n° 19781 | Fiche technique | 46277 caractères | 46277Temps de lecture estimé : 32 mn | 28/08/20 corrigé 05/06/21 |
Résumé: L'itinéraire sanglant d'une femme libre. | ||||
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Auteur : Calpurnia Envoi mini-message |
Ambert est une petite ville du Puy-de-Dôme surtout connue pour sa fourme persillée, au bleu plus marqué de celle de la voisine Montbrison. Dix mille habitants et guère de charme, en fait, surtout à la fin de l’automne où j’y retourne trente ans après l’avoir quittée.
Il est dix-neuf heures à l’horloge de l’église voisine. Lentement, je tente de tourner la clé dans la serrure avant de me rendre compte que la porte de la maison que je viens d’acquérir n’est pas verrouillée. Les volets sont restés fermés – du moins, ceux qui ne sont pas cassés. La maison semble morte, bloquée dans un temps suspendu au-dessus des années qui s’écoulent sans elle. Telle qu’en mes souvenirs, l’entrée est monumentale ; elle me donne l’impression de pénétrer dans une église abandonnée. Une odeur de poussière, d’humidité et de larmes anciennes… Mes bottes aux semelles de crêpe me permettent d’avancer sans bruit, heureusement, car je ne veux pour rien au monde perturber le silence quasi religieux de trois décennies d’absence. Les bruits de la circulation s’étouffent quand je ferme la porte. Bienvenue dans mon passé, semblent me dire ces murs sombres.
J’entame le tour du propriétaire, ce que je suis devenue depuis ce matin, quand le notaire m’a remis les clés. Pas d’électricité, bien sûr. Oui, j’ai bien hérité de cette maison que ma cousine Léa m’a léguée dans son testament. Le cancer l’a emportée à quarante-huit ans, le même âge que le mien. Pour moi, elle n’a pas vieilli : elle gardera éternellement les dix-huit ans que nous avions lorsque nous avons été séparées. Cette bâtisse est à l’image de mon cœur : en ruines, longtemps après une époque de splendeur.
Les escaliers de bois craquent sous mes pas. Je frissonne du froid auvergnat qui semble avoir pris possession de ces lieux. La lumière ténue qui vient de l’extérieur me permet à peine de voir où je pose mes pieds. Cette odeur… si ancienne, et pourtant si familière ! Elle est indissociable à la fraîcheur du petit corps rempli de vie de la jeune Léa, si pétillante lorsque je la tenais dans mes bras ! Nos étreintes me reviennent en mémoire. Un sanglot me monte à la gorge. Je n’y vois plus rien, et m’assieds sur les marches pour ne pas trébucher. Le vent à travers les claires voies des volets parvient à peine à couvrir les battements de mon cœur. Que fais-je ici après tant d’années ? Quelle folie d’avoir accepté cet héritage : une maison aussi vaste et en si mauvais état !
Une fois mes yeux accoutumés à la pénombre, je me relève et reprends ma visite. La demeure possède deux étages. Je monte jusqu’au dernier. Dans le couloir, un bruit m’arrête. Comme un gémissement. Il provient d’une chambre dont la porte n’est qu’à demi fermée. J’avance avec prudence, à pas de louve. Sans doute des squatteurs. Je jette un coup d’œil prudent.
Je vois deux filles couchées ensemble sur un lit. Plutôt jeunes : pas plus de vingt ans. Nues, toutes les deux. Une blonde et une brune. La première lèche la vulve de la seconde dont la tête est renversée, étendue sur le dos, cambrée, les cuisses ouvertes à la caresse linguale. Ma première pensée : elles sont ravissantes. La seconde est bien trop occupée pour remarquer ma présence. Pas l’autre… nos regards se croisent et se soutiennent, ce qui ne semble pas perturber la belle ni la priver de son orgasme clitoridien. La scène provoque en moi un spasme au bas-ventre. Mon Dieu, je crois reconnaître Léa. Impossible ! Léa est morte. Cette fille est toute jeune. Mais la ressemblance est frappante.
Je pose mon sac dans une chambre voisine, puis je descends dans la cuisine y établir l’inventaire de ce qu’il me faudra acquérir rapidement pour être en mesure de subsister ici. L’essentiel y est : une casserole, une poêle. Une souris tout apeurée se réfugie dans un trou. Un paquet entamé de spaghettis, de quoi se nourrir pour les deux jouvencelles qui ont élu domicile ici. Une cafetière au bocal ébréché, du café robusta : je m’en prépare un sur le camping-gaz, très fort, que je bois d’un trait, brûlant, accoudée sur un coin de la table, sans ôter mon imperméable. Cette pause bienfaisante apaise mes idées aussi noires que le breuvage.
Les deux filles débarquent dans la cuisine. Pas discrètes : je les entends venir de loin, leurs nudités à peine couvertes de peignoirs de bain défraîchis. Elles croient sans doute que je viens squatter, comme elles. Je leur annonce la couleur :
Cette assertion provoque leur hilarité.
De retour dans la maison après avoir défait et refait le monde jusqu’à la fermeture, je me choisis une chambre et souhaite bonne nuit à mes deux invitées. Le sommeil tarde à venir. Je décide de laisser ce couple de vagabondes habiter chez moi aussi longtemps qu’elles le voudront. De toute manière, l’endroit est largement assez vaste pour trois. Je dispose d’un pécule pour entamer les travaux de rénovation, mais je ne veux pas moderniser tout de suite cette maison. Tant pis pour l’inconfort et la vétusté.
