n° 19669 | Fiche technique | 170186 caractères | 170186Temps de lecture estimé : 92 mn | 18/06/20 corrigé 05/06/21 |
Résumé: Un ectoplasme peut en cacher un autre. | ||||
Critères: fh couple bizarre cérébral revede pénétratio fantastiqu -fantastiq | ||||
Auteur : Roy Suffer (Vieil épicurien) Envoi mini-message |
Allez, un, deux, trois, partez ! Je m’élançai comme Usain Bolt à la sortie des starting-blocks, le buste presque horizontal, en faisant attention de ne pas me relever, en faisant de très courtes foulées le plus rapidement possible. Le vent sifflait à mes oreilles, le bord de la terrasse approchait, je me redressai légèrement en allongeant mes foulées, mais pas trop encore, là, maintenant, une grande foulée, je décollai juste ce qu’il faut pour prendre appui sur le muret et hop ! Je donnai tout ce que je pouvais dans ma jambe gauche. Quel bond, je volais, c’était super, j’étais au moins dix mètres plus haut que mon point de départ, je moulinai un peu des bras et des jambes pour essayer de garder l’équilibre.
Ahhhh ! Un coup de vent ! Le vent est mon pire ennemi. Quarante-trois grammes pour un mètre quatre-vingt-cinq, c’est à peu près comme une grosse plume. Au moindre souffle, je ne tiens pas si je ne suis pas bien arrimé. Au début, ça m’a causé beaucoup de problèmes : un courant d’air, le souffle d’un camion, d’un bus, même d’une voiture, a fortiori d’un train ou d’un métro et psssit ! J’étais parti à perpète. Heureusement, malgré tous les accidents que j’ai subis, même pas mal ! Oups, j’allai trop loin, j’allai embrasser une cheminée. Non, rattrapé au dernier moment au mât de l’antenne de télé. Pas une égratignure, et pour cause…
Je suis mort, mort d’une mort stupide, en pleine fleur de l’âge. Je me souvenais de tout, de ma vie passée et aussi de ma mort. Je ne l’ai pas cherchée, en même temps ce n’était pas complètement accidentel. Une vie banale, un peu pourrie, mais sans plus, comme tant d’autres. J’avais un bon boulot d’expert-comptable, une petite famille avec une jolie femme qui m’avait fait deux beaux enfants. Et puis, et puis… l’usure du temps, de l’habitude. J’ai voulu assurer un max : maison, deux voitures, vacances. J’ai beaucoup bossé, passé beaucoup de temps au boulot, trop sûrement. Je n’ai pas trop vu mes gosses grandir, je rentrais tard, épuisé et les nerfs à vif, je partais tôt. J’ai oublié de dire à ma petite femme qu’elle était jolie et que je l’aimais. Un rien m’agaçait et on se disputait au lieu de se dire des mots d’amour, au lieu de faire l’amour.
Un beau jour, je suis rentré d’un séminaire d’une semaine après une violente dispute le week-end précédent, la maison était vide. Mais quand je dis vide, c’était vide à l’exception de mes affaires personnelles. Plus de femme, plus de gosses. Juste une lettre sur l’unique table de la cuisine, une lettre d’avocat qui me convoquait à un entretien de divorce. Le monde s’est écroulé, j’ai pleuré, j’ai picolé, j’ai essayé de lui parler, trop tard.
J’ai vendu la maison, j’ai tout donné à ma femme et à mes enfants, croyant bien faire. Ça se substituait à toute pension alimentaire, mais ça me paraissait bien qu’ils aient de quoi repartir dans la vie. En fait, ça a été le moyen pour mon ex de couper définitivement les ponts. J’ai changé de boîte pour avoir plus de temps, mais je ne savais pas quoi faire de ce temps. Du temps en trop alors que je ne pouvais pas rattraper celui qui était perdu. Bref, j’avais tout faux. Alors, pour tromper l’ennui et les regrets, je me suis mis à sortir, à faire la fête, à noyer mon désespoir dans des soirées un peu folles. J’ai bu, beaucoup, mais pas plus que d’autres, j’ai goûté à des trucs illicites, et surtout j’ai culbuté pas mal de filles. Toutes consentantes, il va sans dire. Mais des filles d’un soir, dont on ne se souvient même plus du prénom le lendemain matin en se réveillant. Ça, plus que le reste, c’était devenu mon truc, et rapidement je me suis retrouvé à suivre ma queue. Mon but dans les soirées, ce n’était plus la cuite ou la ligne de coke, mais la fille à tirer.
Et puis il y a eu Julie. Grande, mince, mais tout ce qu’il faut là où il faut. Elle n’était pas de « notre monde », du monde de la nuit et des fêtards. Amenée dans une soirée par hasard comme par ennui, par une cousine, je l’avais jaugée d’entrée. Elle a eu l’air un peu étonnée et délicieusement timide au début, puis elle a viré carrément horrifiée par la suite, faisant un sketch à sa cousine pour partir. Mais la cousine avait déjà bien bu et bien sniffé, dépoitraillée sur un canapé, elle se faisait téter par un grand black plein de voluptueuses promesses sexuelles. J’étais clean, à part un ou deux whiskys, je me suis proposé de la ramener.
Elle se mit à pleurer. C’est toujours désarmant une femme qui pleure. Je me suis arrêté, je l’ai prise sur mon épaule. Elle s’est lâchée cinq minutes à gros sanglots, j’ai essuyé ses joues, ses yeux. Nous étions près du canal, nous sommes sortis faire quelques pas, l’endroit était paisible. Il y avait un banc, nous nous sommes assis, elle a de nouveau posé sa tête sur mon épaule.
Nous sommes remontés en voiture. Au lieu de mettre sa ceinture, elle s’est penchée vers moi et m’a offert ses lèvres. Notre baiser, timide au début, devint enflammé. Nos langues s’enroulaient en une danse frénétique à nous faire perdre haleine. Mes mains commencèrent à s’égarer sur le nylon qui gainait ses longues cuisses. Soudain, elle me repoussa et se rajusta sur son siège.
Nous nous engageâmes dans des petites rues de banlieue, entrelacs interminables parsemés de carrefours dangereux. Nous sommes restés silencieux un long moment et j’ai repris :
J’ai garé la voiture et éteint le moteur. Nous sommes restés un moment silencieux, indécis l’un comme l’autre. Je suis descendu le premier pour lui ouvrir galamment la portière.
Je la suivis. Hall cossu, tout en marbre, ascenseur où nous nous sommes regardés dans le miroir, pâlis par le vilain néon. Grand couloir, belles portes de bois rouge, superbe appart avec terrasse, rideaux électriques, déco moderne luxueuse, sauf un énorme écran plat de télé, le genre de truc que j’abomine.
Bon whisky, bouteille de « Vieille sans âge », des breuvages divins. Elle revint au bout de quelques instants dans un peignoir de soie beige, pieds nus sur l’épaisse moquette, les cheveux détachés et brossés, superbe. Elle avala son verre d’un trait et en redemanda un second.
Nos étreintes de cette nuit-là furent mémorables. Même si nous apprenions à nous connaître et que, techniquement, tout n’était pas parfait, le saut vers l’inconnu, la grande découverte de l’autre participe d’une magie qui n’existe qu’une fois. Nous y mîmes tous nos cœurs et toutes nos âmes et fûmes transportés vers des sommets d’extase que j’avais oubliés depuis longtemps. Il y a le plaisir, la jouissance, l’orgasme des corps, mais bien au-dessus l’orgasme des âmes, cette chose inouïe qui vous laisse pantois, dans un état de béatitude extrême dont vous peinez à revenir. Je l’ai quittée à l’heure d’embaucher, mais, chemin faisant, j’ai bifurqué vers chez moi. Je ne pouvais pas aller bosser, il me fallait faire le point, réfléchir à ce qui venait de m’arriver, de nous arriver. Je me suis fait porter pâle. À la fin de la journée, j’en arrivai à la conclusion suivante : rendre cette femme heureuse était un but magnifique pour ma vie. Finies les bringues et les soirées de turpitude, j’allais tenter de réussir ce que j’avais précédemment raté.
Elle me téléphona le soir même, j’avais eu envie de lui parler toute la journée, mais je ne voulais pas me faire insistant. Elle voulait me revoir, je volais jusque chez elle. C’est ainsi que commença pour moi une nouvelle vie, tournée vers cette splendide et adorable maîtresse.
Mais sa cousine nous avait bien vus partir ensemble et fit vite le lien entre Julie et ma disparition subite des soirées crapuleuses. Comme elle était fort bavarde après quelques verres, le bruit de notre relation fit tranquillement son chemin. Et un terrible soir où nous étions en train de feuilleter les pages du Kamasutra, son mari fit une discrète intrusion dans l’appartement. Il avait dû être informé, il avait apporté ce qu’il fallait, un gros calibre. Je pris deux bastos dans le dos, la troisième fut pour Julie. Il nous laissa tous les deux pour morts. Les journaux titrèrent « Drame de la jalousie », il fut jugé, mais n’écopa que de quelques petites années. Sa femme s’en tira miraculeusement, si l’on peut dire. Touchée à la tête, elle fut opérée à maintes reprises. C’est maintenant un « légume » dans un hôpital spécialisé.
