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Temps de lecture estimé : 23 mn
04/08/20
corrigé 05/06/21
Résumé:  L'enquête piétine. Le marquis en fuite serait-il l'assassin ? Élodie a de saines lectures.
Critères:  f ff collègues intermast cunnilingu -policier
Auteur : Domi Dupon  (Une antiquité du site)      Envoi mini-message

Série : Au village aussi, on a de beaux assassinats

Chapitre 05 / 06
Ça se précise

( Roman d’arrêts de bus en 6 épisodes)



Résumé des épisodes précédents

Un cadavre dont le visage affreusement mutilé a été découvert dans le petit hameau de Mérissard. Tout se complique : Corine-Marie Henneau est en réalité Louise-Marie Nobert. L’enquête piétine. Le marquis en fuite serait-il l’assassin ? Élodie a de saines lectures.






Extraits du journal de Louise-Marie Nobert.



Entrée 1er janvier 2011


Mon petit journal, que de choses se sont produites depuis la dernière fois où je t’ai parlé. J’ai relu tout ce que j’avais écrit depuis ma rencontre avec ce salaud d’Andréa. Pendant trois ans, j’ai vécu sur un nuage érotique jusqu’à cette p… d’arnaque qui a foiré.


« Tu devras te cacher pendant quelques mois, juste le temps que ça se tasse. » C’était y’a sept ans. Depuis je fuis, changeant d’identité, de pays, d’hôtel minable en hôtel plus minable encore. Nous possédons plusieurs millions d’euros, mais Andréa ne s’en sert et ne m’en donne qu’au compte-gouttes de peur qu’on se fasse repérer.


Si ce gros co… pervers, en 2006, ne s’était pas suicidé en laissant derrière lui une lettre où il avouait ses détournements… Heureusement, il n’avait pas cité le nom de ses complices, mais, d’après les sources d’Andréa, les autorités rhodésiennes étaient sur la piste suisse. Aujourd’hui, je doute fortement de ses affirmations. Ce salopard avait tout organisé pour ne pas apparaître dans cette magouille. Les Africains ne pourraient remonter jusqu’à lui, car il n’avait rencontré le ministre que très rarement et dans des lieux incertains loin de toute caméra, que tous les échanges en mail crypté qu’il avait eu avec lui étaient à travers un compte qui pouvait m’être associé. (Ça, je l’avais su après !) Si l’on ajoutait à ça que je l’avais rencontré dans des lieux publics, que j’étais son seul contact récurrent à Genève, je pouvais me retrouver dans leur collimateur. Certes, Gordo avait rencontré pas mal d’escorts (merci, Andréa, de m’assimiler à une putain), mais je détonais un peu dans le lot. Ils pouvaient rapidement sauter à la conclusion que j’étais son contact en Suisse. Par ces tours de passe-passe minables, mon marquis se trouvait hors du coup et il m’avait bien fait comprendre que si quelqu’un devait avoir des ennuis, ce serait moi.


Au début je l’ai cru. Au bout de quelques mois, j’ai compris que je m’étais fait rouler dans la farine. Il avait tout prévu. Si ça tournait mal, je servirais de fusible, mais il fallait surtout pas qu’on me retrouve, en tout cas vivante, car je pourrais le faire plonger. Lui seul savait où me trouver et s’il avait chaud aux fesses, il n’hésiterait pas à me flinguer. Un cadavre ne parle pas.


Peu à peu, je me suis posé des questions sur la réalité du danger que je courais. J’avais du temps, je n’avais même que ça. Alors j’ai fouillé dans le net, j’ai exploré la presse, j’ai été sur des forums. Et je n’ai rien trouvé. Nulle part, j’ai trouvé d’allusion à la « piste suisse ». Nulle part, j’ai trouvé trace de grandes enquêtes menées par les autorités africaines même dans les forums conspirationnistes. J’ai aussi pris le risque de télécharger TOR et de chercher dans le Darknet. Pour rien.