Iris et Lilas ne sont pas trop pudiques. Sans que nous ayons à l’évoquer explicitement, c’est notre contrat : elles peuvent vivre ici gratuitement, et je peux à volonté m’émerveiller de leurs accouplements lesbiens. Parfois, elles mes permettent d’y participer. Pourtant, je suis loin de posséder leur vénusté adolescente. Nous nous apprivoisons toutes les trois. Cela ne fait pas un an qu’Iris et Lilas se sont rencontrées dans une gare, une nuit d’hiver.
Trois semaines passent. La neige commence à recouvrir les trottoirs. Bientôt Noël. Nous jouons à nous battre à coup de boules de neige comme des enfants. Nous partons randonner sur les sentiers environnants. Nous pique-niquons sous les pins. La région est entourée de forêts. La vie, légère comme un flocon qui se dépose sur le rebord de la fenêtre de ma chambre. Cependant, cela ne saurait durer : j’attends, avec un désespoir tranquille, que mon lourd passé vienne me rattraper.
* * *
Toute ma vie, j’ai rêvé d’un amour à la fois sincère et durable. Mais celui qui fut sincère ne dura pas, et celui qui dura ne s’avéra que fumées à la fois dérisoires et perverses.
Au cours de notre jeunesse, ma cousine Léa et moi avons été fusionnelles. Enfants, nous étions toujours ensemble, chez l’une ou chez l’autre, notamment dans cette maison qu’elle habitait à Ambert. Nous partagions mille et mille projets de vie commune. Rien ne semblait être en mesure d’entamer notre détermination à briser les deux interdits que nous enfreignions : cousines germaines et lesbiennes, cela faisait quand même beaucoup pour notre famille… C’est moi qui ai cédé en premier à l’injonction familiale, pour ne pas avoir le choix entre me retrouver dans un internat disciplinaire comme l’époque en comptait encore, ou bien à la rue.
Après un adieu déchirant à celle que j’aimais, j’ai épousé celui que mes parents m’ont, sinon imposé, du moins fortement suggéré : Pierre, à l’âge de vingt ans seulement ! Le jour du mariage, mon cœur a dit non pendant que mes lèvres de brave petite fille obéissante, mécaniquement, ont dit oui.
Pour mon père, Pierre était le gendre idéal : un grand bonhomme à la conversation brillante, muni d’une intelligence et d’un sens de l’humour peu commun, plutôt fortuné grâce à un solide sens des affaires, dix ans de plus que moi. Chaque jour et chaque nuit, il prétendait m’aimer à la folie, tout en collectionnant les maîtresses, de la lycéenne à peine formée à la mamie gâteuse. À chacun de mes anniversaires, à ceux de notre mariage, il m’offrait des cadeaux somptueux, bijoux, parfums et robes de haute couture. Mais c’était pour me montrer en public comme un trophée social, une marque de réussite, pour ses clients et ses associés. Son hochet de chair et de sang. Souvent, il m’embrassait en public, avec des mains baladeuses qui atteignaient des endroits indiscrets, tout en s’arrangeant pour qu’on nous voie. Voyez comme elle est belle : elle m’appartient, elle est mon trophée, elle est ma joie. Amour peut-être, mais amour tordu.
Toujours sourire au cours des repas de famille ou d’affaires, sauver la face, serrer les poings sous la table, cacher mes larmes, ma colère, mes blessures. Résister à la tentation de m’anesthésier dans l’alcool, la religion, ou autres paradis artificiels. Je n’ai pas su me défendre contre l’ennui d’une vie conjugale absolument terne. Nous n’avons jamais eu d’enfant, bien qu’il en voulût un. Je lui ai fait croire que nous étions un couple stérile. Il n’en était rien : je prenais la pilule en cachette. Pas question de permettre à cet individu de se reproduire. De toute manière, l’idée de procréer, de voir mon abdomen s’arrondir m’a toujours horrifiée.
Un soir, sur l’oreiller, après qu’il m’a redit que je comptais pour lui plus que tout au monde, je lui ai avoué que, de mon côté, je le haïssais totalement et que je ne manquerai pas l’occasion de le tuer. Il a éclaté de ce rire que j’ai toujours détesté. Il ne m’a pas cru. C’était pourtant la seule fois où j’ai été sincère avec lui. Dans l’obscurité, il n’a pas vu que je pleurais de rage en pensant au bonheur avec Léa dont il m’avait privée. Lui et ma famille.
Il est à la fois facile et difficile d’ôter la vie à un homme. Le geste est simple, mais combien est-il compliqué d’affronter le miroir, ensuite. C’est braver un tabou, certes, mais ne suis-je pas devenue une spécialiste dans ce domaine ? La première fois que j’ai essayé, nous étions en randonnée sur un sentier désert, en montagne. Il m’aurait été facile de le pousser dans le ravin, de prétendre à un accident. L’idée m’a travaillée durant toute notre marche, puis longtemps après. L’année suivante, nous étions à la mer. Comme je nage mieux que lui, j’aurais pu l’entraîner au large, puis le noyer, avant de prétendre que c’était un accident et que je n’ai pas pu le sauver. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Cela aurait été peut-être une mort trop facile, trop rapide, pour lui comme pour moi.
