n° 19960 | Fiche technique | 91429 caractères | 91429Temps de lecture estimé : 51 mn | 21/12/20 |
Résumé: Cette jeune danoise a tout pour le rendre heureux. | ||||
Critères: fh hplusag amour revede fellation cunnilingu pénétratio fsodo -rencontre | ||||
Auteur : Roy Suffer (Vieil épicurien) Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Trop parfait Chapitre 02 / 02 | FIN de la série |
Résumé de la première partie :
Caroline quitte un mari trop parfait. Pour garder leur fille, Stéphanie, Jérôme doit embaucher une jeune fille au pair, Anna, terriblement séduisante.
Les jours s’écoulent dans une nouvelle et parfaite harmonie. D’un commun accord, le couple a décidé de ne pas encore montrer ses sentiments à Stéphanie. Ils se contentent donc d’un week-end sur deux, mais parfois le désir se montrant impérieux, ils se jettent l’un sur l’autre une fois la gosse endormie. Mais chacun dort dans sa chambre et assume ses occupations comme à l’habitude. Un seul détail change, Anna se fait prescrire un contraceptif et peut enfin recevoir avec délectation la semence de son amant au fond de son ventre. Du coup, elle porte beaucoup plus souvent des culottes de coton avec le fond doublé d’un protège-slip, car le mâle est généreux.
Il y a ce petit incident un dimanche. À force de patience, un peu chaque jour, Anna a appris à Stéphanie à faire du vélo sans les petites roues. La gamine est très fière et veut faire la démonstration de sa dextérité. Ils sortent donc tous trois à bicyclette sur le chemin de halage du canal, proche de la maison. Steph roule devant, les adultes la suivent à quelques mètres en devisant. Soudain, la gosse se retourne pour voir s’ils la suivent et s’ils la regardent. Ce simple geste mal contrôlé suffit au guidon pour décrire une sorte de huit, et patatras, l’enfant prend une belle bûche. Jérôme est admiratif. Elle n’a pas encore touché le sol que la puissante danoise appuie de toutes ses forces sur les pédales, saute à terre presque en roulant, laissant le vélo tomber, et se précipite au secours de la petite qui commence juste à hurler.
Jérôme arrive alors qu’Anna est déjà assise sur l’herbe, Steph dans ses bras, elle ne veut même pas le voir, serrant le cou de la jeune femme.
Quand Jérôme arrive à leur hauteur avec son attelage, la gosse est agrippée au cou de la jeune femme comme un naufragé à sa bouée. Elle sèche ses dernières larmes sur la joue d’Anna, extrêmement pâle, qui a dû lâcher une sacrée dose d’adrénaline. Elle entre dans la cuisine et fouille dans un placard suspendu, sortant une immense et splendide sucette de toutes les couleurs.
Elle se munit d’un pic à apéritif et, avec une patience infinie, retire un à un tous les grains de sable et réussit à lui passer un spray antiseptique. Jérôme regarde la scène avec attendrissement et des pensées se bousculent. Jamais Caroline, pourtant sa mère, n’aurait eu cette patience. Visiblement, sa fille a une confiance sans limite en Anna. Qu’adviendra-t-il le jour où elle partira ? On verra à ce moment-là. Et elle continue à faire le guignol pour redonner le sourire à l’enfant :
En deux déhanchements, elle pose son jean.
Stéphanie est installée dans le canapé avec sa sucette et des dessins animés, les adultes se font un café qu’ils prennent de part et d’autre du comptoir de cuisine. Jérôme plonge ses yeux dans le regard bleu et troublant :
Elle termine son café et remet son pantalon, puis disparaît dans sa chambre. Elle aussi a compris tout le danger de cet attachement, de ces attachements, elle veut cacher l’émoi qu’elle ressent et qui coule de ses beaux yeux.
Un autre épisode marquant est le tour de marché. Chaque mois, Jérôme alimente un pot décoratif de la cuisine avec la somme qu’il dépensait précédemment, lorsqu’il faisait les courses. Anna y pioche autant que de besoin, or chaque mois, il reste de l’argent, parfois beaucoup. Mais il est vrai que les besoins ne sont pas forcément réguliers, en produits d’entretien notamment. Et puis il y a les promos et les bonnes occasions. Il continue donc d’y mettre la même somme, mais se demande comment elle fait pour dépenser si peu. Il décide un samedi matin de les accompagner au marché, Steph et elle. Il comprend vite. D’abord, elle s’habille comme pour une belle sortie au resto, pantalon rouge, large, très long avec des sandales à talons compensés qui lui fait des jambes immenses, chemisier noir en dentelle avec des manches ballons, un tantinet transparent pour un regard affûte et sans rien dessous. Couffin autour du coude replié, elle arpente les allées en tenant la gosse par la main, sourire éclatant aux lèvres. Visiblement, elle aime ça, et les exposants aussi.
Tout ça, gratos ! Juste son sourire en paiement. Jérôme hallucine, il a toujours tout payé. Elle arrive à la boucherie.
C’était un gars du sud-ouest, égaré là par amour. Sa boucherie est dans un patelin proche, tenue par son épouse et un apprenti, lui fait les marchés et les tournées avec son camion.
Et c’est ainsi que la pièce de veau, un peu de charcuterie, et de quoi faire une choucroute s’obtient au prix de gros, bien moins cher que dans la moins chère des grandes surfaces. Et l’on continue avec les produits d’entretien, un fourgon juste ouvert sur l’arrière. Pas de produits habituels, les « super machins » et « kifétoubryé ». Un sachet de bicarbonate de soude, un pot de savon noir et un litre de vinaigre d’alcool.
