda volontiers, notamment grâce au bien qu’il avait fait à la communauté avec ses cochons, à condition que son étal porte en gros la pancarte « Frau Grüber ». On se pressait pour lui demander des nouvelles d’Astrid, on en profitait pour faire un geste pour la mère veuve doublement éplorée. Si bien que Jean faisait des affaires excellentes, des profits records.


Il tenta de lui acheter des vêtements, des douceurs, sans résultat. Il la trouva un jour en rentrant penchée au bord du puits, le regard perdu dans ce trou noir. Bien sûr, l’eau, son fils noyé, elle avait envie de le rejoindre. Il construisit donc une plaque articulée avec une fermeture dont il gardait la clé et condamna l’ouverture du puits. Les discussions avec Astrid étaient devenues des monologues, dans lesquels il tentait de lui donner toutes les raisons de revenir à la vie, en vain. Il lui lisait de grands auteurs français parlant de la mort, tentant de relativiser sinon banaliser le fait et surmonter la douleur, sans résultat. Il était découragé.


Et puis vint un jour où tout allait mal, ça arrive parfois. Un renard s’était introduit dans la basse-cour, sûrement par le portillon du jardin mal fermé, et avait fait un carnage. La jument boitait. La truie avait mis bas avec quatre petits mort-nés, il n’était pas là pour s’en occuper et tenter de les sauver. Et toujours le même jour, l’une des roues de la charrette avait cassé sur une pierre du chemin parce qu’il allait trop vite, inquiet pour sa belle. Il n’en pouvait plus, était hors de lui et dans une colère noire. Certes, le Français est râleur par nature, mais là il était fou de rage, d’autant que nombre de ces ennuis ne se seraient pas produits en temps normal. Il aurait refermé correctement le portillon, comme à son habitude. Il aurait été là pour la naissance des porcelets et aurait évité au moins trois décès, tous peut-être si c’était la mère qui s’était couchée dessus. Et la carriole et la jument, à un rythme normal, n’auraient aucun dommage. Il rentra, jura, se servit un verre de schnaps et frappa la table à plusieurs reprises. Le bruit et les jurons firent sortir Astrid de sa chambre :



Jean éclata en sanglots et posa sa tête sur ses bras croisés, à bout. Astrid s’approcha, chancelante, et s’agenouilla près de lui, pleurant à son tour :



Elle attendait sans doute une dénégation, qu’il la plaigne à nouveau, comme d’habitude. Mais il était tellement en rage que ce ne fut pas le cas. Il se redressa, s’essuya le visage de la manche et répondit :



Ce fut comme un électrochoc. Astrid repoussa la clé tendue, secoua la tête et se releva.



Elle alla se laver, il prépara une soupe chaude chargée de lard et de légumes. Elle mangea, assez peu, mais bien plus que ces derniers jours. Le lendemain matin, quand il descendit de sa chambre de l’étage, c’est elle qui avait préparé le petit déjeuner. Il s’excusa, car au final, ses ennuis de la veille n’étaient pas si graves. C’était certainement la fatigue accumulée qui l’avait conduit à cet état. Elle lui renouvela sa conviction qu’elle en était responsable et lui promit que cela ne se reproduirait plus, qu’elle ferait les efforts pour cela. Il lui conseilla de commencer doucement parce qu’elle était très faible et partit réparer ce qui pouvait l’être, notamment la charrette pour aller au marché, et il soigna la jument qui n’avait qu’un caillou pointu coincé dans un sabot.



Le jour du marché, vêtue de deuil, elle prit place dans la carriole remplie de denrées. Elle avait pris soin de glisser dans son tablier un petit pot de sucres mouillés de schnaps pour se revigorer en cas de malaise. L’épreuve fut rude, car elle fut l’attraction du jour, et chacun voulut y aller de son réconfort et de ses lamentations en voyant sa tête et sa maigreur. Mais elle surmonta et Jean fit de très belles affaires, tant en ventes qu’en achats. Au retour, il lui intima l’ordre d’aller s’étendre jusqu’au dîner et s’octroya une cigarette. Il avait aussi négocié des plants de tabac, juste pour sa consommation personnelle, qu’il comptait installer au beau milieu d’un champ de maïs, nouvelle culture qu’il voulait lancer pour engraisser cochons et volailles.


