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n° 19903Fiche technique28160 caractères28160
4846
Temps de lecture estimé : 20 mn
15/11/20
corrigé 02/06/21
Résumé:  Comme dit la chanson : aimons-nous vivants !
Critères:  -lettres hplusag amour cérébral nopéné confession
Auteur : Enzoric      Envoi mini-message
Missives

Ma Dulcinée,


Demain, je serai séparé de vous pour sept jours. Notre première séparation depuis nos fiançailles. Absence que j’ai retardée depuis que nous nous sommes unis ce premier mai dernier. Mais les affaires me rappellent à elles, comme vous n’êtes pas sans ignorer. Je vous sais à quelques pièces de moi, et déjà vous me manquez… imaginez comment vous hanterez ces sept prochains jours, séparé de vous ! J’en ai déjà le cœur, ainsi que l’esprit, aussi maussade que ces giboulées qui frappent la demeure. La vôtre dorénavant. Que le monde est cruel. Les autres seraient-ils si méconnaissants, ou, pis, jaloux que notre union irradie leurs tristes vies au point de, vaille que vaille, oser nous séparer sitôt réunis ?


Je me sais amoureux, bien plus qu’amarouché que ces vieilles connaissances aiment à avoir compagnes, aussi éphémères que jeunes, afin d’impressionner leurs compères. Nous c’est autre. Sincère. Point comme eux qui se fourvoient plus qu’ils ne s’impliquent, sans cour. Ils préfèrent, aux labeurs, la courtisane, plus fraîche et jolie que leurs vieux os ne peuvent encore les mouvoir à leur aise, sans aides. Mais je ne suis de ceux-ci, et vous le savez, ô vous, ma Fleur, bien que vous souffriez de leurs sourires moqueurs, or, néanmoins pincés. Vous me savez épris de vous plus qu’eux ne le seront jamais de leurs dites conquêtes. Car je ne vous crois pas de celle-là, ni plus que vous pensiez que je sois un des leurs. Mais je m’égare, ma Fleur bourgeonnante. Vous m’emportez loin de tout lorsque je pense à vous ; et en cela, également, je vous en suis reconnaissant. C’est pourquoi, dès que je serai parti, mon valet, qui est vôtre dorénavant, aussi dévolu à vous, ma Fleur grandissante, qu’il le fût et l’est encore à moi, vous remettra ce pli. J’eus préféré vous le remettre en main propre, mais je me sais trop faible pour ne point attendre que vous le lisiez, et ne plus avoir, ensuite, la force de vous abandonner. J’ose espérer que vous considérerez cette lâcheté comme preuve de mon profond attachement à ne point vous infliger plus de peine que j’en ai à devoir vous laisser une présence de moi, ainsi. Il en sera de même chaque matin, à votre réveil, afin que je sois, en lecture seulement, toutes mes excuses, et en pensée, je l’espère, au plus près de vous malgré la distance qui nous séparera. Vous voilà prévenue, et ravie, j’imagine.


Je ne vous demande rien en retour, mais si l’envie de coucher quelques bons mots à mon égard vous animait, je serais le plus comblé des hommes de vous lire. Pour dire vrai, j’en rêverai jour et nuit.

Voici donc pour ce premier :


Ce soir, après un dernier dîner, passé plus à me rassasier de vous qu’à me nourrir le corps, le remarquerez-vous, et en ferez-vous de même, j’invoquerai, non sans vérité, vous ayant écrit sept plis, être fatigué, et monterai me coucher ; non sans avoir, vous vous doutez, échangé quelques bouffées avec ma vieille amie. Je vous sais en détester l’odeur, mais qu’il me serait doux que vous soyez à mon côté. Je nous imagine, vous confortablement installée sur cette méridienne, et moi vous faire causette plus que fumer. Vous savez que je ne me lasse jamais de vous conter fleurette, et plus encore lorsque vous me flattez de cette pose qui évoque en moi ce merveilleux soir. Vous en souvenez-vous comme il est gravé en moi ? C’était hier pour votre jeune mémoire, et si lointain pour moi, car l’âge n’est pas égal à tous ; nonobstant, je puis vous assurer m’en souvenir de cet instant, comme si c’était hier seulement.