De retour à la maison, Jérôme lui dit de garder le reste de l’argent pour elle, par exemple pour s’acheter des fringues ou des dessous coquins… Elle rit et finit par accepter.
L’été arrive et, pendant un mois, la jeune fille au pair se transforme en jeune fille au père, plaisanterie qu’elle aime beaucoup. Ils dorment dans le même lit, faisant l’amour autant qu’ils en rêvaient. Mais Jérôme travaille encore et Anna termine à la fois son dossier de candidature et sa première traduction littéraire. Yann téléphone un dimanche.
La conversation s’engage et Anna ne manque pas de lui dire son dépit à propos de la pantoufle de Cendrillon.
Elle raccroche et se tourne vers Jérôme, un sourire large comme ça aux lèvres.
Ah si c’était vrai, pensait Jérôme, ce serait le bonheur absolu. Et je lui ferais au moins deux ou trois gosses. Mais laissons les choses arriver, si elle ne menait pas son projet au bout, elle serait frustrée.
Pour l’heure, Anna est loin de ces considérations. S’étant longuement renseignée sur Internet et malgré toutes les réticences que sa formation religieuse luthérienne pouvait susciter, elle interpelle Jérôme :
Ils commandent sur la toile et reçoivent un colis discret quarante-huit heures plus tard. Anna comprend vite que la chose n’est pas si aisée, mais ne se décourage pas, finissant par se promener avec le plug à longueur de journée. Elle s’étonne de ce que, lorsqu’elle le pose, elle a la sensation que quelque chose lui manque. Décidément, cette fille-là sort toujours un lapin de son chapeau pour faire battre des mains à son amant. La première pénétration est assez facile, Anna s’attendait à pire. En revanche, elle pensait que ce serait comme sucer, une forme de masturbation de l’homme où la femme n’a de plaisir que celui d’en donner. Mais pas du tout, d’autant que ce coquin de Jérôme lui excite le clitoris en même temps. Le plaisir est différent, plus lointain, plus sourd, plus lent à venir, mais quand il vient c’est une énorme vague qui l’emporte et la roule sur la plage, la laissant hébétée, abasourdie. Il y a donc seconde puis troisième fois, en levrette, mais aussi par-devant jambes levées, et puis pourquoi pas debout. L’essayer c’est l’adopter, et comment Jérôme aurait-il pu faire quand cette superbe fille lui demandait gentiment :
Elle le fait d’autant plus volontiers que c’est un point de supériorité sur celle qu’elle considère encore comme sa rivale dans la tête de son amant. Il lui faut la surpasser pour la faire définitivement oublier.
Après les vacances avec sa mère, Stéphanie revient très contente de retrouver son père et Anna.
Jérôme ne commente pas l’agression de la grand-mère, raison qu’elle a dû invoquer après leur « rencontre », mais Anna a un léger sourire.
Ils s’installent dans un village près de Chamonix, dans un chalet-hôtel typique de la région. Rien qu’après avoir passé le Rhône, Anna trouve déjà le paysage très accidenté. Alors quand elle aperçoit le glacier des Bossons et celui d’Argentières, elle est épatée.
Ils font quelques promenades, visitent Chamonix bondée de touristes et montent à la Mer de Glace par le Montenvers, le petit train à crémaillère. Le Mont-Blanc et le massif des Drus l’impressionnent fortement. Au bout de trois jours, ils empruntent le tunnel pour passer en Italie. C’est au tour de Stéphanie d’être impressionnée et même d’avoir un peu peur. Ils déjeunent dans la coquette ville d’Aoste, et la petite se gave de « pasta al pomodoro ». L’attention qu’Anna porte à sa fille, essuyant régulièrement sa bouche toute rouge de sauce, l’emmenant aux toilettes, ravit et attendrit Jérôme. Voilà la mère qu’il aurait fallu à Steph. Hélas… Ils prennent ensuite le col du Grand-Saint-Bernard, avec vue sur le Cervin et cette merveilleuse plongée sur Martigny. Arrivés au bord du Léman, Anna s’écrie :
Ils s’arrêtent dans un hôtel de Thonon, plutôt chic, pour avoir vue sur le lac. Comme il souhaitait deux ou trois chambres, dont deux communicantes, le réceptionniste lui propose une suite avec trois chambres, dont une chambre d’enfants. C’était parfait, mais Anna lui glisse à l’oreille :
La suite est parfaite, salon, couloir, trois chambres donnant sur une terrasse, toilettes et deux salles de bains. La montagne semble exciter Stéphanie qui a du mal à s’endormir. Jérôme a le temps de fumer trois clopes et de se laver les dents avant qu’Anna ne vienne le rejoindre, après un ultime conte que la gamine voulait entendre dans toutes les langues que la jeune femme pratiquait. Enfin un moment à eux où ils peuvent se retrouver, s’embrasser, se caresser puis faire l’amour, car dans le chalet précédent il n’y avait qu’une grande chambre avec trois lits. De nouveau sur la terrasse, Anna contemple les reflets sur l’eau des lumières de Lausanne, de l’autre côté du lac, pensive.
Ça allait changer de Caroline qui en avait horreur, il semblait qu’elle avait peur dès qu’elle ne voyait plus le fond de l’eau.