Les semaines passèrent et Astrid se requinqua petit à petit, reprenant du poids et des couleurs. Jean redescendit dormir près de sa belle. Leur amour était toujours bien vivant, mais peut-être moins passionné et plus tendre. Ils savaient maintenant qu’ils avaient besoin l’un de l’autre et que chacun pouvait compter sur l’autre. Les moissons furent très bonnes, encore meilleures que l’année précédente, et les réserves furent pleines à craquer, cachette comme cave. Toujours prêt à apprendre et prompt à se diversifier, Jean planta un rang de vigne le long du mur exposé au sud du jardin et de la basse-cour, soixante ceps qui leur fourniraient peut-être, dans trois ou quatre ans, leur consommation personnelle de vin. Quant au blé, il en fit moudre une partie un peu plus importante en farine et construisit un four à pain. Son but était de retrouver le bon goût et la belle texture du pain français, avec sa croûte croustillante et sa mie bien bullée et tendre, produit introuvable en Allemagne.


Si les porcs s’étaient multipliés, ils en avaient une vingtaine et en vendaient chaque année, les bovins également. Ils avaient conservé six vaches laitières et vendaient maintenant du lait, du beurre et des fromages que confectionnait Astrid. Deux jeunes mâles avaient été castrés en bœufs afin de faire un attelage de trait pour remplacer la jument vieillissante, et désormais on venait les voir pour les saillies de leur taureau, bête magnifique de plus de sept cents kilos. Quand Astrid fit les comptes en fin d’année, elle déclara que jamais, même avant la guerre, la ferme n’avait autant rapporté, et que tout le mérite en revenait à Jean et à ses bonnes idées. Il n’en était pas vraiment convaincu, prenant cela avant tout pour un compliment de sa bien-aimée, mais ça n’était pas désagréable. Il faut dire qu’ils travaillaient tous deux comme des fous et qu’il était temps de stabiliser les choses, car faire plus sans nouvelle main-d’œuvre eût été impossible.


Vers la mi-juin de l’année 1944, malgré la propagande qui annonçait une victoire imminente du Reich, l’information courut que les alliés avaient débarqué en Normandie, avec des noms de plages inconnues aux consonances américaines. Seuls deux noms retinrent l’attention de Jean : la pointe du Hoc et Sainte-Mère-l’Église. On chercha sur des cartes et ce fut la stupeur. C’était à la fois fou et très gonflé de débarquer sur une distance aussi longue et des plages désertes et sans ports, alors qu’ils étaient attendus vers Calais, au passage le plus étroit.



Loin de là, puisqu’il fallut attendre encore toute une année ou presque pour que l’armistice et la reddition de l’Allemagne fussent signés. Ce n’est que quelques semaines plus tard que les bourgmestres firent ordonner aux prisonniers de guerre de monter dans des trains pour rentrer chez eux, sans autre choix possible. Ils se retrouvèrent encore une fois entassés dans des wagons à bestiaux, dans d’immenses trains très lents, tous avec leurs capotes « KG ». Après plusieurs jours, arrêts et départs, sans presque rien à manger et mourant de soif, ils arrivèrent à Paris. Les plus chanceux se retrouvèrent assis dans des wagons de voyageurs, attelés à la hâte quelques kilomètres plus tôt, juste pour la presse. Mais tous débarquèrent sous les huées, les quolibets et les crachats :



