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n° 19882Fiche technique9977 caractères9977
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Temps de lecture estimé : 7 mn
01/11/20
Résumé:  Le retour d'un musicien ou le plaisir de l'anticipation du bonheur.
Critères:  #poésie #nonérotique #romantisme couple amour revede
Auteur : Mlle Fanchette  (De l'art d'être une indécrotable fleur bleue)            Envoi mini-message
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Clin d’œil à A.R.






Il sourit avec fatigue en écoutant la voix grésillante du contrôleur. Cela fait déjà un quart d’heure qu’il s’est posté devant la porte vitrée, son violon sur l’épaule, son sac à bout de bras et le front sur le carreau froid.


Dehors, tout est encore plongé dans l’ombre, le jour ne se lèvera pas tout de suite. Il étouffe un bâillement et cligne des yeux en regardant machinalement son portable. Quelques messages lui disant que le concert était excellent et qu’il est dommage qu’il ne soit pas resté fêter son succès avec toute l’équipe. Plusieurs lui ont reproché d’être fou de sauter dans le train de nuit à peine descendu de scène, qu’elle pourrait bien l’attendre comme prévu.


Elle peut-être, mais pas lui… Elle lui manque bien trop fort depuis plusieurs semaines qu’il n’a pu rentrer, retenu par la tournée. C’est ainsi, on peut avoir la célébrité, les fans, l’admiration et pourtant rester captif d’un drôle de petit sourire charmant…


Les voyageurs au visage blafard commencent à encombrer les allées, se bousculent pour récupérer les valises et se préparent à descendre. Lui, remonte distraitement son col et guette les premières lumières de la ville, promesse de l’arrivée prochaine. Il étouffe un nouveau bâillement. Dieu qu’il envie ces gens capables de dormir dans les transports ! Il a à peine somnolé un peu, mais tant pis, ça suffira. Et puis, il pourra toujours se rattraper en partageant la grasse matinée de sa fée.


Rêveur, il l’imagine étendue en travers des draps ne se doutant pas de son retour. Il se prend à songer à son sourire ensommeillé en le trouvant si tôt près d’elle quand elle ne l’attendait que pour le soir. S’il était resté avec le reste de l’équipe pour prendre le bus, il aurait laissé passer un dimanche avec elle. Or, il est des cadeaux de la vie qu’on ne refuse pas !


Enfin, les lampadaires se multiplient à l’extérieur comme une galaxie urbaine tandis que le train ralentit sensiblement dans un crissement strident. Derrière lui, on se bouscule mollement en se raccrochant aux dragonnes, quelques excuses s’échangent ainsi que cette récurrente et désespérante question :



Il était très sûr de lui tout à l’heure en choisissant la porte devant laquelle il s’est campé, mais désormais, un affreux doute le prend. Il pousse un léger soupir en haussant les épaules : il est trop tard pour se déplacer, il y a trop de monde et puis ça ne change pas grand-chose. Les lumières de la gare traversant la fenêtre aveuglante annoncent la minute décisive où ils sauront qui du militaire de retour chez lui ou de lui, le musicien en permission, aura deviné juste. Les yeux rivés sur les rails qui se multiplient, il voit enfin apparaître la butte d’asphalte. Ouf ! C’est ridicule, risible, dérisoire, mais il en tire une petite fierté qui le fait sourire.


Le train s’arrête dans un crissement aigu et les portes s’ouvrent avec un chuintement mécanique sur les dernières recommandations des haut-parleurs grésillants. Il saute à terre, aide une femme à descendre sa valise puis se sauve pour remonter le ruban de bitume jusqu’à la gare presque déserte. Il passe sans les voir devant les grilles closes des boutiques et des guichets sous la lumière violente des néons qui lui brûlent les rétines.


Il débouche enfin sur la place, à l’air libre. Il s’arrête après quelques pas, s’étire en jetant un œil alentour. L’aube grise commence à éclaircir le ciel nocturne, il n’y a pas grand monde, à peine quelques voyageurs qui se dirigent vers le parking et un taxi qui attend son client.


Il s’étire discrètement en recalant son violon et son sac puis inspire un grand coup l’air frais et vivifiant du petit matin naissant. Il se sent soudain plus alerte. S’ébrouant, le musicien prend à pied le chemin de son coin de paradis où un ange l’attend sans le savoir. À l’idée de la retrouver, il se sent pousser des ailes et avance d’un pas vif.


Les rues sont calmes et il goûte l’étrange miracle du silence de la ville seulement troublé par ses pas. Les bars dorment depuis quelques heures, mais les bus n’ont pas encore commencé leurs tours. Les boîtes de nuit se sont endormies, mais la ville a encore sommeil… Certains parlent de l’heure bleue où tout n’est qu’un soupir retenu avant l’éveil du monde. Il aime bien cette image et il songe que le moment est parfait. Ne va-t-il pas bientôt entrer dans le silence d’un appartement pour y rapporter l’éclat du rire joyeux des retrouvailles ?