Ma mort ne fit pleurer personne, pas même mes enfants qui ne vinrent pas à mes obsèques. Les circonstances scabreuses m’ayant rendu encore plus infréquentable mort que vivant. C’est après trois jours de noir absolu, juste avant qu’on ne m’enterre, sans que j’aie vu le moindre tunnel avec une grande lumière ou des proches venant me chercher, que j’eus la sensation de me réveiller. Groggy comme après la plus sévère des cuites que j’aie jamais prises. C’est la lumière qui m’a réveillé quand quelqu’un a tiré le tiroir dans lequel j’étais enfermé. J’ai essayé de me lever, j’étais comme englué dans une bouillasse collante, j’ai fini par tomber par terre et rouler sous une table. D’autres types sont venus en sifflotant, ils ont sorti ce qu’il y avait dans le tiroir et l’ont mis dans un cercueil. Je me voyais, c’était moi, là, blafard, la poitrine à moitié arrachée par les balles qui m’avaient traversé et qui font un trou beaucoup plus gros en sortant qu’en entrant. Ça fout les boules ! Je gueulais :
Personne ne m’entendait. Ils m’ont emporté dans mon emballage de bois, enfin, l’ancien moi. Parce que moi, j’étais toujours là. Comme un imbécile, je n’ai pas eu le réflexe de les suivre et quand j’ai voulu sortir je me suis cogné à la porte. Impossible de pousser cette porte battante. J’y mis toutes mes forces, rien à faire. En revanche, je l’ai prise dans le pif et j’ai roulé par terre quand la petite est venue pour nettoyer le tiroir. Pas mal, ni au nez, ni aux fesses en tombant, plutôt bien. Ce qui fait que quand sa copine est venue la rejoindre, j’ai pu me glisser entre deux battements de portes. Dommage, elle était bien roulée, celle-là, et j’aurais bien vérifié si elle portait quelque chose sous sa blouse blanche. J’ai couru après ma dépouille. J’ai pris un brancard à un angle de couloir qui m’a de nouveau envoyé valdinguer. Poisse ! Pouvez pas faire attention ? Ceux-là non plus ne me voient pas et ne m’entendent pas. J’ai eu juste le temps de sauter dans le camion avant qu’ils ne le ferment. Pas sur un siège, ils étaient tous occupés. Mais à plat ventre sur le coffre qui contenait le cercueil. Ils rigolaient sur mon compte en roulant, j’ai essayé de les traiter de tous les noms, ils ne m’entendaient pas non plus. J’ai tapé de toutes mes forces sur le coffre, espérant qu’il fasse tambour, le simple bruit du roulement couvrait largement mes coups de poing.
Quand ils sont arrivés, j’ai voulu m’interposer, ils m’ont bousculé sans avoir l’air de s’en rendre compte. J’ai filé un crochet au menton à l’un d’eux, à peine s’est-il passé un doigt comme pour chasser un insecte. Conclusion : ils ne m’entendent pas, ils ne me voient pas, en revanche, ils ne me passent pas au travers et semblent légèrement percevoir mes coups. Ils ont transporté le cercueil jusqu’à une « tombinette », une de ces tombes sans caveau creusées à même le sol dans un coin reculé du cimetière. Pas de chichis, pas de cérémonie, juste l’un d’eux qui a dit :
Ils ont posé leurs casquettes d’uniformes, silencieux pendant dix secondes et direction le bistrot. J’ai vu ça de loin parce que, à un moment, il y a eu un petit coup de vent. De vent, que dis-je, à peine un petit souffle de brise, et je me suis retrouvé à cinquante mètres, et encore parce que je me suis rattrapé à une croix. Balayé telle une plume !
Une plume, c’est ça, je dois être très léger. Très léger, mais j’existe quand même puisque je suis emporté par le vent, une existence matérielle, je veux dire. Je vois, je sens, j’entends, je peux toucher, je n’ai encore goûté à rien. Tiens, c’est vrai, je n’ai ni faim, ni soif, et jamais mal, ni chaud, ni froid bien que je sois à poil. Ça, c’est plutôt pas mal… Mais très, très léger. Je n’ai plus qu’à marcher pour rentrer. Mais rentrer où ? Je n’ai pas la clé de chez moi. De toute façon je ne peux pas ouvrir la porte. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? J’y suis, trouver des renseignements, des infos, est-ce que quelqu’un a déjà vécu ça ? Je m’accroche à tout ce qui passe, y compris les gens qui ne me sentent même pas les toucher, direction le centre-ville et la bibliothèque…
Mes pas m’ont conduit à la bibliothèque juste avant sa fermeture, je me suis laissé enfermer dedans. Finalement ce n’était pas une bonne idée. La nuit est vite tombée, j’avais du mal à lire certains titres, je ne pouvais pas prendre et porter les bouquins, sauf les plus petits, mais je peinais. J’en ai fait tomber plein. Et puis pour trouver ce que je cherchais, c’était galère. J’ai fini par m’apercevoir qu’un ordinateur était resté allumé, en veille. Bien calé dans le fauteuil, cramponné au bord du bureau, j’ai réussi à bouger la souris. L’effort fut intense au début et puis j’ai fini par m’habituer et à retrouver un peu d’aisance avec cet engin. Pareil pour le clavier, au début je ratais une touche sur deux, pas assez de pression, mais c’est venu petit à petit. J’ai compris que j’agissais comme si j’étais encore vivant, avec mes quatre-vingts kilos, mais que maintenant il me fallait un effort beaucoup plus important et notamment avoir un autre point d’appui qui me donne plus de force. J’ai trouvé quelques bouquins correspondant à ma recherche : « fantômes, poltergeists, ectoplasmes, etc. ». Section ésotérisme, répondait le bazar, mais je n’étais pas plus avancé.
L’ordinateur était-il connecté à Internet ? Oui, en sortant du programme de gestion des bouquins. Là, je me suis régalé, j’ai passé la nuit à trouver tout et n’importe quoi, comme toujours sur la toile. Mais j’ai trouvé quelques trucs intéressants qui ont retenu mon attention. Par exemple, il y a des farfelus qui ont pesé des gens au moment de leur mort. Et à l’instant de la mort, ils ont trouvé que le corps perdait quarante grammes. Quarante grammes, ce doit être à peu près mon poids actuel. D’ailleurs ce n’est pas difficile, il y avait un pèse-lettre tout près sur le comptoir du service : un saut et hop, quarante-trois grammes. Le poids de deux lettres, d’un écureuil… Sur un mètre quatre-vingt-cinq, tu m’étonnes que le vent se régale ! Je compris également pourquoi j’étais invisible : si je pèse deux mille fois moins, c’est que j’ai deux mille fois moins de molécules qu’avant, ou qu’elles sont toutes deux mille fois plus éloignées les unes des autres. Donc la lumière me traverse allègrement, c.q.f.d. Mais ça a aussi des avantages.
Ayant fait cette découverte, je me suis mis à sauter, sauter de plus en plus haut dans ce grand hall de bibliothèque. Jusqu’à toucher le plafond, six mètres au moins, jusqu’à me suspendre au fil d’une lampe. Et pas de bobo quand je retombe. Mais au début, c’est assez terrifiant, je réagissais avec mes anciens réflexes : peur de me faire mal. Il faut donc apprendre de nouveaux comportements pour tirer profit de ces avantages, ne pas pleurer sur les inconvénients. Des gens sont arrivés pour faire le ménage, très tôt, j’ai pu sortir. En passant devant un bistrot juste ouvert, ça sentait trop bon le café. Je suis entré, un type est parti aux toilettes en laissant sa tasse pleine, j’ai goûté en trempant la langue. C’était bon, un petit plaisir de vivant. Je suis passé d’un bond derrière le bar et j’ai fait pareil avec la bouteille de whisky, debout sur son doseur. Il y a toujours une goutte qui reste là, hum… délicieux. Un type lisait son journal en terrasse, le coude posé avec un clope entre les doigts. J’ai réussi à aspirer un poil de fumée, mais c’était une brune âcre et forte, je n’aime pas, dommage.
J’ai traîné dans les rues en faisant gaffe aux courants d’air. Ça aussi, je commence à apprendre à les gérer en me baissant, en me mettant de biais, et surtout en attrapant tout ce qui passe à ma portée. Sans même m’en rendre compte ni surtout le vouloir, je me suis naturellement retrouvé dans mon quartier. Mon immeuble, la porte était grande ouverte à cette heure, tenue par une cale, la concierge faisait le ménage. Mais là, elle était agressée par une harpie vociférante. Je n’en crus pas mes yeux d’ectoplasme : mon ex, qui voulait absolument qu’elle lui ouvre mon appart. Et la brave dame qui refusait disant que le notaire avait bien spécifié de n’ouvrir à personne tant que la succession ne serait pas faite. Ah oui, il y avait ça aussi, un mort, ça laisse des choses et ça crée des convoitises. Mais qu’est-ce qu’elle avait à voir là-dedans, elle qui ne m’était plus rien depuis des années ?
Elle sort son portable, pianote un instant puis appelle, voix de nouveau mielleuse. Quelle saleté ! Tu penses que j’ai tout brûlé depuis belle lurette, le meilleur moyen de tourner une page douloureuse. Et d’après ce que je voyais là, je n’avais pas de regrets à avoir. Je la découvre sous un nouveau jour. Quant à madame Gomez, si j’avais pu je lui aurais fait un bisou, malgré sa moustache et son poireau. Et l’autre qui continuait au téléphone :
C’était bien fait. Et j’allais certainement assister à ce rendez-vous chez le notaire. Entre temps, je me suis entraîné. Entraîné à déplacer des objets, de plus en plus lourds. J’arrivais maintenant à faire rouler une chaise ou un fauteuil de bureau, à ouvrir une porte avec un bec-de-cane, et surtout à sauter de plus en plus haut, de plus en plus loin, et c’est comme ça que je me suis retrouvé sur un toit-terrasse pour sauter d’un immeuble à l’autre façon Matrix. Marrant, et puis ça peut être utile, on ne sait jamais. Le reste du temps, je le passe dans les endroits où je prenais rarement le temps d’aller : les musées, les spectacles, les cinémas, ou parfois chez des gens inconnus, histoire de les regarder vivre ou de voir un match à la télé.
Le 25 est arrivé, j’étais chez le notaire, dans la salle d’attente. Mon ex arriva, tout excitée, mielleuse avec la personne de l’accueil qui l’envoya vers la salle d’attente. Je la regardai de près, ses pupilles notamment. Pas normales, ceci pouvant expliquer son comportement. Je pariai un héritage qu’elle prend de la dope. Le notaire vint la chercher, la salua et lui dit :
Et le maestro se cassa. À mon humble avis, il a jugé la personne et ne veut pas s’embêter. Caroline fit entrer. Elle a le profil type du clerc. Un air très sérieux renforcé par un chignon soigneusement tiré, des lunettes, pas de maquillage, un tailleur bleu sombre ajusté, veste en forme et jupe serrée jusqu’aux genoux, petites chaussures noires à talons larges et peu hauts malgré une taille assez faible, un mètre soixante-cinq environ. Elle est un peu ronde, avec une poitrine qui semble généreuse, des fesses bombées, de celles qui pochent les jupes, mais cependant une taille bien marquée.