Qu’étiez-vous belle ! Tant, trop pensai-je alors. Je n’avais point même osé vous courtiser tant je redoutais cette folle chimère. Nous discutâmes, comme simples amis, de tout, de rien, riant parfois ; vous plus que moi il est vrai. Vous m’avouâtes me trouver fort poli et raisonnable, et pourtant n’en espérer pas moins que je lise en vos yeux si bleus les sentiments que j’avais fait naître en vous. Mais j’étais trop peureux de m’y perdre, dans cet azur, aussi préférai-je fixer le bois crépitant. Alors, non contrariée du faux désintérêt que je vous portais, vous prîtes la parole, n’en déplaise aux conventions.


« Me trouvez-vous jolie ? », vous me surprîtes.

Me réfugiant dans une bouffée, afin de réfléchir aux dignes mots qui vous caractérisent, j’inspirai, puis recrachai, avant de répondre.

Vous en souvenez-vous, ma douce Fleur ?


Moi, oui. Tout autant que le sourire qui me gratifia que les sentiments que je vous avouai, fixant les flammes réchauffant la pièce, vous assurèrent que vous aviez raison.

Depuis, nous voici mariés.


À demain, ma Fleur florissante.




Mardi matin :


Ma trop belle,


Nous voici séparés de quelques heures, et déjà ma main me rappelle à vous. Je dis la main, mais sachez que tout mon corps se languit de celle qu’il vient de laisser sur le perron. Vous m’avez souri, j’en suis certain, ainsi vous le fîtes en maintes occasions. Pour beaucoup anodines il est vrai, car sans guère importance. Auriez-vous préféré sourire plutôt que verser une larme ?


Je vous en conjure, ne pleurez point. J’en serais coupable et mériterais la peine capitale. Votre beauté, votre jeunesse, et votre joie de vivre ne se doivent d’être gâchées ainsi. Laissez-moi donc les pleurer pour deux ces larmes qui souilleraient vos rondes joues, les miennes sont suffisamment ridées pour qu’un torrent de pleurs ne les rendent plus creusées qu’elles ne le sont déjà. Gardez la gaieté, laissez-moi la tristesse, ô ma si pétulante Fleur.


Mille excuses si certains mots ne sont plus très lisibles, mais un déluge déferle, ainsi hier soir. Il pleuvait fort dehors, et plus encore en moi, mais il a suffi que vous me rejoigniez, ô mon soleil, pour illuminer ma nuit. J’ai fait un doux rêve, et je me dois de vous le conter, ô vous mon étoile.


Vous m’aviez dit, afin de digérer nos excès de bonne chair, éprouver le besoin de marcher quelques pas dans le jardin. En cela rien de plus normal, vous le faites chaque soir, aussi fis-je, comme d’accoutumé, une légère toilette avant de me coucher, vous sachant forte sensible aux odeurs qui font que les êtres, mêmes exempts de travail, exaltent à vos charmantes et délicates narines un bouquet bien trop mâle. Lorsque vous vîntes enfin, je mimai dormir. Ce, je me dois de vous l’avouer, je le fais fort souvent. Nous avions promis de ne rien nous cacher, aussi, pardon si je me confesse un peu tard, ne sachant comment avouer cette faiblesse, je vous le dis en mot ; mais la chair est faible, et moi bien plus de vous. Vous êtes si forte ! Bien plus que moi, si petit face à votre splendeur. Je vous attendis donc, l’esprit gai et le corps en alerte. J’aime à vous sentir vous coucher, puis réchauffer ce lit froid sans vous, même si vous prenez soin de ne jamais troubler ce semblant d’endormissement. Ainsi je le suis, si loin, et seul, et perdu, sans vous, ma Fleur de nuit. J’espérais, comme souvent, une main égarée, un baiser en guise de bonne nuit, mais, comme toujours, vous fîtes attention à ne point me troubler un sommeil tardant. Je devrais vous en remercier, mais j’aspirais alors à un effleurement ; plus sans doute. Alors je vous écoutai vous endormir. J’aime vous entendre respirer calmement, puis ronronner, tel un chat résonne son bonheur lorsqu’il est près de son maître. Mais ne vous méprenez point ! Je n’ai jamais cherché à l’être ce maître qui le dorlote et le nourris cet être dépendant. Vous me savez collé à vous plus que vous l’êtes à moi d’ailleurs !