Pierre a toujours été passionné de vieilles voitures qu’il retapait méticuleusement après les avoir achetées à des propriétaires qui les avaient laissé rouiller au fond de leurs granges ou de leurs garages pendant des lustres. Concédons-lui qu’il avait des mains en or. Une fois qu’elles étaient restaurées, il mettait un point d’honneur à les entretenir lui-même, en y consacrant tous ses loisirs. Il participait fréquemment à des concentrations de passionnés comme lui. Le reste du temps, il avait toujours les mains plongées dans le cambouis. Comme il ne disposait pas d’un pont dans son atelier, il se servait d’un cric pour soulever son véhicule et ramper dessous. Un jour, il a crié depuis le dessous d’une Juva 4 des années 1950 :
Mais au lieu de lui donner l’objet qu’il demandé, j’ai d’abord fermé la porte donnant sur l’extérieur, afin d’éviter tout regard indiscret, puis j’ai rapidement retiré le cric, en quelques coups de manivelle. Ses derniers mots intelligibles ont été :
Écrasé par plus de sept cents kilos d’acier et de chrome, il a gémi plusieurs heures avant de succomber. Je voyais ses jambes, la seule partie de son corps qui dépassait, se convulser désespérément. Je me suis installée au volant, ajoutant mon poids à celui de la voiture, puis j’ai démarré le moteur afin de l’achever au moyen des gaz d’échappement. Pendant ce temps, j’ai relevé ma robe et je me suis caressée. J’ai ouvert la boîte à gants et j’y ai découvert un vibromasseur qui devait appartenir à l’une de ses maîtresses. J’ai repoussé ma culotte jusqu’au milieu de mes cuisses, mais comme elle me gênait, je l’ai enlevée complètement – elle était déjà trempée. J’ai posé mes pieds par-dessus le volant de bakélite. Malgré le bruit des quatre cylindres au ralenti, j’ai entendu distinctement les os craquer, l’un après l’autre. Pierre copulait avec sa voiture d’un coït inégal, chair contre acier, pénétration de pièces métalliques, et même éjaculation de l’huile de vidange dont il avait presque fini de dévisser le bouchon au moment fatal, afin de recevoir en lui, au creux de ses viscères, l’onction d’un sperme obscur, glouglou macabre, étreinte et fécondation automobile. Celle-ci a-t-elle joui d’un orgasme mécanique au moment du viol de son propriétaire ? Pour couvrir cette musique sinistre, j’ai allumé l’autoradio. Je voulais un air gai qui raconte une histoire drôle, et j’ai trouvé exactement ce que je cherchais : sur Radio Mélancolie, ils passaient les Chansons plus bifluorées, où il est question d’un homme supposé pleurer sa belle-mère au moment de l’enterrement, tout en s’en réjouissant intérieurement :
Ça fait un vide à la maison et zon zon zon
Sur ce refrain, je me suis masturbée, d’abord doucement, puis frénétiquement, pendant la lente agonie de mon époux détesté. Je n’avais même pas besoin de fantasmer : la situation présente y suffisait. La volupté, qui confinait à l’extase, a été à la hauteur de toutes ces années d’attente et de frustration. À moi la petite mort, à lui la grande : il a toujours réclamé la plus grosse part de gâteau. Pendant ce temps, avant de perdre connaissance, Pierre a eu le temps de me maudire cent fois auprès de tous les dieux de tous les Olympe du cosmos. Dans la boîte à gants, j’ai découvert également une bouteille de parfum féminin que j’ai vidée entre mes seins et sur ma vulve. Ces fragrances, mêlées à celles de l’atelier, m’ont procuré l’ivresse. J’ai pensé à ce moment que j’aurais volontiers fait subir le même sort à mes parents, si le crabe ne s’en était pas déjà chargé.
Quand j’ai été certaine que mon époux était déjà passé dans l’autre monde, j’ai composé le 15. Le médecin du SAMU a conclu à un accident dû à un cric mal positionné qui a glissé – juste avant l’arrivée de l’ambulance, j’ai eu la présence d’esprit de le remettre dans sa position haute, couché sur le côté de la voiture. Je me souviens du nom sur la blouse de l’urgentiste : docteur Charlie Rebelle, un jeune interne aux cheveux longs, assez féminin dans sa présentation. J’ai trouvé que ses gestes étaient suaves, et j’aurais bien tenté de le séduire, mais je n’ai pas osé, vu les circonstances. Il a vu la culotte mouillée sur le siège avant, mais il n’a pas commenté, pas plus que le parfum : après tout, une femme et son mari ont bien de droit de se livrer à une partie de jambes en l’air dans leur voiture ? Pendant que le médecin rédigeait son rapport, l’autoradio continuait à diffuser des chansons légères entrecoupées de publicités. Je n’écoute plus jamais la radio depuis ce jour. Souvent, par la suite, dans les moments de silence, j’ai eu l’impression d’entendre cet air qui me semble stupide et que je ne parviens pas à m’ôter de la tête.
Ça fait un vide à la maison et zon zon zon
Pour faire bonne mesure, j’ai fait semblant de pleurer, et je crois être une bonne actrice dans ce domaine, de sorte que le médecin m’a laissé une ordonnance avec deux boîtes de calmants, « pour m’aider à passer le cap », tout en me recommandant de ne pas faire de bêtise, car les sédatifs étaient fortement dosés, pour des cas pareils. Je n’ai jamais pris ces médicaments, mais ils m’accompagnent fidèlement depuis ce jour, dans mon sac à main. J’ai remarqué que Pierre, au corps effroyablement abîmé au point d’être méconnaissable, bandait toujours sous son bleu de travail. « Simple atteinte nerveuse due au traumatisme », m’a expliqué le docteur avant de recouvrir entièrement le corps d’une bâche. Le cadavre avait toujours les yeux ouverts. L’homme en blouse blanche s’est senti coupable de m’avoir laissé entrevoir la victime dans un tel état. Pour se faire pardonner, il m’a prescrit une troisième boîte.