La furie partit en claquant les portes. Les deux employées se regardèrent puis sourirent. Caroline se rassit en soufflant et en s’essuyant le front.
Dès qu’elles eurent tourné les talons et leurs jolis culs, je me jetai sur l’ordinateur de Caroline. Avec tout ce que j’avais appris à faire sur celui de la bibliothèque, je réussis à ouvrir son bloc-note et à taper :
Merci, merci beaucoup, Mademoiselle. Jérôme Rezzin.
C’est vrai qu’elle m’avait ému, cette fille apparemment très sage et très réservée qui avait pris ma défense sans même me connaître. Si, j’avais dû la croiser ici une fois ou deux, peut-être qu’elle avait déjà travaillé sur mes dossiers, pour l’achat ou la vente de la maison, ou les placements… Mais j’avais toujours rendez-vous avec Maître C…, un type avec lequel j’avais sympathisé, et puis cette Caroline avait une apparence tellement banale, voire sévère, que je ne l’avais hélas pas remarquée. Hélas, parce que parfois les femmes les plus agréables ne sont pas forcément les plus voyantes, peut-être même surtout pas, et j’étais peut-être passé à côté d’une belle histoire, quelque chose de simple qui n’apporte qu’une chose : le bonheur. Hélas donc, parce que maintenant que j’étais mort, il ne m’en resterait que des regrets. Mais après tout, je me fais peut-être du cinéma, à force d’y passer mon temps. Elle est peut-être comme les autres, ni mieux ni pire, et il s’agit peut-être d’une rivalité de femelles, histoire de tenir tête à mon ex… J’en aurais le cœur net, je vais passer quelque temps avec elle pour mieux la connaître. Justement, elle revint. Elle s’assit puis fit un bond en arrière et décroche son téléphone :
Elle raccrocha et Sandrine rappliqua aussitôt. Elle regarda et s’écria :
Sandrine repartit, Caroline effaça mon message, j’avais cru pouvoir communiquer avec les vivants, mais ça les affole. C’est compréhensible, j’aurais dû m’en douter. Mais comment faire ? Comment à la fois les prévenir de ne pas s’affoler justement sans les affoler ? Pas facile… J’y réfléchissais tout en regardant Caroline. Plus je la regardais, plus je lui trouvais du charme. En plus, qu’est-ce qu’elle est sérieuse, c’est une vraie bosseuse. J’en avais connu des employées qui bossaient dix minutes par heure et faisaient des solitaires ou des sudokus le reste du temps, si ce n’était pas chercher des recettes ou commander ses courses sur le net. Elle, non. La tête dans le guidon toute la journée, prenant moins d’un quart d’heure à midi pour avaler un yaourt, croquer une pomme et fumer un clope. Chapeau, son patron avait de la chance.
Tiens, quand on parla du loup, le voilà qui se pointa et lui demanda de venir faire le point. Elle prit ses notes, je la suivis, histoire de savoir quel genre de rapports elle entretenait avec le Maître. Ils parlèrent de l’entretien avec mon ex, il expliqua qu’il était chez le préfet pour une histoire d’emprunts toxiques contractés par une petite commune, puis il était allé voir le maire, il en sortait juste. Je lisais presque dans la tête de Caroline, ce n’est donc pas lui qui a écrit ça sur son ordinateur. De son côté, le notaire voulait se débarrasser de cette affaire au plus vite pour éviter de nouvelles agressions de la harpie.
Pas facile, la petite. Ou alors elle a une vie bien occupée. Je vais essayer de voir ça. En attendant, elle mit déjà tout en œuvre, envoyant des mails aux fournisseurs, téléphonant aux autres. Mais on est vendredi dix-sept heures, et tout cela ne se débloquera que lundi ou mardi prochain. Elle rangea soigneusement son bureau, prit mes clés dans une armoire métallique, je reconnus le porte-clés qui a traîné dans ma poche pendant des années, les plaça avec son bloc et quelques documents dans son attaché-case et sortit en fermant son bureau à clé. Je pensais qu’elle allait prendre une des voitures du parking, mais pas du tout, elle partit à pied. Comme il y a un peu de vent, j’utilisai ma technique efficace : je sautai sur son dos et me cramponnai à son cou. Elle ne s’en aperçut même pas, il faut dire que je ne cherchai pas à me faire remarquer. Mais je profitai. Je me laissai doucement descendre le long de son dos pour avoir le bas-ventre au niveau de son fessier rebondi, et je me tins à sa poitrine. Bon sang, c’est chaud et ferme tout ça ! Les seins, difficile de juger tant qu’ils sont sanglés dans le soutif, mais les fesses, qui oscillent et durcissent alternativement au rythme soutenu de ses pas, me faisaient un sublime massage masturbatoire et je bandais comme un âne.
En effet, elle habitait à guère plus de cinq cents mètres de son boulot. Immeuble banal, second étage, appartement assez coquet, propre et rangé. Une entrée, un couloir, une pièce double salle à manger avec cuisine américaine et petit salon, à côté salle de bains et toilettes, puis deux chambres, une grande et une plus petite. Un soixante mètres carrés en centre-ville qui doit coûter bonbon ! Elle posa ses clés et son attaché, et alla droit aux toilettes dont, comme font souvent les gens seuls, elle laissa la porte ouverte. Ma foi, je compris pourquoi j’étais en plein confort contre cette rotondité. C’est superbe et généreux sans être gros, simplement charnu et dénué de toute cellulite. Elle fila ensuite au salon, alluma la télé et un ordinateur portable, regarda ses mails perso. Je pariai que cette fille n’utilisait même pas sa machine du boulot pour consulter son courrier. Des pubs, une facture EDF, d’autres pubs… Pas un message suspect d’amant ou de petit copain. Elle sortit alors un téléphone portable de son attaché et l’alluma. Petite musique. Pareil, son téléphone personnel est coupé au travail. Incroyable, c’est une exception. Ah, un message qu’elle écoute avec attention, puis elle rappelle :
Et une petite mignonne qui prend soin de sa vieille grand-mère en plus. Vraiment top. Du coup elle se leva, jeta un coup d’œil approfondi dans le frigo, soupira, sortit un cabas d’un placard, son porte-monnaie de l’attaché-case, reprit ses clés et descendit. Elle a laissé télé et ordi allumés, je regardai par la fenêtre et la vis traverser la rue, il y avait un petit centre commercial en face avec quelques boutiques. Je me jetai alors sur le clavier et je tapai ce que j’ai concocté après ma réflexion :
Mademoiselle Caroline,
Vous ne croyez pas aux fantômes, moi non plus.
Pourtant, je suis bien obligé d’admettre qu’ils existent puisque j’en suis un.
Non, n’ayez pas peur, je ne suis pas méchant, je ne vous veux aucun mal. RESTEZ ZEN !
Ne criez pas, n’appelez pas vos voisins, vos amis ou la police :
ILS NE VOUS CROIRAIENT PAS !
En un clic, j’aurais effacé ce message et vous passeriez pour une gourde ou une folle, ce que vous n’êtes absolument pas.
Non seulement je ne vous veux pas de mal, mais au contraire je tiens à vous remercier.
Vous êtes la seule personne qui ne m’ait pas condamné sans jugement, sans savoir.
Aux yeux de tous, je passe pour un salaud qui se tapait une femme mariée.
Mais le salaud, c’est bien celui qui m’a assassiné et qui a détruit le cerveau de sa petite femme.
Croyez-moi, elle était adorable. Il la rendait malheureuse, la terrorisait (elle avait raison d’avoir peur) et la délaissait.
Je l’ai connue par hasard, j’ai voulu lui donner un peu de bonheur…
J’ai tout raté, pour elle comme pour moi.
Le méchant a gagné : 8 ans pour un double meurtre dont 4 avec sursis…
Avec les remises de peine, dans 2 ans il sera dehors et pourra recommencer.
Un grand MERCI à vous pour être aussi impartiale.
Si vous avez lu jusqu’ici, sachez que je suis encore là, près de vous, et que vous pouvez me questionner.
Je vous répondrai sur cet ordinateur (si vous aviez une tablette, ce serait encore plus facile).
Je suis bien ce qui reste de Jérôme Rezzin, je pèse 43 grammes ( !) et je suis arrivé ici en m’accrochant à vous, vous ne m’avez même pas senti.
Voyez, je ne risque pas de vous faire du mal.
J’attendis son retour, excité comme une puce sur un teckel. Va-t-elle péter un fusible, hurler de terreur, casser l’ordi ? Ou va-t-elle avoir le cran de lire jusqu’au bout ? Elle revint, la clé dans la serrure. Elle entra, referma, alla dans la cuisine et regarnit son frigo. Elle chantonnait, elle prit tout son temps. Elle se lava les mains derrière le comptoir en jetant un œil distrait sur la télé. Il fallait qu’elle vienne jusque-là… Eh non, elle fila dans sa chambre. Au lieu de la suivre et de m’en prendre plein les yeux, je l’attendis toujours comme un imbécile. Car elle revint en peignoir, pieds nus, peut-être rien en dessous. Elle retourna au frigo et se servit un verre de jus de fruits. Au passage, elle prit le courrier qu’elle venait de remonter et s’installa sur le sofa, à côté de moi. Un œil sur la télé, elle commença à déchirer les enveloppes : pubs, factures… C’est en reprenant son verre que son regard tomba sur l’écran. D’abord, elle fronça les sourcils. Puis elle eut un mouvement de recul et se leva d’un bond. Elle parcourut toutes les pièces, regarda dans tous les placards, dans la douche, vérifia que la porte était bien fermée et revint, un doigt crispé dans la bouche. Visiblement, elle continua sa lecture et, petit à petit, se rassit. Enfin, elle leva la tête et regarda autour d’elle :
Elle tendit sa main ouverte. J’y tapotai le bout de mes doigts puis parcourus sa paume, du bout de ses doigts à son poignet très doux. Elle sourit presque et secoua sa main.
Elle se leva, me bouscula, alla fermer les volets et passa à la cuisine.
