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n° 19803Fiche technique14886 caractères14886
Temps de lecture estimé : 10 mn
14/09/20
Résumé:  Quand la sexualité s'éveille à cinquante ans.
Critères:  f h collègues cérébral fmast hmast -initiat
Auteur : Calpurnia            Envoi mini-message
L'étrange cadeau de Gladys

C’est un samedi, vers midi, que Gladys découvre le colis dans sa boîte aux lettres. Comme elle n’a rien commandé récemment, elle se dit que cela doit être une erreur de distribution. Pourtant, le nom et l’adresse sont exacts, alors, pendant que les pâtes cuisent sur le gaz, assise à la table de sa cuisine, elle défait l’emballage à côté de son assiette solitaire. Les ciseaux tranchent le ruban adhésif. Elle a toujours agi soigneusement. Des balles de polystyrène protègent le précieux chargement. D’abord, elle ne comprend pas à quoi peut servir l’objet qu’elle a reçu. Une petite carte mentionne :


« Avec les compliments de Nathalie. »


Quelle est cette Nathalie ? Gladys a cinquante ans. Beaucoup de femmes de son âge portent ce prénom, à cause de la chanson de Gilbert Bécaud sortie en 1970, au titre éponyme. Rien qu’à son travail, où elle est secrétaire dans une compagnie d’assurances, elle en connaît trois.


Au dos de la carte, un schéma assez sommaire explique l’usage de cette chose dont une partie possède une forme phallique et une autre ressemble à une ceinture munie de sangles en cuir. Il faut porter l’accessoire sur les hanches. Gladys essaie. Elle l’installe par-dessus son jean, ajuste les attaches. Puis elle se regarde dans le grand miroir de sa chambre. La voilà transformée en un mâle à la verge artificielle.


En observant son image dans la glace, Gladys se trouve ridicule. Elle hausse les épaules. Est-ce une blague graveleuse qu’un collègue lui aura faite pour se payer sa tête avec les autres, au moment du café entre hommes ? Mais alors, pourquoi ce prénom de Nathalie ? Pour mieux brouiller les pistes ?


Les coquillettes sont déjà trop cuites. Le premier réflexe de Gladys est de retirer cet engin encombrant, mais elle se ravise. Après tout, comme elle vit seule, elle peut bien le garder le temps d’un repas. Le phallus de silicone lui procure une étrange sensation, comme un organe véritable qu’elle se serait greffé. Comment font les messieurs pour supporter en permanence un appendice de chair si encombrant entre leurs jambes ?


Pendant qu’elle déjeune, une idée lui traverse l’esprit : depuis quand n’a-t-elle pas eu de relation sexuelle ? Trente ans ? Peut-être plus ? Oui, trente-deux ans, avec une fille prénommée… justement… Nathalie ! Une copine de lycée. Cette nuit-là de printemps où toutes les joies amoureuses semblaient à portée de cœur, elle a découvert qu’elle préférait les filles. Mais l’aventure s’est avérée sans lendemain, car la belle n’a pas tardé à s’envoler vers d’autres bras. Depuis, plus rien. Gladys a attendu la rencontre décisive, et attendu encore. Repoussé tellement d’avances qu’elle a cessé de compter combien. Acheté seule un deux-pièces en banlieue, à crédit. Vécu là depuis son embauche dans la seule société qu’elle a connue et toujours servie fidèlement.


Soudain, son cœur se serre. Elle n’a pas vraiment choisi cette vie de solitude. Le destin, contre lequel elle n’a jamais tenté de lutter, a décidé pour elle. Les Parques sont cruelles. La promesse du printemps de ses dix-huit ans : trahie. Tout à coup, les pâtes au parmesan prennent le goût de la cendre. Elle repousse son assiette, et regarde l’écriture de la carte : avec les compliments de Nathalie. Une mauvaise farce, vraiment ? L’écriture est bien celle d’une femme, ronde et régulière. Puis ses yeux s’abaissent et tombent sur le godemiché qu’elle porte en ceinture. Son érection est permanente. Elle le touche du bout des doigts, et perçoit comme une sensation électrique. Comme si l’objet avait intégré sa chair. Impossible. Elle ferme les yeux, pense qu’elle va bientôt se réveiller de ce rêve bizarrement érotique, avec son sexe intouché depuis tant d’années.


