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n° 20019Fiche technique27723 caractères27723
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Temps de lecture estimé : 20 mn
20/01/21
corrigé 01/06/21
Résumé:  Je veux dédier ce poème, à toutes les femmes qu'on aime Pendant quelques instants secrets
Critères:  #drame #rencontre #nostalgie fh extracon bus amour revede
Auteur : Patrick Paris  (Incorrigible sentimental...)            Envoi mini-message
Les passantes

Je veux dédier ce poème

À toutes les femmes qu’on aime

Pendant quelques instants secrets

À celles qu’on connaît à peine

Qu’un destin différent entraîne

Et qu’on ne retrouve jamais



---o O o---




LUI


Comme tous les matins je suis en retard, je dois courir pour attraper mon métro. J’aurais dû me lever quand le réveil a sonné, j’aurais dû rester moins longtemps sous la douche, je n’aurais pas dû reprendre un café. C’est tous les jours la même chose, il faut courir pour ne pas arriver en retard.

Heureusement en tête de ligne, j’ai une place assise.


Je connais le trajet par cœur, 11 stations, changement, 4 stations, j’arrive au bureau… J’en profite pour finir ma nuit.

Nouvel arrêt, un flot de voyageurs envahit le peu d’espace restant. Une jeune femme s’assoit face à moi profitant de la dernière place libre. De façon automatique, je la détaille discrètement. Elle doit avoir la trentaine, un peu plus, un peu moins ? Mariée ? Peut-être ; des enfants ? Difficile à dire. Que fait-elle dans la vie, avocate ? femme d’affaires ? ou secrétaire ? enfin assistante. Ou plutôt vu sa tenue ingénieur-conseil dans la finance. Tailleur strict, chemisier blanc, coiffure impeccable, c’est ça !


Je continue à gamberger, ça aide à faire passer le temps. Belle femme ! La grande question, primordiale, string ou une culotte ? Et porte-t-elle un soutien-gorge ? Non je ne peux rien voir, mais je peux imaginer. Elle va au bureau, donc elle a mis un soutien-gorge ; taille 90 C ou B elle n’est pas très grande, enfin son sein tiendrait bien dans ma main, petits tétons c’est sûr, mes préférés, il y a vingt ans elle n’en aurait pas mis. Un string ? Pas pratique pour bosser, mais une petite culotte en dentelle, blanche bien sûr. Elle doit avoir de la lingerie fine, en soie, raffinée, qu’elle achète juste pour elle. Et dessous, touffue ou rasée ? Ce doit être une assidue des instituts de beauté ; j’ai le choix, petit ticket de métro ou fine toison recouvrant son pubis. J’aime les deux. Petites ou grandes lèvres ? La question est fondamentale, voyons son visage, les traits fins, elle est brune, j’opte pour des petites lèvres. Humm, ma langue… Humm, elle doit sentir bon.


On est seul. Elle ouvre son chemisier pour moi. Je viens m’asseoir à ses côtés, elle me tend ses lèvres pendant que je lui caresse la poitrine, faisant rouler tendrement ses tétons entre deux doigts. Non, j’ai mieux. Assis à côté d’elle, j’ouvre lentement les boutons, l’un après l’autre. Elle ne bouge pas. J’écarte les deux pans de son chemisier blanc faisant jaillir ses seins, comme Brigitte Fossey dans « les valseuses ». Je rejoue la scène, une fois, deux fois…

Pas de temps à perdre, il ne me reste que sept stations. Je l’embrasse, lui pelote la poitrine, sa peau est douce. Sa main se pose sur ma cuisse. Son visage affiche un grand sourire coquin. J’en profite pour glisser une main sous sa jupe, elle une main dans mon pantalon. Elle porte des bas, je promène mes doigts sur la bande de chair nue, j’écarte la dentelle, et enfonce délicatement un doigt dans sa chatte déjà bien humide. Ses jambes entrouvertes me facilitent le passage.

Je lui murmure à l’oreille « Mets-toi à genoux, sur le siège », elle s’exécute. Je soulève sa jupe, jolies fesses ! Je baisse son string, tiens, oui, elle a bien un string ; ma queue dressée, mon gland caresse ses lèvres. Sa poitrine se soulève au rythme de sa respiration qui s’accélère. La tenant par les hanches, je vais m’enfoncer avec délice dans son intimité…



Une dame âgée, s’appuyant sur une canne, se tient à côté de moi. La voiture est bondée.