Mon divin marquis, ce salaud me manipulait. Qu’au départ, il ait eu peur pour sa peau, c’est probable, mais il devait savoir que nous ne risquions plus rien… sauf si bizarrement, je réapparaissais. Il ne fallait pas que je réapparaisse. Les quelques mois allaient se transformer en une peine à perpète. J’ai traversé encore quelques pays et visité encore plus de villes avant de lui présenter mes exigences, en prenant mes précautions. Entre autres, à partir du moment, où j’ai eu des doutes, j’ai enregistré toutes nos conversations.


Le pire, mon petit journal, c’est que je suis toujours accro à cet homme. Ce n’est plus de l’amour, mais une dépendance sexuelle et psychologique. J’ai besoin de lui, j’ai besoin de sa queue, j’ai besoin de sa main qui claque mes fesses, j’ai besoin de sa voix autoritaire. Je voulais arrêter de fuir alors je lui ai mis le marché en main : chirurgie plastique, une petite maison dans un bled, une rente et le contrôle sur le magot sinon je le dénonçais aux Rhodésiens. Je lui ai dit que je savais bien qu’il ne s’en prendrait pas à ma vie, mais que si par un malheureux hasard, il m’arrivait un malheur… J’avais de plus en plus l’impression que j’étais devenue un poids mort pour lui alors, avant de l’entreprendre, j’avais pris mes précautions : s’il m’arrivait quelque chose, il plongeait.


Il a crié, argumenté, menacé. Cela a duré. Nous ne nous pouvions pas nous voir souvent. La plupart du temps, nous nous rencontrions dans une voiture de location ou dans des motels perdus où il arrivait au milieu de la nuit pour repartir avant le lever du jour. Monsieur prenait mille précautions, pour ma sécurité m’avait-il assuré. Il craignait surtout qu’on le voie avec moi. Durant cette période, il m’a baisée comme il ne l’avait jamais fait encore. J’ai joui et joui, mais j’ai tenu bon. Au bout d’un an de tractation, il a fini par céder sur tout. Je n’ai lâché du lest que sur la rente. Le coût de ma chirurgie et l’achat d’une maison allaient mettre sa trésorerie à mal et le forcer à taper inconsidérément dans le magot.


Il a dû se résoudre à se séparer de quelques lingots. Peu à peu, il avait changé la plus grande partie des euros en bon or, environ 150 kg. Lui qui auparavant dépensait sans compter veillait sur son or comme le pire des avares. Ben oui, mon journal chéri, j’ai compris autre chose durant cette période : mon prodigue Marquis s’était transformé en un vieil Harpagon ! Il a stocké son magot dans la propriété de Larouma. Cette vieille propriété appartenait à une de ses grand-tantes maternelles dont il a hérité, mais qui officiellement appartient à une holding luxembourgeoise.



C’est dans cette fermette que s’est arrêtée ma cavale. Je suis devenue la gardienne du trésor. J’y ai vécu cloîtrée pendant plus d’un an. Elle m’a servi de refuge entre chacune de mes nombreuses opérations. Je n’en sortais que pour marcher dans la montagne avoisinante. Andréa me faisait livrer tout ce qui m’était nécessaire pour survivre.


Pour parer à mon ennui, je me suis remise à la peinture. Quand j’étais ado, j’étais douée. Mon prof d’art plastique au lycée aurait voulu que je fasse les beaux-arts. Artiste, c’était valorisant, mais crever la dalle ça l’était moins. Je n’ai pas perdu la main. Andréa trouve que j’ai du talent. Il a montré plusieurs de mes toiles à un ami qui a accepté de les exposer.


J’ai renoncé à compter le nombre d’interventions que j’ai subies. Aujourd’hui, maman ne me reconnaîtrait pas et j’ai enfin une poitrine comme j’en ai toujours rêvé. Et surtout, mon journal, en ce premier jour de 2011, je suis chez moi… chez moi… dans ma maison même si officiellement, elle ne m’appartient pas.


Bon d’accord ça va faire bientôt six mois que j’y suis. Le temps de m’installer, d’aménager, de prendre mes marques et de respirer… Le temps aussi qu’Andréa construise une cache secrète et inviolable pour y amener notre or. Il m’a fallu tout ça pour trouver l’envie de te parler.


Et même si j’ai réveillonné toute seule devant la télé, je me sens bien. Je vais pouvoir recommencer à vivre presque normalement.