Comment font les hommes avec leur virilité ? Il paraît qu’ils se masturbent souvent. Elle a déjà surpris des conversations sur ce thème. Elle, par contre, n’a jamais pratiqué le plaisir solitaire. Son clitoris s’est comme éteint de n’avoir jamais servi. Le fruit peut-il pourrir sur l’arbre, faute d’être cueilli ? Gladys croque sa pomme à la hâte, et, pour la première fois dans une vie rangée, renonce à faire immédiatement la vaisselle. Elle retourne dans la chambre, se regarde à nouveau dans le miroir. Cette fois, ce sont ses vêtements qui lui paraissent ridicules. Un garçon qui expose ses génitoires se doit d’être complètement nu, comme les dieux grecs sur les sculptures antiques, Héraclès combattant le lion de Némée. Si elle défait la ceinture, c’est pour la remettre aussitôt après avoir déposé tous ses habits sur le lit.


Ce nouveau corps hermaphrodite lui plaît. Du masculin mêlé au féminin. Elle se souvient de ses rêves d’adolescente : elle désirait changer de sexe. Ne serait-ce que pour ne plus souffrir de ses menstruations. Pénétrer comme un garçon dans le ventre des filles. Et aussi pour gagner autant que ses collègues masculins. Elle a toujours eu l’impression d’être regardée comme la godiche du bureau. Asociale. Ignorante des fièvres du sexe et de l’amour. Toujours pucelle à cinquante ans, si l’on néglige une furtive aventure lesbienne de lycéenne qui s’est limitée à de vagues attouchements lors d’une unique soirée câline. Incapable de s’offrir sexuellement, pendant que d’autres multiplient les aventures et passent de bras en bras – ou bien se vantent au restaurant d’entreprise, allez savoir. Lorsqu’elle entend des témoignages d’ébats torrides, elle se tait. Cela ne l’a jamais fait rire, même lorsque l’hilarité se fait grégaire autour d’une tablée, pour souder le groupe autour d’histoires obscènes, vraies ou pas. Un jour, une psychologue scolaire lui a dit qu’elle était surdouée. Pour la logique et la mémoire, peut-être. Mais dans le domaine de la relation amoureuse, elle serait plutôt handicapée.


Une image longtemps refoulée lui revient soudain en mémoire : un jour, pendant la pause de midi, elle a surpris un chef de service en train de se masturber dans son bureau, tout en regardant du porno sur l’écran de l’ordinateur. La porte n’était pas complètement refermée. Gladys a glissé un regard par l’entrebâillement. Elle l’a vu de profil. Moins d’une minute, de crainte d’être surprise en train d’espionner. Elle a vu le pénis émergé de la braguette et trituré d’une main. Le sexe lui a paru démesuré. Anormalement gros peut-être ? Elle s’est demandé comment il pouvait pénétrer complètement dans un vagin. Sur cette pensée, elle a ressenti un spasme dans son bas-ventre. Puis elle a détourné ses yeux innocents, et s’est réfugiée dans son bureau pour pleurer. Elle, pénétrée par un homme ? Jamais !


À l’époque, elle devait avoir aux alentours de trente ans. C’était sa seule confrontation avec le membre mâle. Elle se souvient qu’il se prénommait Didier. Il a pris sa retraite cinq ans plus tard. Le jour du pot de départ, il l’a regardée bizarrement. Comme s’il s’était rendu compte qu’elle avait espionné, et qu’il s’en souvenait. Comme si, loin de le lui reprocher, il avait aimé cela : s’exhiber devant une femme. Elle en a éprouvé un frisson. Didier était marié et son épouse était présente. Gladys se dit qu’elle aurait pu devenir sa maîtresse. Il lui aurait suffi d’un regard complice. Sa vie aurait pu basculer en une fraction de seconde. Se découvrir bisexuelle. Peut-être se révéler heureuse avec lui, enfanter d’un petit être à bercer, à chérir ? Durant ce laps de temps, elle avait imaginé la verge épaisse et longue de Didier fouiller à l’intérieur de son intimité. Il l’aurait transpercée, dépucelée. Il se serait déversé en elle. Peut-être jouir à cause de cela ? Elle a rouvert ses yeux, et la parenthèse onirique s’est refermée. Didier, un instant troublé lui aussi, est retourné aux côtés de sa femme. Il trouvera peut-être une autre occasion d’être infidèle. Quant à Gladys, elle s’est dépêchée d’oublier l’incident, pour revenir à sa vie chaste et solitaire.


