n° 20085 | Fiche technique | 67348 caractères | 67348Temps de lecture estimé : 37 mn | 24/02/21 corrigé 30/05/21 |
Résumé: Elle voulait que je lui explique comment fonctionne un mec. Inutile de lui résister. | ||||
Critères: h fh fhh couple collègues essayage boitenuit danser amour voir photofilm lingerie hmast caresses facial jeu yeuxbandés | ||||
Auteur : Olaf Envoi mini-message |
Nihil obstat
Airelle sortait d’un an de travail, sans pause, sur un projet difficile. Elle l’avait si bien ficelé que sa direction l’avait accepté sans correction. Les responsables de son département n’avaient toutefois pas hésité à lui offrir deux mois de salaire et des adieux émus, plutôt qu’une substantielle augmentation. Ils n’avaient apparemment plus aucun job pour de si bonnes qualifications. Elle se retrouva donc en congé forcé, qu’elle mit à profit pour s’offrir des vacances à la Réunion.
Travaillant dans une autre entreprise, celle-là même à qui le projet allait profiter, j’avais rencontré Airelle plusieurs fois dans un cadre professionnel au cours des derniers mois. Sans savoir ce qui se tramait, je lui avais proposé de fêter son succès dans un restaurant sympa. Elle me donna rendez-vous à son retour.
Après le deuxième verre de rouge, elle m’apprit à quelle sauce elle avait été mangée. Nous n’en passâmes pas moins un excellent moment, à nous raconter nos vies et nos coups de cœur. Au point qu’Airelle proposa en fin de soirée de prolonger la conversation dans un bar des environs.
J’avoue que l’idée d’une découverte plus intime m’effleura. Je me sentais bien en sa compagnie, et sa proximité physique ne me laissait pas indifférent. Il me parut cependant prématuré d’envisager plus que cette complicité installée entre nous, et je n’entrepris rien. Cela ne m’empêcha pas de lui poser quelques questions sur ce qu’elle avait vécu dans la chaleur de l’hémisphère sud.
Elle m’expliqua alors que, sous le coup de la rage d’avoir perdu son job et de la crainte de se retrouver au chômage pour longtemps, elle avait fait un rapide bilan de son existence avant de poser les pieds sur le sable. Le résultat n’avait pas été brillant. Peut-être était-il acceptable sur le plan professionnel – qui s’en souciait ? – mais il s’était révélé dans le rouge sur le plan sentimental.
Relation terminée en eau de boudin quelques semaines avant son départ, difficultés récurrentes à dénicher les personnes qui pourraient lui correspondre de jour comme de nuit. Sans parler de quelques insurmontables inhibitions, qui l’empêchaient de profiter d’une agréable occasion, quand bien même l’envie de câlins la taraudait.
En d’autres termes, déprimante solitude sensuelle et érotique, et rien à l’horizon pour s’en sortir seule.
Se refusant à finir vieille fille, elle avait décidé de profiter de ses vacances pour frapper un grand coup, et tenter le tout pour le tout. Vraiment le tout. Lorsqu’elle s’était sentie prête, elle avait demandé à un chauffeur de taxi de la conduire dans le club le mieux adapté à ses envies charnelles. Elle y avait fait ce qu’il fallait pour attirer l’attention de mecs qui n’attentaient que cela. Après avoir échauffé une bonne demi-douzaine de types, elle s’était laissé convaincre plus que séduire par deux d’entre eux, qu’elle avait jugés capable de prêter agréablement attention à ses désirs.
Elle avait précisé quelques règles du jeu avant de leur donner carte blanche. Ils l’avaient conduite dans un hôtel proche de celui dans lequel elle séjournait. Respectueux, élégants dans la volupté, endurants dans le corps à corps, ils avaient ardemment profité d’elle. Quelques orgasmes plus tard, satisfaits d’eux-mêmes, les mâles s’étaient endormis en entourant leur conquête de leurs bras musclés.
Au petit matin, sans les réveiller, elle avait quitté la couche qui avait bravement supporté la fougue de leurs ébats. Une fois seule dans son bungalow, elle avait réalisé que, même si aucun ingrédient n’avait manqué à son festin, elle ne se sentait pas vraiment rassasiée. Aucune trace de transcendance, ou de sublimation avec ces inconnus. Les hommes avaient bien joué de leur corps, avaient fait de louables efforts d’imagination, démontré une évidente dextérité, mais ils l’avaient laissée sur la touche.
Elle ne se sentait pas frustrée. Juste imparfaitement satisfaite. Sous la douche, puis plus longuement dans son lit, elle avait commencé par apaiser la sourde tension qui habitait encore son bas-ventre, avant d’envisager les changements qui s’imposaient dans sa vie.
Je manquai de tomber de mon tabouret de bar en entendant cela. Sans la moindre préparation, sans m’avoir donné le moindre signe prémonitoire, elle orientait notre amitié vers une relation très intime, tout en le présentant comme un exercice de style. Un rattrapage, une formation en cours d’emploi lui permettant d’acquérir les compétences érotiques et sexuelles qui lui manquaient pour être au top de sa vie amoureuse. En deux mots, et en latin d’église, elle me faisait une proposition délirante, tout en laissant planer un doute sur ce qu’elle pourrait ressentir à mon égard.
Il me fallut quelques secondes pour me remettre du choc. Je l’ai dévisagée, histoire de vérifier que je n’avais pas mal compris le sens de ses paroles. Son regard ravageur me confirma que, si léger doute elle avait encore sur ses sentiments, il n’empêcherait rien sur le plan sensuel. Elle voulait un mec pour lui apprendre ce qu’est un mec. Problème : j’étais censé être les deux mecs à la fois, le coach et l’objet d’apprentissage.