Agrippé à son peignoir, je me glissai avec elle dans la salle de bain. C’est petit, aussi je prends quelques mauvais coups donnés sans intention. D’un bond, je me réfugiai sur le haut de la cloison de la douche. Oh là là ! Comment elle est tournée la demoiselle quand elle pose tout ! C’est vrai que vêtue, elle fait un peu petite, un peu boulotte. Le grand équilibre vient avec la nudité. Su-perbe ! Poitrine d’enfer, grosse, ferme, taille assez fine, hanches rondes, cuisses charnues et fuselées, fesses rebondies. Les seuls petits, tout petits reproches qu’on pourrait éventuellement lui faire, c’est un cou un peu court et une cheville un peu épaisse, mais tellement érotique. Je bandai de nouveau. Certes, elle n’avait pas des mensurations de mannequin, et rien d’un portemanteau sur pattes. Mais quel canon ! Dire qu’elle était seule, quel gâchis ! Je me laissai choir dans la cabine de douche pour la voir de plus près et surtout casser la perspective écrasante de la vue plongeante. C’est encore mieux ! La féminité faite femme… Je voudrais faire des traces avec mes doigts sur la mousse qui recouvre sa peau, mais je ne voulus pas l’affoler, je m’en défendis. Je ne fis que regarder… regarder et bander. Elle se rinça, gestes emplis de grâce naturelle. Ses mains passèrent sur la pointe de ses seins qui se contractèrent, descendirent vers un pubis taillé au maillot, s’y attardèrent un peu, mais plus pour bien ramener de l’eau claire que pour se caresser. Cependant sa peau se cribla d’une légère chair de poule, elle était très sensible. Elle termina, je bondis et sors de la cabine. Le miroir, au-dessus du lavabo, était couvert de buée. Je traçai vite ces quelques mots : « vous êtes très, très belle ». Quand elle les vit, elle tenta vite de se cacher avec la serviette.
La diatribe se poursuivit pendant qu’elle ouvrit la porte en criant :
Je filai jusqu’à l’ordi :
J’ai cessé d’écrire, elle est restée silencieuse, contente d’avoir eu le dernier mot, je pense. Elle a mangé un peu de sa ratatouille de légumes, mis le reste dans une boîte au frigo. Elle a pris une pomme entre ses dents et a déplacé l’ordinateur au salon, puis s’est affalée sur le canapé en rallumant la télé. Un redoutable imbécile y vociférait « C’est bien fait pour ta gueule » et des tas de gens reprenaient ça en cœur.
Elle partit dans sa chambre, mais, preuve de confiance s’il en est, ne ferma pas complètement la porte. On ne se refait pas, je l’ai regardée poser son peignoir et enfiler une chemise de nuit. Quelle silhouette en contre-jour de la lampe de chevet ! Nouvelle érection. Il est évident qu’avec de telles formes, tout tissu est repoussé loin et il suffit d’un cou un peu court, de chevilles un peu épaisses comme c’est le cas pour paraître boulotte. D’une grande maigre, les vieilles femmes disent qu’elle « porte bien la toilette » ; de Caroline, des jeunes gens diraient que c’est « un petit boudin ». Et pourtant, s’ils savaient. Elle lut durant un bon quart d’heure, le buste couvert par sa sage chemise de nuit en coton. Puis elle posa livre et lunettes sur le chevet et se leva en marmonnant :
Je filai vite d’un grand bond jusqu’à l’ordi et connectai Internet. Elle passa une tête, vit que des choses s’agitaient à l’écran, alla aux toilettes et se recoucha rassurée. Je retournai la voir après une petite heure de délai de sécurité, la porte était restée entrebâillée. Ectoplasme ou pas, cette fille m’attirait comme un aimant. Son épaule nue prouvait qu’elle avait posé sa chemise de nuit pour dormir. Couchée sur le côté, elle respirait régulièrement et semblait dormir à poings fermés. Dans son dos, mes yeux de chat repérèrent une vaste ouverture laissée par les draps tendus, je m’y coulai en douceur. Plaqué contre elle, contre sa peau d’une infinie douceur et d’une délicieuse tiédeur, je repris une puissante érection que je calais voluptueusement contre la raie de ses fesses. Moment de plénitude. Ma main caressa doucement le prodigieux galbe du muscle fessier, puis profita du creux de la taille pour passer devant, remontant palper le sein libre. Une pleine main de cette lourde glande, tendre et ferme à la fois. Mes caresses, aussi légères soient-elles, eurent tôt fait de redresser le téton. Au risque de la réveiller, je le pris entre mes doigts et le roulait doucement. Elle se mit à gémir faiblement et une légère buée recouvrit sa peau délicate.
Soudain, elle s’agita et se retourna à plat dos. Je me dégageai de justesse, mais n’osai plus trop bouger de crainte de la réveiller. Elle se calma un peu. Je cherchai à atteindre son deuxième sein, mais impossible, car le drap était trop serré sur elle, trop lourd. Alors j’ai laissé ma main descendre sur son ventre, jusqu’à sa petite toison bien entretenue. Une vulve gonflée et tendre, au sillon profond, m’accueillit. Je l’explorai doucement, m’enfonçant de plus en plus profondément dans ses chairs délicates, déjà un peu humides. Mon érection devint apoplectique. Fouillant cette tendre vallée, je finis par en débusquer la source puis la suivis jusqu’au petit bouton de plaisir. Pouvais-je prétendre lui en donner un peu, malgré ma triste condition spectrale ? Je pouvais toujours essayer. Mes doigts s’agitèrent, caressèrent et titillèrent. Sa respiration s’accéléra et elle se mit à geindre de temps en temps, ses jambes aussi bougeaient spasmodiquement. À son clitoris dressé et dur, comme à l’écoulement qui s’accentuait, je sentis qu’elle éprouvait au moins des sensations. Poursuivant mes caresses avec plus d’insistance, malgré l’inconfort du poids des couvertures sur moi, je parvins à provoquer quelques soubresauts accompagnés de plaintes. Ce qu’elle ressentait devait être associé à un rêve. Puis deux secousses se firent plus fortes, comme si l’orgasme approchait. C’est alors qu’elle se retourna violemment sur le ventre, mettant sa main où était la mienne. L’instant d’après, elle se dressa d’un bond et alluma. L’occasion pour moi de m’extraire de la prison des draps et d’admirer le sublime rebond de sa poitrine.
Vite, il fallait retourner à l’ordinateur. Je tapai vite « spectrophilie » sur le moteur de recherche, ayant appris précédemment que certaines femmes prétendaient avoir des relations sexuelles avec des fantômes. Mais comme précédemment, elle passa juste la tête pour vérifier que l’ordinateur travaillait et passa aux toilettes avant de se recoucher. Je la perturbe, je le vois bien, j’arrête pour l’instant. Je l’ai laissée tranquille jusqu’à son réveil, passionné par les histoires que je lisais. Non qu’elles soient particulièrement croustillantes, mais surtout par l’attachement présenté par ces femmes aux relations qui les lient avec des fantômes. Réfutées par la pensée scientifique moderne, de nombreuses entités invisibles sont évoquées dans les cultures traditionnelles, et notamment maghrébines jusque dans le Coran, où il est à plusieurs reprises parlé de « djinns ». Fascinant !
J’en étais là quand Caroline se leva vers sept heures. Je repassai en mode échange :
Elle va jusqu’à la cuisine et prépare café et pain grillé, puis revient s’installer près de moi.
Je tins parole et la laissai se préparer tranquillement, malgré ma furieuse envie de la mater nue. Je lui fis prendre son attaché-case vide, sous prétexte de rapporter ma tablette. À neuf heures, nous nous présentions dans le hall de mon ancien immeuble.
Nous arrivions à ma porte, Caroline ouvrit grand puis referma, espérant que j’étais entré. Elle alla droit dans le meuble du salon et sortit la tablette. Dès sa mise en route, elle réclama le chargeur, normal depuis tout ce temps. Caroline s’en aperçut et le brancha. Ça, je ne pourrais jamais le faire.
Caroline obtempéra. Elle rangea les lingotins et les rouleaux de Louis dans sa mallette, avec les bijoux de ma mère dans un sachet plastique, la tablette et son chargeur. Elle n’était pas très à l’aise en croisant madame Gomez qui faisait les vitres, comme si elle venait de commettre un cambriolage. Nous retournâmes chez elle, où elle remit la tablette en charge.
Elle ferma les yeux et tendit sa joue. Je plaquai ma bouche dessus et lui posai un gros baiser. Alors elle bougea la tête pour me le rendre et là je plaçai ma bouche en face de la sienne, lui prenant délicatement la tête entre mes mains. Un peu surprise, elle a un petit rictus nasal puis se prit au jeu, entrouvre les lèvres ; j’y plongeai ma langue. Deux secondes plus tard, nous nous dévorions l’un l’autre. Comme c’est bon cette sensation d’exister encore, d’embrasser une jolie femme. Je me plaquai à elle et la serrai dans mes bras, passant mes mains partout. Dans un premier temps, elle se laissa prendre au jeu, avec même un certain plaisir apparent. Puis d’un coup, elle se recula, se leva et se prit la tête à poignée :
Elle fit réchauffer au micro-ondes le reste de légumes de la veille et ajouta une tranche de jambon dans son assiette, le visage fermé et contrarié. Elle mangeait distraitement, la tempe appuyée sur sa main, coude sur la table. Puis elle prit une cigarette dans son sac à main et l’alluma, chose qu’elle ne devait jamais faire, car aucune odeur de tabac n’était perceptible dans l’appartement. Je restais interdit en la regardant. Avais-je commis une erreur ? La led de la tablette passa au vert, elle était rechargée. Avec d’énormes difficultés, je parvins à débrancher l’alimentation. J’écrivis :
Et je portai la tablette vers elle. C’était pratique, je pouvais écrire dans un sens et la basculer vers elle, l’écriture se renversait automatiquement.
Elle téléphone à sa grand-mère et retarde le rendez-vous au goûter. Nous partons à la banque, elle est ouverte jusqu’à seize heures. Formalités, papiers, ouverture de compte-coffre, presque une heure avant d’accéder aux coffres. Heureusement encore qu’elle est cliente. Elle vide méthodiquement le contenu de l’attaché-case dans le tiroir métallique. De retour dans la voiture, elle me dit :
Je me tus, enfin, je n’écrivis pas. Nous arrivâmes chez la mamy, petit pavillon dans un quartier calme de banlieue. La vieille dame vint ouvrir, vaillante et pomponnée, avec un voile de violet dans ses cheveux blancs.