Ils passent par Genève, pour montrer le jet d’eau à Steph, puis par la route des lacs, Annecy et Le Bourget. Anna aime bien aussi, mais vraiment pas autant que le Léman, plus vaste, plus clair, plus dégagé et moins encastré dans les montagnes. Ils rallient Port-Grimaud vers dix-sept heures, à peine le temps d’aérer un appartement vide depuis trop longtemps. Ce qui choque la danoise, c’est avant tout la chaleur qui règne encore même le soir. Ils vont dîner dans une brasserie, et elle se venge sur la bière bien fraîche. Stéphanie est contente de retrouver sa petite chambre, des jouets oubliés et un environnement qu’elle connaît. Le lendemain, Anna fait grand ménage dans l’appartement qu’elle trouve très agréable, sauf quelques affaires ayant appartenu à Caroline. Elle en remplit un grand sac poubelle et, sans rien demander, le met dans un container de la résidence.
Pendant qu’Anna brique l’appartement, Jérôme brique le bateau qui, apparemment, n’a pas trop souffert. Il verra bien une fois la batterie chargée et les niveaux faits si le moteur accepte de démarrer. Pour l’heure, il fait briller les plastiques et les chromes et passe les ponts au jet d’eau douce. Ce n’est pas un yacht, loin de là, mais un petit cabin-cruiser bien agréable et très marin, permettant d’embarquer jusqu’à six personnes pour des escapades agréables. C’est une occasion des années 80 dont Jérôme s’était soudain fait envie, un matin en allant faire les courses. Il avait discuté un peu avec le vendeur, un British sympa qui convertissait sans cesse les euros en livres. Ils avaient fini par tomber d’accord et étaient allés signer dans une banque voisine, pour garantir que Jérôme disposait bien de la somme nécessaire. Parti à pied, il était revenu en bateau, pensant faire un grand plaisir à sa femme. Ils n’eurent peut-être qu’une véritable dispute, ce fut ce jour-là. Une fois le bateau propre, Jérôme invite Anna à le visiter. En digne fille de la mer, elle y vient pieds nus, Stéphanie à son cou, avec une remarquable assurance. Elle s’extasie sur la bête :
Eh oui, mon gars, là-dessus aussi elle est top, marmonne Jérôme pour lui-même. Cherchez l’erreur. Dire que ce bateau m’a valu la grande scène du deux !
Le truc fonctionne assez bien, et le gros Volvo Penta démarre au bout d’une dizaine de sollicitations. Quel bruit grave et profond, de ces bruits qui résonnent dans la poitrine comme celui d’une Harley ! Jérôme va se délester de quelques centaines d’euros et revient pour le déjeuner. Il fait déjà très chaud malgré les stores déployés en extérieur, les deux filles sont en maillot de bain, Jérôme s’y met aussi.
Il s’éclipse un brin gêné et revient avec un short en plus. La vision d’Anna en maillot de bain lui est difficilement supportable sans réaction. Et puis maintenant que leurs corps se connaissent, tout se passe comme si « hum… c’est toi qui me donnes tant de plaisir ». Leurs regards se croisent et restent un moment accrochés, cherchant une approbation mutuelle. C’est Jérôme qui commence :
Elle vient les prendre par le cou dans ses petits bras et les serre très fort contre elle, les réunissant de toutes ses forces.
Ensuite, les questions fusent, et surtout celles que l’on n’attend pas, l’apanage des enfants :
Pfiou ! La rançon d’une idée pas forcément bonne prise trop vite, mais qui cependant donne un peu de liberté de comportement. Quand enfin toute excitée Stéphanie s’est endormie, Anna prend une bière fraîche dans le frigo et rejoint Jérôme sur la terrasse, exténuée.
Jérôme reste un moment pantois. Certes, il a chaud aussi, mais 27° ça reste supportable. Peut-être a-t-il gratté là où ça fait mal… La voix d’Anna le tire de sa réflexion :
À la lueur de la veilleuse, la petite est effectivement toute rouge avec les cheveux collés. Mais en touchant son front, rien ne révèle une quelconque fièvre. Elle se retourne et poursuit son sommeil paisiblement. Ils se retirent.
Ils décident de rester jusqu’au 15 août et ses fameux feux d’artifice, et la fête allant avec. Ils profitent du bateau pour faire quelques belles balades et trouvent des endroits tranquilles, des criques dans lesquelles ils jettent l’ancre. Dormir dans le bateau à hauteur d’immersion leur offre trois nuits plus fraîches. Puis les traditionnels orages arrivent, plus question de bateau qui reste aux amarres. Jérôme en profite pour y mettre une pancarte « à vendre », avec son numéro de portable. Il est beau, ce bateau, la preuve : comme lui-même avait eu un coup de cœur, deux jours plus tard il a un appel. Des gens s’annonçant comme club de plongée sont intéressés. Club de plongée ou trafiquants, ils ont des têtes « pas tibulaires mais presque », expression qui fait rire Anna. Ils ne négocient même pas les trente mille euros, proposant un paiement en liquide. Jérôme exige un chèque de banque, il n’est pas une « machine à laver » l’argent sale.
Les fêtes ont lieu, pour le plus grand bonheur de Stéphanie, et le temps pourri reprend. Bonne raison pour mettre les bagages dans la voiture et tailler la route. Discrètement, en verrouillant l’appartement, Jérôme recolle dessus les pancartes utilisées pour le bateau. Arrivés à Lyon, il pique droit sur Genève et cherche un gîte sur la rive française. Il trouve un endroit sympa entre Thonon et Évian.