Était-ce leur faute si cette guerre avait si mal commencé, s’ils avaient été contraints au travail obligatoire ? Des heures encore pour contrôler à nouveau leurs papiers usagés. Jean avait refusé l’argent que voulait lui donner Astrid, ne se voyant pas revenir en France avec des Deutschemarks. Il voulait prendre un train pour Clermont-Ferrand, mais n’avait pas un centime. Un collègue lui indiqua un bureau où l’on délivrait des billets de retour gratuits, il fit la queue vingt-quatre heures, rongeant les derniers bouts de jambon emportés. À Clermont non plus, personne ne l’attendait. Il avait pris soin de se débarrasser de sa « capote de la honte », mais ça ne trompait personne. Un homme jeune et en parfaite santé qui rentrait chez lui sans uniforme récent ni brassard FFI, c’était suspect. En arrivant chez ses parents, seule sa mère pleura de joie de le retrouver après tant d’années en bonne santé. Son père, son propre père, ne voulut même pas le saluer, lui tournant le dos, le regard perdu à travers la fenêtre. Ah s’il était revenu estropié ou entre quatre planches, c’eut été un héros dont la gloire serait retombée sur toute la famille. Mais prisonnier en STO, c’était la honte qui s’abattait sur la maison. Il partit donc aussitôt et prit rendez-vous à l’Inspection d’Académie, pour savoir s’il pouvait occuper un poste gagné cinq ans plus tôt. On lui répondit que peut-être, mais pas sûr. Oui, on manquait d’enseignants, mais… certainement qu’il devrait faire ses preuves à nouveau puisqu’il n’avait jamais enseigné. Ah non, pas repartir à zéro, mais disons à zéro virgule cinq, refaire une année de formation professionnelle histoire de se remettre dans le bain. Non, il ne serait ni logé ni payé puisque c’était en somme un « redoublement ». Merci, au revoir.


Dégoûté, affamé, il prit le soir même la route, à pied. Traversant des vergers, il trompa sa faim avec des pommes un peu vertes et des baies un peu passées. Il dormit à la belle étoile en regrettant sa capote, se fit conduire un bout de chemin par quelques chauffeurs compatissants et grimpa, au risque de se rompre les os, dans des wagons de marchandises. Il dormit dans des granges à foin, faucha quelques bouts de ficelle, une paire de sabots usés et de vieux vêtements sur des épouvantails, se déguisant en vrai-faux paysan. Il passa la frontière dans le Jura, là où le Rhin est le plus étroit, plus encore que le canal d’Alsace. Le parcours était farfelu, traversant d’abord le canal toujours en France, remontant vers l’amont sur une île entre canal et fleuve, franchissant ensuite un petit pont très court et sans surveillance pour se retrouver de l’autre côté du Rhin, c’est à dire en Allemagne. Sa parfaite pratique de la langue lui permit de se tirer de bien des situations, de trouver un hébergement beaucoup plus facilement qu’en France, un comble, et une succession de chauffeurs affables. Neuf jours plus tard, il sonnait au portail de la ferme qu’il avait quittée depuis trente-deux jours déjà. C’est un hurlement de joie qui l’accueillit.



C’est sûr, l’Allemagne était plus accueillante que la France, au moins ici. Serait-ce le cas également au village ? Rien n’était moins sûr. Il était malgré tout Français, l’ennemi héréditaire. En attendant de le savoir, ce fut la fête à la ferme. Même le molosse, queue fouettant en tous sens lui mit les pattes sur les épaules pour lui lécher le nez. Que dire d’Astrid et de ses baisers, de sa précipitation à lui préparer une énorme omelette au jambon :



Ils firent ensemble le tour de la ferme, serrés l’un contre l’autre. Il repéra le travail urgent à faire. Astrid avait fait ce qu’elle pouvait, se concentrant sur les animaux et la basse-cour. Un mois d’herbes folles à retirer au jardin, mais les légumes étaient bien là. Il verrait les champs demain, pour l’heure il y avait d’autres urgences. Ils fermèrent tout soigneusement, volets portes et fenêtres, ce fut bien nécessaire pour étouffer les cris de jouissance d’une Astrid déchaînée.


En 1955, on enterrait un vieux monsieur dans un cimetière des faubourgs de Clermont-Ferrand. La cérémonie allait se terminer lorsqu’un couple se joignit à la file des gens qui allaient rendre un dernier hommage au défunt dans son trou. Elle, longue et mince, portait un tailleur noir et lui un trench-coat gris. Il n’ôta ses lunettes de soleil qu’en approchant de l’épouse du défunt :



Ils la firent monter dans une BMW 335 noire, qui ressemblait un peu à une traction, trouva-t-elle, mais bien plus belle et bien plus confortable, et surtout décapotable !