Elle conduisit sa petite fille dans un petit salon qui sentait à la fois la naphtaline et le papier d’Arménie. Vieux meubles cirés, napperons de dentelle, un gros chat gris dormait sur un fauteuil.
Caroline sortit une boîte métallique du cabas qu’elle a emporté, remplie de loukoums, makhrouts et cornes de gazelle.
Et Caroline narra avec concision ce qui lui, nous, était arrivé depuis deux jours, rappelant les circonstances et le scandale autour de ma mort. La grand-mère hochait la tête, reprenait des friandises, et y allait parfois de son commentaire, « quelle belle mort que mourir en faisant l’amour », « oh, mais tu es devenue riche ».
Et elle pousse le chat par terre, un magnifique chartreux aux yeux verts qui ne devait pas attendre les souris pour casser la croûte. Il passa devant Caroline, la huma, la reconnut et tira le cou vers le haut, puis il vint directement sur moi. Ma parole, il me voyait. Il se frotta sur mes jambes avec de grands coups de tête et se mit à ronronner comme une moissonneuse-batteuse en pleines moissons. Je m’accroupis, le caressai, il se laissa faire, se coucha sur le dos et se fit caresser le ventre avec délice.
Ses yeux s’embuèrent, je soupçonnai un drame ignoré, concernant les parents de Caroline, je suppose. Je pris la tablette dans le cabas et, dès qu’elle fut allumée, j’écrivis :
Elle resta silencieuse tout le long du trajet du retour, laissant échapper parfois de longs soupirs. Elle s’affaissa sur le canapé, prit le portable sur ses genoux, et parcourut les pages dont j’avais fait les liens sur la spectrophilie. Rien de comparable avec les dires de la grand-mère, qui voyait là une situation quasi naturelle, mais des expériences relatées, vraies ou fausses, fantasmées ou réelles, suscitant souvent des commentaires horrifiés ou moqueurs. Quelques rares sites essayaient de traiter la chose avec sérieux, avançant des explications plus ou moins plausibles. Le seul fait à retenir, c’est l’ancienneté de la chose qui est rapportée depuis l’antiquité, depuis que l’écriture existe. Au bout d’une bonne heure et demie pendant laquelle j’avais gardé le silence, elle se leva, ayant supprimé tous les liens du bureau de l’ordinateur. Je ne sais pas si toute cafetière a son couvercle, mais ce qui est sûr c’est que ça bouillonnait dans la sienne. Elle alla prendre une douche, laissant même la porte entrouverte. Invitation, provocation ? C’est moi qui ne comprenais plus rien. Elle agissait comme si elle était seule dans l’appartement, comme si elle m’avait oublié quelque part. Soudain j’hallucinai : elle sortit nue de la salle de bains, époustouflante de beauté avec ce corps tout en courbes entrelacées à damner un saint, peignoir à la main qu’elle enfila tranquillement en lançant à la cantonade :
Tandis que je restai pantois, elle alla préparer son dîner. J’allumai la tablette et tapai ma réponse que je portai vers la cuisine :
Elle alla se servir un Martini sous la télé, dans son peignoir un peu débraillé. Elle était à la fois belle et touchante, et le fait que je voyais la moitié de sa poitrine et une bonne partie de ses cuisses fuselées semblait devenu le cadet de ses soucis.
Je me jetai dans ses bras pour un énorme câlin, joues l’une contre l’autre, ponctué de quelques sanglots allant en s’apaisant. Insensiblement nos têtes se tournèrent, nos bouches se cherchèrent et s’ensuivit un long, long baiser très amoureux.
Rien que cela, ma main dans la sienne pour la première fois, me transporta d’émotion. Arrivée dans la chambre, elle laissa tomber son peignoir et s’étendit sur le dos, paupières fermées, bras et jambes ouverts. Dieu qu’elle était belle ainsi, corps voluptueux offert à tous mes appétits. Je me posai sur elle avec mon poids de plume, avide de sa chaleur et de sa douceur, m’arrimant à ses courbes de toute ma surface d’ectoplasme. Je repris notre baiser puis dégustai sa peau jusqu’à ses tétons dressés que je tétais goulûment. Je me laissai ensuite descendre doucement le long de son ventre jusqu’au point de jonction entre ses cuisses fuselées. Quand j’entamai l’exploration de son sillon à grands coups de langue, instinctivement ses cuisses remontèrent en s’écartant, faisant béer sa grotte intime. Je n’avais jamais vu aussi belle chatte aux petites lèvres brunes passant progressivement au rose fuchsia, muqueuses brillantes d’une cyprine déjà bien présente. Son bouton d’amour gicla tout seul de dessous sa coiffe de chair et trouva sa place entre mes lèvres, fouetté par ma langue. Bras tendus, je parvenais à rouler encore ses tétons entre mes doigts. Elle geignait doucement et ponctuait mes actes de ses encouragements :
Sa liqueur d’amour, légèrement visqueuse, sourdait de plus en plus et coulait doucement dans la petite cuvette au fond de laquelle le bourrelet plissé de son anus palpitait déjà. Je ramenai une main pour ouvrir délicatement cet orifice d’un doigt et ne pas perdre le précieux liquide. Mes autres doigts envahirent sa grotte et la partie du sillon que ma bouche ne couvrait pas. Elle poussa de petits cris de surprise, empoigna ses jambes à la pliure du genou et souleva sa tête comme pour vérifier ce qui se passait entre ses cuisses. J’activai sans retenue mes aspirations et mes pénétrations digitales. Elle se contracta trois ou quatre fois dans cette position de bascule avec de petits râles, puis se relâcha soudain, retombant lourdement, tétanisée par un premier orgasme. Je rampai vite sur elle pour lui apporter sur mes lèvres le goût de son nectar.
Elle m’enlaça de ses deux bras et de ses deux jambes écartées, me serrant contre elle pour me donner plus de poids. Je parvins à basculer mon bassin pour présenter mon sexe bandé à l’orée du sien puis je la pénétrai d’une seule longue et lente poussée. Merveille que de sentir cet étroit vagin s’ouvrir à mon passage et se resserrer autour de ma hampe.
Oui, trop bon, sensation trop puissante, trop longtemps attendue. Un orgasme imprévu me foudroya soudain, j’éjaculai je ne sais quelle substance au fond d’elle en me secouant de spasmes multiples, provoquant aussitôt chez elle un nouvel orgasme. Merde ! Me voilà devenu éjaculateur précoce. La soirée si prometteuse semble soudain fichue. Mais en fait, pas du tout. J’avais bien constaté que mon ectoplasme avait toujours la queue dressée. Je m’étais dit deux choses : soit c’est parce que, comme je l’avais lu quelque part, l’érection est l’état normal de l’homme quand il dort et ne cesse qu’éveillé, soit c’est parce que j’ai été tué en pleine action, mort en érection. Toujours est-il que mon sexe resta imperturbablement gonflé et dur, et que je pus très vite recommencer à pilonner le délicieux écrin de Caroline. Incroyablement sensible, son somptueux corps réagit au quart de tour, et elle repartit dans haletants encouragements. En moins de cinq minutes, un nouvel orgasme la terrassa dans lequel je la suivis. Moite de sueur, complètement essoufflée, elle ne demanda pas grâce, mais avait besoin de se reprendre. J’en profitai pour bondir chercher ma tablette.
Oh, le cul exceptionnel qui s’offrit alors à moi ! Plein, rond, charnu, de la forme exacte d’un cœur retourné, une pression sur ses reins la fit se cambrer, une pression à l’intérieur de ses cuisses les fit s’écarter, et sa vulve gonflée de sang et d’excitation jaillit à ce merveilleux carrefour des fesses et des cuisses. J’y plongeai mon dard resté dur avec un plaisir fou. Arrimé à ses hanches tendres, je me ruai en elle aussi puissamment que je le pouvais. Elle le sentait bien, car, comme toute amante prise en levrette qui ne peut donc voir son assaillant, elle prit le rythme de mes coups de boutoir, hoquetant à chaque ruée. Je fis durer cette délicieuse séance autant que je le pus, ou plutôt autant qu’elle put la supporter. Elle s’avoua soudain vaincue, s’écrasant sur le lit dans un quatrième orgasme dévastateur. Quel bonheur pour moi que d’avoir fait jouir cette femme !
Elle remonta les draps et s’endormit presque instantanément sur le côté. Je me glissai le long d’elle, tellement heureux d’être contre sa chaleur, sa douceur, ses fesses contre mon ventre, délicieusement encastrés. Elle a dû me sentir et poussa un peu plus ses fesses contre moi. J’en profitai éhontément pour glisser de nouveau mon sexe toujours raide dans le sien toujours humide. Rien qu’en restant ainsi, immobile, j’eus plusieurs petits orgasmes dans la nuit. Au petit matin, elle s’éveilla doucement, s’étira comme une chatte et se retourna.
En guise de réponse, je plaquai mes lèvres sur les siennes pour un baiser langoureux.
J’y suis parvenu, parce que c’est un chauffage électrique et que le bouton est facile à tourner. Mon égérie accepta alors de se lever, passa aux toilettes puis illumina l’appartement de sa beauté :
D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil.
Une fois les volets ouverts, protégée de la vue extérieure par les voilages, elle reposa son peignoir, s’exposant à mes regards lubriques dans la lumière naturelle du matin. Pas à dire, c’était vraiment une femme superbe. Certes, pour un équilibre parfait, il lui manquait dix centimètres, cinq au cou et cinq aux chevilles. Mais entre ces extrémités, c’était la perfection personnifiée.
Sous prétexte de « discussion » écrite, j’en profitai pour la photographier sous toutes les coutures, vieille manie d’un vivant passionné de photo. Elle finit par s’en apercevoir.
Je l’ai savonnée des pieds à la tête, avec délice et volupté, sans rien oublier et en insistant même à certains endroits. C’est vraiment très érotique de parcourir le corps d’une jolie femme avec la complicité lubrifiante du gel douche. Tant et si bien que, trouvant que mes mains ne suffisaient pas à satisfaire mes sens, c’est avec tout mon corps éthéré que je me frottais à elle.