**********




Semaine 4 (23 avril-…)


Trois semaines s’étaient écoulées. L’affaire avait fait la une de la presse nationale pendant un jour ou deux puis reléguée la semaine suivante en page faits divers pour terminer dans les entrefilets. Dans les premiers jours, l’événement avait été couvert par les journaux régionaux de FR3. Le procureur de Bourg, peu habitué à être sous les projecteurs, s’était pavané devant les caméras reléguant Castagnette au rôle de hallebardier. Ce dernier ne décolérait pas d’avoir joué les seconds rôles. Dans cette troisième semaine, la presse n’en parlait plus. Une voiture happée par un TER sur un passage à niveau, un caillassage de pompiers dans un quartier chaud d’Oyonnax et encore un problème de violences conjugales l’avaient successivement remplacé à la une des quotidiens régionaux.


Au niveau de l’enquête proprement dite, rien de neuf. Le mandat international ne donnant aucun résultat, le dossier Henneau/ Nobert/Laurencin avait glissé sous la pile. Maintenant entre les mains d’un juge d’instruction, il suivait le cours lent et sinueux de la justice. À moins d’une hypothétique arrestation de Barbier-Lacourt, il finirait dans le placard (numérique) sans fond des cas non résolus.


Malgré la quiétude du département de l’Ain, la brigade, en sous-effectif chronique, avait d’autres chats à fouetter. D’autres enquêtes plus habituelles les occupaient, entre autres celle sur un pyromane fou qui terrorisait les fermiers du Bas-Bugey en allumant des feux de joie dans leurs réserves de fourrage.


De par sa jeunesse, sa formation et le fait qu’elle s’était opposée à son supérieur, Élodie se retrouvait cantonnée dans l’administratif et la numérisation des dossiers. Cette mise en retrait lui permit de se retrouver en première ligne lorsqu’un importun, un malfaisant se manifesta, remettant en cause les conclusions de son chef. Jean-Charles Raspe, pharmacien de son état, accessoirement fouilleur de poubelles et informaticien amateur, se pointa à la brigade avec un ordinateur portable. Ce geek quadragénaire et célibataire avait pour habitude de visiter les déchetteries à la recherche de pièces électroniques qu’il pourrait réutiliser, réinjecter dans cette pu… de société de surconsommation pour une seconde vie. Au cours d’une visite à la déchetterie de Saint-Pons, il avait découvert, dans le bac dédié aux rebus de la technologie, un Apfel 3945, de l’année, défoncé. Il n’en avait pas cru ses yeux. Il avait flairé la bonne affaire. Qui pouvait être assez con pour se débarrasser d’un matos aussi performant ? Surtout, qui pouvait être assez barje pour piétiner un Apfel 3945, un must de la technologie ? Avec un peu de chance, il pourrait récupérer la carte mère, les disques durs, voire d’autres pièces avec lesquelles il pourrait construire un ordo qui satisferait n’importe lequel des utilisateurs lambda.


Déception pour lui, seul le disque dur était récupérable. En curieux qu’il était, il s’était demandé ce qu’il pouvait bien y avoir dans celui-ci. Il était partitionné. En ouvrant des fichiers photos dans la partie Data, il avait, immédiatement, compris qu’il était tombé sur une bécane qui allait intéresser la maréchaussée : des portraits, self-portraits de Corine-Marie Henneau. Il ne la connaissait que par le biais de sa pharmacie dont elle était cliente. Il n’avait pas cherché plus loin. Avec précaution, il avait emballé le tout et l’avait emporté à la gendarmerie de Pont-d’Ain qui s’était empressé, après avoir pris sa déposition, de faire parvenir le tout à la section de recherche à Bourg.


Castagnette et les deux technos, à la poursuite du brûleur de foin investiguaient sur le lieu du dernier exploit du pyromane. Élodie réceptionna rapport, déposition, l’ordinateur et son disque dur. Craignant de commettre une bêtise, elle ne toucha pas à ce dernier. Elle se contenta de poser le tout sur le bureau d’Électre. Elle ou Robin s’occuperait de la faire parler.