Savez-vous que vous parlez en dormant ? Souvent rien de très intelligible, mais parfois, et que j’aime vous entendre dans ce silence, vous gémissez entre quelques phrases. Alors, délicatement, je me tourne et vous mire. Que vous êtes désirable ainsi. Si… éclose, ma Fleur. Quels rêves merveilleux vous animent ? Oseriez-vous me les avouer et ne plus me laisser ainsi les imaginer, seul, sans vous à mon côté, ou non ?


À demain, ma Fleur coquine.




Mercredi matin :


Ma rêveuse,


Deux nuits déjà sans vous, sans dormir. Vous hantez, je réalise, plus mes nuits que mes jours, forts occupés à vous rendre la vie aussi douce que je le puis encore. Je travaille sans relâche, or, fatigué comme jamais, l’heure venue, j’ai l’esprit bien plus torturé que les charognards avec qui je suis en affaire me l’ont retourné. S’ils m’épuisent de corps, vous me fatiguez le cœur plus douloureusement. Un mal pour un bien j’espère ! Aujourd’hui j’ai assuré l’avenir pour longtemps, et, ce soir, dans les fumées de ma pipe, je m’imagine votre joie.


Vous n’aviez rien avant, et je vous sais non-vénale, et si la richesse de demain ne comblera pas les manques qui furent le quotidien de votre jeunesse, je mets mon honneur à vous mettre à l’abri du besoin. Car je ne le sais que trop qu’un matin vous vous réveillerez dans un lit froid… de moi. J’ai atteint l’âge de penser à la mort, alors que vous au plus celui de découvrir la vie. Trop d’années nous séparent, et mon vœu le plus cher est de ne jamais déceler une ride naissante enlaidir votre si joyeux visage, ô ma Fleur aux si doux pétales. De le savoir, que trop, je m’en arrange, tout autant que je prépare une absence plus… confortable. Vous m’êtes si chère, et belle, et désirable… et moi si…


Ô mystère de la vie et de ses regrets ! Que fait que je sois si près du but et vous au commencement ? Pourquoi m’a-t-il fallu vous attendre si longuement ? Et surtout, pourquoi, comble du bonheur, ne plus avoir la vigueur suffisante pour vous aimer à la hauteur du sentiment qui n’anime plus que trop rarement mon flasque corps ? Il n’était pas si lointain pourtant le temps où j’aurais honoré votre bouton, ô ma Fleur gorgée de sève, à la dureté de mon désir !


Pauvre de vous, si délaissée du plaisir fougueux qui fut jadis mien, si frustrée, et si plaintive dans vos sommeils. Sachez que je vous plains plus que vous ne gémissez, ma grande causeuse. Vous entendre me ravit et me tue. Si vos souffles flattent mon vieux cœur, vos soupirs me le transpercent. Je me hais de vous infliger telle douleur, et pourtant je ne puis vous en soulager, vous en abstraire. Chaque nuit je me persuade qu’au matin je vous rendrai une liberté volée, emprisonnée, gâchée, et chaque soir je pleure de n’en avoir point le courage. Je suis faible, tant de cœur que de corps. Mille pardons d’être si dépendant de vous, ô vous ma raison d’être. J’ai même osé quelques potions vantées magiques, me suis adonné à divers envoûtements certifiés miraculeux, mais nul n’a fait suffisante roideur digne de vous assouvir, ma si désireuse, d’un manque qui ne devrait vous connaître. Certes la fougue m’anime encore, mais les forces me manquent, hélas !