Elle empoigna le flacon de gel et se mit en devoir de produire sur moi toute la mousse possible. J’en avais une bonne couche sur les épaules, les bras, le torse, un peu sur les joues et la tête.
Jusque-là, elle avait soigneusement et pudiquement évité mon sexe. Je le lui tendis cependant, bien qu’il ne soit pas visible. Alors je traçai ce mot sur la paroi embuée : « OSE ! ». Timidement d’abord puis de plus en plus franchement, elle récolta de la mousse sur elle pour la déposer sur mon pénis inexorablement tendu. Le jeu lui plut, elle s’accroupit pour bien m’enduire la queue, les hanches, les fesses, les cuisses et les testicules. Son désir refoulé se concrétisa enfin quand elle me prit dans sa main au niveau de ses yeux et la fit coulisser de haut en bas et de bas en haut. Offrir son sexe est une chose, mais c’est loin là-bas, au bout du corps. Tripoter un sexe, l’acte est déjà plus proche et plus volontaire. La dernière étape est de le prendre dans sa bouche et relève d’une extrême intimité. Je l’y incitai en abaissant mon pénis devenu perceptible vers son visage. Elle murmura :
Elle prit la pomme de douche d’une main, mon sexe de l’autre et le rinça. Puis elle me prit pour la première fois dans sa bouche. Quel cadeau ! Oh ce n’était pas parfait, elle n’était pas experte. Mais elle faisait ce qu’elle pouvait, sans repères, ni visuels ni sonores. Alors je profitai pleinement de l’aubaine, sachant en plus que je ne débanderai pas pour autant, et laissai partir mon bonheur dans sa bouche.
D’une main sous le menton, je l’invitai à se redresser pour l’embrasser, pétrir ses seins généreux autant que je le pouvais, et l’inviter en la poussant légèrement à faire face à la paroi. Me frottant de nouveau à ses fesses, elle comprit vite ce que je souhaitais, prit appui des deux mains sur la faïence et me tendit son postérieur, confiante. J’y fis une intrusion classique, doublée d’un tirlipotage en règle d’une pointe de sein et du clitoris, ce qui me permettait de me cramponner à elle par mes avant-bras.
Je tentai à deux reprises de me « tromper » d’entrée et de faire une visite impromptue dans son petit œil de cyclope. Mais elle protesta vivement et se défendit, je ne faisais plus le poids pour être suffisamment convaincant, surtout étant privé de parole. Ce sera une conquête de patience. Le dimanche passa comme un éclair entre faire l’amour, un petit somme et un petit repas pour elle, et quelques conversations qui l’amenèrent à me confier ses rêves et ses aspirations.
L’élément positif, c’est qu’elle avait fait sien l’or qui dormait à la banque. Nous retournâmes dans mon appartement, je l’aidai à faire l’inventaire des papiers et photos et l’on s’offrit une belle petite séance amoureuse dans mon ancien lit, un ravissement pour moi. Ensuite, la vie se cala sur le rythme du travail de Caroline. Je faisais des progrès dans tous les domaines, parvenant à bouger plus d’objets et à conquérir plus d’autonomie. Je trouvai un logiciel de synthèse vocale assez performant sur Internet, et je lui fis la surprise, après m’être entraîné avec beaucoup de ténacité et d’application, de lui parler avec ma tablette. C’était un peu lent, mais ça lui évitait de lire à chaque fois, nos échanges devenaient plus fluides et agréables. Il restait l’obstacle des portes et donc ma liberté de mouvement. Nous convînmes de laisser la porte-fenêtre du balcon entrebâillée, ce qui me permettait de sortir en sautant dans la rue du second étage. Au début, j’avais encore la peur du vide comme un vivant, la trouille irrépressible de me lancer dans le vide et de me faire mal, voire de me tuer. Mais j’étais déjà mort ! Et avec mon poids plume, aucun risque, je tombais doucement comme une feuille, en prenant cependant garde au vent. Remonter était très facile, un bond suffisait. Géant ! Ainsi pouvais-je flâner en son absence, aller au ciné ou traîner dans les magasins. Je m’y suis beaucoup amusé, visitant les cabines d’essayage, glissant des objets légers dans les cabas, ou faisant tomber des pyramides de boîtes au passage de gens sérieux, soudain tout honteux.
Parfois, j’allais faire un tour chez des gens, des inconnus, par pure curiosité. Mais j’étais très méfiant et prudent, ayant toujours la crainte de me faire enfermer pour la nuit. Ainsi, dans l’immeuble, je connaissais intimement presque tout le monde, notamment la charmante dame du troisième gauche. En effet, sa porte s’ouvrait et se fermait assez souvent dans la journée. Elle pratiquait un métier, paraît-il, très ancien ( !), mais avec les moyens modernes qu’offraient ordinateur et Internet. Une plaque indiquait « Conseil en relations humaines, sophrologie, relaxation, massages » et les messieurs se succédaient donc chez elle à intervalles réguliers, ce qui me donnait toujours l’opportunité d’entrer et de sortir. J’aimais bien son appartement, luxueux et raffiné. Elle aussi avait cassé les cloisons, mais pas les mêmes que Caroline. On entrait dans une assez vaste pièce occupée par un angle bureau, bibliothèque aux murs, bureau d’acajou, gros fauteuil, ordinateur, et un joli salon avec deux sofas en angle également, toujours un seau à champagne sur la table basse, moquette épaisse et lourde tenture ouvrant largement sur la chambre. Deux cent cinquante euros de l’heure, pouvant monter jusqu’à mille, si le monsieur venait la chercher pour se faire accompagner en soirée.
Femme assez jolie d’environ trente-cinq ans, extrêmement soignée, elle pratiquait ainsi une prostitution de luxe qui lui rapportait pas mal : deux le matin quand elle était en forme, trois ou quatre l’après-midi et un ou deux en soirée, cinq jours par semaine, elle émargeait aux environs de deux mille euros par jour et autour de quatre cent mille par an. Tout en liquide ! De quoi s’offrir de belles vacances et de solides placements. À ce tarif-là, ses clients étaient plutôt fortunés, propres sur eux et courtois, et donc cette activité ne posait pas de problème dans l’immeuble, pas plus que si elle avait été toubib ou dentiste. Elle avait des habitués dont certains avaient des fantasmes. Avant qu’ils ne sonnent, elle se préparait après ses ablutions, se déguisant en infirmière, en maîtresse d’école ou en nonne, et jouait sur l’éclairage pour changer l’ambiance. Ça m’amusait beaucoup.
Ayant joué à plusieurs reprises à me matérialiser sous la douche avec la mousse, Caroline eut un jour l’idée saugrenue de me tartiner de fond de teint. Ça nous occupa toute une matinée pour un piètre résultat. Le maquillage arrêtait la lumière qui me traversait habituellement, et chaque manque, ou chaque orifice laissé, comme les yeux ou la bouche, faisaient d’inquiétants trous noirs. Mais avec un bonnet et des lunettes de soleil, elle parvint presque à quelque chose d’encourageant. Ce n’était qu’un jeu, bien consciente qu’elle ne pouvait pas me ressusciter, mais même si elle se sentait visiblement mieux dans notre relation, elle devait de temps en temps avoir besoin de donner un visage à son amant. Mise à part cette carence évidente, j’étais malgré tout un compagnon assez pratique : je ne consommais rien, je n’occupais pas d’espace hormis ma tablette, pas de bruit, pas d’odeur, pas de linge sale, quelqu’un de peu encombrant en somme et un amant inépuisable.
Chaque semaine, nous passions un moment agréable chez sa grand-mère, où je retrouvais le chat Victor, et parfois elle nous offrait une sympathique petite balade à la campagne. Vinrent les vacances. Caroline aimait le soleil et la mer, mais restait inexorablement complexée. Pas question pour elle d’aller dans une station trop fréquentée où elle n’aurait jamais osé se mettre en maillot. Elle opta pour la Normandie. Bien, beaux paysages, encore de nombreuses plages presque désertes pendant que tout le monde va s’empiler sur les rivages méditerranéens. À un détail près, le vent presque permanent. Ce fut vraiment terrible pour moi, et je vécus une quinzaine littéralement accroché à ma belle.
La peau de ma belle prit des couleurs et, par contraste, souligna un peu plus le galbe de ses seins et de ses fesses restés blancs. Je m’en délectais davantage, d’autant qu’elle était plus disponible, et nous faisions l’amour jusqu’à dix fois par jour. C’est à cette période que je parvins à la convaincre d’essayer deux choses :
Après de multiples « ça ne servira à rien… je serai ridicule… je suis comme je suis, une grosse moche, tu le dis toi-même… », mon entêtée finit par accepter de tenter le coup. Un tour chez le coiffeur-visagiste, un très long arrêt chez le marchand de chaussures et… c’est vingt centimètres qu’elle prit d’un coup. Quel canon ! Après de longues allées et venues dans l’appartement pour s’habituer aux talons, tout changea soudain : sa démarche devint plus élégante, son équilibre se modifia mettant plus en valeur son magnifique postérieur et sa remarquable poitrine, tant et si bien qu’il fallut également adapter la garde-robe, avec des jupes plus courtes, des pulls et des robes plus moulants. C’est une nouvelle Caroline qui sortit peu à peu de sa chrysalide. Elle goûta soudain au plaisir du regard des hommes qui se retournaient sur son passage, aux œillades assassines des femmes qui la jalousaient et convint enfin :
À la rentrée, ses collègues de bureau n’en revinrent pas. Quant à son patron, une fois qu’il eut récupéré sa mâchoire un instant affaissée, il redoubla d’attentions :
Pour ma part, j’étais ravi, d’autant que je pouvais bénéficier de cette même femme, mais nue dans l’appartement. Elle aussi fit des progrès notables. Plus gaie, plus épanouie, sa libido se renforçait au fil du temps. Il était maintenant fréquent qu’elle demande :
Il faut dire que j’avais appris à mieux lui faire sentir ma présence, à mieux utiliser l’étreinte pour matérialiser le poids que je n’avais pas. La sodomie resta longtemps un tabou qu’elle n’osait pas franchir. Tout se mélangeait dans sa tête, je crois, avec une dominante pour la peur d’avoir mal qui se traduisait par « c’est contre nature » ou « si les religions l’interdisent il y a bien une raison »… J’eus beau tenter d’expliquer que les religions n’étaient que des outils d’un autre âge au service des pouvoirs pour inculquer des règles à des peuples incultes, que dans les pays chauds le porc était interdit à cause des risques sanitaires, le ténia notamment, et qu’il en était de même avec la sodomie pour les infections urinaires ; qu’elle était utilisée depuis des siècles comme moyen de contraception en préservant le plaisir, elle ne se laissa pas convaincre.
