Nous étions en pleine gesticulation copulatoire et plus très loin de la congestion éjaculatoire quand elle me dit :
- — Et si tu me frappais ?
- — Moi ?
- — Oui toi, évidemment.
- — D’accord, mais attends au moins qu’on ait fini de faire l’amour.
- — Mais justement j’aimerais que tu me frappes pendant qu’on baise. En tout cas, j’aimerais voir l’effet que ça fait…
- — Je veux bien essayer, mais comment veux-tu que je fasse ? Je ne veux pas te faire mal.
- — Mais si justement !
- — Tiens, vlan, sur les fesses !
- — Tu es sérieux, là ? On dirait du Brassens.
- — « Ma main vengeresse est retombée, vaincue !
Et le troisième coup ne fut qu’une caresse… »
- — Voilà, juste une caresse, rien de plus.
- — C’est déjà pas si mal, une caresse.
- — Oui, mais aujourd’hui je voudrais autre chose.
- — Franchement, ce n’est pas mon truc. Tu pourrais me frapper, toi ?
- — Oui.
Quelques jours plus tard, la conversation reprit sur le même sujet :
- — Écoute Antoine, j’aimerais réaliser ce fantasme une fois dans ma vie. Mais toi, quelle que soit la position que nous adoptons, tu te défiles à chaque fois.
- — Frapper une femme, c’est au-dessus de mes forces. J’ai voulu, pour te faire plaisir, te taper un peu, mais rien à faire. Et pour tout te dire, ça me fait même débander.
- — Bon, bon, n’en parlons plus.
Effectivement, ils n’en ont plus parlé pendant une semaine, mais Sophie est vite revenue à la charge.
- — Est-ce que ça te dérange si je branche le grand ventilo ?
- — Tu as si chaud que ça ?
- — Non, je vais m’arranger pour qu’il me frappe de ses pales au moment fatal.
- — Mais ça va te zébrer la peau et sévèrement !
- — Tu crois vraiment, mon amour ! Ah quel pied !
La situation s’arrangea, il la prit sur lui (en cette période, il prenait beaucoup sur lui) et on approcha le ventilateur menaçant. Il frappa une fois les fesses de Sophie, mais, surprise, elle se retira par réflexe et le ventilo s’attaqua aux génitoires d’Antoine, ce qui n’allait pas le réconcilier avec l’idéal de la souffrance. Il fallut laisser passer quelques semaines pour simplement envisager une nouvelle fornication tant la douleur avait été vive. Mais Sophie, qui avait le même caractère que sa mère, ne voulut pas en rester là.
- — Je suis vraiment désolée pour l’autre fois ; tu avais raison, ce n’était pas du tout une bonne idée.
- — N’en parlons plus. Désormais tout marche comme sur des roupettes.
- — Bonne nouvelle. Mais je renonce désormais aussi bien à te demander un coup de main ou d’autre chose qu’à utiliser une machine célibataire.
- — J’en suis heureux, et je t’avoue que faire l’amour avec toi n’engendre pour moi aucune lassitude.
- — Mais pour moi non plus, rassure-toi. Seulement, je tiens à mon idée. Alors, voilà ce que je te propose. À la salle de gym, j’ai rencontré, en toute amitié bien entendu, un jeune boxeur, Fabio.
- — Un Italien ?
- — Je ne sais pas, mais tout le monde l’appelle Fabio. La question n’est pas là. Il serait ravi de venir me donner quelques coups pendant nos étreintes.
- — Un boxeur ?
- — Précisément un boxeur. Parce qu’un boxeur sait doser les coups qu’il donne et qu’il saura donc s’adapter à ce que je peux supporter. D’ailleurs ne dit-on pas que la boxe est le noble art ?
- — Tu es à ce point droguée au masochisme !
- — Masochisme, tout de suite les grands mots ! Tout ça pour quelques tapes sur les fesses !
- — Bon, bon, mais tu ne veux pas voir un psychologue ?
Apparemment, elle ne voulait pas. Fabio est donc venu ; c’était un bel athlète effectivement. Il entrait avec une extrême courtoisie, puis il allait se changer dans la salle de bain d’où il ressortait dans le superbe peignoir qu’il arborait sur le ring. Il faisait alors quelques mouvements d’assouplissement et il officiait avec un sérieux imperturbable alternant de vraies fessées avec quelques tirages de cheveux et autres pinçages de la peau aux endroits et aux moments stratégiques. Sophie atteignait alors le nirvana.
