Comment c’est arrivé ? Attendez que j’vous raconte. J’étais dans la cour, à l’endroit habituel, sous le panneau de basket, tranquille. Et j’l’ai vu débouler comme un malade, l’autre, avec sa mine des mauvais jours, et puis il s’est mis à me gueuler dessus, comme ça, aussi sec :
- — Ouah, Régis, ce coup-ci, je vais t’péter les dents, sérieux !
- — Hé dis-donc, t’as vu comment qu’tu me causes, là ?
- — J’vais t’péter les dents, et puis te couper les couilles, aussi ! qu’il a fait.
- — Ah ouais, eh ben essaie donc, pour voir ! Et pourquoi qu’tu me ferais ça, Nono, sans blague ?
- — Je vais t’péter les dents rapport à Sabrina, figure-toi.
- — Qu’est-ce que j’en ai à fout’, moi, de Sabrina ?
- — Tu sais très bien de quoi que j’te cause. Parce que tu te l’es faite, Sabrina, fumier !
- — Non, mais ça va pas la tête ?
- — Ouais, les dents, les couilles et le cul aussi, tiens, je vais t’péter !
- — C’est quoi ces conneries comme quoi je m’la serais fait, Sabrina ? C’est quoi ce délire ?
- — FAITE !
- — Quoi, faite ?
- — Je m’la serais faite, pas je me la serais fait. Je cause français, moi, Ducon. J’ai de l’éducation. Le participe carré qui s’accorde avec l’hypoténuse, et tout le bordel…
- — Qu’esse tu m’embrouilles, avec tes cochonneries ?
- — C’est pas une glande, l’hypoténuse, ça n’a rien de pervers, qu’il a répondu en me repeignant une couche de son vernis je-sais-tout.
- — C’est pas ça l’embrouille, Nono. C’est de la chatte à Sabrina, que j’te cause. Que je l’ai jamais vue, figure-toi. Ni fourrée, non plus.
- — C’est pas ce qu’on dit.
- — Parce qu’elle t’a dit ça, Sabrina ?
- — Et encore quoi ? Tu la crois conne à ce point-là ?
- — …
- — Ouais, bon, d’accord, je reformule : tu crois qu’elle prendrait le risque de m’avouer ça ? La baffe qu’elle se mangerait…
- — Tu lui péterais les dents, à elle aussi ?
- — T’es con, ou quoi ? Tu crois que je la défigurerais, ma meuf ? Je suis un gentleman, moi, mec. À la limite, j’lui pèterais le cul.
- — Ah bon, parce que ça, c’est délicat ?
- — Mais non, mais non, patate, bien sûr, j’suis un grand sentimental, moi. Un doux, un poète. C’est juste que…
- — Juste que quoi ?
- — Rien, rien… Sans blague, Régis, tu m’le jures, que tu t’l’es pas faite ?
- — Sûr.
- — Sur quoi ?
- — Sur la tête de ma mère.
- — Bon, on va dire que je te crois. C’est bon pour une fois.
- — Mais puisque j’ai rien fait, que j’te dis !
- — Ouais, peut-être.
- — Pas peut-être, sûrement ! Enfin, Nono, j’suis ton meilleur pote, ou pas ?
- — T’es comme mon frère, Régis.
- — Comme Kevin ? Ah ben j’te remercie du compliment…
- — Mais non, pas comme mon abruti de frangin. Mieux que ça.
- — Tout pareil pour moi. T’es comme mon brother, mon frère.
- — Ça compte pas, t’as juste une sœur.
- — Eh ben justement, ça tombe bien, comme ça c’est toi mon frère.
- — Ouais, ouais, OK.
- — Regarde-moi bien dans les yeux. Droit dans les yeux.
- — …
- — Tu crois vraiment que j’te ferais ça, tirer ta gonzesse ? Te faire pousser des cornes ? Franchement, tu t’imagines Sabrina vouloir se taper un mec comme moi ? Même pas foutu d’accorder les participes ?
- — …
- — Nono, réponds-moi, tu crois ça ?
- — Non. Faut bien reconnaître. Sans vouloir te manquer de respect…
- — Ben voilà.
- — Pardon, mon frère.
- — C’est rien, mon frère.
On s’est serrés tout bien fort et balancé des grandes tapes dans le dos, avec mon frère que j’ai en rab. On n’a plus moufté pendant un moment. L’émotion, quoi. On est des sentimentaux, lui et moi. Des doux, des poètes. Et puis j’lui ai demandé quand même, vu que ça me chignolait sévère dans la tête.
- — Et c’est qui, çui-là qui t’l’a dit ?
- — Qui me l’a dit quoi ?
- — Les conneries comme quoi je m’la serai fait… euh… je m’la serais faite, Sabrina ? ai-je rectifié en pensant à l’hypoténuse.
- — Peu importe… Un connard.
- — Tu m’étonnes.
- — Un vrai connard de chez connard. J’aurais dû lui péter les dents, tiens.
- — Et pourquoi tu l’as pas fait ?
- — Bah, après ça aurait fait des histoires, et tout…
- — Tu veux pas me dire qui ?
- — J’préfère pas.
- — Pas même à moi, ton brother ?