Alors j’eus l’idée de sélectionner quelques films X dans lesquels cette pratique semblait très naturelle, voire banale. Certains en détaillaient même l’initiation. Le porno n’était pas sa culture, ce fut une grande découverte. Caroline, après quelques protestations formelles et un certain recul au début, fut vite fascinée par ces images crues. Elle y trouva une grande source d’excitation qui décuplait son désir et l’amenait à des séances amoureuses proches de la folie furieuse. N’osant pas aller dans un sex-shop pour acquérir le matériel nécessaire, plug anal et gel lubrifiant, elle commanda tout sur Internet au fournisseur qui garantissait un envoi discret. Quelques jours plus tard, nous entamâmes l’assouplissement progressif du plus étroit de ses orifices. Ce ne fut pas facile sans la parole directe pour rassurer et encourager. Mais avec beaucoup de délicatesse et de persuasion, un débriefing de chaque séance et beaucoup de patience, nous avançâmes au point où Caroline put se promener dans l’appartement avec son plug. L’objet étant décoré d’une fausse pierre étincelante, l’effet esthétique était… chicounet ! Le passage à l’acte ne fut pas qu’une formalité, il fallait encore vaincre les derniers démons, purement cérébraux, parce que techniquement cela releva de la lettre à la poste. Tous ces efforts pour s’entendre dire :
Tu parles ! Mademoiselle venait d’enchaîner trois orgasmes, largement aidés, il est vrai, par un massage de clitoris en règle. Pour ma part, ce fut une extase absolue. Car malgré son élargissement progressif, le conduit restait étroit et surtout extrêmement musclé, et mon phallus subit un prodigieux malaxage, me transportant dans des transes inespérées. Fourrer mon zob entre de telles fesses relevait du délice, mieux, du délire absolu. Tout un monde de sensations nouvelles s’ouvrait à nos jeux érotiques, et nous en profitâmes pleinement depuis ce jour.
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Caroline arriva un soir tout excitée.
Nous visitâmes le week-end suivant, elle avait pu s’en procurer les clés à l’étude. Il s’agissait d’une ancienne maison de négoce, dernièrement occupée par un distributeur de machines à café, ces armoires qui fleurissent dans les stations-service et les bureaux, dans lesquelles on obtient un brouet infâme et tiédasse pour un euro et demi. Construite au siècle dernier, angles de pierres de taille et panneaux de briques rouges, sa façade était assez étroite avec juste un porche, une porte d’entrée et une seule fenêtre. Les fourgons, autrefois les carrioles, traversaient le porche pour aller se ravitailler dans une cour pavée, dont tout un côté était occupé par un hangar avec quai de chargement sous trois voûtes de pierres. Le bâtiment principal donnant sur la rue ne comportait du coup que d’anciens bureaux. Sous un toit à la Mansart, un vaste grenier inoccupé, mais très encombré était exploitable, de même que le hangar de stockage d’environ quatre-vingt-dix mètres carrés. La cour en faisait à peu près autant et était entourée des hauts murs borgnes des immeubles voisins. Transformer ce bâtiment en habitation exigeait évidemment beaucoup de travaux, mais le potentiel était immense.
De faillite en faillite, inoccupé depuis des années à cause d’interminables combats juridiques, il était à vendre rapidement pour solder les dettes du dernier propriétaire et, de ce fait, son prix ne reflétait absolument pas les cours du marché de l’immobilier, mais juste le reste à recouvrer pour le liquidateur judiciaire. Était-ce vraiment une affaire ? Profitant de cette journée ensoleillée et sans le moindre souffle d’air, je bondis sur la toiture, la parcourant attentivement, puis me laissais tomber sur l’autre, celle du hangar, en ardoises également. Quelques zincs étaient à reprendre, mais les toits semblaient parfaitement étanches. Une visite dans le grenier me confirma l’impression. De plus, il y avait là de nombreuses choses à récupérer, caisses et sacs ayant contenu des épices, objets originaux de décoration. Les murs extérieurs n’avaient besoin que d’un nettoyage à haute pression. En revanche, il fallait changer toutes les menuiseries, pourries et sans double vitrage. Le quartier, autrefois artisanal et commerçant, était devenu calme et résidentiel avec un parc au bout de la rue.
Absolument. Il doit y avoir du monde sur le coup ?
Un tour au supermarché de bricolage, passage par l’appartement pour prendre un bloc et un crayon, et nous revenions deux heures plus tard pour constater combien la cour peut être inondée de soleil et devenir agréable, malgré des tas de déchets et des tags partout. En effet, la porte cochère qui fermait le porche était pourrie et ne fonctionnait plus depuis longtemps, laissant le lieu libre d’accès aux loulous du quartier. Mesures prises, nombreuses photos avec la tablette également, nous rentrâmes nous torturer l’esprit sur ce projet, ce qui nous occupa tout le week-end. Mais le résultat paraissait excellent : fermer le porche par un portail métallique avec panneaux pleins, déplacer la porte d’entrée sous le porche et créer une vaste baie en façade, pour créer une grande entrée servant également de bureau d’où partirait le bel escalier de bois vers l’étage, une chaufferie-buanderie séparée par une cloison de briques de verre, des toilettes ; dans le hangar, une vaste cuisine ouverte sur une salle à manger, un premier salon avec cheminée, puis un second où elle pourrait réaliser quelques-uns de ses rêves : un piano demi-queue et un atelier de peinture. Le tout serait modulable grâce à des cloisons mobiles, et très lumineux par trois baies coulissantes à la place des rideaux de fer des trois portes de chargement. À l’extérieur, une passerelle de bois réunirait les baies, et une vaste terrasse également en bois permettrait de profiter du jardin et donnerait sur la cour pavée par quelques marches. Une dizaine de mètres en fond de cour seraient consacrés à son potager, et des plantes grimpantes couvriraient le mur opposé. À l’étage, deux grandes chambres et une grande salle de bains, avec bain bouillonnant et douche italienne.
Nous eûmes un désaccord sur l’opportunité d’aménager tout de suite le grenier, ce dont j’étais partisan, car elle voulait limiter les frais et l’emprunt. Mais, comme il fallait isoler, prévoir les colonnes d’eau, de chauffage et d’électricité, autant faire les travaux tout de suite plutôt que de traîner un chantier à faire ultérieurement, mais quand, avec quel financement, et surtout l’obligation de traverser une maison propre. Ce dernier argument remporta son adhésion, elle imagina bien poussière, gravats et autres nuisances dans la maison rénovée. Nous retournâmes sur place pour vérifier la possibilité de réaliser ces souhaits et commencer à les visualiser sur site. Caroline partit travailler avec enthousiasme le lundi matin, prête pour la négociation.
Tout se passa fort bien, tant pour réaliser l’achat que pour obtenir le prêt. Sauf qu’il fallut plusieurs mois avant de passer à la réalisation. Quand le grand jour du début des travaux arriva, elle prit l’habitude de me déposer chaque matin sur les lieux et de me reprendre chaque soir. Je surveillais de près tous les travaux, et quand quelque chose clochait, je lui faisais un mail avec ma tablette posée sur l’une des poutres du hangar : un simple bond pour moi, et l’objet était parfaitement invisible du sol. Et des avatars de parcours, il y en eut, parfois à la limite de la malfaçon. Pensez donc, un gros chantier pour une petite dame qui n’y connaissait rien, de quoi se goinfrer. Mais les chefs d’équipes viraient au vert lorsque leurs portables sonnaient et que la voix de Caroline dénonçait leurs agissements presque dans l’instant où le méfait était commis. Certains ont même cherché la caméra cachée qui lui permettait de surveiller le chantier. Pareil pour les absences ou les retards injustifiés, car je comptabilisais pour chaque artisan le nombre d’ouvriers sur place et le nombre d’heures effectivement réalisées. Leurs têtes étaient comiques à voir au moment où Caroline contesta certaines factures avec en main le calendrier précis du temps passé.
Cependant, ou peut-être un peu grâce à cela, le chantier avançait bien et certains travaux furent assez stupéfiants. Le maçon qui déplaça la porte d’entrée sut refaire une partie de mur avec les briques de démolition récupérées et une poutre de béton couverte d’un enduit reproduisant la pierre à s’y méprendre. On aurait dit que tout était comme ça dès l’origine. En revanche, la manie qu’ont les artisans d’ouvrir plusieurs chantiers en même temps pour essayer de satisfaire tout le monde est horripilante. Au final, personne n’est content et les chantiers traînent en longueur. Il nous fallut patienter sept mois avant d’emménager, sept mois pendant lesquels Caroline ne pouvait pas louer son appartement alors que le nouveau prêt courait. Finalement, elle avait bien fait d’attendre que le précédent arrive à terme. Ça ne l’empêcha pas de se faire beaucoup de soucis, ce qui provoqua chez elle une réaction physique inattendue : elle se mit à grossir. Oh, pas énormément, mais bien de cinq ou six kilos qui se logèrent essentiellement et à mon grand bonheur sur ses seins, ses hanches et ses fesses. Si habillée son aspect « petit boudin » en était renforcé, nue elle était encore plus pulpeuse et désirable. Je me délectais sans retenue de ces formes généreuses et si féminines.
Quand le chantier fut terminé, comme ses vacances approchaient, elle programma le déménagement à leur tout début. Mais elle voulait entrer dans des locaux impeccables, donc elle passa au moins deux heures chaque soir et la totalité des week-ends à tout récurer pièce par pièce. Le plus dur, je crois, fut l’immense mur de briques du hangar qu’elle avait voulu conserver en l’état comme élément de décoration. Elle gratta, brossa, passa à l’huile de lin puis cira cette grande surface de briques et leurs joints jusqu’à obtenir l’effet chaud et satiné escompté. Ses kilos superflus ne résistèrent pas à cet exercice, je crois même qu’elle en perdit quelques-uns de plus.
