L’homme élégant, en costume trois-pièces, grand, mince et élancé, sonna à la porte du petit pavillon. Une petite bonne femme d’une quarantaine d’années entrouvrit la porte en maugréant :
- — Je n’ai besoin de rien…
- — Mais si, Madame, de moi. Hubert Chodar, huissier de justice. Madame Martin ?
- — Euh… Oui, oui…
- — Puis-je entrer ? demanda-t-il avec une visible insistance.
- — Bien sûr, souffla-t-elle en s’effaçant, soudain décomposée.
Ça devait arriver un jour, le jour était venu. Sauf que Solange Martin ne s’attendait pas à cela. Elle avait imaginé un petit bonhomme bedonnant et suant, avec des lunettes et un imperméable noir, au regard libidineux, et pas ce grand type bronzé au crâne rasé, au regard d’acier bleuté, perçant comme un laser. Elle le suivit dans le living, traînant un peu la savate, comme si soudain le couvercle de l’EPR de Flamanville lui était tombé sur les épaules. Le grand bonhomme jeta un coup d’œil circulaire, dans lequel on devinait que déjà les objets à saisir étaient scannés. Il éteignit d’autorité l’immense téléviseur qui vantait une merveille pour découper les radis en forme de fleur et posa sa serviette sur la table du salon, très design, et prit place sur une chaise assortie.
- — Asseyez-vous, je vous en prie, murmura Solange à retardement en prenant place face à lui.
- — Madame Martin, je serai direct et sans détour. Vous devinez la raison de ma visite ?
- — Je… je crois, oui. J’ai… j’ai perdu mon emploi il y a six mois, vous savez et…
- — Oui, je sais. Il y a des milliers de gens qui perdent leur emploi en ce moment, vous savez ? Mais tous ne reçoivent pas la visite d’un huissier.
- — Ben oui, mais… j’ai deux enfants, c’est très dur…
- — On peut avoir des passages difficiles dans la vie, je le conçois. Mais là, Madame Martin, vous dépassez les limites. Nous frôlons les quinze mille euros de dettes !
- — Tout… tout ça ? C’est… c’est momentané, on va rembourser.
- — Rembourser ? Mais comment, Madame Martin ?
- — Je… je ne sais pas, un peu chaque mois.
- — Un peu chaque mois. Combien dites-moi ?
- — Je ne sais pas, cent euros…
- — Cent euros ? Madame Martin, cent euros pour quinze mille, ça va nous faire combien de mois, hein ?
- — …
- — Cent cinquante mois, Madame Martin, douze ans et demi sans compter les intérêts et les pénalités de retard. Vous vous moquez du monde, Madame Martin ! Vous croyez que votre propriétaire va attendre quinze ans pour toucher ses loyers ? Eh bien non, Madame Martin. Nous sommes fin février et au 31 mars je vous expulse. Ce qui ne réglera pas vos dettes pour autant, mais ça vous fera réfléchir, peut-être.
- — Oh non, s’il vous plaît, par pitié, ce n’est pas possible…
- — Madame Martin, il fallait peut-être y penser plus tôt. Depuis six mois, en effet, date à laquelle vous avez perdu votre emploi, vous avez subi une baisse de revenu, c’est certain. Mais vous percevez une allocation pour perte d’emploi, n’est-ce pas ?
- — Oui, c’est vrai…
- — Allocation qui, normalement, aurait dû vous éviter la catastrophe que vous vivez en ce moment, n’est-ce pas ?
- — Euh… Je ne sais pas, oui, peut-être…
- — Pas peut-être, mais certainement, Madame Martin. D’autant que vous auriez dû faire des économies sur les déplacements professionnels, non ?
- — Justement, ma voiture est tombée en panne et…
- — Je sais Madame Martin, j’ai aussi la facture impayée du garagiste. Qu’avez-vous fait pendant ces six mois, Madame Martin ? Vautrée sur le canapé à vous faire des envies en regardant cet attrape-couillon et en vous bourrant de sucreries ? C’est ça ?
- — N… non, enfin oui, un peu, parfois… Mais j’ai refait toute la déco aussi. Ça plaît beaucoup aux enfants et à mon mari…
- — Votre mari, parlons-en justement. Il a un bon salaire, je crois ? Combien ?
- — Deux mille trois, deux mille quatre, environ.
- — Bien, voilà peut-être une solution. Je ne peux pas saisir votre allocation chômage, mais son salaire, si. À mille euros par mois, on doit pouvoir négocier la dette et vous en serez débarrassée en moins d’un an et demi.
- — Oh non, je vous en supplie… Il… Ce serait un cas de divorce…
- — Mais enfin, Madame Martin. Il faudrait peut-être réfléchir avant de faire n’importe quoi. Dites-moi, serait-ce que Monsieur Martin n’est pas au courant ?
- — Non… (et elle se met à sangloter). Il ne s’occupe pas des comptes, il n’aime pas ça…
- — Ah non, Madame Martin, ne me faites pas le coup du gros chagrin, vous devinez que ça ne marche pas, mais pas du tout avec moi. Ça a même le don de me mettre en colère, pour tout vous dire.
Pendant que Solange essayait de ravaler ses larmes, l’huissier tira son mobile de sa poche et composa un numéro.
- — Allô ? Cabinet de Monsieur le Juge Grivois ? Oui, bonjour Madame. Pourriez-vous me passer Monsieur le Juge, s’il vous plaît ? … Oui, j’attends un instant… Allô Grivois ? Chodar à l’appareil… Très bien et vous-même ? … Dites-moi, pourriez-vous m’établir un ordre d’expulsion pour un locataire indélicat qui ne paye pas ses loyers ? … Oui, je sais, la trêve hivernale. Mais il suffit de le dater du premier avril, comme le poisson… C’est ça… D’ici là je le garde sur mon bureau et je mets tout en branle le 31… Oui, voilà… Tout à fait… Je vous donne le nom et l’adresse : Monsieur et Madame Martin, 16 allée des Émouchets… Voilà… Merci… à très bientôt.
Pendant la communication, Solange était passée par toutes les couleurs du désespoir, blêmissant d’abord, s’empourprant ensuite, pleurant de nouveau à gros bouillons et tremblant de tous ses membres. Dès qu’il eut terminé, elle se jeta à genoux devant l’huissier.
- — Par pitié, Monsieur, ne nous jetez pas à la rue. Faites-moi ce que vous voulez, mais laissez mes enfants et mon mari en dehors de tout ça. Je vous en conjure…
- — Hélas, Madame Martin. Je ne suis ni Dieu ni le pape, inutile de m’implorer. Je fais mon métier, un point c’est tout.
C’est à ce moment précis que la sonnette tinta de nouveau. La pauvre femme tamponna ses yeux et trottina jusqu’à la porte.
- — Ah oui, d’accord… Attendez un instant, je vais chercher l’autre caisse…
L’officier public vit passer sa victime dans un sens, puis dans l’autre chargée d’une grande caisse blanche et bleue, et revenir enfin avec un livreur chargé d’une caisse identique, marquée « Bouffengel », qu’il posa sur la table sans se soucier ni de l’huissier ni des papiers étalés.
- — Voilà la facture, déclara-t-il. On m’a bien recommandé de revenir avec un chèque, parce que…
- — Oui, je sais, mais je réglerai les deux ensemble. Voyez, j’ai du monde…
- — Ben oui, mais c’est que… Enfin, j’veux pas déranger. M’sieur-dame…
- — Excusez-moi, fit Solange à l’intention de l’huissier quand le livreur fut parti, mais il faut que je mette tout ça au congel, sinon ce serait perdu… Ça tombe mal, je sais, mais j’pouvais pas prévoir…
- — Faites, ça n’empêche pas de discuter.
Le grand homme se leva, s’empara prestement de la nouvelle facture et mit le nez dans la grande caisse isotherme pendant que Solange faisait ses allées et venues jusqu’au congélateur.
- — Dites donc, Madame Martin, ces frites au micro-ondes, vous payez ça assez cher, non ? Madame Martin, ça nous fait quasiment du douze euros le kilo, ça, dix fois le prix d’un kilo de patates, hein ?
- — Je… je n’avais pas calculé…
- — Il ne s’agit même pas de calculer, mais de faire attention. Et ça : des nuggets, des cordons-bleus, rien que des saloperies faites de déchets et de graisse. Vous ne regardez pas les bonnes émissions à la télévision. Je vois que ça vous fait un total de quatre cent vingt euros, cette caisse. Y en a pour longtemps.
- — Euh… une semaine, pourquoi ?
- — Pourquoi ? Mais tonnerre pourquoi… Madame Martin ! Quatre cent vingt euros de nourriture par semaine, ça nous fait mille six cent quatre-vingts euros par mois, n’est-ce pas ?
- — …
- — N’est-ce pas ?
- — Oui…
- — Auxquels il faut ajouter, je suppose, le pain, les boissons…
- — Et les céréales pour le petit-déjeuner des enfants…
- — Et je ne vois pas de fromages ?
- — Il n’y a que mon mari qui en mange…
- — Voui-voui-voui. Je vois. En somme, monsieur gagne deux mille quatre cents euros et vous en dépensez deux mille pour faire fonctionner la maison. Et vos indemnités sont de combien ?
- — Euh… Huit cents…
- — Il resterait donc juste ce qu’il faut pour le loyer, s’il n’y avait pas… l’eau, l’électricité, le chauffage, les impôts, l’entretien de deux voitures, les assurances, etc. Le téléphone aussi. Vous en avez deux je suppose ?
- — Qu… Quatre.
- — Ben voyons. Comme si des gamins avaient besoin d’un téléphone portable à l’école.
- — On… On sait jamais. Ils peuvent m’appeler si ça ne va pas.
- — Parce que l’école ne vous appellerait pas en cas de problème ? Allons, Madame Martin…
- — Y a la cantine aussi.
- — Ah parce qu’en plus, vos enfants déjeunent à la cantine ? Et Monsieur ?
- — Au restaurant de l’entreprise.
- — Vous voulez dire que vous dépensez quatre cents euros rien que pour les dîners ?
- — Y a les week-ends aussi…
- — Misère, soupira-t-il en se rasseyant désespéré par tant de légèreté…
Solange se sentit soudain coupable, coupable de tout, comme depuis que cet homme avait franchi sa porte. Les larmes remontaient lentement à ses yeux.
- — Là vraiment, j’en ai les bras qui tombent. Je crois qu’on ne peut rien faire pour vous aider, c’est sans espoir. Vous faites tout pour vous enfoncer. Bon, expulsion au premier avril et saisie des meubles. Je ne sais pas ce qu’on va tirer de tout ça, pas grand-chose, certainement. Un peu de la télé super grand écran, l’électroménager… Le reste ne vaut pas grand-chose…
- — Pourtant ça a coûté cher…
- — Je veux bien vous croire. Pour vous arnaquer, ce ne doit pas être bien difficile. Vous n’avez pas de famille, quelqu’un qui pourrait vous dépanner ?
- — Y a bien mes parents, mais j’oserais jamais, j’aurais trop honte.
- — Ah ! La honte existe chez Madame Martin ? C’est déjà pas mal. Et que font-ils vos parents ? Retraités ?
- — Non, pas encore, ils sont agriculteurs, enfin mon père.
- — Et ils sont loin ?
- — Non, pas très, à une trentaine de kilomètres.
- — Et ils ne vous donnent jamais de bonnes choses à manger ?
- — Si, bien sûr, j’en ai au fond du congel. Un lapin, un poulet…
- — Mais il faut les préparer, les cuisiner, et ça, ça la fatigue, Madame Martin. C’est bien plus facile d’ouvrir un sachet et de le coller trois minutes au micro-ondes. Ayez honte, Madame Martin, puisque vous semblez savoir ce que c’est. Pardon de vous le dire, mais vous êtes une feignasse ! À longueur de journée sur un canapé, sans rien faire de ses dix doigts, couverte de dettes, et ça ne vous dérange pas ?