Amis lecteurs, ne bricolez jamais sous votre voiture avec un cric, qui doit uniquement servir à changer une roue. Surtout si une femme qui vous hait se trouve dans les parages… Fin de la tragédie, rideau : dès le lendemain, je me suis assurée que la pauvre vieille Juva, jugée coupable à ma place, parte immédiatement à la casse pour y être broyée, afin d’expier la mort de son propriétaire. Crève, méchante auto ! Il fallait bien un bouc émissaire. Éviter les traces qui pourraient un jour s’avérer compromettantes, aussi… Je me souviens que c’était l’entreprise Albert qui s’en est occupée. L’employé s’est étonné que je veuille détruire une voiture ancienne aussi bien restaurée.
Il y avait quelque chose de jouissif à contempler la destruction de la voiture préférée de Pierre. Si l’employé de s’était pas trouvé à côté de moi à ce moment, j’en aurais profité pour m’adonner au plaisir solitaire pendant que les mâchoires du compacteur réduisaient la mécanique en une bouillie cubique. Même sans me toucher, j’ai ressenti, sous ma culotte, un violent spasme lorsque le pare-brise a explosé dans un fracas de verre. J’avais mis des lunettes de soleil pour que l’homme aux commandes de la machine ne voie pas mes yeux briller de joie.
Dès que j’ai pu, j’ai vendu l’ensemble des biens de notre couple, y compris la maison, et je suis partie dilapider mon pécule en voyageant autour du monde, en m’arrêtant dans les plus somptueux hôtels et en m’étourdissant de danse et de décibels dans les fêtes les plus folles, en compagnie de ce que la planète comptait de jeunesses dorées les plus insouciantes. J’ai rencontré des sirènes de vingt ans que l’argent rendait très accessibles à la caresse et au baiser. Les lèvres féminines se sont succédé au contact des miennes. Cinq ans plus tard, les vents m’ont emportée à Singapour où je logeais sous les toits d’un taudis infâme des faubourgs, n’ayant déjà plus d’argent, taraudée par la faim et sous la menace d’une expulsion.
Avec tous ces voyages, j’avais fini par apprendre à parler correctement l’anglais, du moins le pidgin que l’on comprend partout dans le monde. C’est ainsi que j’ai rencontré Jean dans le bar assez louche de Geyland road où j’avais mes habitudes. Des hommes endimanchés me tournaient autour, et je me disais que je n’allais pas tarder à tomber sous la coupe d’un proxénète, pour me retrouver à l’abattage dans l’un des nombreux bordels de cette ville où presque tout est interdit, sauf ça, sous les néons blafards d’Orchard Towers, un complexe surnommé « four floors of whores », les clubs privés de Cuppage Plaza que prisent les touristes japonais, ou Duxton road.
Jean était américaine – dans ce pays, c’est un prénom féminin. Elle avait accompagné Oliver, son mari, un ingénieur qui travaillait pour une multinationale. Jean voulait rentrer chez elle, en Californie, et détestait Oliver pour les mêmes raisons que j’avais haï Pierre : égoïstes et arrogants, infidèles et vicieux, les hommes n’avaient qu’à disparaître de la surface de la Terre. Jean et moi avons sympathisé. J’étais pour elle une inconnue, cependant elle parlait sans filtre et m’a raconté que son époux était un adepte de la pendaison érotique, une pratique aussi dangereuse qu’addictive, mais conduisant à de si fabuleux orgasmes qu’il ne voulait plus étreindre sa femme d’une manière normale.
Le lendemain, Jean m’a invitée à dîner chez elle, une belle villa sur les hauteurs, d’où l’on voyait passer les cargos dans la baie de Singapour. Elle était vêtue, pour l’occasion, d’une longue robe de soie noire, très fine et dos nu, surmontée d’une rivière de diamants. Elle devait avoir une trentaine d’années, permanente brune impeccable, parfumée, mais sans excès, svelte, élégante et perfectionnée. Pas une seule faute de goût dans la décoration du salon. À l’exception – mais elle ne pouvait pas savoir – d’une psyché qui me renvoyait mon image, dans mon champ de vision, ce que je ne pouvais pas supporter : je lui ai demandé de retourner cet objet, ce qu’elle a fait sans poser de question. Pour la seule fois de ma vie, j’ai goûté au caviar, ce qui me changeait de mon bol de riz assaisonné d’épices. Nous n’étions que toutes les deux, car Oliver se trouvait en déplacement professionnel ce soir-là – ou plus probablement, parti à la rencontre de l’une de ses maîtresses asiatiques, car il raffolait de leurs manières compliquées de faire l’amour. Jean avait également congédié tout son personnel de maison, préférant cuisiner, puis effectuer le service elle-même pour son invitée.
Pendant le repas, elle me regardait droit dans les yeux, continuellement. J’avais le sentiment d’être en face d’une personne aussi séduisante que perverse, et surtout, de mon image dans le miroir, quinze ans en arrière, à l’époque où Pierre m’affichait en société. Au cours de nos silences seulement meublés par le ronronnement de la climatisation, j’avais l’impression malsaine qu’elle lisait dans mes pensées. Le soleil, qui se couchait tous les jours à la même heure – Singapour se trouve sur la ligne de l’équateur – jetait sur elle des feux que l’on aurait dit du sang. Puis elle a allumé les bougies d’un candélabre doré. Ses sourires me troublaient… des manières félines… la chatte jouant avec sa proie… à la fois le désir et la peur… elle a posé sa main sur la mienne. Puis, d’un seul geste, elle a ôté la robe sous laquelle se sont révélées les dentelles noires de sa lingerie. Elle a gardé sur elle ses bijoux. La nuit s’est poursuivie à l’horizontale, dans un feu d’artifice d’effleurements saphiques, enlacées sur un épais tapis de Chine.