Elle se fichait de moi, là, ce n’était pas possible autrement ! S’exprimer de cette manière, à plus de trente balais et ce qu’elle venait de laisser supposer de ses ébats estivaux, ça dépassait les bornes. De toute autre qu’elle, j’aurais pensé qu’elle me prenait pour une bille. Ou qu’elle minaudait. Dans les deux cas, une raison suffisante de perdre tout crédit à mes yeux. Pourtant, quelque chose dans son attitude me poussa à entrer dans son jeu, pour voir.
Ce qui se passait entre nous devenait surréaliste. L’atmosphère sous haute tension provoquée par ses paroles, pourtant anodines, commençait à m’électriser. Fallait-il en profiter et l’accompagner dans son délire ?
Encore hésitant, j’ai commencé par lui poser les questions qui se bousculaient dans ma tête. Airelle se fit plus précise dans ses descriptions. Nous entrâmes alors dans un jeu trouble qui la rendit de plus en plus attirante. Je vis le danger poindre, mais ne m’en inquiétai pas assez tôt. N’étais-je pas là pour l’aider à se reconstruire ? Au diable les effets collatéraux.
D’anecdote en anecdote, elle me fit découvrir le détail de sa nuit réunionnaise. Elle se limita cependant, volontairement ou non, à décrire ce que les hommes avaient fait avec elle, sans évoquer ce qu’elle avait réellement éprouvé.
Totale indécence des mots du corps, insurmontable pudeur de l’âme. C’était là le défaut de son armure, là où je devais porter le fer si je voulais jouer le rôle qu’elle m’avait attribué.
Je l’ai incitée à se dévoiler plus encore. Comme un alcool fort, les mots lourds de sens commencèrent à la troubler plus que je ne m’y attendais. De mon côté, j’en oubliai à quel point ces émotions sont contagieuses. Pris au dépourvu, je me laissai envoûter par sa manière de dire les élans des corps, l’emprise du plaisir qui monte, puis reflue, juste avant de submerger.
D’imperceptibles gestes de séduction accompagnaient ses paroles. Ils finirent par me faire trébucher. Mon imagination s’emballa. Je ne pus retenir l’émergence de scènes particulièrement lascives dans mon cerveau en surchauffe et je finis par nous imaginer dans l’intimité d’une alcôve, prêts à lâcher la bride à nos pulsions les plus folles, comme je supposais qu’elle l’avait fait avec ses amants.
Je le lui dis, à demi-mots. Sa réponse me désarma.
Je voulus objecter que la plupart des hommes… enfin, que moi, même sans pouvoir parler de ses charmes en connaissance de cause, je ne pensais pas fonctionner ainsi, que les sentiments comptaient plus qu’elle ne voulait l’accepter, que…
Elle sourit bizarrement à l’évocation d’un manque de connaissance de cause de ma part, et m’évita de m’empêtrer plus encore dans mes hésitations en me prenant à contre-pied.
Elle se pencha vers moi et murmura qu’elle n’avait pas peur. Sans transition, elle m’entraîna sur ce qui servait de piste de danse où quelques couples étaient en train de tanguer, voire plus, d’après ce qu’on pouvait distinguer dans la pénombre.
Comme je le redoutais, son odeur, ses mouvements, la chaleur de son corps, la douceur de sa peau, tout ce qu’elle me fit découvrir en ondulant près de moi m’anesthésia rapidement. Je perdis la notion du temps, puis celle de la bienséance. Mon corps répondit à l’irrésistible appel de cette femme, qui prétendait quelques instants plus tôt ne pas savoir par quel bout prendre les hommes.
Airelle se détacha de moi et m’abandonna, coincé entre un couple qui se pelotait sans pudeur et un autre, qu’un bouche-à-bouche interminable allait prochainement asphyxier.
Je mis le cap sur le bar pendant qu’elle se dirigeait vers le sous-sol. Deux gorgées de bière plus tard, je la vis réapparaître au haut des escaliers, un large sourire aux lèvres. Elle me fit signe de la rejoindre parmi les danseurs. Dès que je fus à sa portée, elle glissa un morceau de tissu dans ma poche, puis mit ses bras autour de ma taille.
Déstabilisé par la tournure des événements, je ne répondis que timidement à ses avances. Quelques minutes plus tard, elle s’éloigna de quelques pas, esquissa une danse de séduction particulièrement lascive, puis vint se placer dos contre moi.
Je ne vis pas de meilleure réponse à son exigence que de poser mes mains sur sa poitrine, par-dessus la blouse de satin. Elle m’encouragea à poursuivre par quelques secousses des fesses contre mon bas-ventre. Après avoir regardé autour de nous, rassuré de ce que personne ne semblât nous observer, je me mis à effleurer ses pointes, puis à masser ses petits monticules. Comment ne pas la décevoir sans attirer l’attention ? Je fis de mon mieux pour éviter de nous faire expulser. La réprimande ne tarda pas.
Me faisant à nouveau face, elle déboutonna son léger haut, avec un naturel désarmant. Lorsque ses seins apparurent dans toute leur splendeur, elle exigea que je l’embrasse. Je fis celui qui n’avait pas compris, et posai mes lèvres dans le creux de son cou. Elle s’irrita de tant de retenue et me le fit clairement savoir.
Subjugué par le peu de cas qu’elle faisait des gens qui nous entouraient, je rendis les armes. Après avoir écarté les pans de son chemisier, je posai ma bouche sur son sein gauche. Elle se mit à caresser l’autre, tout en maintenant ma tête pressée contre sa poitrine. Elle ne me laissa plus me redresser avant que sa soif de caresses soit étanchée.
Les yeux brillants, elle me décrivit alors par le menu ce qu’elle venait de ressentir. Elle parla en toute franchise de l’envie d’un tremblement des sens qui parfois s’emparait d’elle. De l’excitation que lui procurait l’idée qu’un homme pût se servir de son corps dans sa quête de plaisir. De la jouissance que les palpitations d’une queue plantée dans son ventre provoquaient, lorsqu’elle s’ouvrait à un amant persuasif.