- — Si… Mais j’emmène les enfants à l’école et je vais les chercher.
- — Heureusement encore. En voiture, bien sûr ?
- — Oui…
- — Parce que l’école est très loin ?
- — Un peu… Cinq cents mètres…
- — Madame Martin… Pfffff ! Eh bien vous y êtes jusqu’au cou et vous allez y rester. Allez, la semaine prochaine, je reviens avec des déménageurs et on saisit tout cela. De toute façon vous n’en aurez plus besoin puisqu’au premier avril, vous serez expulsés.
- — Oh non… Monsieur l’huissier, je vous en supplie, pitié… Vous ne pouvez pas nous mettre à la rue…
Il se leva, armé d’un bloc, et commença l’inventaire.
- — Grand téléviseur plat… four électrique… plaque à induction…
- — Pitié, pitié, bredouillait Solange en le suivant en pleurs.
- — Rassurez-vous, je vous laisse une table et quatre chaises, comme le dit la loi. On va monter à l’étage.
Il jeta un coup d’œil aux chambres des enfants, nota ici une console de jeux, un téléviseur, un ordinateur, puis arriva à la chambre des parents. Une horreur de mauvais goût. Moquette violette à longs poils, chauffeuses couvertes de la même matière improbable, un de ces grands lits plats semblant flotter à vingt centimètres du sol, immense armoire à quatre miroirs coulissants, console noire portant un second téléviseur géant et un lecteur de DVD.
- — Je vois qu’on ne se refuse rien, Madame Martin. Ce sera moins coquet quand il n’y aura plus qu’un sommier et un matelas. Serait-ce qu’on se passe des films coquins pour se stimuler, hein ?
- — Euh… Parfois, oui. Mais plutôt des films… « normaux ».
- — Vouais, vouais, vouais. Qu’est-ce qu’il nous reste à voir ?
- — Oh, Monsieur, je vous en supplie…
- — Suppliez, suppliez. Mais vous n’avez aucune chance d’être exaucée. Je note donc : téléviseur géant, lecteur de DVD, collection de DVD je suppose dans la console, une armoire… disons design…
- — Monsieur l’huissier… faites de moi ce que vous voulez, mais pas ça… Pas la rue, pas la saisie… C’est tout neuf, on vient de l’acheter…
- — Je vois bien, et je vois bien aussi que Madame Martin a dépensé sans compter, a pris crédit sur crédit et va se retrouver à la rue…
- — Oh non, pitié. C’est moi, c’est ma faute, pas celle des enfants, pas celle de mon mari… S’il vous plaît…
Du coin de l’œil, tout en continuant son inventaire, l’homme de loi eut la surprise de voir un étrange effeuillage. Solange Martin posait un à un tous ses vêtements. Gilet, chemisier, jupe, collant, puis vinrent le tour du soutien-gorge et de la petite culotte. Écarlate jusqu’à la naissance des seins, les yeux fixés sur la pointe de ses pieds, un bras cachant sa poitrine, l’autre main sur son sexe elle murmura entre deux sanglots :
- — Prenez-moi, c’est tout ce que je peux vous offrir…
Sidéré, l’huissier contempla un instant le corps dodu qui s’exposait à son regard. Oh, rien d’exceptionnel à ce spectacle. La jeune femme était empâtée, sans taille, fesses et cuisses trop épaisses, petit ventre rebondi, seuls les seins semblaient drus et assez fermes. Elle n’était pas laide, mais ce n’était pas une beauté, loin de là. Seule sa peau, parfaitement laiteuse et sans marques paraissait d’une infinie douceur. Était-ce cette démonstration ultime de soumission ou le courage désespéré de cette femme qui le chamboulait, quoi qu’il en soit Chodar se mit à bander comme un fou. Il toussota pour retrouver une contenance.
- — Tentative de corruption d’un officier ministériel, ça peut vous coûter cher, Madame Martin, la prison.
- — Oh non, Monsieur l’huissier. C’est juste pour vous dire que c’est moi la coupable, moi qu’il faut punir, pas ma famille, je vous en supplie…
Il fit le tour de sa victime, la saisit par les bras et la poussa vers les miroirs.
- — Regardez-moi ça, Madame Martin, six mois de feignasse vautrée sur un canapé devant la télé à grignoter des saloperies. Hein ? Regardez. Ce gros cucul, ce ventre rond, ces cuisses lourdes, cette taille absente… Vous croyez que c’est beau tout ça ? Vous croyez que ça vaut quinze mille euros ?
Joignant les gestes à la parole, il tapotait chaque endroit qu’il nommait, profitant de la douceur de cette peau chaude et tendre, ce qui augmentait sa bandaison.
- — Et vous croyez que ça va suffire à me détourner de mon devoir ? Il en faudrait plus, beaucoup plus…
Il posa soigneusement sa veste et son gilet sur une chauffeuse, quitta la cravate et ouvrit sa braguette.
- — Voyons ce que vous savez faire, Solange Martin, dit-il en lui appuyant sur sa tête.
Elle tomba à genoux, le nez face à la grosse et longue queue dressée devant elle, qu’elle emboucha sans barguigner. L’homme semblait impassible, mais une tornade sévissait sous son crâne chauve.
Mon cher Hubert, dans quoi t’es-tu embarqué ? De toute ta carrière, c’est bien la première fois que tu te laisses aller à te taper une de tes contrevenantes. Ça pourrait te coûter une révocation. Tiens, il faudra que je vérifie s’il n’y a pas des caméras planquées ici. Méfiance, c’est peut-être une fine mouche…
- — Plus loin, Madame Martin, tonna-t-il en pressant sur la nuque, allez, un petit effort que diable !
Solange faillit s’étouffer. Elle faisait de son mieux, mais la fellation n’était pas sa spécialité. Elle trouvait ça en général dégoûtant. Il faut dire que, quand son mari lui collait son dard dans la bouche à la fin d’une journée de travail, ce n’était pas très ragoûtant. Elle préférait qu’il lui mette sa chose entre les cuisses, là-bas, loin, plus bas, d’où nulle odeur et nul goût ne lui parvenait. Mais cet huissier, ce n’était pas la même chose. Il sentait bon, sa queue était grosse, longue et lisse, presque un régal. Elle faisait bien ce qu’elle pouvait, mais plus profond lui donnait des haut-le-cœur. Pourtant, elle aurait voulu, tant voulu, lui faire plaisir. Il la releva au bout d’un instant, visiblement déçu.
- — Bon, pas terrible Madame Martin. Peut mieux faire. Voyons comment vous vous débrouillez avec le reste, dit-il en lui collant la main sans ménagement sur la toison. Oh ! Mais c’est qu’elle est tout excitée et toute baveuse. Voyons cela de plus près…
Il quitta chemise et pantalon, et Solange vit apparaître dans son intégralité un beau mâle qu’elle compara à un apollon. Fin, musclé, visiblement sportif, bronzé et le torse velu à souhait. Il avait beau avoir une quinzaine d’années de plus qu’elle, elle n’avait jamais eu de relation avec un mâle aussi racé. Elle en fut tout émoustillée et les pointes de ses seins se mirent à darder sans pouvoir les maîtriser. L’homme rusé le remarqua et empoigna immédiatement les coupables, pressant les glandes et roulant les pointes entre deux doigts. Aussitôt, Solange se mit à se tortiller en tous sens, avouant ainsi sa coupable sensibilité. Intéressant, pensa Hubert. Et elle se retrouva couchée sur le lit, les seins toujours prisonniers des grandes mains manucurées, cuisses écartées, offerte à une bouche vorace. Il lui lécha le sillon de la petite rosette au petit bouton, puis entreprit une analyse scrupuleuse de tous les composants sans lâcher les tétons. Solange se mordait les lèvres pour ne pas hurler son bonheur, mais elle avait déjà basculé dans l’univers tyrannique du plaisir.
Hubert le soupçonnait depuis qu’il l’avait vue se tortiller dès qu’il lui touchait les seins. Cette femme était munie d’une triple serrure pour lui ouvrir le coffre à plaisir : les deux tétons et le clitoris. Quand il happa le petit bouton entre ses lèvres et le fouetta du bout de sa langue tout en lui triturant les tétins, Solange partit au septième ciel avec une rapidité foudroyante, agitée de soubresauts irrépressibles et lui serrant les oreilles de ses cuisses tendres. Il se redressa et constata aux pupilles dilatées et au blanc des yeux injecté de sang qu’elle ne simulait pas.
Une vraie sensible, songea-t-il, et prompte à jouir. C’est bon, ça. Voyons plus loin…
Dès que la petite femme dodue eut repris quelque esprit, il lui fourra deux doigts dans le vagin, paume vers le ciel, et commença à trifouiller comme s’il eut fait signe « viens par ici, cocotte ». Solange se tortilla de nouveau, il ne lâcha pas prise. Sa bouche faisait un O, ses yeux exorbités regardaient la main qui la fouillait, puis elle grimaça, se crispa et se mit à brailler :
- — Oh là, oh là-là, oh non… oh oui… houuuuu !
La main s’agitait latéralement, les doigts continuaient leurs gratouillis rapides, le tout dans un bruit liquide de vinaigrette que l’on fouette. La petite bonne femme hoquetait, grimaçait, essayait en vain de retenir ce qui était en train de la submerger, une autre sensation encore plus puissante que la première. Elle retint son souffle, écarlate, en couinant entre ses dents serrées, mais quand la seconde main vint à nouveau massacrer son clitoris du pouce, elle éclata. Prodigieusement dévastée par le plaisir, elle crut un instant qu’elle urinait. Des jets de liquide jaillirent soudain de sa vulve, inondant la main qui la massacrait et ne semblait pas vouloir s’arrêter. C’était trop, au-delà du supportable, un voile noir tomba sur ses yeux et elle s’effondra sur le lit. L’homme secoua sa main et l’essuya d’un aller et retour sur le couvre-lit. Elle ne reprit conscience que lorsque les deux mains puissantes la saisirent aux hanches pour la forcer à se retourner et à dresser son popotin en l’air, puis elle sentit la queue vigoureuse et dure ouvrir son chemin dans ses muqueuses en feu. S’en suivit une interminable série de coups de boutoir dont chacun semblait lui repousser les viscères jusque dans la poitrine.
Hubert prenait son pied. Plutôt fidèle, sans compter différents services rendus à la hâte à quelques secrétaires sur un coin de bureau, il n’avait jamais enfilé cul si dodu. Madame Chodar était en effet grande et longiligne comme lui, s’enroulait autour de lui comme une liane et lui faisait délicieusement l’amour de temps en temps, mais de manière invariablement très classique : un missionnaire qui, au mieux, faisait parfois passer madame sur monsieur, c’était là le comble de l’originalité de leurs ébats. Quant au reste, fellation ou sodomie, il n’en était pas question, c’était sale. Alors ce gros cul tout blanc, bien ouvert et qui, de plus, se jetait vers le dard qui le fouaillait, c’était un moment paradisiaque. Il l’encouragea :
- — Allez, Madame Martin, un peu de nerf, montrez-moi comme vous aimez vous faire trousser !
Joignant le geste à la parole, il commença à lui asséner de puissantes claques sur les fesses jusqu’à ce qu’elles deviennent rouge écarlate. Solange Martin avait le cerveau en court-circuit, les yeux embués de larmes, tout le bas du corps électrisé par ces coups internes et externes. Elle crut perdre la raison quand le rythme s’accéléra dans un assaut final de folie, et le premier jet brûlant qui lui inonda le ventre l’envoya de nouveau dans un cageot de pommes. Elle n’entendit même pas le mâle qui la couvrait rugir de plaisir en lâchant ses dernières gouttes de semence au fond de son ventre ravagé. Quand elle reprit à nouveau conscience, le regard chargé d’admiration, elle ne sut que dire :
- — Oh, Monsieur l’Huissier…
- — Oui, bon. Est-il possible de prendre une douche ?