Quelques jours plus tard, nous nous sommes retrouvées à midi, dans un restaurant. Cette fois, la discussion a été directe. Jean m’a proposé de supprimer Oliver en échange de cinquante mille dollars américains. Marché conclu. J’étais prête à tous les risques pour sortir de la misère. Elle m’a invitée à me rendre en fin d’après-midi dans un hôtel, où elle me présenterait comme une prostituée spécialiste de la domination féminine : son cadeau pour leur anniversaire de mariage. Je devais satisfaire tous ses fantasmes, et je savais en particulier lequel. Les yeux du mari se sont allumés comme des phares dans la nuit. Aucun homme ne peut résister à cet appel du sexe. Surtout pas le fragile Oliver, si vulnérable dans sa virilité.
Le plan s’est déroulé comme prévu, aussi simple que brutal. Je n’ai eu besoin d’aucune arme, sinon mes charmes, sans même avoir besoin de me dévêtir pour lui. Je lui ai présenté la corde, il s’est mis à nu, à genoux, et m’a baisé les pieds avec dévotion. Puis, sur mon ordre, il est monté sur une chaise et s’est lui-même passé le nœud coulant autour du cou, bien ajusté, bien docilement. Je lui ai attaché les mains derrière son dos avec des menottes en prenant garde à ne pas toucher sa peau pour éviter de laisser des traces d’ADN. À ce moment, j’ai remarqué les empreintes du fouet sur son dos, dont certaines étaient récentes. Il était épilé avec soin et avait le gland transpercé d’un bijou d’argent, un Prince Albert, ainsi qu’un plug anal. Il s’attendait à ce que je le suce pendant que la lente pendaison priverait progressivement son cerveau d’oxygène, jusqu’à l’extase finale. Mais je ne l’ai même pas touché : en fait de fellation, j’ai donné un coup de pied dans la chaise, et ses pieds ont désespérément fouetté l’air jusqu’à s’immobiliser. La mort est survenue après quelques minutes d’agonie, et ne l’a pas privé de sa belle érection. Comme Pierre, cinq ans plus tôt. Il a éjaculé juste au moment de succomber, et la semence est tombée en pluie sur la moquette, goutte à goutte, alors que le corps se balançait encore, de plus en plus lentement. C’était la réalisation de son fantasme le plus puissant. Peut-être a-t-il cru, jusqu’à la fin, qu’il ne s’agissait que d’une séance de domination plus poussée que d’habitude, et qu’il allait s’en sortir ?
Jean assistait à la scène sans intervenir. Pourquoi m’a-t-elle payée si cher pour faire en sa présence ce qu’elle aurait pu aisément faire elle-même ? L’interdit du geste, certainement, accompagné d’un zeste de lâcheté. Facile et difficile à la fois… Suis-je donc un monstre pour oser franchir le pas, alors que les autres femmes restent sagement derrière la ligne rouge que la société leur a tracée ? Tu ne tueras point, rappelait la Bible ouverte sur la table de chevet (Exode, chapitre 20, verset 13), ouverte sur cette page par Jean qui avait le sens du détail.
Depuis la mort de Pierre, j’ai pris l’habitude d’éviter les miroirs, surtout la nuit. J’en ai peur. Même de mon reflet dans les vitrines, sur les pare-brise des voitures en stationnement. Dans les salles de bains des hôtels, je les recouvrais systématiquement de papier journal avant de prendre ma douche.
Devant le cadavre, nous nous sommes masturbées ensemble, couchées sur le lit, sur le dos, les jambes repliées, en nous tentant par la main. J’aimais son odeur naturelle de transpiration. Je chantonnais en français :
Ça fait un vide à la maison et zon zon zon
Jean s’en est étonnée ; elle m’a demandé de lui traduire les paroles dans sa langue, et nous avons ri ensemble, très longtemps. Nous étions toutes les deux ivres sans avoir rien bu. Peu avant l’aube, elle m’a donné mon argent sous la forme d’un sac de billets, et j’ai pris le premier avion pour Paris sans même passer récupérer mes affaires. Dans la nuit, la vénéneuse Jean m’avait chuchoté au creux de l’oreille, tout en glissant perversement une main dans ma culotte : ma chérie, reste encore un peu avec moi, j’ai envie de toi, de ta chatte avec un si joli buisson, de tes seins, de ton ventre, de tes cuisses. Je ne suis pas assez belle pour toi ? Elle m’a proposé de l’accompagner dans son jet privé sur une île secrète du Pacifique, le site d’un bordel lesbien dont elle était la maquerelle, où l’on vivait nue en permanence sous le soleil tropical, en compagnie de jeunes filles très belles que l’on pouvait consommer à volonté. J’aurais pu rester là aussi longtemps que je voudrais. Le paradis, moi qui méritais deux fois l’enfer ? Non, j’ai décliné. Elle aurait surtout profité du voyage pour se débarrasser de moi, témoin gênant, en me donnant à manger aux requins, après m’avoir poussée hors de l’avion…
Ce qui m’a le plus excitée, en dehors des attitudes lascives de Jean, c’était le fait que je risquais la peine de mort pour cet assassinat. Singapour ne plaisante pas avec les tueuses. On y exécute par pendaison. Plus de quarante personnes croupissent dans le couloir de la mort de la cité-État, d’après Amnesty International. Pourquoi pas moi ? Aurais-je l’hypocrisie de pleurer au cours mon exécution, après avoir pris la vie de deux hommes ? Cette idée m’a tenue éveillée pendant tout le vol, ou plutôt dans un rêve à demi conscient au cours duquel des gardiennes lesbiennes, après m’avoir infligé quelques tourments très impudiques durant toute ma détention, me passaient la corde au cou pour un gibet plus érotique que létal, devant un parterre de spectateurs parmi lesquels se trouvaient Pierre, Oliver, Jean, Léa, mes parents, mes frères et sœurs… sans oublier le docteur Charlie Rebelle, chargé de constater mon décès.