Je me lève pour lui laisser ma place, et me retrouve coincé avec les voyageurs montés à la station précédente.


Zut, elle m’a interrompu juste au bon moment. Où en étais-je ? J’ai perdu le fil. Encore trois stations et je descends. Ne pas rater ma correspondance. Ouf ! Ma belle inconnue est toujours là. Elle me regarde, machinalement je lui souris. Elle tourne vivement la tête, elle doit croire que je la drague, comme si c’était mon habitude. Mais les femmes se méfient dans les transports en commun, je les comprends il y a tellement de détraqués. J’ai vu une émission à la télé là-dessus, la RATP a dû créer une brigade spécialisée.


Le métro ralentit. Nous arrivons à une station, remue-ménage dans la voiture, bousculade entre ceux qui entrent et ceux qui sortent. Non ! Ce n’est pas possible, ma belle inconnue s’est levée, terminus pour elle, je note le nom de la station, un réflexe. Paris est si petit pour ceux qui s’aiment, comme nous, d’un aussi grand amour !


Je la suis des yeux. Coup d’œil sur la place qu’elle vient de quitter, je découvre un téléphone, sûrement le sien, un bond, je me précipite :



Trop tard, les portes se referment, elle ne m’a pas entendu. La rame redémarre.

Quoi faire ? Des yeux sont braqués sur moi, on doit croire que je suis un voleur, je dis bien fort en serrant l’appareil dans ma main :



Pour sortir du métro, un long escalier nous mène en surface. Encore une habitude, mes yeux furètent devant moi à la recherche des plus belles fesses moulées dans un pantalon, ou d’une jupe laissant apercevoir de longues jambes. Je virevolte de l’une à l’autre avec l’espoir vain d’apercevoir toujours plus haut, la lisière d’un bas, une petite culotte. Je me suis souvent fait la réflexion qu’un ingénieur avait certainement dû calculer la hauteur des marches des escaliers, en fonction de la longueur des jupes afin de préserver la pudeur de nos dames.




---o O o---




ELLE


Le métro est bondé ce matin, il n’avance pas. J’avais changé de circuit pensant bien faire, c’est bien ma veine. Je vais encore arriver en retard.


Coup de chance, une place assise. La journée va être chargée, réunion ce matin, rapide, je n’y reste pas une heure. Le dossier à rendre, je le relirais en diagonale, il est parfait. Déjeuner vite fait à midi. J’ai pris mon après-midi pour faire quelques courses dans les Grands Magasins, et ce soir mon chéri rentre de vacances avec les enfants, je vais les chercher à la gare. C’est la dernière fois que je les laisse partir seul, ils me manquent trop, et j’ai travaillé deux fois plus qu’en temps ordinaire, je suis claquée.


Ce métro qui n’avance pas… Tiens, il est pas mal ce type en face de moi. Voyons, la quarantaine… Oui, bien quarante, il est déjà un peu dégarni, ça lui va bien. Quarante, mais pas beaucoup plus. Élégant, ingénieur ou médecin, non pas médecin, qu’est-ce qu’il ferait dans le métro à cette heure. Directeur, ça veut tout dire et rien dire, mais à son regard j’ai l’impression qu’il sait commander. Plutôt grand à ce que je peux en voir, il faudrait qu’il se lève, et bien sûr pas sympa il va rester assis tout le trajet, c’est bien ma veine.


Beau visage, surtout ses yeux, il doit en faire craquer plus d’une avec ce regard. Bon, alors combien je lui donne ? Cette habitude que j’ai de noter les mecs que je croise, pas de notes chiffrées, ça ne se fait plus, moi je classe : « à ignorer », « petite conversation devant un café », « coup d’un soir », « aventure de quelques mois », « vacances en amoureux », « mariage ». Je suis déjà mariée, pas de panique, c’est juste une classification.