- — Bien sûr, venez…
La dépensière inconséquente avait aussi fait refaire la salle de bains. La baignoire avait disparu au profit d’une vaste douche à l’italienne. Ils s’y engouffrèrent tous les deux. Soucieuse du bien-être de son tortionnaire, la petite bonne femme lui passa du gel sur sa peau mouillée et le frotta partout, ravie de caresser en détail ce corps remarquable, notamment des fesses dures et musclées qu’elle trouvait sublimes. Se sentant redevable, Monsieur Chodar en fit autant à son hôtesse. Il trouvait déjà sa peau très douce, mais avec le gel elle devenait presque imperceptible. Il ne restait que ces formes généreuses à peloter à pleines paumes. Les caresses de l’un suscitant celles de l’autre, Hubert recouvrit rapidement une vigueur triomphante. Gel aidant, Solange se retrouva rapidement à quatre pattes avec le doigt de Chodar profondément enfoncé dans sa rondelle.
L’huissier était sur le point de vivre un de ses fantasmes. Avec une rage bestiale, il encula de tout son poids Solange Martin et lui besogna le fion jusqu’à ce qu’une ultime salve gicle de sa bite endolorie. Solange n’avait pas osé refuser, elle avait serré les dents pour subir l’intromission douloureuse, il ne fallait pas vexer l’huissier. Mais elle devait avouer que, sur la fin, quand il s’était penché sur elle pour lui pincer un sein et lui astiquer le bouton, elle avait fini par jouir, un peu… beaucoup, même. Bon, au final, elle avait aimé ça. À vrai dire, elle aurait aimé n’importe quoi venant de ce bel homme. Peut-être malgré elle, elle était en train d’en tomber amoureuse.
Hubert se relava soigneusement, réintégra son costume trois-pièces et entraîna Solange au rez-de-chaussée en lui interdisant de se rhabiller.
- — Vous n’auriez pas une paire de chaussures à hauts talons, lui demanda-t-il ?
- — Euh… si je crois, oui, celles du mariage de ma sœur…
- — Allez les enfiler.
Elle courut au fond du couloir, on entendit un remue-ménage dans un placard suivi d’un trottinement sonore sur le carrelage. Elle réapparut juchée un peu maladroitement sur des échasses noires, avec brides de chevilles, d’au moins dix centimètres.
- — Voilà, vous avez l’air un peu moins cruche comme ça (elle rougit). Madame Martin, après cet intermède agréable, votre problème reste entier. Cependant, je tiens à récompenser l’effort que vous venez de faire en suspendant très provisoirement, vous entendez : très provisoirement, les poursuites contre vous. Mais je vais agir comme un médecin auprès d’un grand malade, je vais vous faire une ordonnance…
Il sortit un bloc de papier à en-tête et lui intima de venir se placer près de lui afin de bien suivre ce qu’il écrivait. Tenant son stylo dans la main droite, il glissa la gauche entre les lourdes fesses, planta le pouce dans l’anus, posa le majeur sur le clitoris et engagea les trois autres doigts dans le vagin. Tout ce qu’il avait rêvé de faire avec une jolie secrétaire. Mais la sienne était vieille et moche et, de nos jours, il risquait une plainte pour harcèlement.
- — Madame Martin, la première chose à faire est de tenter d’interrompre les poursuites. Je peux calmer les plaignants pour un temps si je dispose d’une certaine somme d’argent. Vous comprenez ?
- — Euh… oui, mais…
- — Il n’y a pas de « mais », tonna-t-il en agitant ses doigts. Si je ne fais rien, ils s’adresseront à un autre huissier qui, lui, vous mettra immédiatement à la rue en vous saisissant tout. Les gens veulent leur argent et c’est assez normal, non ?
- — Oui, seulement je n’en ai pas, enfin pas assez…
- — Je sais. Alors, Madame Martin, le 27 février, premier traitement : vous allez vendre votre voiture.
- — Mais… Comment je vais emmener les enfants à l’école ? Et faire les courses ?
- — Madame Martin… L’école est si loin que ça ?
- — N… non, cinq cents mètres à peu près, je vous ai dit…
- — Bon, eh bien vous les emmènerez à pied, ça fera fondre un peu ce gros cucul tout mou.
- — Et quand il pleut, quand il fait froid…
- — Quand il pleut, on met des vêtements de pluie, on prend un parapluie, et quand il fait froid on s’habille chaudement, Madame Martin, c’est aussi simple que ça.
- — B… bon… (les larmes lui revenaient, elle avait fait tout ça pour rien, cet homme avait un cœur de pierre)…
- — Secondement, Madame Martin va arrêter de faire la feignasse sur canapé et elle va se mettre à faire la cuisine, de la vraie cuisine avec de bons produits frais (là il agitait violemment tout le bras gauche). D’accord ?
- — Ah ! Euh… oui…
- — Vos parents sont agriculteurs m’avez-vous dit. Des légumes, des fruits, des volailles, ça ne doit pas manquer chez eux, n’est-ce pas ?
- — Oh oui, il y en a beaucoup. Ils m’en proposent souvent, mais… jusque-là, j’avais pas le temps.
- — Depuis six mois, vous aviez le temps, Madame Martin, au lieu de vous mettre bêtement dans cette situation. Qu’est-ce que vous faites le dimanche ?
- — Ben… des fois on va au cinéma, on emmène les enfants manger une glace…
- — C’est ça, que des choses qui coûtent, quarante euros de cinéma, vingt euros de glaces et boissons, et ainsi de suite. Dorénavant, vous irez dire bonjour à papa-maman à la campagne. Vous irez marcher au grand air, ça vous fera le plus grand bien, aux enfants aussi. Vous déjeunerez chez eux, maman sera ravie de vous faire la cuisine, ce sera votre repos dominical, et vous reviendrez avec un plein coffre de bonne nourriture. D’accord ?
- — Oui… Je ne sais pas si je serai capable… de faire la cuisine, je veux dire.
- — Si vous avez des hésitations, regardez sur internet ou mieux, téléphonez à votre maman, elle sera ravie. Ensuite, pour compléter et acheter ce qui manque, le samedi matin vous irez au marché. Vous profiterez de la voiture de Monsieur et vous emmènerez les enfants. C’est joli, un marché, intéressant et distrayant. Et pas d’écart de conduite : on n’achète que l’indispensable, on compare les étiquettes et on prend au meilleur prix. Compris ?
- — O…oui… Mais tout ce que j’ai reçu ce matin…
- — Je ne vous dis pas de le jeter et de gaspiller encore. Vous épuisez ce stock pendant une semaine, ce qui vous donnera le temps de vous préparer, de réviser vos recettes et surtout de mettre votre voiture en vente. Compris ?
- — Oui, Monsieur. Mais ma famille ne va pas comprendre…
- — Vous leur dites que maman veut faire un régime, qu’elle a vu une émission de télévision montrant toutes les graisses et les sucres dans les produits industriels, de vrais poisons pour le corps et la santé, et que vous avez décidé de manger et vivre plus sainement. Un conseil : ayez toujours quatre tranches de bon jambon blanc et un paquet de pâtes sous la main en cas de ratage.
- — Bien.
- — Ensuite, vous notez tout ce que vous dépensez, et dans un mois vous comparez avec ces factures, dit-il en montrant du doigt la feuille de « Bouffengel ». Encore une chose, Madame Martin, les céréales chocolatées au petit déjeuner, c’est très mauvais, comme les choco-machins du goûter. Remplacez-moi ça par pain, beurre et confiture le matin, et un morceau de pain et quatre carrés de chocolat à quatre heures. C’est valable pour vous aussi, Madame Martin. Plus de saloperies sucrées à longueur de journée. Et de télévision, uniquement l’émission de gym, ce qui vous fera le plus grand bien. Il faudra faire fondre ce petit ventre et retrouver un peu de taille, ajouta-t-il en la tripotant encore.
- — Je vais essayer…
- — Non, on ne dit jamais cela, ce serait perdu d’avance. « Je vais réussir », c’est comme ça qu’il faut penser.
- — Bien, je vais réussir.
- — Je compte sur vous, Madame Martin. Je reviens faire le point dans exactement quinze jours. Si je ne constate pas de réels progrès, je vous saisis et je vous expulse. C’est bien entendu ?
- — Oui, Maître.
Là-dessus, l’huissier plia bagage en laissant Solange Martin nue comme un ver, oscillant entre soulagement et désespoir, en tout cas effrayée par la montagne qui se présentait devant elle. Cuisiner, elle n’avait jamais été très douée ni intéressée, à la maison sa mère faisait tout et maintenant Monsieur Bouffengel le faisait également pour elle. Et vendre sa voiture, qu’elle venait de faire réparer, d’ailleurs le garagiste était un des créanciers. Et marcher, elle qui n’aimait pas ça, mais, au contraire, était ravie de traîner au volant dans les rues et les centres commerciaux… Toute une vie à changer.
Exactement quinze jours plus tard, vers neuf heures trente, Maître Chodar sonna à l’huis des Martin. Trottinement de talons, et Madame Martin apparut, un grand sourire aux lèvres et les joues empourprées.
- — Bonjour Maître, je vous attendais, dit-elle toute excitée.
- — Alors, Madame Martin, quelles nouvelles ?
- — Bonnes, Maître, enfin… je crois. Très bonnes, même. D’abord, regardez, fit-elle en tournoyant sur elle-même. Vous ne remarquez rien ?
Elle était vêtue d’une petite robe quasiment printanière, ornée de fleurs sur fond blanc et serrée, très serrée à la taille par une large ceinture rouge causant à peine quelques légers bourrelets. Les escarpins à très hauts talons étaient du même rouge et un joli chignon maintenait les longs cheveux au sommet de son crâne, la faisant paraître plus grande. Un léger maquillage la rajeunissait, elle semblait vivante, plus rien à voir avec la pauvre loque de la dernière fois.
- — Vous êtes déjà passée de l’hiver au printemps ?
- — C’est un peu ça, oui, j’ai déjà perdu deux kilos et demi. C’est bien, non ?
- — Très bien, vous avez rajeuni. Et pour nos affaires, où en sommes-nous ?
- — Entrez, asseyez-vous, dit-elle en montrant le living.
Puis elle courut vers le fond du couloir et en revint, la mine triomphante, des papiers à la main.
- — D’abord, j’ai vendu ma voiture. C’est tout frais, ça s’est signé hier matin. Et puis plutôt bien vendue : huit mille euros. Tenez, voici le chèque.
- — Bon ça, Madame Martin, très bon. On couvre à peu près les loyers en retard. Finie l’expulsion.
- — Oh oui, c’est ce que j’ai pensé. J’étais trop contente et soulagée. Et puis attendez, c’est pas fini. Comme vous me l’avez conseillé, nous passons les dimanches à la campagne chez mes parents. Ils sont ravis, les enfants aussi, ils se promènent en tracteur avec le grand-père. Ma mère, fine mouche, a été assez surprise que j’accepte de remporter des choses, des légumes, des fruits, des volailles, même du porc parce qu’ils ont tué le cochon. Du coup, on en ramène un grand coffre toutes les semaines.
- — C’est très bien, une nourriture saine et peu coûteuse.
- — Ah ça, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait, il y en a même plus que ce que le livreur apportait, je n’achète plus que le pain, le beurre, l’huile et le vinaigre, et quelques ustensiles qui me manquaient. Car je cuisine, moi, maintenant ! Et ça ne me déplaît pas, au contraire. J’ai vraiment l’impression d’être utile.