Tout en évoquant ces souvenirs, ses doigts frôlent le membre artificiel. Comment disent les gars ? « Se branler ». « Se palucher ». « S’astiquer ». Comme un nettoyage hygiénique. Purger le radiateur quand il gargouille. Le smartphone à portée de main, Gladys saisit dans Google « masturbation masculine ». Elle frissonne. Elle a l’impression de braver un interdit. Elle choisit : vidéos, pour explorer un monde qui lui reste inconnu. Tout de suite, une explosion d’images. Elle veut de l’explicite, alors elle ajoute dans sa requête : « porno ». Le déferlement obscène arrive. Elle apprend. Elle imite en se léchant les lèvres, renversée en arrière, les pieds posés sur la table. Depuis l’école, elle a toujours été douée pour assimiler rapidement des notions nouvelles.


L’incroyable se produit : la verge de silicone lui procure des sensations comme si elle était de vraie chair. La cause réside dans le fait que la base du godemiché repose juste au-dessus du capuchon du clitoris et que, sans s’en douter, Gladys est une femme extrêmement réactive à l’attouchement. Non, la petite colline des joies n’est pas morte d’avoir été si longtemps négligée. La belle au bois dormant s’éveille enfin.


Renonçant à sa promenade du dimanche, Gladys reste chez elle, nue durant tout le week-end, seulement revêtue de son membre artificiel. Elle ne dort presque pas, regarde des pornos de toutes sortes, y compris les plus sordides, et se masturbe avec frénésie, dans toutes les pièces de son appartement, mais la plupart du temps, debout devant son miroir. Elle apprivoise son nouveau corps. Elle comprend qu’elle a cinquante ans de retard à rattraper. Devant sa glace, elle découvre aussi sa sensibilité mammaire au frôlement des globes comme à la stimulation des aréoles et au pincement des tétons. Elle se surprend à imaginer ses collègues des deux sexes dans leur nudité érotique. Elle voudrait copuler avec la terre entière.


Son lit est celui dont elle a hérité de ses parents. Les quatre montants décoratifs se détachent et ont une forme phallique. Ce détail lui saute aux yeux, alors qu’elle ne l’avait jamais remarqué auparavant. Couchée à plat ventre sur le plaid, Gladys en saisit un, le lubrifie de salive et se l’enfonce lentement dans l’anus, ouverte comme un giton soumis à l’appétit d’un pédéraste, enculé pour la première fois. Elle boit cette image ans le miroir, et se trouve délicieusement « cochonne ». Ce seul mot résonne dans sa tête et provoque ses délices. Juste avant, elle s’est administré un lavement. Sa rosette écartelée lui fait mal, ce qui l’oblige à ralentir son geste, à reculer sa main, puis avancer millimètre par millimètre, mais elle serre les dents et ne renonce pas. Elle veut un orgasme anal. À force d’insister, elle finit par l’obtenir et mord l’oreiller en gémissant. De son vagin s’écoule une mouille abondante, qu’elle lape à quatre pattes, tout en fantasmant qu’un public soit là pour la regarder. Elle voudrait qu’on l’applaudisse pour cette pornographie.