Elle conclut sa tirade en pressant sa cuisse contre mon entrejambe. Ma réaction virile sembla l’enchanter. Sa découverte de ma mécanique masculine devait enfin être à la mesure de sa soif de connaissance.
Elle ne répondit pas. Mais elle ne se priva pas de caresser mon torse, avant de me demander de la raccompagner chez elle. Elle savait que je ne pouvais plus reculer sans perdre la face. Il y aurait une autre fois, « pleine d’idées et de désirs ».
Imprimatur
Des pensées contradictoires se bousculèrent dans ma tête les jours suivants. J’avais glissé dans une relation inattendue. Préméditée ou spontanée ? Comment le savoir ? Airelle ne me laissa pas cogiter longtemps. Elle me proposa de passer boire un verre chez elle le vendredi suivant, au sortir du boulot. Son courriel précisait que je n’avais rien à craindre, qu’il s’agissait de retrouvailles d’un genre littéraire.
Alors que je me serais attendu à une franche explication – « excuse-moi, je me suis laissé aller, on annule tout, mais on reste amis » – ou à une ouverture sensuelle – « trop envie de sentir à nouveau tes mains sur moi, ne me laisse pas dans cet état » – cette peste me prenait à rebours du bon sens. Retrouvailles littéraires ? Pas terrible, comme fantasme.
Le soir venu, mal habillée d’un chandail trop large et d’un short à peine digne d’une soirée entre filles, Airelle m’accueillit avec une petite mine. Elle me fit visiter son royaume avant que je pose trop de questions.
Je découvris un espace élégamment décoré. Les objets qui s’y trouvaient, choisis avec beaucoup de goût, semblaient correspondre à certains aspects de sa personnalité que je ne connaissais pas encore. Je me sentis immédiatement à l’aise dans son antre.
En me servant un thé fumé, elle m’avoua à demi-mots que la nuit précédente avait été agitée, et qu’elle avait besoin de calme pour se reprendre. Surtout, elle ne voulait pas que j’imagine que ce qui s’était passé l’autre soir soit une habitude chez elle.
En réalité, avec un homme, elle avait surtout envie de complicité, de complémentarité. Besoin d’être caressée partout, doucement, puis plus fermement. Envie que le désir du mec monte en parallèle du sien, puis que les sens s’apaisent quelques instants, avant que le désir renaisse encore plus fort dès les prochains effleurements.
Concrètement, ce soir, elle souhaitait se glisser tout contre moi, et se laisser bercer par mes paroles, jusqu’à ce que les blessures de son âme commencent à cicatriser.
N’avait-elle pas parlé de littérature ? Précisément, elle avait depuis longtemps envie qu’un homme lui fasse la lecture. Quoi de plus approprié qu’un lendemain de bousculade émotionnelle ?
Elle posa son portable sur l’enceinte qui servait de station d’accueil et fit tourner un pot-pourri de ses coups de cœur musicaux. Ce ne fut sans doute pas un hasard si Joan Baez passa en premier. Un truc assez démodé, auquel je n’aurais pas prêté la moindre attention en d’autres temps. L’ambiance du moment donna cependant un sens particulier aux paroles⁽¹⁾.
Take that ribbon from my hair
Shake it loose, let it fall
Laying soft upon your skin
Like the shadow on the wall
Come and lay down by my side
Till the early morning light
All I’m taking is your time
Help me make it through the night
I don’t care what’s right or wrong
I don’t try to understand
Let the devil take tomorrow
Cause tonight I need a friend
Yesterday is dead and gone
And tomorrows out of sight
It’s so sad to be alone
Help me make it through the night
I don’t want to be alone
Help me make it through the night.
La dernière note envolée, Airelle me tendit un recueil de nouvelles érotiques, illustré de dessins très sensuels. Le décor était posé. Restait à ne pas décevoir les attentes de cette femme qui m’offrait sa confiance d’une manière inattendue. Mais qui m’imposait aussi de ramasser les miettes après une soirée apparemment assez intense.
Étrangement, je n’arrivais pas à lui en vouloir de me donner un rôle plutôt ingrat. D’ailleurs, je n’étais pas amoureux d’elle. Quel droit aurais-je donc d’être jaloux ? Finalement, elle me permettait de partager plus avec elle, de la découvrir plus intimement que ne pouvaient le faire la plupart de ses partenaires d’occasion.
À défaut de ruban, j’ai enlevé le peigne qui tenait ses cheveux remontés. Airelle plongea tendrement ses yeux dans les miens, avant de s’allonger sur l’épais tapis du séjour, sa tasse de thé à portée de main.
Je pris place derrière elle, le dos calé contre le sofa, et commençai la lecture. La nouvelle⁽²⁾ parlait d’une mère divorcée, Alice, qui s’aperçoit qu’un inconnu vient s’asseoir presque tous les jours sur un banc du square situé juste sous ses fenêtres. Cette présence, aussi troublante qu’inattendue, fait remonter de nombreux souvenirs dans la mémoire de la narratrice, puis dans son corps, lorsque les images se font plus précises.
En réalité, sans jamais s’adresser à elle, l’inconnu donne à la femme l’envie d’un nouveau dialogue avec son corps, comme elle en avait la voluptueuse habitude à l’adolescence. À cette époque, des livres d’art, puis des romans interdits de la bibliothèque parentale stimulaient ses découvertes. Aujourd’hui, les réminiscences sensuelles de sa vie amoureuse font apparaître de nouvelles envies, des désirs fous.