Ne vous méprenez point cependant, je ne suis point triste, enfin d’être loin de vous oui, mais nostalgique plutôt. État d’esprit que vous ressentirez un jour. Lointain j’espère… et le veux… et ferai tout pour. Votre passé n’est point encore assez fertile pour germer telle graine, alors que le mien trop fangeux pour ne grandir tel sentiment, voilà pourquoi je vous conjure de me laisser porter seul le fardeau qu’est nôtre, et vous implore de profiter pleinement de votre jeunesse, ô vous ma Fleur tout juste éclose.


À demain, ma si plaintive.




Jeudi matin :


Mon admirable,


Que j’ai les yeux vides d’attrait depuis qu’ils n’ont porté un regard sur vous !

Tout est si terne ici. Il fait grand soleil, et pourtant je regrette la tempête qui fouettait les volets la veille de mon départ, et me glaçait bien moins le corps que cette séparation. J’ai le corps qui sue, mais je grelotte, sans vous. Rien ne semble pouvoir me réchauffer plus que les doux rayons qui fusent de vos yeux. J’en ressens un tel froid de ne point les avoir assez admirés, vos iris printaniers crépitant de passion, d’envie, que je suis gelé en plein été. Alors je relis le brouillon des mots que vous avez reçus, espérant y trouver une chaleur autre, ô mon astre rayonnant.


Une évidence m’apparaît, bien que triste : vous avez tant encore à découvrir !

Je pourrais vous mettre en garde, vous en éviter tant de ces peines inutiles, mais c’est de l’expérience, et des déconvenues surtout, que se forgent les caractères. Non que vous en manquiez ! Vous m’impressionniez avant que je ne sois vôtre, et bien plus depuis que je le suis, mais vous en préserver n’aurait que retardé les moments désagréables qui font ce que nous sommes ensuite. Tel je suis aujourd’hui.


Je ne suis point encore parti vous écrivant ces mots, et pourtant déjà vous me manquez ! Bizarrerie qui fait que l’amour parfois est aussi rude que plaisant, n’est-ce pas ?


Mais vous, ô ma Fleur tant, trop aimée, que ressentez-vous ? Seriez-vous, comme je le suis déjà avant mon départ, triste au point de compter les jours qui nous séparent encore ? Souffrez qu’après avoir compté les heures qu’il me restait à profiter de votre présence, j’en suis à égrener les minutes qui tardent à nous réunir, dans ce lit glacial de votre chaleur. Ô que je l’aime votre fraîcheur de corps et d’esprit qui réchauffe mes vieux os ! Vous égayez mes insomnies, si calme, si… distante de vous. Rien ne semble capable de perturber cette quiétude qui est vôtre lorsque vous dormez. Serait-ce le pourquoi qui fit que jamais je n’osai en profiter de cette absence, si proche, si à portée de main ? Il m’aurait suffi d’une caresse pour éveiller à mon toucher votre corps gémissant déjà ! Mais jamais je n’eus tel égard… Pourtant tout mon être était réveillé, lui. Si parfaitement… si… durement !


Ô ma Fleur si endormie, je me dois de vous avouer que certaines nuits, celles qui vous font plus que d’ordinaire accessible, celles durant lesquelles vos soupirs grandissent en mon sein un regain de puissance, je m’offre quelques moments de plaisirs solitaires. Non en nostalgique, puisque vous êtes avec moi, mais en jeune vieillard qui se redécouvre une ardeur ressuscitée. Oui, ô ma grande haletante, j’ai la main agitée pendant que vous avez les rêves lointains. Au rythme de votre respiration, à la cadence du balancement de vos seins, si fièrement épineux, j’ai les doigts, tremblants d’arthrose, bien plus que d’accoutumé vigoureux, ô ma belle endormie qui m’emportez dans vos fantasmes… Mais, en sont-ce d’ailleurs ?