- — Antoine, mon chéri… Aïe ! tu ne peux pas savoir comme je t’aime ! Aïe !
- — Oui, mais s’il n’y avait pas l’autre…
- — Allons, ne sois pas blessant. Fabio, ce n’est pas l’autre, c’est un adjuvant ; c’est un expresso italien bien tassé, c’est… Aïe ! Vas-y Fabio ! Vas-y ! À toi, maintenant, Antoine ! Prends-moi à fond les manettes ! Aïe ! Baise-moi, Antoine ! Frappe, Fabio ! Aïe, ya, aïe !
La vie aurait pu continuer ainsi dans la plus grande sérénité, mais Antoine n’y trouvait pas son compte.
- — C’est exactement ce que je viens de dire : je n’y trouve pas mon compte.
- — Mon bonheur, ma félicité érotique, ça n’est rien pour toi ?
- — Si, ça compte beaucoup. Mais à quel prix ?
- — Jusqu’ici tu ne t’en plaignais pas et tu aimais même m’enduire de produits calmants et de crèmes réparatrices le soir devant la télé, puisque nous n’avons pas de feu de bois.
- — Disons que jusqu’ici… Ça pouvait encore passer, même si… Enfin, il y aurait beaucoup à dire et à redire. Mais ces derniers temps, ton Fabio pousse tout de même le bouchon un peu loin, je trouve.
- — Et pourquoi ça, s’il te plaît ?
- — D’abord, j’ignorais qu’il était nu sous son peignoir. Sur un ring, je suppose qu’il porte un short ou un caleçon.
- — C’est vrai et je lui en ai demandé l’explication. Il ne peut pas se permettre de mettre son short de compétition parce que son sponsor ne l’admettrait pas. Il m’a dit aussi que s’il revêtait son habit de lumière ou de combat, il aurait plus de mal à retenir ses coups. L’instinct, qu’est-ce que tu veux…
- — Oui, enfin, il se permet quand même quelques privautés qui ne sont pas de mon goût.
- — Non, tu as l’esprit mal tourné. C’est juste qu’il se prend au jeu.
- — Mais Sophie, tu es aveugle ou quoi ? L’autre soir, il avait le peignoir ouvert, le sexe tendu…
- — Ça, c’est physiologique, complètement logique.
- — Moi, je dis ça, je dis rien, mais j’aimerais pas passer pour un cocu et j’aimerais pas non plus qu’on te prenne pour une pute à la salle de gym. Parce que tout se sait, figure-toi.
- — Une pute ! Alors ça, c’est la meilleure ! Une pute, alors qu’il n’a jamais été question d’argent entre nous. Jamais, tu m’entends ? Et quant à toi, cocu ? Non, mais tu rigoles ! D’abord un cocu n’est jamais au courant qu’il est cocu ; en tout cas, il est toujours le dernier à l’apprendre.
- — C’est vrai que moi, je l’ai appris en premier.
Bref, Sophie avait réussi à calmer Antoine. Et, avec le printemps, les beaux jours et Fabio sont revenus. Mais à l’issue d’une ces soirées, nous n’étions plus loin de la rupture.
- — Sophie, je vais demander le divorce.
- — Allons bon, voilà autre chose !
- — Ce n’est pas autre chose, c’est toujours la même chose.
- — Mais si c’est toujours la même chose, qu’est-ce qui change ?
- — Ce qui change, c’est que, tu n’as peut-être pas bien remarqué, mais j’ai mis un miroir dans l’angle de la chambre et j’ai vu tout ce qu’il se passe.
- — Mais tu es un voyeur, un pervers. Je ne te connaissais pas sur ce jour-là.
- — Ne détourne pas la conversation. Ton Fabio s’est permis une discrète sodomie dans ton dos.
- — Non ? Tu es sûr ?
- — Bien sûr que je suis sûr. Et toi, tu n’as rien ressenti ?
- — Mais si, évidemment. Seulement tous les coups que je reçois finissent pas se confondre au moins que je ne sais plus au bout d’un moment où ça me fait mal. Je suis sûre de toute façon que ça partait d’une bonne intention : il voulait m’infliger une petite brûlure culière pour compléter ma connaissance du mal qui fait du bien. Mais enfin, on ne va pas divorcer pour un orifice qui ne t’a jamais intéressé tout de même ?
Quelques jours plus tard, Sophie était au téléphone avec Suzy, sa meilleure copine.
- — Ça y est, ma Suzon, j’ai été prise en sandwich ! Oui, je te jure ! Comment j’ai fait ? Ah, mais c’est toute une histoire…