Refusant d’accepter plus longtemps les frustrations causées par une trop longue abstinence, Alice ne refreine aucune envie. Stimulée à distance par l’inconnu, elle s’abandonne jour après jour à une sorte de mise en scène des expériences érotiques qui ont jalonné sa vie de jeune femme, avide de jouissance et de plaisirs de toutes sortes. Les hommes n’ont pourtant pas tous été à la hauteur de ses attentes. La première fois a même failli la faire basculer dans un irréversible dégoût du désir masculin.
Airelle réagit à la lecture de ce passage, que les mots choisis pour décrire la tension et le désaccord entre les amants rendaient particulièrement prenant.
Je ne sus que répondre à cet aveu de fragilité. Je me contentai de serrer Airelle entre mes bras. Nous sommes restés enlacés, immobiles et silencieux, jusqu’à ce qu’elle se détende et que nous puissions reprendre la conversation où nous l’avions laissée.
Elle souligna cet aveu d’impuissance en secouant la tête, comme pour chasser de mauvais souvenirs. Puis elle me demanda de lui lire la fin de l’histoire. Nous retrouvâmes peu à peu notre complicité. Une bulle de bien-être se reconstitua autour de nous. Lorsque vint la dernière partie de la nouvelle, là où Alice se souvient d’une nuit passée entre les bras d’une femme troublante, rencontrée lors d’un voyage en Asie, Airelle m’interrompit.
D’un regard très doux elle m’invita à l’accompagner. Pendant qu’elle racontait à sa manière la nouvelle que nous avions commencée, je pris soin d’éviter toute intrusion en posant simplement ma main sur son ventre. Elle la prit entre les siennes, la glissa sous son pull et me montra comment lui faire du bien, presque de la même manière qu’Alice le vivait avec sa partenaire d’une nuit.
Main dans la main, nous glissâmes mot après mot de ses seins vers son bas-ventre, jusqu’à ses cuisses. Après un baiser dans mon cou, elle entrouvrit ses jambes et prit mes doigts pour se caresser. Sans hâte, elle joua avec cette envie imprécise qu’Alice décrivait dans l’histoire, passant et repassant la frontière entre le simple bien-être et les premières tensions du désir naissant.
Airelle me laissa la liberté, ou plutôt la responsabilité de prolonger presque indéfiniment la douceur de l’instant, ou de nous guider vers quelque chose de plus voluptueux. Elle semblait ne rien attendre. Pour autant que je le fasse à son rythme, elle était prête à m’accompagner où mon imagination sensuelle nous mènerait. De cette manière, son trouble et son abandon me donnaient une importance inattendue.
J’eus d’abord envie de flotter avec elle entre deux eaux, entre deux sensations, entre deux désirs, le temps que la narration se termine. Peu après, sans doute inspiré par quelques mystérieuses vibrations, je me mis cependant à caresser Airelle de manière plus précise, plus troublante. Sa peau devint immédiatement plus chaude, sa respiration s’accéléra, quelques soupirs exprimèrent son consentement mieux que des mots.
Elle finit par appuyer ma main contre sa vulve humide, et fit vibrer mon index sur son clitoris. Quelques instants plus tard, les cuisses serrées, elle se raidit en laissant échapper un gémissement. D’intenses secousses la firent trembler de la tête aux pieds. Puis elle retomba entre mes bras, le souffle court, les veines du cou gonflées de sang. Contre mon flanc, je pouvais ressentir les frissons qui énervaient ses chairs.
Quelques minutes plus tard, Airelle sembla sortir d’un agréable rêve. Elle se redressa, s’étira et s’agenouilla face à moi.
Sans doute pour se donner le temps de reprendre contenance, elle alla reverser du thé dans nos tasses. J’en profitai pour la provoquer, comme elle l’avait fait avec moi lors de notre précédente rencontre.
Elle prit une bouteille et deux verres dans une armoire, et alla la déposer sur une table basse, dans sa chambre à coucher.
Elle ne répondit pas, mais me tendit la main pour m’inviter à la rejoindre dans sa chambre. Puis dans son lit où, avec une gourmandise certaine, elle s’offrit à mes regards, mes caresses, mes baisers.
L’alternance des mots, des éthers volatils et d’une pluie de caresses eut des effets bénéfiques sur notre imagination. Nous explorâmes mille et une manières de nous découvrir. La boutade d’un partage en toute amitié nous servant de garde-fou, il ne fut pas difficile de nous contenter de tendres plaisirs.
En acceptant la demande d’Airelle de la guider dans sa découverte de la masculinité, je savais qu’il ne m’appartiendrait pas de déterminer la nature des étapes à parcourir. À ce jeu-là, j’en apprenais presque autant sur moi, que je n’en dévoilais à Airelle.
Ad indicem
J’émergeai vaguement aux premières lueurs de l’aube. Airelle dormait encore profondément, à cheval sur moi.
Craignant de la réveiller, je ne me retournai pas, et me laissai bercer par les vagues de sa respiration. La chaleur de sa peau et l’agréable pression de son ventre contre mon dos me convainquirent de rester près d’elle, jusqu’au bout de la nuit.
J’ai profité quelques instants encore de ce tendre enlacement, avant de replonger dans le sommeil.
Elle était assise dans un fauteuil, à côté du lit, au moment où je me suis réveillé. Habillée d’un jean et d’un pull tout-terrain, très légèrement maquillée, elle finissait la lecture du livre que nous avions commencé ensemble.
Puisqu’elle voulait jouer à ce jeu… Je me suis levé, étiré voluptueusement, avant de faire un tour sur moi-même, à la manière des mannequins. En fin de parcours, j’ai plongé sur Airelle. Saisissant le bas de son pull, je l’ai soulevé par-dessus sa tête, sans lui laisser le temps de se rebiffer.