- — Parfois j’ai vraiment envie de lui péter les dents, et les couilles aussi, à mon frère. Le cul, pas trop.
- — Ho, tu vas pas recommencer, là ? Tu veux de nouveau me péter les dents, à moi, ton frère ?
- — Non, non, pas à toi, à Kevin.
- — Tout le monde a toujours envie de lui péter les dents, à Kevin.
- — Exact, et d’ailleurs y a déjà une pleine rangée qu’a morflé.
- — Et c’est quoi, le rapport ?
- — Rien, rien, laisse béton. Juste comme ça. Il me tanne. Il est pas clair, cet abruti.
- — Je confirme. Dans sa tête, fait pas plus clair ni plus net que dans son cul. Il me gonfle, ton frangin. C’est bon que c’est un client, à qui je rends parfois service. Parce que sinon…
- — Sinon, t’aurais parfois comme moi une drôle d’envie de lui péter les dents.
- — Oui, mais tu l’as déjà dit, ça.
- — Et les couilles aussi. Le cul, non merci.
- — Et pourquoi tu le fais pas ?
- — Rapport à ma mère. J’lui ai juré que j’le ferais pas.
- — Et t’as juré sur quoi ?
- — Sur la tête à Sabrina.
- — Je comprends…
- — Même pas. J’lui ai dit la tête, à ma mère, mais dans la mienne, j’ai juré sur la chatte à Sabrina.
- — Ouais, je vois. Enfin, plutôt non, en fait je vois rien du tout, Nono, justement, t’énerve pas !
- — C’est presque dommage Régis, tu sais pas ce que tu rates.
- — J’en doute pas, seulement, je te ferais jamais ça, tu vois, Nono.
- — Je sais, Régis. T’es mon frère. Je te crois.
- — Ça me fait plaisir, Nono.
- — Je te fais confiance, à toi. Pas à Kevin.
- — Moi non plus. Dis-donc, Nono…
- — Ouais, Régis ?
- — Vu que t’es mon frère, on peut tout se dire, alors ? Rien à cacher ?
- — Rien à cacher, mon pote.
- — C’était quoi que tu voulais dire, tout à l’heure ?
- — Par rapport à quoi ?
- — Ben, tu sais bien…
- — Non, je vois plus.
- — Rapport à Sabrina. Si je peux me permettre. Que si ça se trouvait, tu lui péterais plus vite le cul que les dents, en gentleman…
Il a paru gêné, Nono. Il a hésité.
- — C’est délicat, Régis. T’es mon frère, pas vrai ?
- — J’suis ton frère, Nono. Pas comme Kevin. Rappelle-toi. On peut tout se dire. Rien à cacher.
- — D’accord. Mais ça doit rester juste entre toi et moi, d’accord ?
- — Bien sûr.
- — Jure-le.
- — J’le jure.
- — Sur quoi ?
- — Sur la chatte à ma sœur.
- — Enfin, Régis… T’y vas fort, là, quand même…
- — J’peux pas faire mieux. Y a pas plus innocente.
- — Bon, si tu veux, alors voilà…
- — Voilà quoi ?
- — Eh ben Sabrina, elle aime bien ça.
- — Elle aime bien quoi ?
- — Oh putain, Régis, tu le fais exprès ou quoi, je dois te faire un dessin ?
Je savais pas quoi dire, si je devais le féliciter ou bien fermer ma gueule, et lui non plus il disait plus rien, mais c’était quand même une belle preuve de confiance qu’il me faisait, mon quasi frère, de m’offrir comme qui dirait le tour du propriétaire à Sabrina. Moi aussi j’lui péterais les dents et les couilles, au premier crétin qui voudrait me chauffer une pétasse aussi bombasse. Et puis on a changé de sujet, vu que cet abruti de Kevin a rappliqué, avec sa face de crunch et son air sournois, un peu mal à l’aise.
- — Ça gaze, les gars ? Vous parlez de quoi, tous les deux ?
- — De l’hypoténuse.
- — C’est douloureux ? T’as chopé la chtouille, Régis ?
- — Tu piges rien à rien, Kevin, a répondu Nono. Et puis surtout, t’avise pas de te foutre de la gueule à Régis, c’est mon frère. Entre nous, on peut tout se dire. Rien à cacher. Je lui fais confiance, à lui.
- — C’est vrai qu’il est toujours réglo, qu’il a ricané, Kevin. À propos, Régis, de l’hypoténuse, t’en aurais pas un packson, là ?
- — Au carré.
- — C’est d’la bonne ?
- — Un peu, mon neveu. De l’afghane.
- — Aussi bonne que la chatte à Sabrina ?
- — PUTAIN, J’VAIS LUI PÉTER LES DENTS ! a hurlé Nono en bondissant vers lui.
- — Ah ouais ? Eh ben ça va te changer, toi qui pètes la rondelle de la sœur à Régis au Formule 1, chaque vendredi !
Et c’est comme ça qu’on a fini par tous nous péter les dents les uns les autres, avec mes bien chers frères, en vérité je vous le dis. On n’est pas des anges, non plus.
Quand même, quelle salope, Sabrina !
Pour son cul, ça la regarde.
Mais pour le reste, qu’est-ce qui lui a pris d’en parler à Kevin ?