Non ! ne me dites point si je fabule ou devine vérité ! L’espoir fait vivre, paraît-il. .




Vendredi matin :


Ma tant manquée,


Si mornes sont les jours sans vous, si joyeuse, vivante, et loin de moi. De corps du moins, car de pensée vous m’accompagnez en permanence. Éveillé vous me hantez tellement que j’en suis à vous chercher du regard en tous lieux et circonstances. Enfin, pas réellement vous, car je vous sais chez nous, mais quelques détails à votre image qui, bien que chez une autre, m’accélèrent le cœur à votre ravissant souvenir.


Ce vendredi, cinquième long et triste jour loin de vous, je vous ai ressentie en deux personnes. La première fut en celle qui m’apporta le petit déjeuner. Que fit que je porte les yeux sur elle ce matin, alors que depuis mardi je ne l’avais pas remarquée ? Elle a, plus que l’âge de votre délicieuse beauté, un parler qui me manque d’entendre. Alors je fis un brin de causette avec cette fortuite jumelle. Mais ne vous méprenez point, ô ma douce sirène qui me chante une joie de vivre pour quelqu’une, nos propos furent anodins de paroles, et très polis de bons mots sans conséquence. Ce me fut fort gai de converser de si bonne heure avec vous, certes d’un corps qui n’était vôtre, et me mit quelques baumes au cœur pour la journée.


De la seconde, je trouvai sur elle cette splendide couleur qui sied tant à votre regard fatal pour qui s’y noie. J’avoue m’y être perdu dans cet océan. Brièvement et moins loin qu’en les vôtres, ô vous, ma mer tempétueuse. L’espace d’un instant, je voguai vers un monde autre. Vers vous. Car c’est vous que je vis en elle, et vers vous qu’ils m’emportèrent ces deux iris tous aussi brillants que sont les vôtres, ô ma voûte céleste. C’était avant le dîner, tandis que je m’offrais un second verre en guise d’apéritif. Elle ne me remarqua point… qui puis-je bien intéresser d’ailleurs ? J’ignore toujours, malgré tant d’heures passées à tenter de comprendre ce qui en moi vous fait m’aimer, pourquoi vous le fîtes, vous ? Elle était accompagné de son mari je pense, bel homme dans la force de l’âge, lui aussi. Quel divin couple formaient-ils ! Ils peignaient l’amour tel qu’il se doit d’être vécu, et partagé : d’égal à égal. Elle l’écoutait plus qu’ils ne conversaient, et buvait ses mots en souriant, ainsi vous faites des miens, parfois. J’étais trop loin pour en saisir le sens, mais je suis certain, au rose qu’ils suscitaient, qu’ils fussent doux et chargés de coquineries, passées ou futures. Ils dînèrent rapidement, et partirent tout aussi hâtivement, me laissant seul finir un repas bien fade ensuite. J’avais perdu l’appétit, aussi je regagnai ma chambre, sans besoin de ces quelques bouffées d’avant coucher, car un bien plus puissant était né, et ne semblait pas vouloir faiblir surtout. Alors, allongé, yeux fermés, je m’imaginai leurs conversations, projetant en lui des propos que jamais je ne vous ai tenus, et qui pourtant me maintiennent roidement éveillé lorsque je vous admire si innocemment éclore en dormant, telle elle qui gloussait les recevant réellement. Mais vous me semblez si pure que j’hésite encore à les partager avec vous ces visions qui me font partager les délices d’un amour improbable. Prochainement, je pense, je vous en conterai certaines, les plus sages pour commencer, et non les plus salaces desquelles je tire parfois, encore, quelques plaisirs durant vos absentes nuits.