Par contre, elle éplucha avec soin les documents qu’on lui avait transmis. Les flics du cru avaient fait le job : en plus de la déposition détaillée de Raspe, ils avaient pris la peine de contacter la déchetterie de Saint-Pons. Il en ressortait clairement que, la benne avait été vidée le 18 avril, soit dix jours après le meurtre. Conclusion : Barbier-Lacourt n’avait pu jeter le laptop.


« Apod, Aphone ! » tilta-t-elle soudainement. Elle appela aussitôt la brigade de Pont-d’Ain, leur demandant d’envoyer une patrouille pour fouiller la benne. Le pharmacien-informaticien avait déclaré qu’après la découverte du portable, il avait arrêté ses recherches. Si l’assassin s’était débarrassé de l’Apfel, peut-être avait-il fait de même avec le reste. Il fallait vérifier. Vulgairement parlant, Élodie mouillait. Si son intuition se vérifiait, ce macho connard de capitaine allait pouvoir se les mordre. La culpabilité du marquis devenait moins évidente.


Elle avait vu juste. En fin d’après-midi, alors qu’elle finissait d’expliquer aux trois autres, rentrés de leurs pérégrinations sur le terrain, une navette leur apporta un Apod 1418 et un Aphone 5462, tous les deux défoncés. Électre se précipita sur le téléphone : première déception, la carte Sim avait disparu. Les deux technos auraient bien délaissé l’affaire de l’incendiaire pour faire parler les bécanes, mais Castagnette, assez justement, leur demanda de, préalablement, analyser les éléments récupérés sur le site du dernier incendie. Les deux officiers, ayant fini leur service, s’en allèrent, abandonnant leurs subordonnés au fastidieux travail de laboratoire.


Élodie allait en profiter pour avancer l’arrangement de son studio, pour tenter de lui donner une apparence d’occupation. Elle passait la plupart du temps dans celui de son amante bien plus cosy. Elle connaissait suffisamment son amie maintenant pour savoir qu’elle ne rentrerait pas avant d’avoir terminé. Aussi quand vers 20 heures, la lieutenant se rendit chez son elle, personne ne répondit. Électre lui ayant donné une clé, elle entra dans ce qui, jour après jour, devenait son « chez-soi ». Après s’être douchée, elle revêtit sa tenue de nuit : un vieux t-shirt de son amie, trois fois trop large pour elle. Elle se prépara un plateau-repas qu’elle prit, avachie devant la télé. À 23 heures, Électre n’étant toujours pas rentrée, Élodie alla se coucher.


Lorsque, enfin, celle-ci la rejoignit, la nuit était déjà bien avancée. S’agenouillant près du lit, l’Antillaise réveilla en douceur sa compagne par de tendres baisers dans le cou alors que sa main droite glissée sous la couette enveloppait un sein au repos. Quand sa dulcinée, se redressant voulut lui rende la pareille, elle l’en empêcha.



Elle brandissait une tablette sous son nez. Élodie s’assit confortablement, calant son dos avec un oreiller, une main posée sur la cuisse de son amie.



Robin et elle avaient exécuté l’ordre de leur supérieur, mais ils n’avaient pu se résigner à attendre le lendemain. Elle s’était occupée du disque dur pendant que Desbois violentait l’APOD. Sur ce dernier, il avait pu récupérer la correspondance Messenger de la victime. Correspondance qui révélait des relations très, très particulières avec plusieurs habitants du hameau. Il découvrit aussi un compte Gmail qui ne contenait que des brouillons destinés à un seul interlocuteur répondant au pseudo évocateur de « Roméo ». Messages brefs, codés dans un code simpliste qui lui avait permis très vite de comprendre que ces messages servaient à fixer des rendez-vous. D’après Électre, l’identité de « Roméo », ne faisait guère de doute : le marquis de Barbier-Lacourt, son maître et amant. Messages jamais expédiés selon le vieux truc qui évitait un traçage : les dates étaient fixées, généralement, sans aucune indication de lieu. Ils avaient supposé qu’ils se rencontraient à Larouma. Robin avait décortiqué la tablette, tout épluché, mais son utilisation de l’APOD était minime et il ne trouva aucun nouvel élément exploitable.


Électre avait été plus chanceuse.