* * *
Nous sommes toutes les trois étendues sur le vieux canapé rempli de poussière, en face d’une bienfaisante flambée dans la cheminée, et la chaleur est si bienfaisante que nous nous effeuillons progressivement pendant mon récit, jusqu’à la nudité complète de chacune, distillant quelques caresses distraites sur un pied ou un sein. Il me semble revoir les scènes que je décris, avec un mélange d’excitation et d’horreur pour mon passé sanglant. Les deux filles, suspendues à mes lèvres, ne disent pas un mot.
Pourtant, le lendemain matin, les gendarmes viennent me chercher et me passent les menottes dans le dos ; celles-ci me font penser aux entraves dont je me suis servie avec Oliver. Je suis priée de m’asseoir sur une chaise, en face d’un bureau. La personne qui m’interroge est une femme, une adjudante prénommée Laure. Je la trouve jolie, même sanglée dans un uniforme. Elle doit avoir quarante ans, porte une alliance et une photo de ses enfants est encadrée sur son bureau.
Sans perdre de temps en présentations, elle me résume l’histoire que j’ai racontée la veille devant la cheminée. Pas de doute : Iris m’a dénoncée, mot pour mot, et son témoignage a été fidèle. Je ne vois pas Lilas dans le rôle de la délatrice. Pourquoi Iris a-t-elle voulu se débarrasser de moi : pour garder Lilas rien que pour elle ?
La belle adjudante n’aura pas si facilement raison de moi, car je nie tout en bloc. Difficile de prouver quoi que ce soit pour la mort de Pierre, près de six ans après. Quant à Oliver, Singapour est si loin… Elle dispose cependant de deux noms qu’il est possible d’exploiter : le docteur Charlie Rebelle, et l’entreprise Albert. Derrière la porte verrouillée, elle s’occupe elle-même de ma fouille intime, les mains gantées de latex, et semble y prendre un plaisir coquin, pendant que je me laisse faire. Je lui adresse un signe positif de la tête… oui, tout lui est permis !
Debout, complètement nue, les cuisses écartées, je lui souris pendant qu’elle se trouve derrière moi, assise sur une chaise, et que son index explore mon vagin où ne se trouve aucun couteau, aucun revolver, aucun sachet de stupéfiants, juste mon point G si sensible… Ensuite, mon anus : je me cambre pour mieux m’offrir, les fesses écartées ; je tressaille lorsque les doigts lubrifiés de vaseline effleurent ma rosette, testant vicieusement sa résistance, puis la transpercent et remontent lentement, phalange après phalange, aussi haut qu’ils le peuvent. Un doigt, puis deux, puis trois, pour mieux m’écarteler le petit trou si sensible. Je lui souris encore, et gémis, alors elle insiste et me caresse les seins en même temps, en mordant sa lèvre inférieure. Abuser sexuellement des gardées à vue fait-il partie de ses habitudes ? Soudain, elle relâche son emprise digitale, alors que je suis toute frémissante, au bord de la jouissance. Serait-elle en train de me torturer érotiquement afin de m’arracher des aveux ? Raconte-moi comment tu les as vraiment tués, murmure-t-elle. Je suis prête à me laisser entraîner très loin dans ce domaine. Nous avons tout notre temps, toutes les deux, dit-elle. Un meurtre de plus fera de toi une tueuse en série. Mais je saurai vaincre ta résistance. Mon arme sera ton plaisir. Sais-tu que l’orgasme féminin peut se faire effroyable ? Elle écarte mes grandes lèvres, examine mon clitoris : je l’adore, il est magnifique, gonflé comme ça : on dirait qu’il va éclater. Elle souffle dessus, puis l’agace avec son pouce, très doucement, et poursuit à voix blanche : ces aveux que tu ne veux pas me faire, je te les arracherai en même temps que tes larmes, en te faisant monter au septième ciel. Puis elle me force à me pencher sur ses genoux pour m’administrer une fessée, comme une maîtresse d’école à l’ancienne, un peu sadique, en claquant régulièrement et sans violence excessive, jusqu’à chauffer mon postérieur d’une manière très agréable.
Elle se lève et récupère des clés au fond d’une poche de son uniforme et ouvre un vestiaire pour en extraire un gode-ceinture dissimulé au fond. L’engin me fait frémir… Elle me remet les menottes aux poignets, derrière le dos, très serrées. Elle fixe sur ses hanches la verge artificielle que je suis priée de sucer à genoux, alors qu’elle se tient debout, ses mains derrière ma nuque, pour une cruelle irrumation, de plus en plus loin dans ma gorge, ce qui me donne des haut-le-cœur. Je dois ensuite me mettre à quatre pattes, position humiliante s’il en est – comme une chienne, dit-elle. Je dois lui lécher les rangers. Puis la femme de loi passe derrière moi, m’attrape par les hanches et me sodomise avec sa tige de plastique, dans un mélange de douceur et de fermeté que j’adore, jusqu’à l’orgasme anal. Elle plaque sa main sur ma bouche pour m’empêcher de crier sous le feu roulant de la jouissance qui parfois s’estompe, puis revient force, et semble ne jamais se terminer. Je crois que je vais sombrer dans la folie. Puis elle me retourne, je suis couchée sur le dos, elle s’allonge sur moi et pénètre mon vagin. Le cylindre s’enfonce si loin que l’explosion humide est très rapide, elle irradie tout mon ventre et mes cuisses, là aussi bâillonnée pour ne pas attirer l’attention. Laure insiste, y retourne encore et encore : elle veut m’entraîner jusqu’à l’extase. Mes jambes entourent son corps, mes pieds sur ses reins. Sa main me plaque au sol et m’étrangle. Je suis devenue son jouet sexuel dont elle abuse avec délectation. Mon pauvre cœur va lâcher de sensations trop intenses. Je crois que je vais mourir sous la luxure. Tout ceci est insensé.