Il est très tard, et je m’égare, aussi vais-je ponctuer ce mot d’un sincère je vous aime, et vous dis à tout de suite pour une aventure bien trop animale pour vos chastes rêveries, sans moi.






Samedi matin :


Ma si présente,


J’étais bien reposé ce matin, pourtant j’ai si peu dormi !


Vous étiez à mon côté. Non de corps, or si présente en pensée, ô vous, mon obnubilante. Je le sais pourtant que je n’ai fait que rêver de vous, mais cette balade m’a ressourcée. Je me suis senti si jeune, si vaillant au réveil, que la journée m’a semblée bien courte. Auriez-vous un quelconque pouvoir sur le temps, mon éternelle ? J’en ai même, chose rare, les mots légers ce soir. Tout autant que mon vieux corps en exulte encore les signes. Il n’est plus un problème, un poids, depuis ce matin, mais un plaisir presque. Je le perçois tel qu’il était, tel vous ressentez le vôtre encore, ô vous ma source de jouvence, tant que je crois que l’heure est venue de vous certifier, par écrit à défaut de plus, tout le désir que je vous porte.

Après vous avoir observée hier soir au dîner, et m’avoir voir si agréablement charmé au coucher, j’ai recouvré un courage que je croyais enfui. Aussi vais-je, je l’espère, vous émouvoir tout autant, sinon plus, à me lire plutôt qu’à y songer, et vous donner un plaisir tout aussi tactile que ceux qui animent vos nuits, et les miennes conséquemment.


Nous étions de sortie, ainsi un de ces soirs où nous paraissons en public, en jeunes amants fougueux et n’ayant que faire des bonnes manières. Je nous avais concocté une soirée toute empreinte de dévotions en tous genres, à commencer par un souper. Non en un lieu guindé, mais dans une taverne où se délient les langues, et qui rend les corps peu prudes aux bienséances. Vous me savez apprécier le feu de l’alcool, et l’effet qu’il a sur moi parfois, aussi oui, j’avais le cœur léger, et les mains agiles comme jadis. Nous étions l’un contre l’autre, éveillés et à rire sans ne savoir réellement pourquoi, lorsque la droite quitta sa chope pour glisser sous la table. Vous n’avez rien dit lorsqu’elle se posa sur votre genou, rien non plus lorsqu’elle remonta votre jambe, si soyeusement blanche d’un bas, jusqu’à en atteindre une accroche. Alors vous la recouvrîtes de la vôtre. Je stoppai donc cette progression sur-le-champ, non sans apprécier la douceur et la caresse que votre pouce me procura, ce qui en soit était fort appréciable, et apprécié, ô ma si flatteuse.


Je me crus au terme de cette conquête, si imprudente, impudente, impudique ; mais c’était d’avoir oublié, ô vil péril du temps, que la jeunesse révèle bien des envies et des folies. Mieux que me libérer, mieux que me permettre, vous me la menâtes, ô vous, mon guide, vers un lieu encore vierge de ma présence. Longeant une jarretelle, dont je mesurai l’extrême tension qui l’étirait, et qui m’attirait tout autant sinon plus de gravir, je touchai enfin du doigt une douceur sans pareil. Tel un explorateur, jouant de sa machette, je me frayai un chemin en cette végétation exotique, extatique, luxuriante et humide, coiffant de droite à gauche, puis de bas en haut, tournant parfois tel une tornade se replie sur elle-même, or plus délicatement que ces vents ne tourbillonnent sans but. Vous souriiez toujours, sinon plus, de façon fort plaisante. Ce je puis l’affirmer pour vous avoir souvent contemplée faire risette en bien nombres occasions, innocemment, or jamais si profondément et, surtout, si dangereusement. Vous ne sembliez plus redouter de rien ! Et belle mes aïeux ! À damner tous les saints vous voyant ainsi offerte à la volupté ! Vous me laissâtes vous emporter loin de tous, et de vous-même de surcroît, sans plus m’aider ou réprimer un besoin naissant pour nous deux. Vous jouîtes, ô ma tendre essoufflée, sans nulle gêne de lieu ou de temps, ainsi gémissez-vous en vos nuits agitées près de moi, or sans moi. Il vous fallut une minute tout au plus, si brève pour vous, et délicieuse pour moi, afin de recouvrer votre esprit de femme pudibonde et me remercier, d’un chaste sourire, avant de diriger notre conversation en terrain plus approprié à la situation. Mais je n’en avais pas fini de vous, ô ma Fleur rougeoyante !