Il peut le vérifier le soir même, car elle lui fait l’amour comme une folle, le mettant sur les rotules. Le gîte a ce côté pratique de pouvoir discuter avec des gens du coin, installés depuis longtemps. Hélas, ceux qui les accueillent ne sont là que depuis cinq ans et font gîte dans les dépendances justement pour pouvoir rembourser leur achat. Donc ils ne connaissent pas ou peu de gens originaires du coin, ni de bonnes adresses à visiter. Ils font d’abord les agences immobilières, de quoi se faire des cheveux blancs. Puis ils vont chez les petits commerçants, achetant une baguette ici, trois tranches de jambon là, toujours en demandant si, par hasard… « Oh mon pauvre Monsieur… » est la réponse systématique. Ils posent la voiture à un endroit, font quatre ou cinq kilomètres à pied, scrutant chaque recoin de rue ou de ruelle, au grand désespoir de Steph qui en a marre, alors Jérôme va chercher la voiture et ils recommencent plus loin. Anna transforme cela en chasse au trésor, semant des friandises, mais au bout d’une dizaine de jours, ils ont fait chou blanc et il est presque temps de penser à rentrer. Cela restera un beau rêve.
Pour la dernière fois, ils descendent de leur gîte, perché sur la colline, pour aller acheter de quoi dîner et faire des sandwiches pour le trajet du retour. La supérette est à deux pas, ils y vont donc à pied. Juste en face de la charmante église, en passant devant une maison bourgeoise un peu délabrée, Jérôme aperçoit un bout de carton dans un sachet plastique transparent, coincé entre une touffe d’herbes folles et un portail rouillé. Il se penche, saisit le carton et le repose. Une main maladroite y avait peint les deux lettres « AV » accolées, comme on le fait souvent. Il entre plus avant. Le gros tilleul passé, la bâtisse se dévoile, grande, grise, en assez mauvais état. Anna et la petite viennent le rejoindre.
À cet instant, un gros bonhomme vêtu de noir apparaît sur le perron.
Il traverse le couloir en soufflant comme un phoque, sort un énorme trousseau de clés et ouvre une porte double. Elle donne sur un couloir éclairé par des vitres placées en hauteur dans la cloison, un peu décalée par rapport au centre de la maison, le côté rue étant plus étroit que le côté lac.
Le grenier est impressionnant, gigantesque, malgré les poutres qui le divisent par quarts. Trois lucarnes ovales de chaque côté apportent assez de lumière, et surtout celles de l’arrière offrent une vue fantastique sur le lac. La hauteur permet de repérer les murs de clôture surmontés de grilles plongeant jusque dans l’eau, la rive est donc privée. Une sorte de quai de pierre délimite la berge sur une trentaine de mètres, le reste est en « plage » herbue. Jérôme referme soigneusement la porte et descend au rez-de-chaussée. Le vieux curé a ouvert une boîte de vieux sablés dans laquelle plonge allègrement la petite. Et le curé s’extasie devant la grande danoise qui le dépasse de plus d’une tête.
C’était l’occasion pour qu’ils puissent échanger rapidement. La cave est moche, sans véritable intérêt, bien que voûtée, et encombrée d’un tas de saloperies.
Ils remontent rapidement, la petite bavarde sans réticence avec le vieil homme. Elle est en train de lui raconter sa vie, et donc la leur, sa maman partie, Anna qui est venue la garder et maintenant papa et Anna sont des amoureux.
Jérôme prend les feuillets, les parcourt jusqu’au dernier puis avale sa salive en faisant un « glop » de difficulté. Il passe le devis à Anna.
On paraphe toutes les pages et on signe, et tout le monde est content. De sa fenêtre, le vieux curé ému aux larmes voit les silhouettes des deux amants côte à côte, tenant une fillette par la main, leurs têtes penchées l’une contre l’autre.
Et il se signe encore une fois.
Au retour, c’est l’intense fébrilité : à la fois la joie immense d’avoir fait une bonne affaire totalement inespérée, mais aussi le grand questionnement sur le financement.
Ils font la tendresse ce soir-là, une sexualité douce et exaltante, de ceux qui ont vaincu l’adversité.
Jérôme arrive vers vingt-deux heures à Grimaud, après s’être arrêté dîner en route, histoire de faire une coupure. Le matin, il est encore au café, sur la terrasse, quand les premiers visiteurs arrivent. Toujours une bonne raison, histoire de passer devant les autres et de dire « je le prends ». Dans ces cas-là, les uns revendiquent l’ordre de la visite, les autres l’ordre d’envoi des SMS, et on n’en sort pas. Sur seize candidats, quinze se présentent et sept veulent acheter immédiatement au prix indiqué. Ils refusent d’abord l’ordre des SMS pour se fier à l’ordre de la visite. Ça s’engueule un peu, « j’étais là avant vous », jusqu’à ce que le septième, qui n’avait en principe aucune chance, ne déclare :
Tous les autres restent médusés et attendent la réaction de Jérôme.
De là, c’est la foire d’empoigne et une sorte de vente aux enchères improvisée. C’est bien le même Monsieur qui obtient gain de cause à… quatre cent cinquante mille euros, inespéré ! C’est en fait l’occupant de l’appartement du dessus dans ces petits immeubles à deux étages, un PDG passionné de pêche au gros. Il vient de prendre sa retraite et souhaite vivre ici à l’année. Mais ces appartements de vacances étant un peu petits, en achetant celui du dessous, il peut faire un duplex en remplaçant les chambres d’enfants par un escalier. Cela lui fera donc quatre chambres, deux salles de bains, deux pièces à vivre et deux terrasses, pour lui l’idéal avec plus de cent cinquante mètres carrés habitables. Du coup, Jérôme reprend immédiatement la route après la signature du compromis, la voiture remplie jusqu’au toit de vaisselle, draps, et autres ustensiles dont ils auront besoin au Léman. Il arrive vers une heure du matin, faisant une bonne surprise à Anna qui ne l’attendait pas si tôt. Il peut ainsi se reposer tout le dimanche, sous la veille attentive de sa maîtresse.