- — C’est très bien, bravo. Et comment votre famille prend-elle ça ?
- — Plutôt bien, ça les change. Et puis l’argument de manger sain a vraiment marqué les esprits. On s’est amusé à rechercher sur internet les émissions dont vous parliez, je ne sais pas si c’est les mêmes, mais on a trouvé des horreurs. C’est vraiment honteux.
- — Hélas oui. Il faudra les regarder à nouveau quand vous vous lasserez. Car faire la cuisine au quotidien peut devenir fastidieux, répétitif. N’hésitez pas à innover souvent, parfois on peut faire plein de différentes recettes avec à peu près les mêmes ingrédients, et ça change tout : le goût, mais aussi la façon de faire. Ça casse la routine, vous comprenez ?
- — Oui, très bien. D’ailleurs dès que je le pourrais, je ferai un stage de cuisine. J’ai vu que ça existait dans l’organisme de formation où je me suis inscrite. Car, grande nouvelle, Pôle-Emploi m’a proposé une formation, une remise à niveau en informatique. Pendant six mois, je vais gagner un peu plus. Et peut-être que je retrouverai un emploi au bout.
- — C’est très bien, vous voilà relancée. Eh bien, nous allons porter ce chèque en banque et j’irai calmer votre propriétaire.
- — Attendez, c’est pas fini. Ma mère a bien compris qu’il se passait quelque chose. Pendant que les enfants étaient partis avec le grand-père et que mon mari dormait sur le canapé, elle m’a dit : « Toi, tu as des problèmes et tu ne veux pas le dire. Donc ce sont des soucis d’argent, n’est-ce pas ? Plaie d’argent n’est pas mortelle, tu sais. Tiens, voilà mon petit magot que je cache dans mes piles de draps, à l’insu même de ton père. Prends et ne fais pas d’histoire, ce que tu as maintenant tu ne l’auras plus quand je serai morte. Mais c’est maintenant que tu en as besoin. » Elle n’est pas merveilleuse ma maman ? Voici l’enveloppe, un peu plus de deux mille euros.
- — Très bien ! Si en effet, une brave femme qui connaît bien sa fille. Mais alors, dites-moi, avec ça et le chèque, le compte bancaire revient à flot, les loyers sont à jour, on va même pouvoir entamer des démarches intéressantes auprès des impôts.
- — C’est à dire ?
- — Eh bien, d’une part la banque vous colle des pénalités très importantes pour vos découverts successifs. Je vais donc accepter de remettre votre compte dans le vert, à condition qu’ils fassent sauter les pénalités. Sinon on change de banque. Et pour les impôts, on ira donner ce que l’on pourra, ce qui restera, en demandant un étalement dans le temps sans pénalités de retard. Ça s’obtient facilement en justifiant votre perte d’emploi. Tout cela limiterait la dette à quatorze mille euros, sur lesquels vous êtes en mesure d’en rembourser dix mille. Il ne resterait plus que quatre mille euros. C’est jouable.
- — Oh oui ! D’autant que j’économise au moins trois cents euros par semaine sur la nourriture. Je peux donner mille deux cents par mois.
- — Holà, holà ! Comme vous y allez. Si vous me donnez cinq cents euros par mois, en huit mois les dettes sont oubliées. Ce serait déjà très bien par rapport à la situation d’il y a quinze jours, non ?
- — Si, bien sûr. Mais huit mois, je trouve ça long. Alors qu’avec… disons mille euros par mois, en quatre mois c’est bâclé. Mars, avril, mai, juin et à l’été tout est clean. Je pourrais partir en vacances l’esprit tranquille. Oh comme je serais soulagée…
- — N’en profitez pas pour remettre ça en partant à l’autre bout du monde !
- — Non, non, n’ayez crainte, on fait comme tous les ans. Là, c’est mes beaux-parents qui possèdent une villa sur l’île de Ré. Et on se retrouve tous là-bas tous les étés, les beaux-parents, mon beau-frère et sa famille, ma belle-sœur et sa famille.
- — C’est grand, dites-moi.
- — Pas vraiment. Au départ, c’est une ancienne ferme, une maison blanche avec des tuiles rouges, une grange à côté et un hangar au fond de la cour. Alors les quatre hommes s’y sont mis, ils ont fait deux appartements dans la maison, chambres et salles de bain, celui du bas pour les beaux-parents, le frère aîné à l’étage. Dans la grange, ils ont fait une très grande salle avec cuisine ouverte et terrasse abritée par de la vigne, l’appartement de la fille au-dessus, plus grand parce qu’elle a quatre enfants, avec salle de bain et douche, et puis nous on s’est aménagé une partie du hangar un peu comme un duplex, parents en bas, enfants en haut, pour laisser la place de ranger les voitures. Et puis il ne faut pas que ces transformations se voient, ils ne délivrent quasiment plus de permis de construire, là-bas.
- — Quand même, c’est visible, au moins de la rue.
- — Pensez-vous, la cour est fermée par des murs de deux mètres cinquante, le portail est en bois plein comme une porte de grange. Et ils se sont arrangés pour ne pas changer l’aspect extérieur, qu’un visiteur n’y voit qu’une ferme restaurée, mais pas agrandie, pareil vu d’avion ou de satellite. Une histoire d’impôts. Les anciennes portes de la grange servent de volets à la grande salle, on a gardé des poutres en bois avec des jours sur la partie aménagée du hangar, comme un grenier à foin. Les fenêtres sont cachées, mais il y fait suffisamment clair. Et puis on y va que pour dormir, le reste du temps on est à la plage ou dans la grande salle. D’ailleurs, ils ont fait l’isolation de notre logement avec de la paille, entre le plafond et le toit du hangar. Au moins un mètre cinquante de bottes de paille traitée contre le feu et les rongeurs. On dirait vraiment une remise à foin, et c’est là qu’il fait le plus frais.
- — Vous avez une sacrée chance, vous savez ? Je ne sais pas si vous le mesurez bien.
- — Si… si, Monsieur. Mais les conditions matérielles ne font pas tout. Notre couple est un peu… en panne, la force de l’habitude. J’ai vécu ma perte d’emploi comme un échec. Tout ça m’a donné le sentiment d’une vie gâchée, j’ai déprimé, j’ai déraillé. Heureusement, vous êtes arrivé au bon moment pour me donner le bon coup de pied aux fesses.
- — Curieux ! Il ne m’avait pas semblé que c’était un coup de pied…
- — Hahaha ! Merci Monsieur l’huissier.
Elle saute sur ses genoux et l’embrasse à pleine bouche. Surpris et décontenancé, Hubert lui rendit son baiser, leur premier baiser en fait, et leurs langues dansèrent une folle farandole, comme dit la chanson.
- — Hummmm… fit Solange, délicieux !
L’huissier, ne sachant trop où poser sa main, la mit sur la cuisse de sa partenaire. Le contact chaud, doux et moelleux, bien plus que le baiser, le fit instantanément bander contre le flanc posé sur lui. La main vécut sa vie de main curieuse et remonta le long de cette peau douillette.
- — Mais ? Mais, Solange Martin, vous n’avez pas de culotte !
- — … (elle tourna vivement la tête de droite et de gauche) j’vous ai dit que j’vous attendais…
- — Vous ne seriez pas un peu… coquine, par hasard ?
- — … (cette fois elle agita la tête de haut en bas) Oh si, je suis ta coquine, ta salope, tout ce que tu voudras, mais… baise-moi, j’t’en supplie, baise-moi. J’attends ce moment depuis quinze jours.
Il l’assit sur le bord de la table et détacha la large ceinture rouge, puis quitta veste, cravate et gilet. Pendant ce temps, elle défit la douzaine de petits boutons qui fermaient sa robe et s’offrit, cuisses ouvertes, vêtue seulement d’un soutien-gorge à balconnets qui faisait darder haut et loin ses pointes de seins érigés. Sucés un à un, Solange partit en vrille avant même que la tête espérée ne plonge entre ses cuisses. La jeune femme en furie se tortilla comme un ver coupé tandis que l’homme lapait son jus et fouillait ses muqueuses d’une langue fureteuse. Il n’y tint plus, se redressa, quitta son pantalon, força de la main son sexe turgescent dressé vers le plafond, et enfila la grotte humide d’une seule poussée, lente, longue, complète. Madame Martin poussa un hennissement de bonheur, puis le beau quinquagénaire entama de puissants allers et retours sur toute la longueur de sa queue.
Lui aussi avait rêvé de cet instant depuis deux semaines et il en goûtait chaque seconde avec gourmandise, ponctuant ses violentes pénétrations de « han » dignes d’un bûcheron. Le plaisir monta vite, chez l’un comme chez l’autre. La femme hoquetait déjà, yeux révulsés, l’homme sentit son bas-ventre au bord de l’explosion. Mais ce jour-là, il n’avait pas envie de se priver ni de faire durer. Il avait une furieuse envie de se libérer vite au fond de ce ventre accueillant, de jouir de cette petite bonne femme qui l’excitait plus qu’il ne l’aurait imaginé. Et puis, elle en avait envie aussi, elle avait fait la salope, l’avait provoqué. C’est tellement bon une femme qui s’offre, qui a envie de vous. En moins de cinq minutes, le corps du mâle se raidit, s’arqua, et d’une dernière poussée magistrale il alla cracher sa semence tout au fond de l’écrin de chairs tendres. Les jets brûlants fouettèrent les entrailles de Solange qui tétanisa et rugit à son tour. Hubert s’écroula sur sa poitrine qu’il suçota sans conviction, mais les circuits avaient disjoncté et la jeune femme ne réagissait même pas. Ils se redressèrent enfin, luisants de sueur, la queue apaisée sortit du vagin dilaté qui répandit sur le bord de la table une petite flaque nacrée de sperme et de cyprine mélangés. Solange sauta à terre et se mit à laper à même la table leurs liqueurs coupables.
- — Hum ! C’est ma place à table… je penserai à toi à chaque fois que je mangerai.
- — Tu es vraiment… une absolue cochonne.
- — Mais non, c’est délicieux. J’aime tout ce qui vient de toi.
- — Tu te rends compte si ton mari nous surprenait ? Ce n’est pas à moi qu’il demanderait de dresser le constat d’adultère…
- — Ben et ta femme alors ?
- — Ah ! Madame Chodar vit une ménopause difficile. Autant dire que je n’ai pas le loisir de l’approcher depuis des mois, et sûrement encore pour plusieurs mois, voire des années. Au prétexte de bouffées de chaleur, nous faisons désormais chambre à part.
- — Alors il faut venir expulser Madame Martin plus souvent, hein ?
- — Est-ce bien raisonnable…
- — Écoute, je me fous de la raison et du reste. J’étais au quatrième dessous, et je ne parle pas seulement financièrement, ce n’est qu’un épiphénomène. Soudain, un homme a envie de moi, moi, la pauvre fille en échec de A à Z, au chômage, seule entre quatre murs après quinze ans à voir du monde à longueur de journée, criblée de dettes, enflée de partout à force de ne rien faire. Alors d’un coup, j’ai retrouvé l’envie de vivre, de me soigner, de m’activer, de sortir la tête hors de l’eau. Et je ne le dois ni à Martin, ni à personne d’autre, seulement à toi. Alors rien n’est important maintenant sauf une chose : que tu me bourres, que tu me défonces, que tu me démontes, que tu m’encules, que tu me baises autant que tu voudras, que je m’envoie en l’air avec toi. Y a plus que ça qui compte vraiment.
- — Bon, eh bien ça, c’est dit, c’est clair. Allez, il va être l’heure d’aller chercher tes enfants, je vais y aller.