Oh ! Mon beau dégarni se lève, il ne va pas partir si vite. Il est grand, un plus. Pourquoi s’est-il levé ? Pour me faire plaisir, c’est gentil. Non, c’est pour laisser la place à cette dame, et poli avec ça, il a toutes les qualités. J’aimerais bien entendre sa voix, difficile. Il faudrait que quelqu’un lui marche sur les pieds, je ne peux tout de même le demander à mon voisin, allons ça ne se fait pas.


Alors, combien ? Pour lui, rien que pour lui, je crée une nouvelle classe, « amant ». Non pas que je veuille tromper mon mari, je ne l’ai jamais fait, je ne le ferai jamais. J’aurais pu dire hors catégorie, mais « amant » j’aime bien.


Zut ! J’allais rater ma station, mon sac, vite… Pardon, pardon…


Ouf, j’ai failli être coincée, devoir descendre à la prochaine et revenir à pied, bonjour mon beau planning.

En marchant vers l’immeuble qui abrite mon bureau, sans savoir pourquoi, je suis heureuse, y a des jours comme ça. Je chantonne une chanson de Georges Brassens « les passantes ». Mon père la passait en boucle sur notre électrophone, je l’ai souvent en tête. Pourquoi maintenant ? C’est un homme qui parle, moi ça me va bien :


« À la compagne de voyage

Dont les yeux, charmant paysage

Font paraître court le chemin

Qu’on est seul, peut-être, à comprendre

Et qu’on laisse pourtant descendre

Sans avoir effleuré la main ».


Après un petit bonjour à mon assistante, j’allume mon ordinateur. Je prendrais le café dans la salle de réunion. Mes dossiers, mon téléphone sur vibreur. Mon téléphone, où l’ai-je mis celui-là. Ce n’est pas possible, il est où ? Dans mon sac… Dans mes poches… Rien. Pourtant je l’avais ce matin, j’en suis certaine. J’ai regardé mes messages dès que je me suis assise dans le métro. Meeerde ! Dans le métro, me voilà belle. Je dois me rendre à l’évidence, je l’ai perdu en me levant, ou sur le quai.


En allant en salle de réunion, j’en informe mon assistante, pour appeler les objets-trouvés. Sans me faire trop d’illusions, on ne sait jamais. Et qu’elle me trouve rapidement un nouvel appareil, et réinitialise mon répertoire avec les numéros du bureau et de chez moi, elle connaît.


Je n’ai rien écouté de la réunion. Mon téléphone, pourvu qu’il ne tombe pas entre n’importe quelle main. Toute ma vie. Mes messages, bof rien d’important ; mon répertoire ne peut intéresser personne ; mes photos, les vacances avec enfants, tant pis. Mon mari ne va pas être content, il m’avait dit de mettre un mot de passe, d’effacer les messages anciens, de faire je ne sais trop quoi. Ça m’a toujours embêté. Un téléphone, c’est fait pour téléphoner, ce n’est pas un coffre-fort.




---o O o---




LUI


À peine arrivé au bureau, j’analyse mon trésor. Pas de code secret, si je trouve le nom de sa propriétaire, je le lui ferrais parvenir, pas trop confiance dans les objets trouvés.


Un œil sur ses SMS, rien pour me mettre sur la piste, ni dans le répertoire, des noms inconnus. Trop curieux, je suis attiré par ses photos. C’est bien elle, je la reconnais, en famille, avec deux enfants. Bingo, elle est bien mariée. Des selfies avec un homme, sûrement l’heureux élu.


Oh ! Ça devient intéressant, des souvenirs de vacances, sur une plage, en maillot de bain, je n’en espérais pas tant. En maillot blanc, mon préféré, super quand il est mouillé, dommage celui-là a l’air d’être sec… C’est mignon tout ça. À vue de nez 90C. Oups ! plus de maillot, enfin plus de haut. Ça tient malgré ses deux gosses, ou alors c’était avant… enfin pas mal, pas mal du tout. Qu’ont-ils fait d’autre, seuls sur cette plage ? J’imagine, j’en aurais fait autant.


Vraiment une belle femme, tout à fait mon genre. Les photos défilent, là c’était en Corse, je reconnais. Belle naïade sur des rochers, c’est une sportive, elle porte un maillot noir, enfin juste le bas. Noir, c’est bien aussi. Elle surplombe la mer, ça a l’air haut, a-t-elle osé plonger dans les flots tout en bas ?