Puisque je ne veux pas parler, Laure décide d’employer des moyens encore supérieurs. Il faut dire que je l’y encourage dans un murmure à son oreille : si vous voulez des aveux, il faudra me torturer plus cruellement que cela. Elle hoche la tête sans répondre, puis m’emmène, toujours entièrement nue et menottée dans le dos, vers un sous-sol aux murs lépreux, en traversant de longs couloirs où se trouve une enfilade interminable de portes ouvertes de bureaux. Il me semble que nous marchons sur des kilomètres et des kilomètres, en nous enfonçant toujours plus profondément. Cette gendarmerie est une immense fourmilière souterraine où chacune vaque à sa tâche dans un bruissement continu de claviers et de conversations. D’autres détenues vont et viennent, toujours menottées et entièrement nues, accompagnées de femmes gendarmes en uniformes. Parfois, nous passons devant une salle d’interrogatoire où les suspectes sont fouettées, suspendues au plafond par les poignets ou les pieds. On entend de loin siffler les lanières de cuir, les cris des suppliciées. J’ai envie de m’arrêter là afin d’y être flagellée, mais Laure m’oblige à marcher encore, nous enfonçant toujours plus profondément dans les strates du pandémonium.
De temps en temps, Laure s’arrête et raconte mon parcours criminel à quelques-unes de ses collègues. Pendant le récit, certaines prennent la liberté de me tripoter, ce qu’elles semblent trouver très drôle. Puis nous reprenons notre marche. Nous arrivons dans une petite salle dont la porte d’entrée porte la pancarte : sévérité maximum. Je ressens un certain orgueil en franchissant le seuil : le pire m’est réservé. Une autre femme gendarme nous y attend ; elle porte une blouse blanche de doctoresse. Sa silhouette est celle de Charlie Rebelle, mais avec un visage de jeune fille et un regard extraordinaire de douceur et d’innocence. Souriante, elle me souhaite la bienvenue dans son domaine, me dit qu’elle se prénomme Charline, qu’elle est chargée de me torturer afin de me force à avouer mes crimes, et que je serais bien avisée de parler, sous peine de subir l’enfer. Je dois m’allonger sur sa table d’interrogatoire, dont la partie destinée à soutenir les jambes est séparée en deux, en forme de Y. Je lui réponds je ne demande pas mieux que de subir les pires outrages, mais que je ne parlerai pas, quitte à mourir durant le supplice. Laure me libère de mes menottes. Je me positionne à l’horizontale comme demandé, et Charline m’attache, non seulement par poignets et chevilles, mais aussi les épaules et les cuisses par de larges sangles qui, heureusement, sont confortables. Je ne peux plus bouger du tout. Charline me demande aimablement si je suis prête, et je lui réponds que oui.
Alors je me rends compte que le plafond est recouvert d’un vaste miroir qui renvoie l’image d’une tueuse soumise à l’enfer d’un interrogatoire particulièrement sévère. Pour la première fois depuis la mort de Pierre, cette vue de mon propre corps me fascine : il me faut souffrir pour expier. Je parviens même à croiser mon propre regard. Mais j’ai eu tort, car celui-ci m’accuse et me condamne à endurer la géhenne jusqu’à la fin des temps. Cette fois, je suis confrontée à l’horreur de mon crime. Ce gouffre l’attire et m’effraie en même temps. Ce qui t’arrive, tu l’as bien mérité, me souffle Laure à l’oreille. Elle a raison. Ma vulve est gorgée de sang et mes nymphes sont comme le bec d’un oiseau qui pépie pour réclamer encore plus de luxure.
Laure et Charline s’emploient à me chatouiller sur toute la surface de ma peau, particulièrement sur la plante de mes pieds, sur les côtés de mon abdomen et sur les aisselles, ce qui m’arrache d’énormes hurlements de rire et me laisse au bord de l’évanouissement. Puis la doctoresse prend un vibromasseur à grosse boule et stimule mon clitoris à la puissance maximum. Elle emploie également un engin à piston qui me pénètre en même temps dans les deux orifices, profondément. En tournant un potentiomètre, elle augmente progressivement le rythme des godemichés, jusqu’à me causer d’insupportables orgasmes en rafales, sans cesser le chatouillement des pieds. Pendant cela, Laure observe la scène, abaisse son pantalon et sa culotte, se masturbe avec un autre jouet sexuel que lui donne Charline, et se procure des jouissances sadiques, sans me quitter du regard. Je lui offre volontiers tout ce que je subis. D’autres femmes gendarmes viennent la rejoindre et procèdent de même, assises sur des chaises disposées sur le pourtour de la table.
Charline ouvre sa blouse sous laquelle elle est nue, me montrant qu’elle est une transsexuelle avec des génitoires d’homme. Je trouve le phallus élégant : long et fin, au gland sphérique écarlate et baveux de rosée claire ; je le veux en moi, vite. Elle me dit qu’avant de changer de sexe, elle s’appelait Charlie et travaillait au SAMU. Puis elle se met à genoux sur la table, les chevilles sur mes épaules et les mollets autour de mon visage, elle m’attrape par les cheveux et fourre sa verge, dont j’aime le parfum génital, au plus profond de ma gorge pour une fellation qui se termine par une copieuse éjaculation dans ma bouche, d’un sperme onctueux et salé que j’avale sans rien en perdre. Avant de perdre connaissance, ma dernière pensée consiste à remercier mes bourreaux de s’occuper si bien de moi.