- — T’inquiète, je t’ai dit que je t’attendais. Alors c’est une copine, mon ancienne employée, qui va les faire déjeuner. Elle habite juste en face de l’école. Je nous prépare un petit repas vite fait ? Boudin aux pommes…
- — J’adore ça. Mais à une condition : que tu ne mettes qu’un petit tablier de cuisine.
- — Coquin aussi.
- — Très, mais seulement avec toi. Dis-moi, que faisais-tu comme boulot avant de le perdre ? J’ai lu commerçante, ça ne veut pas dire grand-chose…
- — J’avais une boutique de fringues, une enseigne franchisée, le local était loué.
- — Et ça marchait bien ?
- — Au début, oui. Je me suis fait jusqu’à dix mille euros certains mois, d’autres beaucoup moins ; disons deux mille en moyenne une fois tout payé. Et puis le commerce en ligne est arrivé. On nous a dit pas d’inquiétude, les femmes préfèrent voir en vrai, toucher, essayer. Tu parles ! Les ventes ont baissé, l’enseigne a été rachetée, et puis les nouveaux ont décidé de se mettre aussi au commerce en ligne et de fermer les boutiques.
- — Je vois. Ils ont raté le coche d’internet. Parce que les magasins auraient pu rester, permettre aux gens de voir, toucher, essayer, et devenir un lieu de commande et de livraison.
- — C’est ce qu’on croyait au début des problèmes, mais je sais maintenant que, quand on travaille on n’a plus le temps d’aller faire les boutiques, et quand on est au chômage, on n’a plus ni l’envie ni le fric pour aller faire les boutiques. Regarde, même les hypermarchés s’y sont mis avec les drives, et malgré tout ils souffrent. Que veux-tu, quand tu as le monde entier au bout du clavier, des hangars de stockage monstrueux avec des millions d’articles, seulement trente personnes et des robots qui font les colis tout seuls, on ne peut pas lutter. Le commerce traditionnel est condamné.
- — Peut-être, c’est bien triste.
- — Allez, voilà de jolis boudins et de belles pommes, directement du producteur, sans commerce puisque c’est gratuit.
Il la regarda éplucher les pommes et les tailler en petits quartiers, puis elle se dirigea vers la cuisine, enfila un tablier comme préconisé et entama la cuisson. Son chignon et ses talons lui donnaient une silhouette plus élancée et ce positionnement particulier du bassin. Son voluptueux fessier saillait, encadré par les pans du petit vêtement et surmonté par son petit nœud, bien en évidence, présenté comme un cadeau. Hubert, toujours à poil, matait en sirotant un whisky. Il y avait une animalité dans cette femme qui le fascinait, animalité sans vulgarité. Et pourtant, des traces humides de leurs ébats maculaient l’intérieur de ses cuisses, mais elle ne s’en souciait pas, les acceptant comme une chose naturelle pour une femelle qui vient de se faire couvrir. Elle aimait la queue, sa queue, et semblait prête à tout pour assouvir ses fantasmes sexuels. Toutes ces pensées triviales le refirent bander, il fallait absolument qu’il plonge son sexe entre ces globes charnus. Il se leva, se plaça derrière elle, glissa ses mains sous le plastron et empoigna d’un coup les deux seins, toujours soutenus par le balconnet. Elle sursauta et trépigna.
- — Arrête, je vais me brûler.
- — Alors, arrête la cuisson un instant.
Il fléchit sur ses cuisses et laissa sa tête chercheuse trouver seule sa voie dans la raie encore engluée de miasmes. Sans même s’en rendre compte, elle avait un peu plus cambré pour mieux s’offrir à son amant. Mais le priape en avait décidé autrement et trouva son chemin dans le premier trou venu. D’un coup de rein, la petite rondelle céda et Solange glapit.
- — Salaud !… Oh salaud, ça fait mal…
- — Tu as bien dit que tu voulais que je t’encule, que je te défonce, hein, Madame Martin ?
- — Oui…
- — Alors, laisse-toi faire, subis salope !
- — Oui… Oooohhh…
En tendant ses longues jambes musclées, malgré les talons qu’elle portait Solange décollait de terre et retombait dans un claquement sonore. Hubert, toujours cramponné à ses seins, se pencha sur elle pour lui murmurer à l’oreille, tout en mordillant le lobe :
- — Tu es merveilleusement serrée… J’aime ton gros cul… Et toi, ma grosse cochonne, tu aimes ma queue ?
- — Ouiiiii…
- — Tu la sens ma grosse bite ?
- — Oh ouiiii…
- — Je vais te démolir le fion…
De fait, il se déchaîna et la bourra avec une violence inouïe. Il avait besoin de ça, de cette violence, de sensations extrêmes, parce que remettre le couvert à un quart d’heure d’intervalle, il ne s’en serait même pas cru capable. Les talons de la jeune femme faisaient un bruit de marteau-piqueur sur le carrelage. Quand il sentit enfin l’orgasme lui fouailler les reins, il se dégagea, retourna Solange et la força à se baisser. Le premier jet lui traversa le visage, mais les ultimes s’épuisèrent dans sa bouche.
Ah ! Ça c’est un fantasme jamais encore vécu ! Sortir sa queue du trou du cul pour éjaculer dans la bouche. Faut-il qu’elle soit docile, soumise, pour ne pas être dégoûtée. Mais non, elle suce, lèche, nettoie scrupuleusement mon pénis tant convoité. Ce n’est pas une maîtresse, mais une véritable esclave sexuelle. Quand je pense à la mère Chodar que la simple idée d’une fellation révulse…
Hubert en était là de ses réflexions en sentant son membre irrité s’apaiser dans cette bouche chaude. Ils allèrent se laver, se vêtirent et déjeunèrent enfin. Les pommes étaient un peu tombées en compote, mais qu’importait, l’instant avait été fabuleux. Chodar se demandait comment profiter plus fréquemment de sa conquête. Multiplier les visites eut été repérable par le voisinage, et puis c’était autant de pris sur le temps de travail déjà bien chargé.
- — Dites-moi, Solange Martin, vous m’avez bien dit que vous alliez faire une formation en informatique ?
- — Oui, c’est ça, je commence le premier avril. Je sais bien utiliser un ordi, naviguer sur le web, mais au boulot j’avais un logiciel dédié, fourni par le franchiseur. J’y passais les commandes, les ventes, les frais et un module de compta me sortait le bilan mensuel et annuel. Disons donc que je connais bien ce logiciel très particulier, mais que je suis un peu perdue dès que j’en sors…
- — C’est bien, il faut le faire. Et en droit, vous y connaissez quelque chose ?
- — Non, vraiment pas du tout. J’ai fait un BTS commerce, c’est tout.
- — Vous accepteriez de vous former dans ce domaine ? Au moins d’essayer ?
- — Pourquoi pas, mais je ne vois pas ce que j’en ferai…
- — Eh bien, à la fin de l’année, ma collaboratrice part à la retraite. C’est elle qui gère tous mes dossiers pendant que je vais sur le terrain. Alors je me disais…
- — Oui ?
- — Si vous aviez au moins une capacité en droit, je pourrais peut-être envisager de vous embaucher. Bien sûr, je vous aiderai et je perfectionnerai votre formation en l’adaptant aux besoins de l’étude.
- — Tu… tu plaisantes ? Travailler avec toi ? Ce serait trop !
- — Ma foi, je ne vois pas comment je vais pouvoir me passer de vous, Madame Martin.
- — Et ça gagne combien ?
- — Hé-hé ! On ne perd pas le nord ! Disons à peu près trois mille euros. Net.
- — Eh ! Pas mal ! Mais je ne serai certainement pas à la hauteur…
- — Solange, vous avez été chef d’entreprise, en quelque sorte. Certes, l’entreprise a fermé, mais ce n’est pas de votre fait. C’est une bonne expérience. Et puis vous êtes intelligente, volontaire, autonome. Moi, je vous en crois capable. Vous savez, il y a plus de routine dans ce travail que de réelle création. C’est pourquoi cela risque de ne pas vous plaire.
- — Avoir un travail bien payé, être auprès de toi, je ne vais pas faire la fine bouche. Mais ça me paraît aujourd’hui hors de mes compétences.
- — Je vais vous passer un bouquin de droit, pour nous un manuel de référence. Vous y jetez un coup d’œil et on en reparle, d’accord ?
- — Je veux bien essayer.
- — Ce n’est pas la bonne formule !
- — Oui je sais : je vais réussir si je m’y colle vraiment.
- — Voilà.
Les visites de Chodar restèrent dans la limite du professionnellement correct. Chaque quinzaine, il venait récupérer un chèque justifiant les trois heures, de onze à quatorze heures, qu’il passait à trousser Madame Martin.
- — Finalement, mon ancienne employée ne s’en tire pas mal, disait Solange en parlant de sa nourrice improvisée. C’est elle qui me faisait les retouches. Elle s’est mise à son compte « couturière-retoucheuse ». Une enseigne sur la maison, elle a remplacé une fenêtre par une vitre unique avec un petit décor : vieille machine à coudre de sa grand-mère, mannequin trouvé dans une brocante, quelques drapés de tissu… Comme elle habite en face de l’école, ça a attiré les gamins, donc les mamans. Une clientèle potentielle de trois cents bonnes femmes, qui achètent sur internet et, comme ça ne va pas bien ou que les boutons tombent au bout d’une semaine, elles apportent le matin et reprennent le soir. C’est pas sot du tout.
- — Auriez-vous des envies d’auto-entrepreneur ?
- — Pas du tout, j’apprécie seulement, et je suis contente pour elle. Moi, j’ai mon projet.
- — Et moi je vois que la prochaine fois, le dossier « Solange Martin » sera clos.
- — Mon dieu, tu ne reviendras plus ? Il faut que je refasse des dettes…
- — Ah non ! Ne recommencez pas ou je vous envoie un confrère, vieux et cacochyme. Mais je crois que je vais passer mes prochaines vacances à l’île de Ré.
- — Oh super ! Attends, je te donne toutes les indications…
Comme à son habitude, Madame Chodar critiqua tout. La chaleur, la clim, les moustiques, la propreté de l’hôtel, la qualité des repas… Hubert était habitué, c’était toujours pareil depuis vingt-cinq ans. Il avait déclaré que c’était le lieu idéal pour lui, pour passer des vacances sportives. Au programme, vélo et natation. Il avait oublié de dire à son épouse qu’il avait aussi loué un mobil-home dans un camping proche, où il retrouvait quotidiennement Solange pour une partie de jambes en l’air. Jamais à la même heure, arrivant et partant toujours en décalé, ils fixaient leurs rendez-vous d’un jour à l’autre pour ne pas éveiller de soupçons. Au final, Chodar ne risquait pas grand-chose, son épouse ne sortant plus à cause d’un terrrrible rhume dû à cette maudite clim, et les absences de Solange passaient quasiment inaperçues dans sa troupe de seize joyeux lurons. Souvent, Hubert allait sur la plage fréquentée par la troupe bruyante, juste pour le plaisir d’observer sa maîtresse sortant de l’eau dans son minuscule maillot. Elle avait bien minci depuis la première fois, elle avait retrouvé son poids de forme. De formes, fallait-il dire, car elle n’en manquait toujours pas. La taille était plus marquée, le ventre moins dilaté, les cuisses moins empâtées, mais l’essentiel persistait, hanches larges, fesses rebondies, seins généreux quoi qu’un peu plus tombants. Qu’importe, elle le faisait toujours bander, et l’obligeait à passer de longs moments à plat ventre pour dissimuler son érection.