Elle changerait bien de métier, pour devenir une « hardeuse » qui accepterait tous les scénarii, jusqu’à l’extrême – gang-bangs, pénétrations multiples, soumission à de réels sévices infligés de préférence par des femmes sadiques – tout en reconnaissant qu’avec les cheveux blancs et les rides discrètes que son âge commence à lui infliger, cette reconversion risquerait de s’avérer difficile. Ou bien, se prostituer, enchaîner des passes avec des inconnus dans des chambres d’hôtel immondes puant le stupre et la sueur. Devenir l’esclave sexuelle d’une maquerelle exigeante qui s’octroierait pour elle seule les ébats lesbiens les plus torrides. Les fantasmes se déchaînent dans sa tête en ébullition.


En attendant, elle achète des jouets coquins en ligne, vibromasseurs, boules de Geisha… Livraison rapide et discrète. Orgasmes garantis, ou remboursés. Elle se sent frustrée de ne pas en disposer immédiatement. Sa brosse à dents électrique y pallie, glissée sous le gode-ceinture, et même insérée dans le vagin grâce à un hymen complaisant qu’elle prend garde à ne pas déchirer, couchée sur son lit, les cuisses écartées au maximum. L’appareil touche le point G. La jouissance lui arrache des cris. Les pieds balaient l’espace de la chambre. Là encore, elle boit sa propre image.


Le lundi matin, Gladys se maquille avec un soin inhabituel, afin de masquer les cernes que le manque de sommeil dessine sous ses yeux. Elle prend sa douche avec le gode-ceinture, et enfile sa culotte et sa robe sans ôter l’accessoire. Elle boucle un ceinturon autour de sa taille. Devant le miroir, elle se rassure sur le fait que l’engin est suffisamment souple pour rester discret sous les vêtements.


Elle attend le bus, bien décidée à découvrir qui est celle qui lui a offert ce cadeau, en comptant la remercier d’une manière assez sensuelle. Pour cela, elle élabore des plans. Faire le tour des bureaux afin de discuter discrètement avec toutes celles qui portent ce prénom. Détecter la bonne personne au cours de la conversation. Lui montrer le gode en soulevant sa robe. Trouver un endroit discret pour faire l’amour. Par exemple, la pièce sans fenêtre où sont stockées les archives, et dont elle seule détient la clé. Porter ses lèvres à cette Nathalie mystérieuse. Et puis la pénétrer… vaginalement ? Ou bien la sodomiser. L’orgasme anal est merveilleux. En deux jours, l’ingénue a tout appris des pratiques et des positions sexuelles.


Gladys se sent seule au milieu de la foule qui lui paraît hostile dans son indifférence. Maintenant, elle a peur qu’on remarque l’organe qu’elle s’est greffé entre les jambes. Elle envisage de rentrer chez elle pour le retirer. Mais trop tard : l’autobus arrive, bondé. Avec les gens serrés debout les uns contre les autres, le risque sera maximum. Ce défi la stimule. Elle espère seulement ne pas se retrouver coincée contre un pervers, mais plutôt contre une belle sirène. La vague humaine la porte et l’entraîne dans le couloir central, vers le fond du véhicule.


Odeurs de savon, parfums de fauve des mal-lavés, tout cela mêlé, mixé, secoué dans les virages, aux arrêts. Chacun et chacune est plongé dans son téléphone, dans un demi-silence glaçant. Elle se souvient qu’avant, le bruit des conversations la berçait ; grâce à son ouïe fine, elle en attrapait une au hasard et se délectait jusqu’au soir de paroles volées à des inconnus, aussi quotidiennes et nécessaires que la nourriture. « Elle a eu son bac à la repêche », « il a retrouvé le chat qu’il avait perdu hier » « elle n’a pas voulu entrer en maison de retraite, que vais-je faire de ma mère ? ». Et parfois, avec de la chance, un jeune couple entre deux longs baisers : « je t’aime tellement, tu ne veux pas qu’on se prenne un appart’ tous les deux, ensemble ? ». Sans doute est-ce cela qu’ils se textent, se mailent et se tweetent dans un tourbillon numérique et le ronronnement du moteur ; mais elle ne peut pas lire par-dessus les épaules. Dommage.


La porte du bâtiment de son employeur avale sa silhouette frêle. Va-t-elle enfin rencontrer la Nathalie qui lui a offert son fabuleux cadeau ?