Je ne fus pas déçu. Elle était nue, les pointes des seins dressées. Elle ne se défendit pas, bien au contraire. Comme dans le bar, elle me demanda de l’embrasser. Agenouillé devant elle, je me mis à jouer de la langue et des doigts sur ses seins, son ventre, sous ses aisselles. Là où je la supposais particulièrement sensible.
Elle murmura « encore » d’une irrésistible manière. Sa peau était chaude, douce. Lorsqu’elle me sentit décoller, Airelle me fit me relever et, après un léger baiser, m’offrit une longue caresse de la pointe du gland jusqu’au scrotum. Elle recula ensuite de quelques pas pour mieux observer ma réaction.
Elle lança son pull sur une épaule et se dirigea vers la cuisine. Je la suivis sans me rhabiller. Nous commençâmes le repas nus, et en silence.
Je l’ai accompagnée. Et j’ai complètement craqué pour ce bout de diamant brut, ce concentré d’énergie, cet abîme de folies sensuelles. Sous ses regards en coin, je découvris tout ce qu’elle eut envie d’essayer. Après une razzia de gauche et de droite dans la boutique, elle s’enferma dans une cabine d’essayage. Elle en ressortit quelques minutes plus tard et commença à jouer pour moi une symphonie en dentelles majeures pour balconnets, boxers et déshabillés vaporeux. Un chef d’œuvre de féminité, de félinité.
À chaque nouvelle tenue, son apparence et sa manière de se présenter changeaient. Grande première pour moi, j’ai osé donner mon avis de mec sur ce qu’elle choisissait. Mon manque de vocabulaire l’attendrit. Elle me laissa la contempler, lui dire l’effet qu’elle me faisait. Toutes choses que je n’avais jamais partagées avec une autre. Cela la poussa à me provoquer plus encore, pour me faire approcher du plus secret en elle.
Après dix minutes de ce petit jeu, la vendeuse se lassa et partit faire du rangement dans une autre partie de la boutique. Cela nous laissa tout loisir d’expérimenter les bouts de tissu les plus excitants, et de mimer ce que cela pourrait inspirer à des amants impatients.
Je me suis vu tomber raide dingue, mais je n’ai pas eu peur. Pire, j’en ai redemandé, jusqu’à ce que la boutiquière nous enjoigne de mettre fin à notre spectacle intime. Airelle m’invita alors discrètement à la rejoindre dans la cabine d’essayage. Elle se déshabilla, et s’offrit à mes regards, au naturel. Elle était juste lumineuse. J’ai choisi les dessous qui me plaisaient le plus et les lui ai tendus. L’aider à les enfiler fit de moi le complice de sa métamorphose.
Je découvrais pour la première fois cette dimension de la sensualité. Que de belles occasions ratées avec de précédentes maîtresses…
À la sortie du magasin, Airelle me donna rendez-vous pour la semaine suivante. Elle aurait apparemment volontiers prolongé un si agréable moment, mais elle devait régler certaines choses pour lesquelles un homme était, disons, superflu.
L’adresse qu’elle m’avait donnée correspondait à un studio de photo. Je ne m’attendais pas à cela. L’espace appartenait apparemment à une de ses connaissances.
Comme si nous étions là pour prendre un apéritif entre copains, Airelle commença par me servir un excellent punch, dont elle avait découvert le secret à la Réunion. Nous discutâmes de tout et de rien, jusqu’à ce qu’elle se décide à me faire part de ses réelles intentions.
Ce détail technique semblait avoir déjà trouvé une solution. Me laissant seul au milieu des réflecteurs, des tentures et des projecteurs, elle disparut par une porte latérale. Je l’entendis entrer en conversation avec un homme dans une pièce voisine. Nous n’étions donc pas seuls…
Quelques minutes plus tard, elle réapparut, accompagnée d’un jeune type qu’elle me présenta comme un ami photographe. Elle avait apparemment aussi bon goût pour choisir ses amis que ses sous-vêtements.
Objectivement, le gars était beau et bien mis. Soit Airelle était coutumière de la chose et il lui prêtait son espace pour assouvir ses fantasmes, soit il était plus qu’un ami. Il me sembla me souvenir qu’elle avait évoqué la possibilité d’un polyamour dans son existence. Une grande première pour moi. Mais, à ce que je commençais à découvrir de la belle et sa manière de jouir de la vie, le jeu en valait peut-être la chandelle.
Après les civilités d’usage et quelques compliments sur mon allure apparemment photogénique, le type alluma plusieurs spots, dont il fit converger la lumière sur deux points distincts de la pièce. Contrairement à moi, il devait connaître le programme. Il étendit des tentures colorées à même le sol, là où se trouvait la première tache lumineuse. La seconde illuminait une barre verticale, semblable à celles que les danseuses utilisent dans les clubs.
Il prit un appareil photo en mains, pendant qu’Airelle bandait mes yeux avec ma cravate. Je l’entendis retirer les vêtements qui cachaient ce qu’elle voulait me faire découvrir en premier.
Lorsque tout fut prêt, elle me prit la main pour me guider sous le spot lumineux.
Nous commençâmes à nous enlacer, à nous câliner sous le cliquetis de l’appareil photo. Pendant qu’Airelle tournait autour de moi, se glissait sous mes mains puis jouait à se refuser, je tentai de découvrir ce qu’elle portait à même la peau. Le défi était à ma portée : je reconnus rapidement le shorty string échancré sur les fesses, qui mettait si bien son anatomie en valeur. Le seul de ce genre qu’elle ait choisi, en fait. Et à ma demande.
Me concentrant sur les endroits que le tissu ne couvrait pas, j’abusai de mon apparente maladresse pour la caresser, sous couvert d’une très sérieuse recherche vestimentaire. Airelle se prêta au jeu pour mon plus grand plaisir, et sans doute celui du copain photographe. Se lâcher de la sorte sous l’objectif devait exciter l’une comme l’autre.