Et celle-là, sur une plage déserte, de dos les pieds dans l’eau face à la mer, entièrement nue, un corps de rêve, de longues jambes fuselées, un dos de nageuse, et ses fesses, potelées, fermes… Zoom sur ses fesses, humm, à croquer. Je ne m’étais pas trompé, elle a le cul qui chante.


Dommage, elle ne s’est pas retournée… Voyons la suite. Allongée sur la plage, ses seins n’ont plus de secret pour moi. Au marché, jouant avec le contre-jour au travers sa robe légère. Et là, sur un lit, chez eux ou à l’hôtel. Oh oh ! Encore plus coquin.


Stop ! Je ferme son téléphone. J’ai honte de jouer au voyeur, c’est un viol de son intimité, ma belle inconnue mérite mieux.


Enfin, il faut que je trouve le moyen de lui rendre son appareil. Son répertoire, ses contacts. « moi », facile je vais l’appeler. Que je suis bête, c’est moi qui ai son téléphone. Un autre « mon chéri », non, ça risque de la mettre en porte-à-faux, il pourrait ne pas la croire. « Bureau », un fixe c’est mieux, j’espère tomber sur elle et pas un standard ou un collègue. Allez, je me lance :



À peine le temps de dire allô :



C’est elle, pas besoin d’explication. Jolie voix, je revois son visage en fermant les yeux, enfin pas que son visage :



L’idée d’un déjeuner en tête à tête avec ma belle inconnue me ravit. Bien joué mec !


Elle m’attend dans le hall. Un bon point, j’ai l’impression qu’elle me reconnaît.


Le repas est simple, sympathique, chacun raconte sa vie. Elle, mariée, deux enfants, un boulot dans la Finance. Gagné. Moi, j’invente, marié aussi, mais un seul enfant, une fille, et maintenant trop tard pour le second, en vacances pour quelques jours à Paris après avoir assisté à un colloque des plus ennuyeux, avant de rentrer à Bordeaux. Je me lance :



Il attend 1925 pour la demander en mariage. Surprise, ce n’est pas Marthe de Meligny qu’il épouse, mais Maria Boursin, elle a huit ans de plus que ce qu’elle lui a dit, elle n’est pas orpheline. Sa mère, couturière, vit encore à Paris. Elle va la voir de temps à autre, comme ses cousins.

Trente-deux ans de mensonges, trente-deux ans de double vie. Pourquoi me direz-vous.



Nous reprenons le métro pour atteindre le musée. Les couloirs sont longs. Je marche trop vite, pour me suivre elle doit s’accrocher à mon bras. Je comprends qu’elle a des jambes plus courtes que les miennes, je ralentis. Elle reste serrée contre moi, je suis bien, un frisson me parcourt de la tête aux pieds.

Tiens, cette fois dans les escaliers, je n’ai pas cherché la paire de fesses de mes rêves.




---o O o---




ELLE


La rame est vide à cette heure. Assis l’un en face de l’autre, nos esprits s’envolent… Il y a à peine quelques heures… Une éternité.


Avant de commencer la visite, il tient absolument à me faire visiter la maison qui héberge le musée. J’imagine les calèches qui amenaient les invités dans la cour. Quel luxe ! Une maison bourgeoise de la fin du 19e, la chambre de monsieur, celle de madame, très vieille France. Un collectionneur aussi, sa maison est à elle seule un vrai musée, Rembrandt, Fragonard, et sa collection italienne dont un Botticelli. Il ne devait pas vivre au SMIC ceux-là.


Mon guide connaît tout, m’explique tout. Je suis sous son charme, je n’arriverais jamais à tout retenir, je me laisse bercer par le son de sa voix.


C’est le grand moment, l’exposition temporaire. Il m’a prévenu, c’est un petit musée, ce sera rapide, une vingtaine d’œuvres, quelques paysages, mais surtout des nus de sa femme.