La tablette tomba sur le drap alors que deux mains empaumaient la poitrinette juvénile du jeune officier. S’ensuivit un nouvel échange de baisers et de tendres câlins. La main d’Électre délaissant le sein d’Élodie avait plongé sous la couette. Un index fureteur constata sans nulle contestation possible que son amie se montrait plus que réceptive à ses attouchements mammaires. Ce fut au tour d’Élodie de repousser son amante. Elle reprit sa position croisant ses bras sur sa poitrine dans une tentative illusoire de protection.



Son index battait la mesure contre un clitoris en érection.



Dans un combat héroïque, elle parvint à se soustraire aux entreprises de sa complice. Électre, hilare, ayant récupéré son doigt le suça avec ostentation.



Électre fit lentement défiler les photos sur sa tablette. Élodie reconnut plusieurs hommes du hameau. En fait, de ceux qu’elle connaissait, seul Robert Tignac manquait à l’appel. Figurait aussi dans ces clichés, deux femmes : Elvira Goth et la surprenante, Anna Linka.



L’Antillaise, ébahie, lâcha la tablette.



Électre se débarrassa de sa tablette en la posant par terre tandis qu’Élodie la débarrassait de ses fringues inutiles. Lorsque l’Antillaise, en petite tenue, rejoignit son amante sous la couette pour un nouveau match, celle-ci la repoussa.





**********




Le lendemain matin, elles rapportaient ce qu’elles avaient lu à Robin quand Castagnette arriva. Il tempêta quand les deux de la PTS lui firent part de leur trouvaille de la veille. Il voulut leur reprocher de ne pas avoir fait le travail qu’il leur avait demandé. Cité lui répliqua vertement que le rapport était posé sur son bureau, mais qu’il n’apportait aucun élément nouveau. Cette nouvelle énerva un peu plus le capitaine. Le proc qui avait les élus locaux sur le dos était à cran et exigeait des résultats. Il l’avait appelé ce matin aux aurores alors qu’il avait une discussion intime avec la foufoune de Fleur Demaville. Non seulement il fallait qu’il avance dans cette histoire d’incendie, mais il avait l’obligation de relancer l’enquête sur le meurtre de Nobert (il avait été décidé qu’on la nommerait désormais de son patronyme réel) et reprendre les interrogatoires. Le journal ramenait à Mérissard.



Au regard inquisiteur que leur jeta Castagnette, les filles comprirent qu’elles avaient merdé. Le secours arriva de Robin qui lui aussi avait intercepté l’interrogation dans les yeux de son supérieur.



Elles avaient transféré le fichier « journal » sur une clé USB. Alors qu’elle le chargeait sur son PC de bureau, elle se fit la réflexion que ni l’une, ni l’autre n’avait fait allusion à l’or possiblement caché dans la maison. Pourquoi cette omission ? Sans doute parce que ça renforçait le mobile du marquis et par le fait donnait raison à Castagnette. Il faudrait malgré tout lui en parler, car nulle cachette n’avait été trouvée. Une nouvelle fouille de la maison serait nécessaire.




**********




Plongée dans le journal numérique de Nobert, Élodie ne voyait pas passer le temps. Elle découvrait au fil des lignes une narratrice tour à tour cynique ou naïve, d’une naïveté frisant la bêtise. Elle se montrait parfois très fine dans ses analyses pour quelques lignes plus loin tomber dans la psychologie de revues féminines. Au-delà de cette découverte, elle espérait qu’à l’aune de ce qu’elle lisait elle trouverait une piste la menant à l’assassin.


Rattrapées par le sommeil, Électre et elle avaient abandonné la lecture alors que Corine-Marie Henneau s’installait à Mérissard. Cette dernière se plaignait ensuite longuement des difficultés financières qu’elle rencontrait, de la pingrerie du marquis. Si elle évoquait sa constante dépendance sexuelle envers celui-ci, la jeune officier comprit que la mesquinerie, la couardise du marquis avaient chassé l’amour. Il n’acceptait de la rencontrer qu’à Larouma et en prenant mille précautions. A contrario, il se pointait parfois, bien que très rarement à Mérissard, en pleine nuit. Il ne restait que le temps de vérifier qu’elle n’avait pas touché au magot et de tirer un coup rapide. Selon ses écrits, autant leurs galipettes dans le chalet du Jura l’amenait très haut et le marquis se montrait l’amant imaginatif et dominateur qui la tenait par la foufoune, autant les étreintes furtives à Mérissard, non seulement, la laissaient sur sa faim, mais la rebutaient de plus en plus au fil du temps.