Ah, il est certain que Madame Chodar ne présentait pas les mêmes avantages. Des hanches de petit garçon, des nichons comme des œufs sur le plat, sans un gramme de graisse, on lisait chacun de ses muscles sous sa peau un peu rêche. Pourtant elle l’avait séduit par sa ligne de mannequin, son port altier et sa façon de regarder la vie avec un certain détachement. Juste l’opposée. Fille de médecin, elle ne travaillait pas et n’avait jamais travaillé. Elle n’était pas faite pour ça. Elle traînait sa langueur de piano en toiles sans talent, de messes en associations caritatives. Pourtant, à aucun moment Chodar ne songeait à la quitter, pas plus que Solange n’aurait délaissé sa tribu.
Solange Martin intégra l’étude de Maître Chodar au premier janvier de l’année suivante. Collaboratrice attentive, elle restait à l’étude pendant la pause méridienne sans réclamer d’heures supplémentaires. Vouée corps et âme à son patron, elle en tirait quotidiennement le meilleur de lui-même de toutes les façons possibles et imaginables. Il en était ravi, elle en était folle, tous deux vivaient un bonheur sans mélange, d’autant plus délicieux qu’il était secret, ignoré de tous et ainsi ne nuisait à quiconque. Cependant, avec le temps, malgré le piment de l’interdit et de sa transgression, Chodar se lassait un peu de ces parties de jambes en l’air quotidiennes, de Solange Martin tout simplement. Elle était si soumise, si attentive à son bon plaisir, elle satisfaisait tellement tous ses fantasmes qu’il commençait à perdre l’intérêt pour leur relation. L’attrait de la nouveauté s’était envolé, il ne restait que la réalité un peu fade d’une maîtresse obéissante, mais dénuée de réelle beauté, de réelle intelligence, de séduction pérenne.
De plus, Madame Chodar souffrait de ce qu’on appelait autrefois « langueur », puis « neurasthénie » et qu’on nommerait plutôt aujourd’hui dépression chronique. Au fil du temps, elle ne sortait presque plus, se gavait d’antidépresseurs et vivait de plus en plus dans une bulle où son mari n’avait plus sa place. Pour Hubert, c’était un boulet et une source de souci permanent, surtout depuis qu’un psychiatre l’avait mis en garde contre d’éventuelles tendances suicidaires. À son tour, l’huissier devint de plus en plus maussade et difficile de caractère. Ses seuls moments agréables restaient les joggings du week-end, la séance hebdomadaire de piscine et celle de musculation qu’il terminait toujours par une cabine UV, histoire de garder bonne mine.
Dans l’exercice de son métier, cet état le rendait absolument redoutable, lui faisant une terrible réputation qui, paradoxalement, lui ramenait de plus en plus de plaignants. C’est ainsi qu’il sonna, comme des centaines d’autres fois, à la porte d’un pavillon plutôt cossu, construction fin XIXe au milieu d’un petit parc un peu en friche, le genre de résidence qu’il avait peu l’habitude de fréquenter. On vint lui ouvrir.
- — Madame Tamaire ? Véronique Tamaire ? Bonjour, Madame, Hubert Chodar, huissier de justice.
- — Entrez donc, Monsieur l’huissier. Il fallait bien qu’un jour vous veniez chez moi…
Pendant un instant, la mâchoire de Chodar resta suspendue par la peau de ses joues. La femme qui venait de l’accueillir ainsi était à proprement parler d’une beauté stupéfiante. Tout en elle lui semblait parfait : silhouette toute en courbes harmonieuses, visage de madone, grâce, voix chaude et profonde… Il en eut presque du mal à s’en remettre tant une telle créature aurait mérité l’absolution sans confession. Mais voilà, il fallait bien faire le méchant.
- — Madame Tamaire, vous savez pourquoi je suis là, je suppose ?
- — En effet. Sans cependant vous attendre ou souhaiter votre venue, je savais qu’elle allait arriver.
- — Madame Tamaire, vingt-cinq mille euros de dettes, comment est-ce possible ?
- — Oh c’est très simple. Assoyez-vous et, avant de poursuivre vos réprimandes inutiles, écoutez s’il vous plaît ce que j’ai à vous dire. Souhaitez-vous un drink ?
- — Euh… pourquoi pas ?
- — Il y a une dizaine d’années, j’étais encore étudiante, et je voulais perfectionner mon espagnol, un peu mon point faible. Je décidai donc de passer un mois au Mexique et d’allier tourisme et pratique de la langue. Dès mon arrivée à l’aéroport de Mexico, un homme m’a arraché violemment mon sac à main, provoquant ma chute à cause de la bride passée dans mon épaule et autour de mon cou. Ce sac contenait mes papiers, mon argent, bref, l’essentiel. J’ai vu sauter un autre type par-dessus moi et ma valise, et fendre la foule à la poursuite du premier. Il l’a rattrapé peu avant la sortie, l’a plaqué à la manière d’un rugbyman et s’en est suivie une bagarre avant que la police n’intervienne enfin. Vous voulez des glaçons ?
- — Non merci.
- — Au moment où je suis enfin arrivée pour remercier mon sauveur, celui-ci est devenu tout pâle et s’est effondré dans une mare de sang. Il avait pris un méchant coup de couteau. Ambulance, hôpital, rien de vital n’était touché, mais il fallait tout de même l’opérer et surtout le remettre sur pied, suite à l’hémorragie. C’était un jeune ingénieur travaillant dans les pétroles, québécois, beau et très sympathique. En fait de tourisme et de séjour linguistique, je suis restée presque tout le mois à son chevet, ne parlant espagnol qu’avec les infirmières et les docteurs. Je devais bien ça à mon héros, admirable de courage et blessé pour sauver mes petites affaires. Comme dans les contes de fées, j’en suis tombée follement amoureuse et je ne l’ai plus quitté. De retour en France, j’ai terminé ma maîtrise obtenue de justesse et nous nous sommes mariés. Il gagnait très bien sa vie, très très bien même : un fort salaire de base versé en France, des primes selon les différents chantiers, plus un dédommagement confortable en monnaies locales dans ses différents déplacements. Nous avons vite acheté cette villa, nous l’avons restaurée à notre goût, et nous y vivions assez luxueusement avec du personnel de maison, femme de chambre, cuisinière et jardinier, ce dernier lutinant les deux autres, mais ça, c’est la vie, moi une décapotable, mon mari un gros 4X4. Une vie de rêves partagée entre réceptions et fêtes, et séjours au bout du monde. Je le suivais partout comme en vacances, je n’avais nul besoin de travailler. Sauf une fois… La seule fois où je ne l’ai pas accompagné, d’abord parce que j’en avais un peu marre, surtout qu’il s’agissait de retourner dans un pays déjà visité, et puis parce que mes parents fêtaient leurs noces d’or. Ayant l’espace et le personnel, j’avais promis d’organiser cette fête ici, ce qui supposait d’y passer pas mal de temps. Je ne pouvais pas me contenter d’un simple aller et retour. Et puis trois mois sans nous voir, nous allions survivre surtout avec les facilités de communication déjà pas mal développées, bien que coûteuses à l’époque…
Véronique Tamaire ne s’était pas assise après avoir servi les verres. Elle parlait en marchant de long en large, plongeant son regard dans les yeux de son interlocuteur lorsque la chose dite était d’importance. Hubert était fasciné et ne se reconnaissait plus. C’est lui qui aurait dû mener le débat, dominer sa victime, la faire plier, pleurer éventuellement comme il l’avait fait avec Solange et tant d’autres, même des hommes parfois. Et là, il restait sans voix, l’ouïe envoûtée par la mélodie de celle de son interlocutrice, que sa qualité d’huissier ne semblait pas du tout impressionner. Un pépin parmi tant d’autres. Elle se déplaçait, souple, féline, vêtue d’une simple robe de lainage à tour de cou, mais avec un décolleté sous ce bandeau qui laissait voir deux globes prodigieux et la profonde vallée qui les séparait. Le reste de l’étoffe confortable moulait au millimètre un corps somptueux, s’arrêtant à mi-cuisses, et quelles cuisses, sur un collant ou des bas noirs, discrètement brillants. Des bottines à lacets et hauts talons aux pointes évasées martelaient l’épais tapis sans l’abîmer. Une bague, un gros brillant sans doute, et une alliance étaient les seuls bijoux que portait cette dame. Sa marche durcissait alternativement ses fesses parfaites et rebondies, en creusant légèrement les flancs à chaque pas. Hubert bandait comme un étalon avant la saillie, sa conscience à la dérive dans les sons, le parfum, les images parfaites issues de cette femme magnétique et les vapeurs d’un excellent whisky.
- — Tout se passa bien ici, les noces d’or furent une parfaite réussite, mais…
- — Mais ?
- — Mais en Afrique du Sud, rien ne se passait comme prévu. Mon cher époux était de plus en plus difficile à joindre : beaucoup de travail, problèmes de connexion… Le problème s’appelait Elsa, ingénieur également, mais dans la chimie du pétrole. Hollandaise, rousse, l’air à la fois mutin et têtu, prodigieusement intelligente et manipulatrice malgré son jeune âge, vingt-six ans, et dans une ascension hyperbolique dans le milieu pétrolier. La dernière conversation que j’ai eue avec mon époux à la fin des trois mois, par liaison vidéo, fut du genre :
- — Véro, désolé de te l’apprendre comme ça, mais… je ne rentre pas.
- — Quoi ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
- — Pour être clair, je te quitte.
- — Comment ? Comme ça, sans même me le dire en face ?
- — Tu me vois, je te vois, je te le dis en face.
- — Attends, il faut qu’on parle. Je prends l’avion ce soir même.
- — Inutile, nous serons déjà en vol pour le Canada.
- — Nous ? Qui nous ?
- — Tu l’apprendras de toute façon… Elsa.
- — D’accord… la garce… cinq ans de vie commune rayée d’un trait de plume… Je demande le divorce… à tes torts… Vous allez me le payer !
- — Normal, je n’en attendais pas moins de toi. De toute façon, je te laisse tout, je m’en fous. Allez ciao.
- — Et voilà comment on se retrouve comme une conne, trompée, trahie, sans boulot et sans ressources, juste un toit sur la tête. Dès le lendemain, direction l’avocat. Il y a eu bataille, âpre, qui a duré trois ans. Dans sa tête, il me laissait tout, maison, meubles, voitures, tout ce qu’il avait en France, et ainsi se croyait libéré de toute autre contrainte. Alors ça a joué, bien sûr, sur le montant de la pension alimentaire, parce que j’avais toujours cette grande propriété à entretenir et trois employés à payer. C’est là que j’ai fait une erreur, je le reconnais volontiers : j’aurais dû tout vendre tout de suite. Mais, même si je n’avais plus espoir de le voir revenir, j’étais attachée à ce lieu, qui était un peu notre œuvre, mon œuvre, dans laquelle j’avais englouti beaucoup d’énergie. Son fric aussi, je l’admets. Mais c’est aussi à cause de lui que je ne pouvais pas avoir de boulot, toujours parti aux quatre coins du globe. À cause de lui que nous n’avions pas encore d’enfants, repoussés à plus tard quand on serait fixé. J’ai donc commencé par vendre le 4X4 pour payer les employés et l’avocat, espérant en un règlement favorable. Je demandais la moitié de ses gains, ce qui aurait permis de maintenir mon train de vie. Après tout, il avait tous les torts. Je n’ai obtenu que cinq mille euros par mois.
- — Déjà pas mal, tout de même…
- — Oui, mais insuffisant pour couvrir trois salaires et les charges, plus tout le reste : assurances, impôts, chauffage… Mine de rien, même en limitant à 17°, avec des plafonds de quatre mètres c’est un gouffre. Il me fallait licencier les trois employés. J’ai fait appel, mais ça prend du temps, toujours sans rien toucher, et j’ai fait patienter mes gens de maison autant que j’ai pu. Quand ils m’ont menacée d’aller en justice, j’ai fait ce qu’il ne fallait pas faire : j’ai hypothéqué la propriété…
- — Arff !