Airelle ne se priva pas de préciser ses désirs par des soupirs très sensuels. Je mis fin à cette première étape lorsque sa main s’attarda de plus en plus précisément sur mon entrejambe. Les caresses étaient délicieuses. Mais l’atmosphère chargée de désir dans laquelle nous nous trouvions amplifiait dangereusement mes réactions. Un répit s’imposait. Je l’obtins en répondant à la devinette.
Airelle sembla soulagée de ce sans faute qui évitait un arrêt prématuré de notre mise en scène. J’eus droit à ma récompense. Après m’avoir aidé à retirer ma veste et ma chemise, elle attacha mes mains à la barre de danse à l’aide d’un lien de fortune. Puis elle se mit à lécher et à sucer mes tétons, tout en parcourant mon torse et mon ventre de ses mains. Après une courte pause, mise à profit pour observer mes réactions viriles, elle reprit les mêmes gestes, encore et encore. Le photographe ne cessa de shooter.
Par une savante alternance de succions, de griffures et de pincements, puis de pauses de plus en plus courtes, Airelle fit monter en moi une intense excitation. Elle m’amenait ainsi à la limite de la volupté, mais aussi de la douleur, puis m’apaisait par quelques effleurements avant de me torturer de plus belle.
Elle se décida à me calmer par des attouchements plus conventionnels, avant que je sois complètement débordé par l’intensité des sensations. Le rythme des photos diminua en proportion. Le type devait doublement profiter de la situation, en suivant aux premières loges le flux et le reflux de mon excitation, tout en s’en mettant plein l’objectif de ma tortionnaire en petite tenue, enroulée autour de moi, offerte de la plus impudique manière. Me montrerait-elle toutes les photos ?
Airelle finit par se détacher de moi et libéra mes mains. J’entendis sur ma droite un léger frottement d’étoffe, puis le bruit caractéristique des dessous qu’une femme ajuste sur son corps. Cela ne me donna malheureusement aucune indication sur la nature des merveilles dont elle se parait.
À nouveau, elle me prit par la main pour me conduire en pleine lumière.
Pour cette partie du défi, la coquine me compliqua la tâche en ne cessant de m’exciter pendant que je tentais de découvrir de quoi elle était déshabillée. Je dus faire preuve d’une grande maîtrise pour rester concentré et percevoir les infimes détails permettant de distinguer les différentes parures, pendant que les doigts de fée d’Airelle allaient et venaient sur ma verge.
Elle ne m’épargna aucun frôlement, tant semblait intense son besoin de palper la montée du désir chez un homme entièrement à sa merci. Le jeu de devinette se transforma en course contre la montre lorsqu’elle s’ingénia à exciter l’extrême bout de mon gland. L’étude de l’effet de ses attouchements sur ma virilité s’acheva lorsque je pus décrire ce qu’elle portait.
Si gentiment demandé, comment refuser ? Sentant à quel point Airelle frémissait d’envie d’avoir mes mains sur sa peau, je mis un soin particulier à la déshabiller, sans me priver de glisser mes doigts partout où elle m’en laissa le loisir.
Le photographe shootait à tout-va pendant qu’Airelle répondait sensuellement à mes assauts, avant d’inverser les rôles et de frotter son ventre, ses cuisses et ses bras contre ma peau.
Renonçant à me soumettre à une troisième épreuve, le souffle court, la belle me poussa en direction de la barre de danse pour m’y attacher à nouveau. Lorsque je fus solidement arrimé, elle me retira le reste de mes vêtements.
Mon état avancé d’excitation sembla lui convenir. Elle prit plaisir à caresser longuement ma queue avant de l’enfermer dans le creux de sa main.
Quelques instants plus tard, gardant sa main immobile sur le membre, elle fit semblant de se désintéresser de mon état d’excitation, et m’interrogea sur le détail de mes perceptions intimes, comme elle en avait la mauvaise habitude depuis le début de notre aventure.
Prisonnier de son implacable volonté, je me soumis. Tout alla alors très vite. Son ton intransigeant, sa manière impérieuse d’exprimer ses désirs exerçaient déjà une forte emprise sur moi. Les mouvements de mes reins s’accordèrent au rythme de ses phrases. Je partis à la recherche d’une rapide libération en faisant coulisser mon membre à l’intérieur de sa main.
L’appareil photo se remit à crépiter. L’artiste semblait vouloir capter chaque élan, chaque caresse, la naissance de chaque pulsion.
Nos moiteurs, nos béances, nos crispations seraient à jamais immortalisées, mais nous étions déjà trop étroitement imbriqués pour nous en soucier. Une bulle protectrice nous entourait, dans laquelle nous nous sentîmes libres de planer à notre guise.
Me voyant plus docile, Airelle m’accorda quelques caresses sur le torse. Elle se mit même à jouer avec mes mamelons, faisant vibrer ses doigts de plus en plus rapidement sur les bourgeons sensibles. Cette caresse inhabituelle provoqua d’abord d’agréables lancées dans mon bas-ventre. Mais plus la stimulation durait, plus la sensation évoluait. Quelque chose d’autre s’installa peu à peu, à nouveau proche de la douleur. C’était inattendu, presque insupportable.
Mon bourreau finit par m’accorder une pause qui bouscula mon mode de perception érotique. De mes tétons malmenés partirent de troublantes sensations, qui mirent le feu entre mes reins. Je fus submergé par une vague de plaisir. Lançant mes hanches en avant de manière désordonnée, je tentai de me glisser plus profondément entre les doigts d’Airelle. Elle me laissa aller et venir dans sa paume, et approcher ainsi de l’orgasme.
L’espoir de libération fut malheureusement de courte durée. Lorsque mon ventre se creusa et qu’Airelle pressentit que j’allais me lâcher, elle pinça violemment un de mes tétons. J’entendis le photographe immortaliser ma réaction. Mon immense frustration serait-elle aussi photogénique que mon désir viril ?