Durant l’année 2011, sa première année dans le village aindinois, seule sa peinture semblait lui apporter quelque joie. Elle avait vendu ses premiers tableaux et la galerie genevoise lui en réclamait d’autres. On sentait la fierté dans ses écrits. « Comment passer à côté de son destin ? se dit Élodie. Si elle avait écouté son penchant artistique, elle serait peut-être devenue une artiste reconnue et non pas un cadavre défiguré. » Si cela lui avait donné une meilleure image d’elle-même et aussi une marge de manœuvre financière, ce n’était pas pour autant le Pérou. Elle vivotait chichement, rognant sur tout alors qu’elle dormait sur plus de 100 kg d’or. Malheureusement, elle ne donnait pas de précision sur la cachette du métal précieux. La P.T.S. n’avait rien trouvé. Si le capitaine avait raison, Barbier-Lacourt s’était enfui avec l’or. Sinon il allait falloir désosser la maison comme ils l’auraient fait avec une voiture.


L’idée d’améliorer son ordinaire tout en prenant son pied lui vint après le repas des voisins aux printemps 2012. Le hasard l’avait placée à côté de Marco Linka, le taiseux. L’alcool lui avait délié la langue et échauffé le sang. En l’absence d’Anna, sa femme, il fut facile à Corine de le prendre dans ses filets. D’après le compte-rendu qu’elle en fit, c’était un coup honnête sans plus, mais avec beaucoup de retard d’affection. Ça n’étonna pas vraiment Élodie : Anna Linka, au naturel, n’incitait pas franchement à la débauche. En sus, sa maladie ne la poussait certainement pas à des envolées érotiques. Au début, Nobert se contenta d’échanger ses faveurs contre de petits travaux de jardinage puis l’hiver arrivant, les travaux se raréfiant, elle lui soutira de petites sommes.


En quelque sorte, il établit une règle. L’électricien, le plombier, le chauffagiste (qui lui posa quelques problèmes, car, bien que très fruste, il l’emmena au septième ciel, mais les affaires sont les affaires !) et même le maire, Humbert Tignac, en furent les victimes. Tous succombèrent à ses charmes et à son chantage, Jean-Louis Bayolle, Richard Dasso et du côté féminin, la factrice, Elvira Goth et aussi incroyable que cela puisse paraître, début 2015, elle parvint à débaucher Anna Linka, l’invisible. Nobert, assez stupide pour décrire précisément dans son journal ses ébats et l’argent qu’elle en tirait, se montrait suffisamment intelligente pour réclamer des sommes minimes que ses « souscripteurs » pouvaient faire passer en « frais généraux ». Anna Linka, la petite souris, l’attendrit certainement, car elle ne lui réclama jamais un centime même si comme les autres, elle figurait dans les vidéos. Manquait à son tableau, si l’on considérait que les femmes l’intéressaient moins : Robert Tignac. À moins qu’il ait effacé la vidéo le concernant ! Ça, Robin pourrait le dire. Si c’était le cas, il passait en tête au classement général des suspects.


Élodie avait de plus en plus de mal à se concentrer sur sa lecture. Elle commençait à se dire qu’elle perdait son temps. Les entrées se répétaient. Trois sujets revenaient à tour de rôle : en premier, les récriminations de plus en plus acerbes à l’encontre de son amant, en second, ses histoires de cul et ce qu’elles lui rapportaient et enfin sa peinture. Seule, cette dernière activité déclenchait son enthousiasme et enflammait son écriture.


Elle s’apprêtait à faire une pause quand soudain son attention fut éveillée. Une entrée plus longue au ton différent.



**********





Extraits du journal de Louise-Marie Nobert.