Les deux ventes définitives se concluent en octobre. Jérôme apporte donc quatre cent quatre-vingt mille euros dans la SCI, et Anna vingt mille grâce à la traduction de septembre. Elle travaille d’arrache-pied, mais elle aime être occupée, et à Toussaint ils peuvent aller passer quelques jours dans leur nouveau paradis, sans la petite restée chez sa mère. Le temps est assez beau, mais la neige commence à blanchir les sommets, paysage magnifique. Ils campent plus ou moins dans l’appartement du curé, le moins sale et abîmé, qu’Anna eut tôt fait de récurer de fond en comble. Jérôme mesure, fait les plans de l’existant, prend des photos et noue quelques contacts avec les artisans du coin. Ils invitent les propriétaires du gîte où ils avaient séjourné à venir visiter. Ils n’en reviennent pas.
Dans la tête d’Anna, la calculatrice tourne à plein régime.
Ils font enlever toutes les vieilleries, Emmaüs s’en charge. Jérôme passe des annonces pour essayer de vendre tout ce qui pourrait avoir un peu de valeur, et même le corbillard part à bon prix chez un collectionneur. Il fait venir un paysagiste pour nettoyer le parc, tailler les arbres, dégager l’ancienne terrasse et retracer les allées avec du gravier blanc. Il fait ensuite restaurer et repeindre le portail et les grilles d’enceinte. La propriété change soudain d’aspect, et les voitures ralentissent pour l’admirer. Mais l’essentiel reste à faire. Avant Noël, il obtient enfin son prêt et peut commander le couvreur et le maçon pour le toit et le crépi. Il n’est pas concevable d’y aller pour les fêtes sans chauffage. Selon les régions, le comportement des artisans peut être très différent. Est-ce la proximité de la Suisse ? Ceux-ci viennent à la date donnée et partent une fois le chantier terminé. Si bien qu’à Pâques, transportant des radiateurs d’appoint, la nouvelle BMW hybride s’arrête devant une propriété resplendissante.
Sourire des adultes. Jérôme ne peut pas être sur place en permanence ni venir toutes les semaines pour suivre le chantier. Il a donc pris contact avec un architecte, chargé de jouer les maîtres d’œuvre et surtout d’articuler deux tranches de travaux : l’habitation à gauche, à réaliser rapidement, et… des chambres d’hôtes qui seront faites plus tard, si toutefois le couple habite là un jour à l’année. On se met d’accord, l’architecte met son grain de sel sur les plans proposés, mais le courant passe. De fait, il faut tout prévoir dès l’origine, notamment concernant les fluides : électricité, eau potable, eaux usées et chauffage. La solution envisagée est très en vogue en Suisse, la pompe à chaleur sur forage vertical. Il en faudra deux, une pour chaque partie, mais il est plus économique de réaliser tous les forages en une seule fois. Le coût des travaux de la première tranche est donc augmenté d’environ quinze pour cent en prévision de la seconde tranche.
Le contrat accepté, les travaux se poursuivent en leur absence. Tout se passe plutôt bien, avec cette perspective de nouveau lieu de villégiature et, qui sait, un jour, de résidence. Mais Anna reçoit un courrier qui bouleverse le cours des événements : elle est acceptée au Conseil de l’Europe. Ce n’est pas une surprise pour Jérôme, il ne pouvait en être autrement. Elle est tellement belle et tellement douée… Anna hésite longuement avant de définir sa position : d’une part elle obtient l’aboutissement de son travail acharné, et elle en est très fière, d’autre part elle casse une dynamique de nouvelle vie débutante, pleine d’amour et de promesses. Après une longue introspection, elle se dit qu’elle mène toujours ses projets au bout, par principe, et que le premier c’est l’Europe. Le choix est donc fait. Dire que c’est facile, loin de là. Jérôme reste impassible, disant.
On recrute une autre jeune fille au pair en urgence pour remplacer Anna. C’est une jeune irlandaise rousse et piquée de taches de rousseur qui est retenue. Elle a un fort accent, ce qui ne plaît pas du tout à Stéphanie. La gamine fait une crise comme ils n’en avaient jamais vu. Elle hurle, pleure toutes les larmes de son petit corps, s’accroche frénétiquement au cou d’Anna qui pleure elle aussi. Elle seule peut la calmer.
Plus que les mots, c’est surtout la voix grave et douce de la danoise qui calme la petite. Ils sortent dans la rue, mais avant de monter en voiture Anna prend les mains de Jérôme :
Dernière étreinte. La jeune femme éclate en sanglots dès le taxi démarré. Elle a conscience de quitter une vie merveilleuse, dans laquelle elle s’est complètement épanouie pendant un an et demi. Installée dans le Thalys, elle envoie un texto à Jérôme :
Comment veux-tu que je t’oublie ? J’ai la chatte dilatée et le cul démoli… C’est ce que tu dirais, non ? En tous cas, j’ai du mal à rester assise, je suis pleine de ta semence et j’en suis heureuse. J’emporte avec moi le meilleur de toi.