- — Comme vous dites, du coup elle devenait invendable, d’autant que l’appel a confirmé le jugement. Je me suis donc retrouvée seule ici, avec du travail pour quatre, mais malgré tout cinq mille euros par mois. J’ai survécu pendant deux ans, ayant recours de temps en temps à des entreprises pour faire ce que je ne pouvais pas faire seule : taille des arbres et des hautes haies, nettoyage des fenêtres et des plafonds, multiples travaux d’entretien et de réparation. Et puis un jour, plus de chèque. Mon ex et sa belle disparus sans laisser d’adresse. Ils avaient quitté leur société pour une autre, plus petite, canadienne, et puis envolés. J’ai téléphoné partout, chez les pétroliers, dans les ambassades, aux ministères, à la police de différents pays… Chou blanc ! J’ai porté plainte, sans succès bien entendu. J’ai donc cherché du travail, ici parce que j’avais malgré tout un toit et une voiture à peu près convenable, mais je n’ai trouvé qu’un poste de prof de langues dans un lycée privé. Les enseignants travaillent peu, dix-huit heures par semaine et trente-six semaines par an, rien à voir avec l’entreprise et ses horaires de fous, pour les cadres j’entends. Mais ils gagnent peu également, surtout débutants : péniblement deux mille euros par mois. J’ai pris des responsabilités, prof principal par exemple, j’ai accepté des heures supplémentaires, j’ai donné des cours de soutien, des cours particuliers pour à peine arriver à trois mille euros. Maintenant, faites le calcul : trois mille euros au lieu de cinq depuis deux ans, voilà mes dettes, diminuées des bijoux et autres choses de valeur que j’ai pu vendre.
- — Exact.
- — Alors Monsieur l’huissier, je ne demande pas la lune, juste que le jugement de divorce qui a été prononcé soit appliqué. Depuis deux ans, mon ex-mari me doit juste cent vingt mille euros, excusez du peu par rapport à vingt-cinq de dettes. Seulement voilà, moi pendant ce temps-là, je suis interdite bancaire, je dois porter mes salaires à la Banque de France et quémander de quoi ne pas mourir de faim. Je suis coincée en ne pouvant même pas vendre cette propriété qui en vaut à peu près dix fois plus quand elle est en état, mais qui est en train de s’abîmer parce que je n’ai plus les moyens de l’entretenir.
- — Je comprends, chère Madame, mais je dois faire mon métier…
- — Ah oui, c’est ça. C’est la réponse universelle, tout le monde me la sort, banquiers, compagnies pétrolières, ambassades, policiers, ministère, justice, que sais-je encore. « Je fais mon métier, c’est la loi, ce n’est pas de mon ressort, ça va prendre du temps… » et moi je crève ! Mais qui donc aura, pardonnez-moi, mais je ne trouve pas d’autres mots, les « couilles » de se bouger un peu et de faire ce qu’il faut contre le vrai coupable, et pas contre moi. Il faudrait engager un détective privé, me disent certains. Mais qui le paiera, avec quel argent, surtout pour l’envoyer enquêter au Canada ? Je vis une double peine, triple même. J’ai perdu l’homme que j’aimais, il me fout dans la merde, passez-moi l’expression, et on m’y tient la tête enfoncée en me disant que je suis coupable. J’ai beaucoup pleuré, maintenant c’est terminé, je suis révoltée. Allez-y, faites votre boulot d’huissier, saisissez ce que vous voulez, tout si vous voulez, je crois que j’ai le droit de garder ce qui est sur moi, il me reste un vison, je vais l’enfiler.
Elle était rouge jusqu’aux oreilles, superbe quand elle est en furie, pensait Hubert. Il bandait toujours, mais son cerveau turbinait à plein régime. Comment sauter cette femme qu’il trouvait sublime ? Cette pensée, il ne l’aurait jamais eue avant Solange, mais il se rendit compte qu’il ne pensait qu’à cela depuis une demi-heure qu’il l’écoutait et l’observait. Ça passait forcément par la résolution de ses problèmes, ce qui semblait très difficile.
- — Madame Tamaire, calmez-vous d’abord, asseyez-vous et reprenons les choses une à une.
- — Oui, excusez-moi, je me suis laissé emporter, mais admettez qu’il y a de quoi.
- — Tout d’abord, dit-il en sortant bloc et stylo, j’établis le constat que vous êtes insaisissable compte tenu de l’hypothèque en cours sur vos biens. Vous voudrez bien me montrer les documents qui l’attestent.
- — Sans problème, ouf, merci, c’est un petit soulagement.
- — Secondement, j’établis également le constat que vous ne pouvez être tenue pour responsable de votre situation d’endettement, eu égard au non-versement de la pension alimentaire par votre ex-mari à laquelle la justice l’avait contraint. C’est un délit. Là encore, il me faudra les documents le prouvant, arrêté du tribunal et relevés de comptes bancaires.
- — C’est également très facile, je vous les sors dans l’instant.
- — Bien. Troisièmement, je vais établir un recours à l’encontre dudit mari afin de recouvrer les sommes qui vous sont dues. Mais là, compte tenu de sa… « disparition », il faudra probablement du temps et des démarches compliquées. Je ne suis pas détective, mais nous disposons d’un réseau assez bien structuré sur tout le territoire, y compris ceux d’outremer, avec des correspondants dans les pays susceptibles d’accueillir des francophones indélicats, qui auraient laissé des ardoises en métropole. Je ne vous promets pas de réussir, mais au moins d’essayer.
- — Ah, Monsieur l’huissier, pardon de vous le dire, mais juste essayer c’est perdu d’avance. Il faut absolument réussir.
- — Vous avez raison, moi-même je rectifie souvent cette attitude auprès de mes collaborateurs. Il ne s’agit pas d’essayer, mais de réussir. Cependant, si je dispose de moyens différents de ceux de la police, je n’en ai pas les prérogatives. Je ne pourrais éventuellement que lui passer le relais si mes recherches sont fructueuses.
- — Bien sûr, je l’entends, et a priori je ne dois pas compter sur votre réussite.
- — Nous verrons. Enfin, Madame, il me faut tenter de vous sortir dans l’immédiat de la mauvaise passe dans laquelle vous êtes. Pour cela, je vais tenter de renégocier votre hypothèque, puisque hypothèque il y a. Si vous êtes coincée par cette erreur, je ne vous le reproche pas, vous n’aviez pas de conseiller financier à l’époque et vous avez cru faire au mieux, autant en profiter complètement. Vous avez obtenu combien par cette hypothèque ?
- — Soixante mille euros.
- — D’accord, mais cette propriété en vaut bien plus, je pense.
- — Oui, disons que remise en état, au moins avec un parc entretenu et quelques bricoles de maintenance, c’est un bien qui vaut environ un million deux.
- — Moui… Disons que dans son état actuel, elle se négocierait autour d’un million, d’accord ?
- — Ça me paraît réaliste.
- — En obtenir dix pour cent en hypothèque semble donc également réaliste, ce qui supposerait de renégocier le prêt sous hypothèque à cent mille euros, un bol d’oxygène de quarante mille pour vous dans l’immédiat.
- — Oh ce serait génial. J’ai bien conscience que c’est du court terme, mais ça me soulagerait tellement. Je me sens… comme ces gens qui vont par milliers aux restos du cœur, alors que je vis dans une belle maison, que je travaille… c’est horrible.
- — Madame, mon métier m’amène à voir des situations autrement plus dramatiques que la vôtre, pardonnez-moi. Des familles entières entassées dans douze mètres carrés sordides, sans chauffage, sans ressources et qu’on m’envoie saisir… Une horreur humaine, une détresse sociale, une aberration d’une société aveugle. Mais chacun ses problèmes, les vôtres sont bien réels et au moins peuvent-ils recevoir quelques solutions, inutile de s’en priver.
- — Je vous remercie, vous me remontez le moral.
- — Enfin concernant votre ex-époux, son nom, son prénom ?
- — De Hurlevent, oui, québécois, mais issu d’une vieille famille du Quercy, paraît-il. Prénom : Léo.
- — Si vous avez une photo, la plus récente possible… Et sa compagne actuelle ?
- — Plickenklass, Elsa, néerlandaise.
- — Pas de photo, je suppose ?
- — Non… Si, ah si, on la voit dans un magazine professionnel de l’entreprise. Je vous le retrouve.
- — Bien, avec ça je vais commencer les investigations.
- — Merci encore, cher Monsieur. Je ne m’attendais pas à trouver un soutien auprès d’un huissier.
- — Je vous en prie. Je vous tiens informée…
Hubert pensait en sortant que lui non plus n’aurait pas imaginé voler au secours d’une pauvre femme riche. Il rentra à l’étude juste avant sa fermeture.
- — Madame Martin, s’il vous plaît. Pouvez-vous faire appel à votre amie pour garder les enfants pendant une heure ce soir ? Un dossier urgent…
- — Bien sûr, Monsieur, je l’appelle tout de suite.
Une fois tout le monde parti et la porte close, Hubert Chodar bourra Solange Martin avec une frénésie rare. Il avait gardé une puissante trique de son entrevue avec Véronique Tamaire, et c’était elle qu’il voyait, ses gros seins, ses jolies fesses, ses cuisses gainées de soie, tandis qu’il s’épanchait par deux fois dans les conduits de son assistante ravie de l’aubaine.
Une quinzaine plus tard, Chodar sonnait de nouveau à la porte de la propriété, tout excité à l’idée de revoir la belle Madame Tamaire. Son espoir ne fut pas déçu. Elle apparut à la porte vêtue d’un débardeur, d’une jupette courte, d’un vieux gilet, pieds et jambes nues, une paire de petites lunettes d’écaille sur le nez.
- — Excusez-moi, je ne vous attendais pas. Je suis en négligé pour préparer mes cours…
- — Non, c’est moi, j’aurais dû vous prévenir, mentit-il en matant la belle poitrine, visiblement libre sous le coton. Mais je sors de la banque avec une bonne nouvelle.
- — Ah ? Dites-moi ?
- — Voilà, le prêt hypothécaire est renégocié, votre compte a été crédité de quarante mille euros, donc vos dettes sont pour l’instant effacées. J’en ai profité pour faire lever votre interdit bancaire, et vous recevrez dans les prochains jours une carte et un chéquier.
- — Oh c’est merveilleux, vous me sauvez la vie !
- — Oui, mais pas de folies, c’est provisoire. Pensez qu’il ne vous reste déjà plus que quinze mille euros.
- — Merci, je sais compter. Je vais juste faire intervenir le paysagiste pour dégager cette friche.
- — Oui, et puis anticiper l’avenir : faire le plein de fuel pour l’hiver, faire quelques provisions de pâtes et de conserves… Vous n’êtes pas encore sortie d’affaire.
- — J’en suis bien consciente, rassurez-vous. D’ailleurs cette hypothèque n’est qu’un emprunt qu’il me faudra bien rembourser…
- — Exact. Mais au moins, toutes les poursuites contre vous sont-elles caduques. Maintenant, concernant votre ex-époux, mes collègues du Québec se sont mobilisés. Un certain Léo de Hurlevent a bien été retrouvé dans une compagnie canadienne qui prospectait dans tout le pays pour l’extraction de gaz de schistes. Il a passé un an dans cette compagnie, mais l’a quittée, avec un contentieux, car il estimait ne pas être payé à la hauteur des promesses qui lui avaient été faites. Il serait parti dans une compagnie américaine. Mais, sans le litige précédent, on ne l’aurait jamais retrouvé, car il doit s’assurer que personne ne donne ses coordonnées. En appel direct, son ancienne compagnie déclare en effet ne pas le connaître.