Il tourne à l’angle d’une rue et tombe nez à nez sur un homme en pantoufles et porte-bébé qui arpente le trottoir dans l’espoir d’endormir son chérubin. À en juger par les cernes qu’il a sous les yeux, le père s’est encore moins reposé que le musicien… Mais le tout-petit s’agite et proteste chaque fois que sa monture ose arrêter ses allées et venues. Le violoniste leur fait un signe de main en passant et poursuit sa route. Encore le grand boulevard à remonter. Il s’y engage d’un pas léger. Le ciel a encore clairci et les lampadaires s’éteignent en enfilade comme pour mieux indiquer la route à prendre pour rejoindre la belle à l’appartement dormant. Dans les arbres qui bordent les trottoirs, les oiseaux s’éveillent en même temps dans un concert cacophonique de pépiements. Il sourit en adressant un regard à leurs silhouettes qui jouent en ombres chinoises dans les branches.


Il marche toujours, le nez en l’air, le cœur content. Le même concert résonne en lui comme un violon de fête de plus en plus fort et joyeux à mesure que ses pas le rapprochent d’elle. Il rit sous cape en devinant sa surprise au réveil. D’ailleurs, elle qui aime tant ses précieuses matinées dominicales au fond d’un lit, comment se faire pardonner ?


Il va son chemin d’un pas désormais dansant en cherchant une idée. Le nez au vent, il hume l’air frais du petit matin qui se pare délicieusement de l’arôme chaleureux du pain qui cuit. Son sourire s’élargit et une rue avant d’arriver, il tourne et se faufile à l’arrière d’une boutique qu’il connaît bien. Il frappe au carreau sans se départir de son air un peu fou d’homme heureux.


Un apprenti aussi enfariné que surpris vient lui ouvrir, mais le boulanger le renvoie bientôt à sa pâte feuilletée. L’artisan et le musicien se saluent, échangent quelques mots légers, des croissants encore brûlants changent de mains et notre amoureux reprend sa route sur un signe amical.


Il court, maintenant, impatient. Le coin de la rue est tout proche, et là, la porte de l’immeuble. Il s’y engouffre rayonnant et gravit les escaliers quatre à quatre, trop ardent pour attendre l’ascenseur. Son sac ne pèse plus rien au bout de son bras : sa Juliette est toute proche, rien ne saurait le ralentir !


À pas de loup, il entre dans l’appartement comme un voleur, abandonne sa charge à l’entrée et s’avance dans leur domaine que l’aurore pare d’or et de pourpre. Il regarde avec envie la porte close derrière laquelle elle se repose encore. Mais renonçant à la pénombre accueillante comme les bras d’une amante, il pose discrètement la cafetière sur la plaque chauffante. Un saut sous la douche et le café est monté. Il dresse un plateau et inspecte son œuvre en fronçant le sourcil. Son œil s’éclaire soudain. Il ouvre l’étui de son instrument et en sort un brin de chèvrefeuille séché soigneusement pressé entre les partitions. Il le dépose joliment avec le reste du petit déjeuner. Satisfait du résultat, silencieux autant que possible, il bombe le torse et pousse guilleret la porte de leur chambre.


Il s’immobilise sur le seuil pour la contempler comme on découvre le trésor si longtemps convoité, pour profiter de cet ultime instant d’attente et du premier instant de joie, comme l’assoiffé savoure la première goutte d’eau après le désert. Ce fugace instant où l’on touche au but, cet instant intense comme nul autre où du désir, on bascule dans le plaisir. Cette minute infime et suspendue à laquelle d’autres ne font pas attention…


La suite ? La suite, c’est lui qui l’écrira plus tard, tandis qu’ils reposeront l’un près de l’autre, pour un temps repu l’un de l’autre. C’est ainsi qu’il la chantera :



La nuit meurt et le train entre enfin en gare,

Je descends parmi les voyageurs hagards.

Longue route, la fatigue creuse mon visage

Sur mon épaule, mon violon et mon bagage.


Si bon matin, point de bus ni de taxi.

Seul, je remonte à pied les rues endormies.

L’aube grise, lentement, chasse le noir

Et je souris, tu ne m’attends que ce soir.


Au cœur des boulangeries, déjà cuit le pain

Donnant à la ville de délicieux parfums.

En arrivant si tôt, je vais pour sûr te réveiller

Mais de croissants, je me ferai pardonner.


Sans bruit, je tourne la clé à l’aurore

Et pénètre dans l’appartement baigné d’or.

L’ombre de notre chambre pourtant m’attire

Mais pour l’heure, je préfère te laisser dormir.


Je mets l’eau à chauffer pour le café

Et, silencieux, je cours me doucher.

Débarrassé de la poussière du voyage,

En cuisine, je me mets à l’ouvrage.


Les bras chargés du plateau odorant,

Je me faufile là où, paisiblement

Tu dors dans mon T-shirt trop grand.

Depuis le seuil, je te contemple un instant.


Puis doucement, je me glisse entre les draps

Mon poids creuse un peu le matelas

Confiante et naturelle, tu roules contre moi,

Tu te blottis et mes bras se referment sur toi.


Peu à peu, tu t’éveilles tout en douceur

Le nez profondément enfoui contre mon cœur

Tu flaires, tu humes, tu respires mon parfum

Et tes yeux de biche papillonnent enfin.


Ton regard s’éclaire en rencontrant le mien

Ta joie resplendit comme le soleil du petit matin

Tu me caresses, m’explores et me dévisages

Comme si je pouvais n’être qu’un mirage.


Des lèvres, tu laisses ta marque brûlante sur moi

M’embrassant avec le plus vif émoi.

Cette journée, c’est pour toi que je l’ai volée

Et tant pis si c’est froid que nous buvons le café.