Deux grosses gouttes salées tombent sur l’écran du smartphone de Jérôme. Sa préoccupation pour l’instant est de faire accepter Aymee à la petite. À lui également, du reste. Car quand il énumère ce que faisait Anna, l’Irlandaise regimbe et dit que ce n’est pas du tout de son ressort, elle se limitera à s’occuper de Stéphanie. Et ce n’est pas de tout repos, car la gamine lui fait les pires sottises en répétant :
Très souvent, Anna appelle Jérôme, chaque soir si elle le peut. Elle lui raconte sa joie d’être « au cœur du pouvoir », sa réussite et quelques anecdotes sans rien dévoiler des secrets des échanges. Ils se revoient de temps en temps à Paris, histoire de ranimer la flamme qui semble ne pas faiblir. Au quotidien, Jérôme a repris son activité d’homme parfait, faisant les courses, la cuisine, parfois du ménage quand la personne embauchée n’a pas pleinement assuré sa tâche. Il essaye parallèlement de suivre les travaux du Léman, mais c’est passé au second plan de ses préoccupations. Les vacances arrivent, l’Irlandaise ne demande pas son reste pour retourner dans son pays, indiquant qu’elle ne souhaite pas revenir, un problème supplémentaire à gérer. Anna a des vacances en l’absence de session parlementaire, du 14 juillet au 15 août. Sachant Stéphanie chez sa mère en juillet, elle en profite pour rendre visite à ses parents pendant une semaine. Elle les informe de sa liaison française. Ce qui les désole, c’est que ce soit avec un homme divorcé, qu’elle vient retrouver pour une semaine de bonheur total, seuls tous les deux. Pendant que Jérôme travaille, elle endosse le rôle de Cosette et remet la maison en état. Au premier août, ils partent pour le Léman avec une Stéphanie folle de joie de retrouver Anna. Ils ont la bonne surprise de trouver les travaux pratiquement terminés. La première tranche n’attend plus que le dernier passage du peintre, mais tout est opérationnel et ils passent une quinzaine de rêve. Anna abonde la cagnotte commune de trente mille euros, gains européens et de traductrice de livres.
Hélas, il faut la conduire à l’aéroport de Genève, pour la préparation de la session de septembre. Stéphanie a des larmes, mais bien moins que la dernière fois, elle a compris qu’elle la reverrait. Jérôme rentre pour recruter une nouvelle étudiante en passant par Annemasse, où sa boîte a une succursale qu’il ne connaissait pas, c’est l’occasion. Il est accueilli chaleureusement par un directeur d’une soixantaine d’années qui s’étonne :
Une gentille secrétaire a pris Steph en charge avec des jeux sur ordinateur pendant qu’ils visitent l’entreprise. Une entreprise très « familiale », une ambiance feutrée et calme (influence suisse ?) bien loin de l’impression de ruche en danger permanent que donne le siège.
Dans le ronronnement doux de l’hybride, Stéphanie s’endort rapidement sur la banquette arrière. Diriger cette succursale, si près de leur propriété, l’idée est évidemment très séduisante. Pour Anna, ce ne serait pas un problème avec l’avion. Ce sera plus compliqué pour la petite avec l’éloignement de sa mère. Pas question de faire mille bornes tous les quinze jours. Mais peut-être sera-t-il possible d’ajouter les week-ends manqués aux vacances, puisque Caro est aussi en vacances pendant deux mois… Enfin, rien n’est fait et ça ne se fera peut-être jamais.
C’est quelques semaines plus tard que le scandale éclate. Une commission à laquelle Anna participe a la bonne idée de clôturer ses travaux par une « photo de famille » précédée d’un repas en commun. C’est un peu une tradition à laquelle on adhère ou pas. Quoi qu’il en soit, le service de presse dispose toujours d’une estrade sur fond de drapeau européen où les participants prennent place sur trois niveaux différents. Deux caméras tournent et un appareil grand format fixe le groupe pour la postérité. Anna, vu sa taille, est placée au second rang et attend que tout le monde sot installé. Elle sent un premier contact, sans doute quelqu’un qui se met en place. Elle se retourne brièvement et reprend la pause. Mais là, ce n’est plus involontaire, on lui tripote les fesses, cherchant même à soulever le bas de sa jupe. Elle se retourne vers le sourire du grand niais qui perpètre ces attouchements et le coup part. La grande paluche de la danoise musclée s’abat sur la tronche du député hongrois, avec une telle violence qu’il perd l’équilibre. Il est tout contre le drapeau européen tendu sur un immense cadre, mais derrière le drapeau il n’y a… rien. Aussi dégringole-t-il de l’estrade, prenant au passage la marche en plein visage. Le nez et deux dents cassés, poignet fracturé. Il est emmené à l’hôpital dans un sale état et dans une fureur noire. Il porte plainte contre l’interprète qui est aussitôt suspendue de ses fonctions, après une vigoureuse protestation officielle du gouvernement hongrois. En réponse, et elle aussi très en colère, elle porte plainte pour harcèlement et comportement inapproprié, soutenue par les féministes de l’Assemblée. L’affaire fait grand bruit, les vidéos tournent d’abord sur les réseaux sociaux et passent même sur certaines chaînes de télévision. Anna est submergée par les messages, quelques-uns d’insultes, mais beaucoup de soutien, si bien que sa messagerie est vite saturée. Jérôme doit attendre qu’elle l’appelle pour avoir des nouvelles, tous ses messages étant rejetés. Elle est en larmes et en même temps très remontée.