Pendant la fouille intégrale qui n’aura duré que cinq minutes, comme l’indique la pendule murale, j’ai rêvé cette scène, sans dormir. Laure ne m’a touchée qu’au strict minimum, très professionnellement. Par contre, j’ai réellement joui de la présence de ces doigts dans mon intimité qui reste humide. La femme gendarme est toute rouge, troublée.
Je suis autorisée à remettre mes vêtements, à l’exception de mes lacets et de la ceinture de mon pantalon, au cas où il me prendrait l’idée de me pendre, comme Oliver ! Me voici en cellule pendant que Laure téléphone à l’hôpital pour tenter de le joindre le médecin, dans le but de savoir si le décès de Pierre lui a semblé suspect. Je ne saurai pas ce qu’il raconte à la femme gendarme. Peut-être, après tout ce temps, se souvient-il de la culotte sur le siège conducteur, ou bien de l’autoradio qui continuait à fonctionner ? S’est-il endurci à rencontrer la mort lors de ses interventions ? Mes regards, mon attitude lui ont-ils semblé déplacés ? Je me souviens de cet homme fluet aux gestes suaves. Il est le seul mâle dont j’ai eu envie. Souvent, j’ai rêvé d’un amant qui soit la synthèse des deux genres. Une heure plus tard, de retour dans le bureau pour un nouvel interrogatoire, j’entends Laure m’annoncer :
Devant elle, je remets rapidement ma ceinture et les lacets de mes chaussures. Juste au moment où j’allais partir, elle ajoute :
Il me faut une bonne demi-heure de marche jusqu’à la maison, dans la neige. Mais cette fraîcheur de la traverse, le vent d’ouest qui souffle ici, est bienfaisante sur mon visage après ces heures d’enfermement. Dès que je suis dehors, je téléphone à Lilas pour lui annoncer la bonne nouvelle. Lorsque je suis enfin rentrée, Iris, qui ne tenait pas à affronter mon regard, a déjà fait son sac. Elle est partie brutalement, sans même un mot d’adieu. Lilas me paraît affectée par ce départ soudain. Mais après quelques larmes, elle hausse les épaules, et dit en me prenant dans ses bras :
Bouche à bouche, nous nous étreignons tendrement dans le vieux canapé de velours gris. Nos vêtements s’envolent et s’éparpillent autour de nos corps enchevêtrés. Le sien est brûlant… Ainsi commence notre vie à deux dans la vieille maison délabrée d’Ambert dont les murs craquent à chaque changement de température.
* * *
Toute ma vie, j’ai rêvé que les aiguilles de l’horloge de la vie se mettent à tourner à l’envers. Aujourd’hui, cela se produit : trente ans après, j’ai retrouvé Léa dans le corps de Lilas !
Je lui montre une photo de Léa à l’âge actuel de Lilas. La seule qu’il me reste d’elle. La ressemblance est troublante.
* * *
Quelquefois, dans cette maison, m’a confié Lilas, elle entend des fantômes. En particulier, celui de sa maman, un être doux et tendre jusque par-delà la mort. Une ombre bienfaitrice. Il n’en est pas de même pour moi.
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Ce vers d’Hugo m’a toujours accompagné depuis la mort de Pierre, comme les calmants que je ne prends jamais. Il arrive qu’il vienne me rendre visite, pour me tourmenter. De plus en plus souvent, ces derniers jours. Une nuit, alors que je ne parviens pas à trouver le sommeil et que l’innocente Lilas dort à côté de moi, je me lève, car je m’aperçois que j’ai très soif. Dès que je suis debout, je me regarde dans le miroir de notre chambre, éclairée par la faible lueur orangée d’un réverbère à travers les volets. Cette vision m’hypnotise. Je retire mon pyjama et observe mon corps dénudé. Le désir me prend soudainement ; je commence à me caresser et la volupté me saisit avec une violence inattendue. Pendant ce temps, Pierre s’avance derrière moi : je le vois distinctement, la face esquintée par l’« accident de cric». Il m’ordonne de prendre tous les cachets qui se trouvent dans les trois boîtes. Immédiatement, en une seule fois. Je ne peux pas résister à son ordre. Un à un, les pilules blanches tombent de leur emballage de plastique sur le drap, comme de la neige. J’en attrape une première poignée que je porte à ma bouche, puis une seconde, et une autre, jusqu’à l’évanouissement. Pierre sourit. Il semble satisfait de sa vengeance.
En réalité, aucun miroir ne se trouve dans notre chambre. Le radio-réveil, réglé par erreur sur trois heures quatorze – l’heure pi – m’extrait de ce cauchemar. Il est réglé sur Radio Mélancolie, qui passe la chanson :
Ça fait un vide à la maison et zon zon zon
Je vérifie que les boîtes de sédatifs sont toujours intactes. Il faut toute la tendresse des bras de Lilas pour effacer en moi le trouble de ce mauvais rêve si réaliste.
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Bibliographie :
Sur la prostitution à Singapour : https ://paris-singapore.com/lieux-prostitution-singapour
Sur la peine de mort à Singapour : https ://fr.wikipedia.org/wiki/Peine_de_mort_%C3%A0_Singapour
Chanson Plus Bifluoree — L’enterrement de belle maman : https ://www.youtube.com/watch ?v=z1OmBJXuUwY