Inhibé par un traitement aussi cruel qu’inattendu, je débandai. J’allai hurler de dépit lorsque deux lèvres charnues couvrirent les miennes et une langue agile fouilla ma bouche. Pendant qu’un doigt trempé de salive s’ingéniait à calmer la douleur de la morsure sur mon mamelon.
Malgré le trouble des sens, je sentis un effleurement chaud et doux sur ma tige à nouveau plus rigide.
Un effleurement chaud et doux ? Autre chose donc que le frottement de la peau d’une main ? Je tentai de reconstituer le puzzle de mes perceptions.
De toute évidence, les deux mains d’Airelle se promenaient sur mon visage, puis sur mon torse et mes flancs. Alors que dans le même temps, ma queue était manipulée de très agréable manière. À moins qu’elle soit en réalité profondément plantée dans une bouche accueillante, stimulée par une langue experte.
En fait, plus personne ne semblait prendre de photo. Airelle n’était donc plus la seule à s’occuper de moi. Toute la mise en scène avait donc eu pour but de m’empêcher de réaliser ce qui allait se passer.
Attaché, excité, malmené, je n’étais plus en état de m’opposer à ce qu’Airelle avait prévu de me faire découvrir.
Incapable de résister plus longtemps, je répondis aux baisers qu’on m’offrait et, pour le reste, m’en remis à la dextérité de qui était en train de faire monter le plaisir en moi.
Tous préjugés débranchés, je profitai de ce qui me fut offert. Sans doute attentivement observé par ma diabolique partenaire, je m’abandonnai à la plus agréable fellation jamais offerte à ce jour. Je ne pus résister longtemps aux coups de langue sous mon gland, ni surtout au délicat massage de mes boules prêtes à se vider.
Les premiers spasmes montèrent. Mes muscles se bandèrent pour mieux accompagner l’irrésistible déferlement orgasmique.
Apparemment prêt à tout, le type me laissa m’enfoncer profondément dans sa gorge, jusqu’à ce que j’expulse la première giclée. Puis il se redressa légèrement, et accueillit mon abondante éjaculation entre ses lèvres. Le cliquetis de l’appareil photo accompagna mes spasmes à un rythme libidineux. Sans doute entre les mains d’Airelle, qui immortalisait le dernier acte de cette délirante expérience.
Lorsque tout fut consommé, encore tremblant de plaisir, je dus bien reconnaître qu’à part l’intensité de l’éjaculation, absolument rien ne m’aurait permis de distinguer le plaisir donné par une bouche masculine ou féminine. La jeune femme qui prétendait ne pas comprendre la mécanique des hommes m’en avait appris bien plus sur moi-même que je n’en avais eu l’occasion en plus de vingt ans d’expériences érotiques de tout genre. Quelle leçon !
Quelques minutes plus tard, ma partenaire me détacha et me rendit la vue. Son sourire satisfait accueillit mon retour dans notre réalité sensuelle. Question découverte des mécanismes du plaisir masculin, elle semblait comblée. À tel point que, contrairement à son habitude, elle me laissa reprendre mon souffle avant de poser sa première question. Elle prit même le temps de m’embrasser très tendrement le visage et les mains.
J’eus beau regarder autour de nous, je ne vis personne d’autre dans le studio. Je n’avais pourtant pas rêvé. D’ailleurs, il suffirait de voir les photos pour découvrir la vérité. Mais Airelle sera-t-elle disposée à me les remettre ?
Pour l’instant, dans un état de semi-béatitude, j’avais surtout besoin d’une boussole pour retrouver le nord dans mes certitudes de mec. Trop d’a priori avaient été bousculés. Il était temps de faire le point, en toute sérénité.
Airelle, qui avait sans doute traversé quelque chose de semblable au cours des dernières semaines, ne me mit pas la pression. Elle me laissa la liberté de la recontacter quand je m’en sentirais prêt.
Sa manière de me dire au revoir, et l’immense tendresse que je pus lire dans ses yeux, ne laissèrent néanmoins aucun doute sur ses sentiments à mon égard. Elle précisa simplement dans un murmure que, quoi que je choisisse, il n’y aurait jamais de demi-mesures avec elle.
On ne peut pas mettre un mec plus clairement face à ses responsabilités. D’un autre côté, je ne pus m’empêcher de me demander fugitivement comment la jeune femme allait s’y prendre pour remercier le photographe.
Ad infernum
Cinq ans ont passé depuis cette découverte mémorable. Je me souviens avoir voulu prendre deux semaines pour réfléchir. Mais, dès le lendemain, je dus déjà me rendre à l’évidence : sans Airelle, sans l’idée de pouvoir la retrouver au gré de nos envies, plus grand-chose n’avait de saveur dans mon existence.
Sa spontanéité, sa tendresse, sa folie avaient enrichi notre rencontre. J’y avais répondu tant bien que mal, à la manière d’un mec qui n’avait rien vu venir. Au fond de moi, j’avais toutefois instinctivement compris que les cartes étaient distribuées depuis longtemps. Et que cela me plaisait.
Tout avait commencé par un « Nihil obstat », lâché comme une provocation. Cela s’était poursuivi par un « Imprimatur » , sans même nous apercevoir vraiment du glissement sensuel et sentimental que cela représentait.
Imprimatur, ce qu’on accepte de laisser s’imprimer en soi, ce que l’on dépose d’indélébile en l’autre, ces tatouages dont on ne découvre l’importance qu’avec le temps.
La distance qui sépare un « rien ne s’oppose » d’un « tout est possible » peut être infiniment grande ou infiniment petite, suivant l’attention que l’on prête à l’autre, et ce qu’on y met de soi-même !