Ambiance feutrée, peu de lumière, seuls les tableaux sont éclairés. Les gens parlent à voix basse comme à l’église. À côté d’un jardin ensoleillé vu au travers une fenêtre, le premier nu de Marthe, une belle femme, il est en extase. Je comprends sa passion pour Bonnard dès ce premier tableau, simple comme le bonheur. « Nu en contre-jour », une salle de bain 19e, une femme nue de dos, jolies fesses, on distingue à peine sa poitrine. Un tub pour la toilette, et dans le coin gauche un petit miroir, le reflet de la femme de face.


Maintenant il parle peu, il est sous le charme du peintre, de son modèle. Je n’ose rompre ces instants magiques. Devant un autre nu, il me prend la main. Je ne la retire pas, nous contemplons ensemble, sans faire attention à ceux qui à côté de nous ne savent regarder qu’au travers leur téléphone. Pourquoi toutes ces photos ?


Petites salles, grands trésors :



Une femme étendue sur un lit, Marthe bien sûr, nue bien sûr. Sur le dos, sans rien cacher de sa nudité, une jambe repliée, on imagine que le peintre et son modèle viennent de faire l’amour. Elle est alanguie, dans une pose qui pourrait être obscène. Mais non, c’est beau comme l’amour, comme l’amour physique. Cela me fait penser au tableau « L’origine du monde » de Gustave Courbet.



Devant son chef-d’œuvre, il m’invite à m’asseoir sur un petit banc. Il ne dit rien, fasciné. Serrés l’un contre l’autre, je sens sa cuisse contre moi, il passe son bras autour de mes épaules, je pose ma tête contre la sienne. Je suis émue, pour quoi ? Par qui ?

Pas un mot, l’art se ressent, il ne s’explique pas.


Je le regarde. C’est certain, il est amoureux de Marthe, l’image de la femme parfaite, de l’amante parfaite. Sortant de sa torpeur, il se tourne vers moi :



Je le suis, regrettant déjà ce moment magique qui nous a réunis. Nous continuons la visite main dans la main. Il me donne quelques explications sur chaque tableau. La fin de l’exposition, des photos de Marthe prise par son mari, en noir et blanc, encore nue bien entendu, quelle belle femme ! je ne peux m’empêcher de le taquiner :



La visite se termine, petit passage à la boutique, il m’achète la reproduction de son tableau.



L’heure avance, je n’ai pas envie de le quitter. Il me propose d’aller à la cafétéria du musée, salon de thé feutré. Magnifiquement décorée, la petite salle est bondée. Coup de chance, une table se libère proche de la fenêtre qui donne sur le jardin.


À la table voisine, deux jeunes femmes, une brune et une blonde, la main dans la main, les yeux dans les yeux, elles n’échangent aucune parole. Je les avais remarquées dans l’exposition, en admiration devant une toile, elles aussi sous le charme de ce peintre qui rapproche les cœurs, qui rapproche les corps.


Devant mon thé et lui son café, je l’écoute, buvant ses paroles, ne pouvant détacher mon regard de ses yeux qui me fascinent comme ce matin dans le métro.



Je prends conscience que pour me parler, il a pris mes mains dans les siennes. Nous sommes appuyés sur la table, nos visages proches, il me parle comme s’il me faisait des confidences, à voix basse. Nos yeux se croisent, il dépose un baiser sur mes lèvres, je me recule vivement :



Il se recule, embarrassé. Mais comment lui en vouloir ? Comment avouer que j’ai aimé ce baiser furtif.




---o O o---




LUI


En sortant, sans un mot, nous nous promenons dans les rues de Paris. Nos pas nous portent vers les quais. La Seine coule toujours pour les amoureux. En regardant l’eau, je pose mon bras sur sa taille, elle ne se dérobe pas, au contraire, elle se serre un peu plus contre moi.


Nos regards se croisent, petites gênes, non il ne faut pas. Elle regarde sa montre. Voulant décontracter l’atmosphère, je propose :



Sans lui laisser le temps de réfléchir, j’entre dans un Mc Do.



Attablés, nous attaquons un Big Mac, moi un XL. Le ketchup coule sur son menton, elle essaie de limiter les dégâts en se léchant les lèvres. Délicatement avec la serviette papier donnée gracieusement par notre serveuse, je lui nettoie la bouche, mes doigts caressent sa joue. Quand je prends de la mayonnaise avec les frites, elle sourit et telle une maman grondant ses enfants, elle me montre du doigt :



Il est l’heure d’aller à la gare. Nous savons tous les deux que c’est notre dernière heure ensemble.