Entrée du samedi 21 mai 2016


Mon petit journal, détenteur de mes pires secrets, y’a longtemps que je n’avais pas été aussi heureuse. Depuis des mois, je ne fais que me lamenter, pleurer sur mon triste sort, te raconter mes aventures (ou plutôt mésaventures) sexuelles avec les péquenauds du coin. Ces imbéciles me permettent d’arrondir mes fins de mois. Certains me procurent un plaisir physique immédiat et à l’exception de la petite souris grise et coincée, je n’ai guère eu de moments très intenses. Et encore avec elle, c’était le plaisir cérébral de la dépuceler en quelque sorte.


Et puis, tu es venue. Nous avions déjà discuté, je n’avais pas été insensible à ton charme discret, mais tu étais lesbienne affichée. A priori, tu m’étais sympathique, tu me rappelais Paolina, ma première expérience féminine, mais ta militaire de femme m’incitait à la méfiance, à me tenir à distance. Aucune envie de prendre des risques inutiles.


Aujourd’hui, c’est toi qui es venue et qui, en quelque sorte, t’es jetée dans mes bras. J’étais tranquille, nue sur mon balcon à profiter du soleil printanier quand tu as sonné. En temps normal, je ne serais pas allée ouvrir. Au diable les importuns. Le soleil avait réveillé ma libido et j’avais envie de voir la gueule ébahie de l’enfariné devant le spectacle que j’allais lui offrir et si c’était un de mes « réguliers », il pourrait profiter de mes bonnes dispositions. J’ai passé un vieux t-shirt que ma poitrine supersonique tendait à mort et qui, en conséquence, ne parvenait pas à dissimuler totalement mon minou.


Je n’ai pas été déçue devant ta réaction. T’es devenue toute rouge et tu t’es mise à bégayer qu’il fallait que tu appelles « je-n’ai-pas-compris-qui », que ton portable était déchargé et que ta ligne fixe était HS. Je t’ai dit de me suivre et je n’ai pu m’empêcher d’onduler du cul devant toi. Résultat, tu n’étais plus rouge, mais cramoisie quand tu es entrée dans mon salon.


Tu ne pensais plus à ton appel. À en juger par ton regard, tu ne pensais plus qu’à une chose. Je fis un pas, tu fis l’autre et on s’est retrouvées enlacées. Et là, il s’est passé un truc, une étincelle. J’ai pris feu. Je suis revenue dix ans en arrière quand Paolina m’avait initiée au plaisir saphique… avec un plus.


On est restées collées l’une à l’autre nageant dans un nirvana de tendresse. Je ne me rappelle de rien. Ta robe gisait à tes pieds, ta culotte et ton soutien-gorge avaient disparu du paysage. Nos seins, nos ventres, nos pubis vibraient à l’unisson. J’avais le ventre en feu, mais pas seulement. Impression que mon cœur voulait sortir de mon corps. Nos mains réunies dans ton dos s’étreignaient. Puis ta main droite s’échappa à la découverte de mon visage. Tes doigts fins, aériens sur mes joues, dans mes cheveux… Moi qui menais mes amants par le bout de la queue, j’étais tétanisée.


La suite s’est passée comme dans un rêve. Nous avons dévasté mon lit. Tes mains magiciennes, sur mon corps, tour à tour, glissantes, pressantes, envahissantes, pénétrantes. Tes caresses affolantes, l’ubiquité de ta bouche, de ta langue sur mes seins, dans mon cou, sur mon ventre, sur et dans mon sexe. Jamais personne, ni femme, ni homme ne m’avait fait l’amour comme ça. Oui, mon petit journal, Gaëlle me FAISAIT l’amour. Je n’étais que l’instrument dont elle jouait avec virtuosité. Je ne savais plus du tout où j’étais, où j’en étais. J’ai vu le paradis.


J’ai multiplié les orgasmes, jusqu’au dernier déclenché par son plaisir alors que nous étions tête-bêche. Nous sommes restés longtemps ainsi têtes entre cuisses à téter nos clitounets apaisés. Puis enlacées, continuant de nous baisouiller, nous avons parlé, parlé. J’aurais voulu que le temps s’arrête.