Voluptueux lâcher-prise ? Voilà ce qu’Airelle m’avait appris dans l’atelier de photo. Quelle initiation pour le mec coincé que j’étais en réalité !
Nous avions bousculé les canons de la bienséance. « Ad indicem », la mise à l’index, nous menaçait. Quelle importance ? Nous n’envisageâmes à aucun moment de nous arrêter en si agréable chemin, et prîmes ensemble le risque d’aller le plus loin possible pour mieux en jouir, main dans la main.
Forte de je ne sais quelles expériences sensuelles, Airelle, jamais à court de désirs, de surprises, mais surtout d’une infinie tendresse, me fit plonger dans le fusionnel, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois. Jusqu’à ce que l’idée d’une relation durable, sur d’aussi solides et délirantes fondations, apparaisse comme une évidence.
Elle n’a plus cessé de l’être jusqu’à aujourd’hui, tant aucun espace de vie ne me convient mieux que le corps et le cœur d’Airelle. Mais il y a aussi certains mauvais côtés à aimer une telle femme. Lorsque notre relation s’assagit, j’ai peur qu’elle commence à s’ennuyer entre mes bras. J’ai confiance en elle, dans l’absolu, mais je ne voudrais pas que la flamme s’éteigne.
Comment être sûr que je ne glisse pas dans ces demi-mesures qu’elle exècre ? En guise de rituel protecteur, nous avons pris l’habitude, deux ou trois fois l’an, de nous donner rendez-vous pour une escapade en amoureux comme au tout début de notre histoire. Il suffit d’un message, glissé dans une poche ou collé bien en vue, pour que le délire se mette en marche.
Le plus récent qu’elle m’ait fait parvenir était on ne peut plus explicite :
Lieu, date et heure : château de la Motte (Noailly), week-end de la Saint-Valentin.
Thème : siège du château, prise de la Motte.
Mode : fougueuse tendresse.
Degré de sensualité : nihil obstat.
Tenue : classieuse légèrement surannée.
Vaste programme. Notre escapade ne fut pas en reste…
Depuis quelques jours toutefois, le souvenir de l’aventure d’Airelle en Réunion tourne en boucle dans ma tête. Je n’arrive plus à me débarrasser de ce qui fut à l’origine de notre rencontre. Dans un tel cas, autant transformer cette ombre dans mon cœur en une proposition amoureuse. On verra bien ce qu’il en adviendra.
Même si elle ne l’a jamais évoqué au cours des cinq dernières années, je ne peux m’empêcher de me demander si Airelle n’éprouve pas de temps à autre l’envie de revivre une aventure avec deux hommes.
Ce n’est pas trop mon truc, et l’épisode dans l’atelier suffit amplement à enrichir mes fantasmes. Mais je n’aimerais pas laisser de zones inexplorées dans le bonheur érotique de ma femme. N’attend-elle pas secrètement que je le lui propose ? Notre couple est-il assez fort pour une telle expérience ?
J’hésite longtemps, fais et défais des plans, me pose mille et une questions. Je finis par franchir le cap à l’approche des vacances et rédige un de nos traditionnels billets, prélude à une invitation d’un genre très particulier :
Lieu, date et heure : Dimitile Hôtel, Entre-Deux (La Réunion).
Thème : un homme dans chaque port.
Mode : réminiscence.
Degré : respectueusement intense.
Tenue : évocatrice.
Contrairement à son habitude, Airelle ne semble pas remarquer mon message le soir où je le mets en évidence sur sa trousse de maquillage. Inattention ou perfidie ? Elle se couche à l’heure habituelle, lit quelques pages du livre qui l’accapare depuis quelques jours avant de me souhaiter chastement bonne nuit. Rien de très inhabituel. Rien surtout qui dénote un quelconque trouble à l’idée de ce qui nous attend si elle accepte ma proposition.
Au petit matin, elle me réveille par de très agréables caresses. Je réagis au quart de tour. Elle se tourne alors dos contre moi et m’incite à me glisser entre ses fesses, le long de sa fente déjà bien humide. Mon petit mot aurait-il provoqué quelque rêve érotique ? Elle ne me l’avoue pas, mais me fait très tendrement l’amour.
Elle ne reste toutefois que peu de temps entre mes bras. Un rendez-vous important l’attend en ville ; elle doit filer en vitesse. Je lui laisse la priorité à la salle de bain. Cette fois, elle ne peut rater mon invitation. Comment va se présenter sa réponse ?
Sitôt ma belle sortie de notre appartement, je saute du lit, un peu inquiet, et fonce découvrir la réaction que j’espère. Le billet n’est plus là où je l’avais déposé. L’aurait-elle jeté ? La proposition lui aurait-elle semblé trop incongrue ?
Je découvre le pot-aux-roses quelques instants plus tard, sur la table de la cuisine. Airelle a apporté quelques corrections à ma proposition.
Lieu, date et heure : Lodge Roche Tamarin, La Possession (La Réunion).
Thème : mon homme dans chaque port.
Mode : (re)découverte.
Degré : ad infernum.
Tenue : déconseillée
Un à zéro, balle au centre. De quelques traits de crayon, elle confirme la vivacité de ses sentiments à mon égard. Et tout cela à la va-vite, entre deux rendez-vous.
C’est beau, un ciel bleu sans nuages, l’été, à la Réunion… ou ailleurs, pourvu que ce soit entre les bras d’Airelle.
Ad æternum, si nos péchés de chair peuvent nous être pardonnés assez tôt.
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Note 1 - Help me make it through the night, de Kris Kristofferson, ici : https://www.youtube.com/watch?v=ocReUIHoI4s dans une version de Norah Jones. - Retour
Note 2 - L’origine du monde, de Dominique Duboisset : https://www.thebookedition.com/fr/l-origine-du-monde-p-86358.html - Retour