Les semaines qui suivent sont teintées de tension et d’angoisse. Anna prépare sa défense, mais prend le temps de passer quelques messages et d’appeler parfois, les week-ends surtout.
C’est ainsi qu’un soir, la belle Anna est l’invitée de « C à vous », avec comme titre : « La femme par qui le scandale arrive ».
Rien que ce titre fait tilt dans l’esprit de Jérôme. Eh oui, c’est cette image qui lui collera désormais à la peau, et c’est pour cette raison qu’elle sera grillée. Réintégrée peut-être, mais sans boulot. Stéphanie est folle et saute sur place :
En fait, c’est très intéressant pour elle. Les techniciens se sont procuré des copies des vidéos tournées. Dans un premier temps, ils passent la vidéo brute, comme sur les JT et les réseaux sociaux. Mais ensuite, ces magiciens du numérique ont retravaillé le clip. D’abord, des ralentis et arrêts sur image, quand Anna sent le premier attouchement et pense à un geste involontaire. On voit nettement que son bassin avance pour échapper au contact et qu’elle se retourne à demi, puis reprend sa pose initiale. Puis, second mouvement du bassin, elle effectue un quart de tour, prenant l’individu « la main dans le sac » et la gifle part accompagné d’un mot, probablement un juron. Là, les techniciens grossissent l’image qui perd en netteté, mais montre clairement qu’il s’agit bien d’une gifle, main à plat sur la joue, sans toucher le nez ni la mâchoire. Car le député prétend qu’il s’agissait d’un coup de poing qui lui avait fracturé le nez et cassé deux dents. On le voit ensuite reculer sous la baffe et probablement sous l’effet de surprise, perdre l’équilibre et glisser le long de la toile de fond. Nouvel arrêt sur image et grossissement sur le visage du député au moment où il disparaît sous l’estrade. Son visage déformé par le bord de l’estrade, du même côté que la gifle, montre que c’est là que les dégâts ont eu lieu, sans compter le poignet fracturé à l’arrivée.
- — C’est comme l’arbitrage vidéo, reprend Pierre Lescure, il n’y a pas de doute sur les causes des traumatismes.
- — Bien sûr, c’est ce que je dis depuis le début, merci d’en montrer la preuve. La justice tranchera, j’espère qu’ils auront les moyens techniques de faire la même analyse.
- — Ne vous inquiétez pas, on va vous fournir une copie, c’est la moindre des choses. Au moment de la gifle, vous dites quelque chose, mais comme vous n’aviez pas de micro on ne comprend pas ce que vous dites.
- — Je pense que c’est un juron, un cri du cœur dans ma langue natale, quelque chose comme « skiderik »…
- — Qui veut dire ?
- — Salaud !
- — Alors on va revenir sur la vidéo, mais sur une partie qui n’est jamais diffusée. C’est la montée sur cette estrade et l’installation des personnes. Alors, expliquez-nous.
- — Eh bien, après une rapide concertation, il a été décidé d’un protocole très simple : en bas, les collaborateurs, assistants, secrétaires, au sol et sur la première marche. Seconde marche, les interprètes, moins nombreux, et enfin les élus sur la troisième marche, tout en haut. J’en profite pour dire que si cette estrade avait eu un garde-corps, il n’y aurait pas eu de blessure corporelle. Je n’aurais eu que la blessure morale… d’être une femme, et le député une petite blessure d’orgueil.
- — Non, mais attendez, rugit Anne-Élisabeth Lemoine. Vous venez de dire qu’être une femme est une blessure morale ?
- — Merci de réagir. Non, heureusement non. Je dis en fait que je n’aurais eu qu’une blessure morale parce que je suis une femme, et que si j’avais été un homme il ne m’aurait pas touché les fesses. Vous comprenez ? Nous sommes là au siège du Conseil de l’Europe, pas dans le métro aux heures de pointe. Je ne me sentais pas obligée de porter sur les fesses une pancarte « Propriété privée, Défense de toucher ».
- — Attendez, attendez, regardez cette partie de la vidéo, notamment la gauche de l’écran. Vous êtes en train de monter vers la seconde marche de l’estrade et on voit le député discuter et rire avec un autre homme…
- — C’est son assistant.
- — D’accord, lequel va prendre sa place en bas, il reste sur le sol, et le député monte. Mais regardez, on a encore fait une loupe et on voit nettement qu’ils discutent en regardant votre postérieur. Le député secoue la main et semble dire, pardonnez-moi, mais c’est l’impression que ça donne : « Quel beau cul ! », et il ne quitte pas des yeux cette partie de votre anatomie tout le temps que vous montez, puis il monte…
- — Oui, eh bien c’est le mien, beau, pas beau, il nous sert tous à la même chose : s’asseoir et faire ses besoins.
- — Ha-ha-ha, rire général sur le plateau. Et en plus, elle a de l’humour !
- — Oui, et en français, et un français absolument parfait, et sans le moindre accent. Quand je vous ai eue au téléphone, j’ai cru que vous étiez de Rennes ou de Clermont-Ferrand. Comment faites-vous ?
- — Je ne sais pas trop, il paraît que c’est une question d’oreille, comme les imitateurs. Je prononce exactement ce que j’entends.
- — C’est formidable. Et cette maîtrise de la langue ?