Et puis il y eut le jardin, à préparer et à planter avant le plein été. Le maçon avait retiré les pavés de la cour à cet endroit et les avait réutilisés pour construire un muret de séparation ainsi qu’un bac étroit tout le long du mur. L’effet était superbe une fois que les camions de terre végétale y furent déversés. On avait pensé à Jérôme-le-fantôme, et toutes les manettes, poignées de portes, de fenêtres, de robinets, étaient surdimensionnées, très longues, ce qui permettait de les manœuvrer d’un doigt. Les volets roulants étaient électriques, de même que le portail, les cloisons mobiles et l’une des grandes baies du salon. Ainsi, malgré le surcoût, j’avais toute liberté d’aller et venir ou de participer un peu à la vie de la maison. Ce n’est qu’au mois d’août qu’enfin ma belle hôtesse put s’allonger sur une chaise longue posée sur la terrasse de bois, en sirotant un citron pressé glacé. Un léger et permanent sourire flottait sur ses lèvres, elle semblait satisfaite.
Tu es si belle, je ne m’en lasse pas.
C’est ainsi que, dans une cour entourée d’immeubles, une jolie femme posa son bikini, s’allongea sur une chaise longue au soleil et se mit à gémir doucement, pointes des seins dures et dressées. Elle écarta les jambes, gémit un peu plus fort, et on aurait pu voir son vagin s’ouvrir en grand, comme si un godemichet transparent y avait pris place. Cette femme bizarre refermait ses bras dans le vide, haletait de plus en plus fort, puis soudain fut prise de tétanie et de soubresauts, signes évidents d’un magnifique orgasme. Curieux spectacle pour un éventuel observateur. En tendant l’oreille, il aurait pu l’entendre murmurer :
Et un œil exercé aurait pu lire sur la tablette posée tout près :
La jeune femme se retourna, à quatre pattes sur le long siège, offrant au soleil son large postérieur galbé. Ses fesses s’écartèrent soudain, laissant les rayons pénétrer sa raie, et son petit orifice se dilata considérablement. Grognant, regardant le mur, elle se mit à haleter longuement. Son anus hypertrophié palpitait en rythme tandis que les lèvres de sa vulve s’agitaient seules. Elle hoqueta, couina, se cambra davantage, oscilla sur ses membres en cadence, frappa le siège du plat de la main et se crispa à nouveau en poussant un cri rauque. Enfin elle retomba et lâcha dans un souffle :
Le soir tomba sur cette femme écroulée à plat ventre sur une chaise longue, elle rentra préparer un repas léger fait d’une salade, d’œufs durs et de thon. Elle dîna tranquillement puis, restée nue, déambula jusqu’au salon voisin, et se mit au piano pour jouer une sonate de Brahms. Les pages de la partition tournaient toutes seules. Puis elle alla se lover sur un sofa et regarda par la baie grande ouverte la nuit envahir peu à peu le jardin, la lumière blafarde de la lune l’illuminer progressivement.
Elle avait dit cela doucement, sur le ton de la confidence, mais avec gravité. Alors se produisit un phénomène étrange. Couchée sur le sofa, la tête calée sur les cuisses nues de la jeune femme, une forme lumineuse apparut lentement, un corps d’homme.
Un instant plus lumineuse et scintillante, la forme masculine disparut d’un coup. Dans la cour, un groupe de colombes blanches, sorties on ne sait d’où, s’envola dans un bruissement d’ailes, devinrent éclatantes dans la lumière lunaire et disparurent dans le ciel sombre.
Quelques mois plus tard, toute l’étude notariale réunie suivait une petite grand-mère qui accompagnait sa petite-fille à sa dernière demeure. Tous avaient été bouleversés par le suicide de Caroline, et tous pleuraient, incrédules et terrifiés par cette mort subite.
Seule la mamy ne paraissait pas affectée outre mesure. Elle resta longtemps, seule devant le cercueil en chuchotant.
Les employés des pompes funèbres respectaient les prières de la vieille dame.
L’assurance remboursa bien le solde de l’emprunt, elle sert à ça. Mais le notaire voulut doubler la mise et récupérer des intérêts perdus en vendant la maison avec une énorme plus-value. Hélas, chaque visite était une catastrophe. Le piano se mettait à jouer tout seul, l’eau se mettait à couler, le micro-ondes se déclenchait, la télé s’allumait, une fois même, une porte se referma brutalement sur les doigts du notaire qui en perdit deux ongles. Très vite, cette maison eut la réputation d’être hantée. D’autant que, curieusement, elle restait parfaitement propre, comme si quelqu’un en faisant l’entretien quotidiennement. Pire, dès qu’une ondée faisait lever de jeunes pousses d’herbes dans le jardin, on les retrouvait dans le bac à compost, sans que la terre conservât la moindre trace de pas.
Quelques années passèrent. Le successeur de Maître C…, parti à la retraite, avait hérité de ce cadeau empoisonné. À son tour, il avait bien essayé d’y envoyer une entreprise de démolition pour résoudre le problème une fois pour toutes. Le camion chargé d’une pelleteuse s’était arrêté devant le bâtiment, et le conducteur en descendit pour décharger le lourd engin. À peine avait-il commencé à manœuvrer les chenilles que le camion se mit à dévaler lentement la pente légère de la rue. Les rampes se décrochèrent, la pelleteuse bascula du camion et piqua du nez en appui sur son bras replié ; le camion, lui, termina sa course une centaine de mètres plus loin en broyant quatre voitures en stationnement. Dans l’attroupement qui s’ensuivit, on fit sortir le pauvre chauffeur et les gens du quartier lui expliquèrent qu’il valait mieux ne pas s’attaquer à la « maison hantée », sous peine de ce genre de représailles. L’entreprise jeta l’éponge et prévint ses collègues de ne surtout pas accepter ce chantier. Le jeune notaire en était arrivé à dire :
Un beau jour, un grand jeune homme franchit la porte de l’étude. Environ vingt-cinq ans, grand, mince, mais bien bâti, le cheveu long et la barbe de trois jours, il était tout juste sorti de son école de Beaux-Arts.
Le jeune homme allongea sa longue démarche un peu dégingandée en se roulant une cigarette en direction de la rue Molière. Arrêté sur le trottoir opposé, il scruta la façade et émit un petit sifflement entre ses dents. Il traversa la rue, ouvrit le portail du porche, longea une ancienne Clio apparemment en bon état et avança jusqu’à la cour. Second sifflement. Alors il ouvrit la porte d’entrée et visita les lieux, longuement, laissant courir ses longues mains sur les meubles, jouant au passage quelques accords sur le piano, testant le moelleux des lits… Les mains sur les hanches, avec un air dubitatif, il resta un long moment dans l’immense pièce du bas, l’ancien hangar, tournant lentement sur lui-même.
C’est à ce moment que son portable vibra dans sa poche. Machinalement, il décrocha. Rien. Il regarda le petit écran et fit défiler les icônes, puis lut avec de grands yeux étonnés :
Il posa son sac à dos sur le comptoir de la cuisine, s’agenouilla devant le four et se mit en devoir de retirer la plinthe. C’était ce genre de planche stratifiée comme le reste des meubles, coincée par trois pompes à ressorts assez faciles à manœuvrer. Dans un premier temps, il ne vit rien qu’un trou béant un peu poussiéreux et les pieds du meuble. Il passa la main et sentit, sous le fond du placard, un paquet retenu par de grosses sangles élastiques agrafées dans le bois. Il tira, une sangle lâcha et le paquet tomba. Petit, mais très lourd. Il défit les épaisseurs de papier kraft et découvrit une vingtaine de petits sachets et quelques rouleaux. Il en ouvrit un, de l’or. Il gratta un instant son épaisse chevelure, remit la plinthe en place, fourra son butin dans son sac à dos et claqua ses mains l’une contre l’autre pour en ôter la poussière. À nouveau, le téléphone vibra :
Il retourna à l’étude notariale. Le notaire se précipita sur le chèque de caution pour le lui rendre, s’attendant à le voir partir à toutes jambes.
Il déballa son paquet de lingotins devant les yeux écarquillés du notaire. Curieux comme ce métal jaune pouvait avoir comme fascination sur certaines personnes, alors que lui, ça le laissait complètement froid.
Il rangea prestement l’or dans le vieux coffre placé derrière lui et appela une secrétaire. Moins d’une heure plus tard, Jérémy avait l’acte dans son sac et les clés de la maison dans la poche. Son portable vibra :
Il passa s’acheter un sandwich et rentra « chez lui ». Il se demandait s’il n’était pas en train de rêver, ou si le dernier chichon qu’on lui avait refilé était de bonne qualité. Il refit encore le tour de la grande maison, vraiment étonné par tous ces grands volumes, cette luminosité. C’était vraiment top ! Et puis le petit jardin pour faire pousser des légumes bio, la petite voiture qu’il allait réviser dès le lendemain et lui faire faire des papiers à son nom. Il se mit au piano et joua de mémoire quelques airs qu’il aimait bien, une Gnossienne de Satie, The entertainer, en se disant que c’était le lieu idéal pour faire la teuf avec les potes et des nanas. Puis il monta à la chambre en ne regrettant qu’une chose :
À peine avait-il marmonné ces paroles que la lumière s’éteignit. Ah ouais, fallait passer à EDF… Un contact vint interrompre ses pensées, la fermeture de sa braguette descendit, seule ! Il sentit qu’on sortait son sexe et qu’une bouche gourmande le gobait. Divine fellation, il en tomba sur le lit. Cherchant à tâtons cette partenaire inconnue, des seins somptueux lui emplirent les mains, un cul parfait s’offrit à lui qu’il baisa par tous les trous une bonne partie de la nuit. Quand il tomba de fatigue et de satisfaction, un vague sourire aux lèvres, enfin rassasié, la forme d’une magnifique femme se matérialisa près de lui, pâle d’abord puis franchement scintillante. Elle était très belle, quoique un peu courte du cou et des chevilles. La silhouette disparut d’un coup alors que des battements d’ailes résonnaient dans la cour. Il bondit à la fenêtre pour n’apercevoir qu’un vol de colombes immaculées s’éloignant dans le clair de lune…