Elle m’a avoué que c’était la première fois depuis très longtemps qu’elle menait le jeu. Amandine, très autoritaire, se conduisait en véritable mec et ne lui laissait pas l’opportunité de se réaliser. En plus, trop prise par son travail, elle ne baisait plus très souvent, selon une certaine routine.

Je crois que je suis amoureuse.




**********




Élodie sursauta. Quelqu’un gémissait doucement. Il ne lui fallut qu’une fraction de seconde pour comprendre : elle gémissait. Inconsciemment, elle avait visualisé la scène, Gaëlle prenant l’apparence d’Électre, tandis qu’Henneau lui ressemblait trait pour trait. Sa main droite, à l’insu de son plein gré, avait plongé entre ses cuisses et massait compulsivement la toile rêche de son jean. Elle la retira vivement en jetant un regard autour d’elle. Personne dans l’open space, elle respira et renvoya ses doigts continuer leur solo pour un petit orgasme discret.


Apaisée, elle reprit le cours de ses réflexions. Nobert avait bien une aventure avec Zéneur, l’infirmière lesbienne. Les entrées suivantes le confirmèrent. La plupart racontaient leur love story. Les autres commentaires se raréfiaient et adoptaient un style télégraphique. Leur histoire prenant une autre dimension, les ébats tarifés avec ses autres amants/maîtresses se raréfièrent ou du moins elle ne les évoquait rarement et presque furtivement. Plus de nouveaux « clients » et plus de nouvelles vidéos. Les baises avec son marquis continuaient, mais elle se contentait de les signaler sans donner aucun détail grivois. Le ton acide des entrées précédant cette affaire amoureuse avait cédé la place à un ton nettement plus joyeux. Elle s’amusait beaucoup des recherches qu’elle menait sur le Net sur le métier d’infirmière pour donner du corps à son personnage, paraître crédible face à Gaëlle qui l’était réellement.


Nobert, accro au sexe, escort de campagne, accessoirement maître-chanteur, se muait en amoureuse éperdue, romantique et jalouse. Elle, qui avait accepté que le marquis l’offre à ses amis, qui avait couché avec de multiples partenaires pour le gain ou pour le plaisir, se montrait jalouse de la femme de Gaëlle. La romance idyllique de la première année se délita et leurs rencontres, si elles étaient toujours aussi chaudes, s’entrecoupaient de disputes de plus en plus fréquentes. Elle supportait de moins en moins de partager son amoureuse avec De Hort.


La tension atteignit son comble quand De Hort les surprit. Dans la première réaction qu’elle nota, elle jubilait : face à cette révélation, Gaëlle allait tomber dans ses bras. Elle déchanta vite. L’autre avait la préférence. À partir de cet instant, les écrits devinrent borderline. Elle allait jusqu’à envisager de supprimer la militaire. Élodie bondit sur son fauteuil à la lecture de la dernière entrée. Le jour de son assassinat, la victime avait persuadé sa maîtresse de venir la voir « une dernière fois ».


D’abord, elles s’étaient envoyées en l’air, mais ensuite, ça avait tourné à l’aigre. Dans son journal, elle avait sans doute atténué ses propos, mais les menaces qu’elle avait prononcées avaient de quoi affoler Zéneur. La jeune officier tenait un mobile et, sans doute, une coupable.


Si ça n’avait tenu qu’à elle, elle aurait réquisitionné un ou deux uniformes et serait allée alpaguer l’infirmière, mais elle ne pouvait agir en solo. Il lui fallait l’aval de ce connard de Castagnette. Persuadée que ce ne serait qu’une formalité, elle commit alors une imprudence. Pressée de savoir où se trouvait sa suspecte, elle appela la maison de retraite pour savoir si Zéneur travaillait. L’ayant logée, elle appela ensuite son supérieur qui la jeta froidement.



Il refusa catégoriquement l’interpellation immédiate de Zéneur. Devant son insistance et en maugréant, il accepta, « puisqu’elle n’avait vraiment rien d’autre à foutre », qu’elle la convoque le lendemain matin. Elle n’avait qu’à se « démerder ». Élodie soupira, mais d’un autre côté si l’infirmière mettait les voiles, on ne pourrait pas lui en imputer la responsabilité.




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à suivre

Épisode 6 : Tout est bien qui finit (presque) bien