- — D’abord, ce sont des années d’apprentissage. En sixième, j’ai choisi le français et le russe. Quand vous obtenez la licence, cela fait dix ans d’étude de la langue. Pour parfaire la connaissance scolaire, il faut vivre dans le pays. J’ai donc été jeune-fille au pair pendant un an à Saint-Pétersbourg et un an et demi en France. J’en profite pour envoyer un bisou à la petite Stéphanie que j’adore : schmac chérie ! Et je remplis des dizaines de carnets, avec des mots qui me semblent bizarres ou inconnus, et surtout des expressions qui sont de plusieurs types : populaires, citations littéraires, traditionnelles, humoristiques, etc. Tout cela pour que je ne sois pas surprise par une expression et que je puisse trouver l’équivalent dans la langue de traduction.
- — Mais c’est un boulot énorme !
- — Oui, c’est vrai, un entraînement comparable à un sportif de haut niveau. Mais c’est cela l’exigence du Conseil de l’Europe, tendre vers la perfection. Mais le titre de votre émission est significatif : « Celle par qui le scandale arrive ». Actuellement, je suis suspendue de mes fonctions, sans salaire bien sûr, dans l’attente du jugement. Si je gagne, je serai en principe réintégrée. Mais qui voudra travailler avec moi ? Personne, parce que je porte désormais le poids de l’origine du scandale. On ne va pas me virer, on va me contraindre à démissionner. Et toutes ces années de travail et de préparation auront été vaines. J’en ai rêvé de l’Europe, et un acte sordide va m’en priver après six mois.
- — C’est terrible ce que vous dites. Je crois que c’est un exemple dramatique à ajouter à la longue liste des conséquences de ces gestes inacceptables. Il faut vraiment que la société réagisse…
C’est bien, elle n’a à aucun moment mis en cause directement son adversaire, ce sont les gens de la télé qui le font. Quand elle a envoyé un baiser à Stéphanie, la gosse s’est précipitée sur l’écran pour l’embrasser, vite retirée par la jeune portugaise, nouvelle jeune fille au pair.
Des parties de l’émission sont reprises sur les JT des chaînes publiques, notamment les ralentis et les loupes. La 5 lui a donné une copie DVD qu’elle ajoutera au dossier. La Commission de justice du Conseil déboute le député et le condamne pour outrage et comportement inapproprié, malgré les protestations du gouvernement hongrois. La justice belge ne peut pas prendre une autre décision, et condamne le député aux dommages pour une somme de dix mille euros. Ridicule pour toute une carrière gâchée, mais une victoire pour les féministes. Anna est officiellement réintégrée, mais avec l’appui notamment des femmes députés de l’Assemblée, elle peut négocier un départ assez avantageux : salaire versé jusqu’à la fin théorique de son contrat et maintien de sa couverture sociale.
Elle arrive chez Jérôme à la fin du mois de mars, épuisée et le moral en berne. Cette histoire l’a laminée. Elle dort pendant quarante-huit heures, tous téléphones éteints. On renvoie la petite Portugaise cuisiner la morue, le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’avait pas une oreille d’imitateur.
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Que dire de la suite de cette histoire, puisque les gens heureux n’en ont pas ?
• Que Jérôme est nommé directeur de la succursale d’Annemasse ? On s’en doutait.
• Qu’il vend bien, très bien même, sa maison d’Île-de-France et qu’ils peuvent finir d’aménager un véritable petit palace dans l’ancien presbytère.
• Qu’ils achètent une voiture électrique pour Anna qui passe, enfin, son permis de conduire, mais qu’elle continue de lui préférer sa bicyclette.
• Qu’ils achètent aussi un bateau solaire à moteur électrique pour se promener sur le lac, avec une petite cuisine, des toilettes sèches et une couchette double, des bains de soleil et un tableau arrière rabattable en plate-forme de baignade.
• Que les parents d’Anna ont un coup de cœur pour le lieu, pour Jérôme et même pour Stéphanie, qu’ils reviennent souvent et que leur fille profite de leur présence pour épouser civilement Jérôme.
• Que le PDG de Jérôme vient très souvent passer des week-ends chez eux en lui demandant des traversées vers Lausanne, « pour affaires».
• Que Yann vient également profiter de ce lieu magique en amenant des auteurs qu’Anna traduit avec maestria, gagnant ainsi mieux sa vie qu’au Conseil de l’Europe.
• Qu’elle a aménagé son lieu de travail dans les combles, avec en permanence cette vue fantastique et dominante sur le lac et le parc.
• Qu’elle se défoule en assurant l’entretien du parc, laissant celui de la maison à une employée à plein temps, logée sur place, qui s’occupe aussi de la garde des enfants.
• Qu’ils vont chercher l’ancien curé dans sa maison de retraite des Alpes-de-Haute-Provence qui, ému jusqu’aux larmes, est époustouflé par les transformations, mouille de nouveau ses yeux en retrouvant nombre de ses fidèles qui ne l’ont pas oublié et tient à bénir, lors d’une cérémonie très privée dans l’église au toit neuf, l’union d’Anna et de Jérôme, bien que l’une soit baptiste et l’autre divorcé.
• Que de cette union naissent deux magnifiques têtes blondes comme leur mère, un garçon et une fille.
• Qu’Anna reste durant des décennies la reine incontestée des soirées annuelles des amis de Jérôme et que, lorsqu’on lui demande le secret de cette beauté qui semble éternelle, elle invoque les bienfaits de ses bains quotidiens dans les eaux froides du Léman, de très bonne heure, avant que la première vedette ne fasse remonter les saletés déposées sur le fond…
En somme, un couple trop parfait.