Après dîner je vous fis la surprise de vous faire aimer une de mes passions : la musique. J’avais réservé, pour cette initiation que je voulais parfaite, une loge privée. Confortablement installés, au balcon, je vous vis apprécier, dès les premières notes, la puissance d’accords qui vous emportèrent ainsi ils me captivent d’ordinaire, lorsque je suis seul à les estimer. Cependant, en votre présence, une tout autre romance m’envoûta. Ce fut vous, ô ma symphonie, qui chantonna à mon être. Non d’ouïe, mais de vue. Vous découvrir ainsi inerte réveilla en moi une vision lumineuse. Vous ne dormiez pas, et pourtant vous aviez tous les signes qui me siéent tant d’admirer et ressentir lorsque vous sommeillez, et moi non. Si calme, détendue de corps, et tant bougonne et agitée du reste, ô ma claironnante songeuse. Alors je flattai, de gestes lents, mais néanmoins fermes, ce que vous réveillez chaque nuit sans en avoir conscience, d’une poigne à la volonté résolue à contenter une vigueur vous étant tout entière dévolue, sans vous quitter des yeux, et, surtout, buvant vos discrets soupirs de contentement. Vous n’avez rien soupçonné de ce que seul l’accoudoir de mon fauteuil porte encore comme trace de ce concerto, mais moi oui. Je l’ai deviné avant même que vous ne le viviez. Serait-ce l’expérience de la vie qui rend les personnes âgées plus sages, plus redoutablement perceptibles, et, surtout, pressées ?


Ha ! insouciance de la jeunesse qui conserve la légèreté de cœur ! Vous ne connaissez rien encore de ce qu’est l’amour, mais vous le suscitez si puissamment, ô vous ma folle attirance, que je ne puis m’en soustraire.


À demain.




Dimanche :


Enfin, le jour tant attendu se lève… Quel étrange sentiment m’anime ainsi au réveil ? Serait-ce la peur ? Le doute ? Ou, pis, un pressentiment ? Un mélange de ces trois certainement. Peur de vous avoir abandonnée, doute que vous m’aimiez moins, et pressentiment que vous soyez lassée.


J’ai longuement réfléchi, et, pauvre de moi si dépendant de vous et de vous humeurs, fantasques et variantes, une évidence m’est apparue. L’inconstance est l’égal de votre beauté : attirante et, surtout, excusable. Je ne puis rien vous reprocher, sinon d’avoir osé penser pouvoir m’offrir un regain de virilité, à défaut de vitalité. Je vous sais avoir déployé de vains efforts, et vous en remercie tout autant que je m’en condamne. J’aurais dû vous en dissuader, ne point laisser naître l’espoir, et vous faire perdre un temps précieux, non encore assez ostensible pour vous, et si pesant pour moi, avant que cette séparation ne vous en décourage ; mais cet entêtement, après avoir germé en moi une promesse, a grandi, après coup, un regret bien plus tyrannique qu’il ne me procura un plaisir nouveau. J’aurai vécu des jours merveilleux, et des nuits sans pareilles ! J’ai eu la faiblesse de me laisser savourer un rêve éveillé, et partager quelque peu certaines de vos nuits à m’imaginer être celui qui les égaye, qui les agace, mais ce temps est révolu. Pour moi du moins, car vous avez encore une vie à découvrir, alors que la mienne touche au but. Hélas !