Dans le hall, les panneaux n’indiquent pas encore le quai où arrivera sa famille. Tapis dans un coin, nous suivons la marche inexorable des aiguilles de l’horloge de la gare. Je tiens ses deux mains au chaud dans les miennes. Nos yeux parlent à notre place.



Direction quai 19. Inconsciemment, nous restons à bonne distance du quai. C’est le moment de se quitter. Soyons théâtral :



La prenant par les épaules, je dépose un baiser sur ses lèvres. Elle ne me repousse pas, elle répond par un sourire.



Nos poitrines se gonflent, dix minutes de gagnées.


Sans un mot, elle se précipite dans mes bras et écrase ses lèvres sur les miennes. Nos lèvres sont soudées, nos dents se cognent entre elles, nos langues se cherchent, se trouvent, se caressent, elles font tout ce que nos mains ne peuvent faire. Dix minutes, le baiser du siècle, ô temps, suspends ton vol.


Je sens ses seins contre moi. En fermant les yeux, je revois les photos entrevues ce matin. Sentant une forme se développer dans mon pantalon, je me décale un peu, soyons gentleman, pas vulgaire. Mais… Elle se rapproche, se colle face à moi, frotte sa cuisse, nous ne faisons plus qu’un. Comme l’indolente, l’amour physique est plus fort.


Elle se détache un peu, reprend son souffle, avec un sourire, son sourire…


Main dans la main, les yeux dans les yeux, nous sommes seuls, plus personne autour de nous. Mon esprit s’emballe, si elle n’avait pas d’enfant, si elle n’était pas mariée.



Je vais la perdre. Non ! Je la prends dans les bras, elle se blottit contre moi, je l’embrasse langoureusement. Baiser profond, deux minutes c’est long et c’est court.


Je sens sa respiration soulever sa poitrine. Cet instant ne doit jamais finir. Mon dieu, changez-nous en statue.


Le train arrive. J’essaie de la retenir encore quelques secondes. Elle est troublée :



Elle me pose un doigt sur la bouche :



Elle effleure mes lèvres d’un dernier baiser, et court vers les voyageurs qui commencent à arriver.


Nous ne nous connaissons plus, voyageurs anonymes perdus dans la foule. Elle doit sentir mon regard fixé sur elle. Elle se retourne rapidement. Petit sourire rassuré, je suis toujours là.


Elle agite la main, deux enfants se jettent dans ses bras, effusions attendrissantes, je n’existe plus. Son mari arrive avec les valises. Il la prend dans les bras, un baiser rapide :



Je traduis « pas devant moi ». Il n’insiste pas.


Son mari lui raconte son voyage. Tenant ses enfants par la main, elle a le regard vague, l’écoute-t-elle ?


Elle passe devant moi, juste un petit coup d’œil rapide, je ne bouge pas. J’ai l’impression qu’elle serre plus fort la main de ses enfants. Je serre les poings dans mes poches.




---o O o---




ÉPILOGUE


Adieu belle inconnue dont je ne connais pas le nom.

Pourquoi lui avoir dit que j’étais en vacances à Paris ? Pourquoi lui avoir dit que j’étais marié, que j’avais un enfant ? Je me suis forgé ce personnage en repensant à ses photos de famille vues sur son téléphone.


Je repense à Pierre et à Marthe, à leur rencontre dans un tramway boulevard Haussmann, au printemps 1893. De nos jours, un coup de foudre au premier regard dans un métro, ça n’existe plus.


Demain, je retournerai au musée revoir Marthe, ma Marthe.


Sur ce quai maintenant désert, tristement, je regarde s’éloigner sa « frêle silhouette si gracieuse et fluette ». Les paroles d’une chanson me reviennent en mémoire :



On songe avec un peu d’envie

À tous ces bonheurs entrevus,

Alors, aux soirs de lassitude

Tout en peuplant sa solitude

Des fantômes du souvenir.

On pleure les lèvres absentes,

De toutes ces belles passantes

Que l’on n’a pas su retenir.