- — Bien sûr, il se sait poursuivi ou du moins risquant de l’être.
- — En revanche, Madame Plickenklass est moins prudente. Peut-être n’a-t-elle pas les mêmes nécessités de discrétion. J’ai bien pu la pister assez aisément et je connais sa nouvelle compagnie. En supposant qu’ils soient toujours ensemble, il ne me reste plus qu’à la localiser.
- — Ha-ha ! Piégé par où il a fauté. Ce serait trop beau ! Mais vous en faites plus en quinze jours que n’importe qui en deux ans… Je n’aurais jamais imaginé éprouver de l’admiration pour un huissier de justice lancé à mes trousses.
- — Je ne fais que mon métier, et je le fais de mon mieux.
- — Mais dites-moi, je vais vous devoir une fortune ?
- — Laissons cela, vous savez bien que les huissiers ne se payent que sur le dos des contrevenants. C’est votre ex-mari qui me paiera, si je le retrouve. C’est une motivation supplémentaire…
- — Oh super ! Bien fait pour lui. Mais là, que puis-je faire pour vous être agréable ?
- — Euh… disons que j’avais trouvé votre whisky excellent.
- — J’y cours, j’y vole. En d’autres temps, je vous aurais accompagné d’une flûte de champagne, mais hélas…
Elle se précipita vers l’armoire des alcools et se baissa prestement. En un éclair, Chodar aperçut sous la jupette relevée par l’élan l’orbe d’un cul fabuleux. Aussi gros que celui de Solange, mais tellement mieux dessiné, plus vigoureux, plus musclé, plus approprié à un corps plus grand, plus… Et puis cette lanière de string noir qui disparaissait dans la vallée profonde, source de tous les plaisirs. Il bandait comme un cerf en période de brame. Véronique le servit et son regard n’était pas dupe, braqué sur l’entrejambe dilaté de l’huissier.
- — Et… Y a-t-il une Madame Chodar, s’enquiert-elle soudain ?
- — Hélas oui. Je dis hélas, car la pauvre est en vilaine posture. Dépressive, elle s’est tranché les veines des poignets il y a une semaine. Comme elle s’y est très mal prise, ayant horreur de la douleur, sa vie n’est pas en danger. Mais il a fallu l’interner et la mettre sous « camisole chimique », comme l’on dit.
- — Ah, désolée… Vous devez vous sentir très seul…
- — Oui et non, j’en ai pris l’habitude depuis fort longtemps. Et puis il y a le travail…
- — Je sais ce que c’est. Cinq années de combat permanent contre les événements ne m’ont pas laissé beaucoup de temps pour penser un peu à moi. J’en suis à me voir vieille et rabougrie dans cette grande bâtisse, entourée de friches et de corbeaux, désespérément seule, sèche des yeux comme du ventre, « la vieille au bois dormant » en quelque sorte…
- — Oh… n’exagérons rien. Vous êtes une femme… extrêmement séduisante et je suis certain qu’il vous serait aisé de trouver un beau parti. D’ailleurs, je m’étonne que vous ne soyez pas sortie de ces ennuis par le haut, en épousant en secondes noces l’un de ces magnats du pétrole que vous fréquentiez.
- — Non, vous n’y êtes pas. Moi dans le pétrole, je ne connaissais presque personne. Juste des collègues de travail de Léo, des jeunes gens aux dents longues, comme lui, vus une fois ou deux tout au plus, et capables de vendre père et mère. Je n’y travaillais pas, donc je n’y avais aucun lien direct. Et puis ces gens ont tellement mieux que moi sous la main, la preuve…
- — Peut-être ne suis-je qu’un petit huissier de province, mais je ne partage guère votre avis. Mais bon, ce n’est que mon avis. Pourtant, j’ai rarement rencontré dans ma carrière une telle beauté, une telle intelligence, une telle maîtrise de soi avec un tel aplomb. Toutes choses sans lesquelles je n’aurais fait de vous qu’une bouchée pour effectuer ma triste charge qui est de satisfaire des oppresseurs en pressurant des opprimés, prélevant mes gains au passage. Mais dans vos fonctions d’enseignante, vous devez bien avoir quelques opportunités ?
- — C’est vrai, mais là j’ai une déontologie : sachant ce qu’ils gagnent, je sais qu’ils ne correspondent pas du tout à mes besoins, du moins pour sortir de mon ornière. Je n’ai pas de honte à dire que ces problèmes m’obsèdent et occultent toute autre priorité ; que j’ai connu une vie de rêve et que je ne me vois pas, mais alors pas du tout, couver une ribambelle de marmots et peiner à joindre les deux bouts pour les beaux yeux d’un gentil professeur. Au pire, je préfère flétrir dans ma solitude. Pourtant, j’aurais bien aimé être maman un jour…
- — C’est cependant un beau gâchis. Pour la gent masculine comme pour vous, permettez-moi de l’affirmer.
Véronique s’était recroquevillée sur son fauteuil en se livrant ainsi à l’huissier, comme à regret. Et Chodar fortifiait sa libido en contemplant ces cuisses charnues, ces aperçus rapides de culotte sombre, ces petits pieds troublants qui devaient si coquinement pouvoir branler une belle queue, et ces seins généreux qui n’en pouvaient plus de vouloir percer la cotonnade qui les couvraient. Quelle femme, se disait-il, elle a tout et elle n’en fait plus rien. Cinq ans sans voir le mâle, ce doit être une bombe prête à exploser. De son côté, Véronique commençait à trouver l’huissier particulièrement intéressant. Certes, il progressait fort dans la résolution de ses problèmes. Mais en plus c’était un bel homme, soigné, séduisant. Un bon amant sans doute. Elle chassait vite ces pensées obscènes en se disant aussi qu’il était trop vieux, déjà marié et vraisemblablement pas assez riche. Mais aussitôt une petite musique revenait : qu’as-tu à perdre à te faire lutiner un bon coup ? Ça te ferait tellement de bien de rassasier ce corps autrement qu’avec tes doigts. Ah si seulement, esprit, tu étais libéré de tes tourments et capable de prendre une décision ! Elle se contenta de minauder un brin, d’accepter les compliments et de raccompagner son visiteur.
Le tribunal condamne Monsieur Léo de Hurlevent, ici présent, à verser à Madame Véronique Tamaire, son ex-épouse, la somme de cent cinquante-cinq mille euros correspondant à trente et un mois de pension alimentaire non versée ; à rembourser l’emprunt hypothécaire de cent mille euros que Madame Tamaire a dû contracter pour pallier votre négligence ; à lui verser également une somme de cinquante mille euros pour indemnités de retard et le préjudice subi. Par ailleurs, Monsieur Léo de Hurlevent, ici présent, est également condamné par la cour à prendre en charge les frais de justice et de procédure, ainsi que les frais de poursuite et de recherche au Cabinet Chodar pour un montant de quarante mille euros, et ce pour s’être délibérément soustrait à son obligation de versement de pension alimentaire. L’affaire est close.
Dans la salle, Elsa Plickenklass se recroquevillait un peu plus à chacun des délibérés de la cour de justice de Montpellier. Envolé le yacht, la villa en bord de mer, tout son rêve élaboré avec ce connard de Léo. Elle allait sortir de cette salle d’audience seule, très vite, et ne plus jamais le revoir. Pourtant, à son insu, c’était-elle qui avait permis à Chodar de pister Hurlevent. Quand il apprit qu’elle jouait des éprouvettes dans une raffinerie d’un site bien connu du sud de la France, le vieux filou se frotta les mains. « La chatte est là, son matou n’est pas loin ! », se dit-il avec raison. Et revenir en France était suicidaire pour eux, car ils tombaient irrémédiablement et directement sous l’emprise de la justice du pays où le délit avait été commis. À portée de main, le Hurlevent. Ce ne fut qu’un jeu d’enfant pour éblouir la belle Madame Tamaire.
Il l’avait ramenée en taxi jusqu’à la gare, ses yeux étaient brouillés et rougis de larmes, son calvaire était terminé. Ils s’assirent tous les deux face à face dans le TGV, leurs regards plongés l’un dans l’autre. Puis elle rabaissa la tablette et y posa sa main, il la couvrit de sa grosse paluche, ils restèrent ainsi deux bonnes heures sans un mot. Hubert reprit sa voiture et raccompagna Véronique dans sa villa. Ils gravirent ensemble les marches du grand escalier d’apparat.
Le soleil levant les nimba de reflets orangés, corps trempés de sueur à peine endormis.
Devant l’étude Chodar, ce lundi, quatre femmes poireautaient en papotant, attendant que leur patron ouvre enfin l’huis du cabinet. Un grand type se présenta, introduisit la clé dans la serrure et les fit entrer. Les femelles caquetantes s’égayèrent vers les vestiaires et leurs postes de travail. Une question était récurrente :
- — C’est qui çui-là ?
- — Ch’ais pas, était l’invariable réponse.
Alors le grand type sortit du bureau directorial.
- — Mesdames, je tiens à vous informer que l’étude Chodar a été cédée au cabinet Grovit & Co, déjà connu comme huissiers dans la région. Je suis Raphaël Grovit, votre nouveau patron et je compte sur vous pour montrer le même dévouement dont vous avez fait preuve, toutes ces années, avec Monsieur Chodar. Celui-ci, retenu par d’autres obligations, ne peut être présent ce matin, mais vous adresse toute sa sympathie et sa reconnaissance pour ces années de travail en commun. Mesdames, au travail…
La jeunesse, le regard bleu profond et l’élégance du nouveau patron avaient déjà ravagé quelques petites culottes. Quand Solange Martin se pencha auprès de lui pour lui faire signer le parapheur, toute poitrine en avantage, elle ne fit qu’un petit « hou ! » en sentant une main se poser sur son fessier. Elle comprit vite que Chodar avait totalement « passé la main ». L’heure du déjeuner venue, elle ne fut donc pas surprise d’entendre la clé tourner dans la serrure de l’entrée et de voir la porte de son bureau s’ouvrir. Le grand et beau jeune homme entra et sortit son attirail éminemment respectable. Elle tomba à genoux sur la moquette et se mit à l’ouvrage.
Au même moment, un Airbus A350 laissait une trace blanche dans l’azur. À son bord, Véronique Tamaire et Hubert Chodar s’envolaient vers une nouvelle vie, un paradis climatique et fiscal où Chodar avait engrangé des années de petites malversations qui, cumulées, faisaient une grande rivière. Véronique, de son côté, avait bien vendu sa propriété et était comme libérée du poids de son passé. Elle ne pensait plus qu’à rattraper le temps perdu et trouvait, ma foi, qu’Hubert était un excellent amant pour cela. Lui-même était également libéré du poids plume de Madame Chodar qui, ayant trompé la vigilance de ses soignants ou peut-être même à l’insu de sa propre conscience, avait réussi à glisser son maigre corps par le vasistas très étroit des toilettes et s’était écrasée sur le bitume, quatre étages plus bas, en faisant un drôle de « crrraaacccckkkk ! », paraît-il.
- — Ce qui est pris est pris et il faut le prendre, disait Chodar à sa belle.
Comme il avait raison ! Deux ans plus tard, les mauvaises langues diront que c’était à cause de ses excès sexuels, il fut victime d’un sévère AVC qui, le temps de le rapatrier de son île perdue, le laissa lourdement handicapé dans un fauteuil roulant. Ce ne fut pas un problème pour Véronique, car, sous ces latitudes, on vit avec des boys à son service. Et Véronique trouva que, si pour certains la taille du sexe noir n’est qu’une légende, pour d’autres c’est une sacrée réalité, et qu’il en faut au moins deux pour les apprécier pleinement.