Je vous ai aimé, et vous aime encore… tant… trop… Incalculable est le nombre d’instants qui m’a fait vous contempler ainsi, ô ma belle Fleur de nuit. Vous avez illuminé ma déchéance à l’en rendre légère… tant… trop… aussi, à défaut de pouvoir me pardonner d’avoir tant, trop, tardé, je vous rends une liberté étouffée. Vous n’avez que trop gâché votre jeunesse, et moi trop longuement feinté et ajourné une inéluctable échéance. L’heure est venue, mais, plutôt qu’être triste, je vous en conjure, comprenez que je vous libère d’un poids que jamais je n’aurais dû vous laisser traîner, du moins si précocement, et que c’est l’amour que je vous porte qui me fait agir de la sorte. Voici pourquoi je vous demande, ô mon intemporelle, comme dernière volonté, de profiter plus encore de la vie qui vous attend, sans moi, ce fardeau qui altérerait vos allégresses plus que ne jamais les susciter à votre splendeur.


Si, d’aventure, vous pleurez quelques larmes, j’en serai orgueilleux, et, si non, j’en serai plus encore fier de vous. Non de moi, vous l’aurez compris, qui me suis raccroché à vous, par vous, à une vie qui n’était pas la vôtre. Vivez-le cet avenir, comme je ne l’ai jamais consommé. Soyez heureuse, et libre surtout !

Je ne vous méritais pas. Tout comme vous ne deviez hériter d’un tel bagage. Votre destin vous attend, impatient. Le mien est tout autre, bien que même, tel mon passé. Si longtemps je vous ai attendu, si longue furent les journées sans vous, et si courtes furent nos nuits ensembles, mais m’affranchir de vous, ô ma si éphémère et importante, est la plus puissante décision que je fus contraint de prendre. Je ne vous mérite pas, et vous encore moins vous ne deviez me prendre en pitié. J’escompte, de ce geste fatal, vous laisser un souvenir, non indigne de votre dévouement, mais, surtout, exempt de charité. J’aspire, ô ma vitale, que vous compreniez, prochainement, que cet acte n’est une fin en soit, pour vous, mais un commencement que je vous ai volé, que je me suis accaparé. Non par volonté, mais par égoïsme.


Je vous aime tant, trop, ô vous, ma tant, trop indispensable, que je ne puis plus vous retenir à votre destin. Je vous rends, au centuple, ce dont je vous ai floué : l’indolence de la jeunesse. Profitez-en de ces instants où rien n’est pesant, pour vous, et pour moi aussi. Je le veux, afin que cette épopée ne soit vaine, mais demeure comme une ère ayant compté ; car elle aura marqué mon existence plus que ces quelques mois à vous vénérer, ô ma Fleur embaumante.


Je vous absous de tous les maux que vous avez, sans le vouloir, ni le savoir, infligés à ma déjà tant, trop frêle carcasse, et vous adjure de faire bon usage de ce qui n’est plus mien dorénavant, mais entièrement vôtre. Je ne l’ai que trop, tant, galvaudée de mon vivant votre joie de vivre que je ne puis vous en priver plus longuement. Laissez-moi, seul, m’en arranger avec le divin, et profitez, enfin, du bien qui n’est plus digne de ma pauvre personne. Recevez cette ultime offrande comme il vous plaira d’en jouir. Gardez tout, vendez tout, ceci est de votre seul ressort maintenant, mais prenez garde aux vautours qui tournoient, et, surtout, faîtes contre bonne fortune bon cœur. De le savoir, tant, que trop, que l’argent ne fait pas le bonheur, j’espère que votre richesse d’esprit y contribue plus que ce que je vous lègue ce jour : le capital d’une vie. Ma vie.


Adieu, ô ma tant, trop jeunette Fleur.