n° 19657 | Fiche technique | 7076 caractères | 7076 1175 Temps de lecture estimé : 5 mn |
11/06/20 |
Résumé: Tout est dans le titre... | ||||
Critères: #épistolaire #drame #nonérotique #romantisme #nostalgie amour | ||||
Auteur : L'artiste Envoi mini-message |
Je me souviens…
Je me souviens… qu’elle m’était apparue, tel un ange, alors que nous n’avions qu’à peine dix ans. Je ne saurais dire si cela était dû à son allure menue ou à son caractère réservé, mais je ressentais, déjà, le désir de la protéger. Je l’avais dans un premier temps abordée timidement, puis nous étions très vite devenus inséparables et partagions le plus clair de nos existences insouciantes ensemble.
De sorties pour des promenades en campagne dominicales, je la portais sur le guidon de ma bicyclette et elle se laissait guider, agrippée à mes poignets, la tête reposant sur mon épaule. Nous écumions arbres fruitiers et baies sauvages des alentours ; nous construisions aussi des cabanes dans les bois, elle en était l’architecte et moi le maçon, qui, à grand renfort de feuillages et de branchages, érigeais les murs végétaux de notre futur logis. Notre cahute ballottait au gré du vent, mais avait à nos cœurs des allures de châteaux et nous imaginions déjà notre avenir commun tout tracé sous cet abri de fortune.
Nous échangeâmes notre premier baiser en nous promettant monts et merveilles jusqu’à la fin des temps, nos lèvres jointes s’étaient collées pour une étreinte innocente que nous avions fait durer comme dans les contes de fées. Cette simple évocation m’émeut à en pleurer et fermer les yeux me suffit à ressentir, encore dans ma chair, la douceur de cette dernière.
Je me souviens… que notre adolescence nous sépara sans que je pusse pour autant l’oublier. Je l’épiais discrètement dès que nos chemins se croisaient, mais jamais je n’aurais osé lui déclarer ma flamme, et pourtant… je pouvais n’aimer qu’elle !
Nous nous retrouvâmes sur les bancs du lycée. La petite fille fragile s’était mutée en une jeune femme un peu rebelle, mon vélo laissa place à une mobylette, les champs d’arbres fruitiers devinrent des cafés et notre cabane se transforma en cages d’escaliers. Certes, nous pouvions rêver repères plus romantiques, mais nous en voulions au monde entier et philosophions sur un avenir incertain. Paradoxalement, notre mal de vivre nous lia à nouveau, je buvais ses paroles et elle s’abreuvait des miennes. Plus de prince ni de Cendrillon, nous étions alors Bonnie et Clyde… Et nous nous jurions « à la vie, à la mort », tout en nous flagellant l’épaule d’une légère brûlure de cigarette en gage de bonne foi, et afin de ne jamais oublier ce pacte voué à perdurer.
Je me souviens… de notre premier rapprochement plus charnel. Comment ne pas me rappeler ce moment où elle dévoila maladroitement ses charmes à mes yeux ébahis, me défiant d’un regard bouillonnant d’envie ? J’aurais pu mourir foudroyé sans aucun regret, comblé par tant de voluptés. L’embrassant à en perdre haleine, la caressant jusqu’à l’épuisement, je prospectai avec ravissement chaque parcelle de son corps que je chéris sans faiblir et couvris de mille douces attentions. Notre union s’avéra intense, magique, elle était devenue mon océan, moi son ciel… nous formions notre horizon.
Je pensais que rien de plus beau ne pouvait m’arriver, je me trompais, la suite me démontra le contraire. Nous partageâmes ce genre de moment à profusion et notre amour n’eut de cesse de s’étoffer, toujours plus puissant, toujours plus sincère.
Je me souviens… notre premier appartement, un studio à la limite de l’insalubrité et dans lequel notre couple naissant se construisit. Une pièce unique, une kitchenette équipée d’un réchaud et un vieux canapé convertible en guise de lit suffirent, durant deux années, à combler notre bonheur. Une légère odeur de moisissure émanait des murs trop humides ; le froid glacial de la tramontane hivernale s’infiltrait au travers des boiseries trop vétustes ; les fines cloisons, laissant transpirer le moindre soupir, nous dévoilaient les us et les mœurs de notre voisinage ; quant à nos ébats débridés, ils ne passèrent certainement pas non plus inaperçus.
Nous traversâmes bien sûr quelques galères et dûmes affronter les réalités bien concrètes infligées pour assumer notre autonomie. Au diable ces dernières ! Nous étions unis et rien d’autre n’avait d’importance. Les crises et les doutes bizarrement se sont effacés, seuls nos fous rires communs survivent à mon esprit, partis d’un rien, d’un regard ou de situations incongrues si anecdotiques que je ne saurais en définir l’origine.
Je me souviens… de sa main qui broyait la mienne à la maternité. Mon ange souffrait, mais je reste convaincu que ma présence lui donna la force et l’énergie nécessaires pour endurer cette épreuve douloureuse. Je me rappellerai éternellement son visage comblé de joie lorsque notre fils fut né et qu’elle le prit dans ses bras. Elle était désormais une mère et avait mis au monde l’être à qui elle consacrerait toute sa bonté et son amour. Une fois ce dernier allongé contre son sein, elle me regarda si intensément, les yeux emplis de larmes, que je crus sentir mes pulsations cardiaques me traverser la poitrine sous l’effet de l’émotion. Notre symbiose jusqu’alors immatérielle venait en un instant de prendre forme dans le corps de cet adorable nourrisson… notre enfant !
Deux ans plus tard, notre tribu s’agrandissait à nouveau et la vie suivit son cours, jusqu’à ce que notre descendance ait quitté le foyer parental pour voler de ses propres ailes. L’aîné fut promu ingénieur et la benjamine infirmière. Les repas hebdomadaires familiaux se changèrent vite en des réunions semestrielles, puis finalement annuelles. Les tendres et apaisants câlins maternels ainsi que les franches accolades protectrices paternelles devinrent, au fil du temps, de moins en moins nécessaires à nos chérubins alors adultes.
Je me souviens… des rides naissantes qui jamais ne disgracièrent son visage si harmonieux et tant chéri, nous vieillissions de concert sans que jamais cela n’entachât notre complicité. Je me souviens… que tels deux tourtereaux, nous restâmes inséparables, sa présence essentielle me rassurait, et jamais je ne doutais de la réciproque. Je me souviens… de son sourire, son odeur, la douceur de sa peau. Je me souviens du sentiment de béatitude éprouvé dès que nos regards se croisaient. Je me souviens que je l’aimais, elle était mon trésor, mon âme sœur ! Je me souviens… je me souviens et je souffre atrocement !
Hier, elle s’endormit sur mon épaule, l’air si serein. Je lui déposai une bise sur le front en la sentant s’assoupir, si j’avais su…
Au réveil, gisant à mes côtés, en dépit de mon insistance, aucune réponse ne fut retournée à mon salut matinal. Désemparé, je restai ainsi inerte auprès d’elle et lui pris la main pour pleurer toutes les larmes de mon corps.
Oui, si j’avais su… je lui aurais confié, une dernière fois, la force des sentiments que j’éprouvais à son égard ; je lui aurais juste confessé qu’elle avait façonné mon univers en un havre de plaisir ; je lui aurais simplement chuchoté, tendrement, de me serrer tout contre elle afin que l’on parte tous deux enlacés. À la vie, à la mort… nous nous l’étions juré ! Caressant d’un doigt léger la cicatrice de ce souvenir si précieux, à la mort… comment pourrait-il en être autrement ?