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Che Guevara n'a pas suffi

Nous étions en train de jouer, Valérie et moi. Le score était serré, mais bien sûr je ne frappais pas tous les coups avec la même détermination que d’habitude. Il faut bien dire que le spectacle de son corps se déplaçant avec la légèreté d’un félin en quête d’une proie nocturne valait son pesant de points perdus. Au service, elle dénudait un nombril que le soleil avait doré. Sur une amortie, il était difficile de ne pas admirer la plastique de ses seins. Sans compter le moment où elle prenait délicatement une balle pour la placer sous sa jupe pour la garder pour le second service. Et puis ses jambes vigoureuses qui ne finissaient pas d’accourir sur la balle et de me ravir. Ceci dit, il ne s’était jamais rien passé entre nous ; mon plaisir de la contempler était un plaisir d’esthète. Disons que mon homosexualité ne m’interdit pas d’admirer Valérie.

Maintenant je me souviens parfaitement que le score était de 6/3, 2/1 et 30/15 pour moi quand le policier entra dans la salle. Ce fut d’abord un moment de stupéfaction. Je me demandais s’il y avait un accident ou simplement si ma voiture était mal garée. Mais pas du tout.

• — Bonjour Madame. Bonjour Monsieur. Je suppose que vous savez qu’en cette période de pandémie il est interdit de jouer au tennis en salle. Vous pouvez le faire sur les courts extérieurs, mais c’est une pratique sportive strictement proscrite dans un lieu fermé. Je pense d’ailleurs que vous en étiez informés, l’un comme l’autre, et donc je vous demanderais de bien vouloir acquitter chacun une amende forfaitaire de 135 euros.

Tout ceci, il faut le reconnaître, fut énoncé sur le ton le plus courtois. Nous avions visiblement affaire à un gentleman de la police. J’essayais bien de lui dire qu’il pleuvait et qu’il nous était impossible de jouer en extérieur. Je le priai ensuite d’être indulgent, en lui promettant que cela ne se reproduirait plus.

• — Comme c’est la première fois, nous pourrions nous en tirer avec un simple avertissement.
• — C’est la première fois que vous êtes pris sur le fait. Mais vous venez jouer toutes les semaines dans cette salle et même quand il ne pleut pas. Nos services le savent.

Bref, le gentleman-policeman était incorruptible et inflexible. Mais 135 euros, c’est tout de même une somme pour moi et un trou dans ses économies pour Valérie. Il fallut donner nos pièces d’identité. La mort dans l’âme, j’allai chercher mon portefeuille quand ma partenaire interrogea le policier :

• — Vous pouvez m’expliquer, Monsieur, pourquoi nous ne pouvons pas jouer au tennis ensemble dans cette salle alors que nous couchons ensemble. Tous les soirs, nous sommes dans le même lit.
• — Vous n’avez pas le même nom ni la même adresse. Je ne peux retenir cet argument.

Je ne comprenais pas pourquoi Valérie s’engageait dans cette histoire d’amants qui était complètement de son invention. Nous n’avions jamais échangé que des coups droits et des revers, mais jamais le moindre baiser. Une pure camaraderie comme on n’en fait plus. Mais elle fonça et s’enfonça dans son mensonge.

• — Parce que vous croyez, Monsieur, que seuls les gens mariés font l’amour ? Nous sommes ensemble toutes les nuits, parfois chez lui, souvent chez moi.
• — Je ne demande pas mieux que de vous croire, mais encore faudrait-il me fournir quelques éléments concrets.
• — Il a un tatouage sur l’épaule gauche. (Elle l’avait vu quand un jour de grande chaleur, j’avais dû changer de maillot en plein match)
• — Et que représente ce tatouage, Madame ?
• — Che Guevara coupant la canne à sucre.
• — Pourriez-vous avoir l’obligeance de me le montrer, s’il vous plaît, Monsieur ?

J’enlevai mon tee-shirt et exhibai mon tatouage, dont je ne suis plus très fier aujourd’hui, mais enfin on a tous été un jour un peu romantique en politique.

• — Certes vous marquez un point, mais comme au tennis, vous le savez, un point, ce n’est pas suffisant pour emporter la partie. J’ai besoin d’avoir des preuves plus convaincantes. Parce que deux sportifs peuvent se changer dans les vestiaires dans une certaine intimité. Et ce genre de tatouage ne passe pas inaperçu. Disons qu’on s’en souvient.
• — Mais que voulez-vous donc qu’on fasse pour prouver notre bonne foi ?
• — Je vais vous expliquer. Un couple, même s’il est récent, prend vite certaines habitudes. Bref, avec un peu d’expérience on voit tout de suite un couple qui fait l’amour pour la première fois.
• — Ah oui, et où voulez-vous en venir ?
• — Si vous avez devant moi un rapport sexuel, je pourrai faire un rapport circonstancié.

Je me dis, à ce moment-là, « ma pauvre Valérie, tu es coincée ! » et je retourne à mon portefeuille. Je vais payer et on n’en parle plus. Mais quand je jette un œil derrière moi, je m’aperçois qu’elle est nue. Et elle me dit :

• — Tu viens, mon chéri ?

Elle pousse vraiment le bouchon un peu loin. Je ne sais que faire. Si je ne me déshabille pas, elle perd la partie et elle se ridiculise. Alors j’ôte ce qu’il me reste sur le dos et je lui réponds :

• — Mon amour, je suis à toi.
• — Viens baiser comme hier soir, c’était si fort.

Un peu décontenancé, j’ai pris sur moi et elle m’a pris sur elle. Nous avons fait l’amour dans cette salle de sport sur un matelas de gymnastique. Et quelques jours plus tard, nous avons reçu ce rapport de police.

Les deux suspects, Aurélien Hautefeuille et Valérie Gramant, ont effectivement eu une relation sexuelle complète, ce qui laisse à penser qu’ils sont amants. Néanmoins, quelques doutes demeurent sur la réalité de cette liaison. En effet, quand l’homme s’est dénudé, Valérie Gramant a haussé les sourcils à la vue de son sexe, ce qui est une manifestation de surprise, et qui s’est répétée lors de la fellation.

Visiblement elle ne s’attendait à un pénis aussi peu érectile. Ils n’avaient pas de préservatifs, ce qui dénote pour le moins un manque de prévoyance pour un couple qui a des rapports aussi fréquents ; je leur en ai fourni, en prenant directement sur notre réserve de dernière urgence. Ensuite, ils ont pratiqué la position du missionnaire, parce qu’elle est évidemment la plus commode quand on ne se connaît pas. Mais l’introduction était hasardeuse. Valérie Gramant étant obligée de placer elle-même avec la main la verge de son partenaire dans son vagin.

Ils ont ensuite adopté une autre position qui n’est pas répertoriée dans notre manuel, mais qui m’a semblé largement improvisée. Ils semblent qu’ils aient voulu embrouiller l’officier de police par des attitudes plus athlétiques que sexuelles. Enfin, la sodomie fut laborieuse, mais réussie. Là encore, la dénommée Valérie Gramant a beaucoup aidé son partenaire à la peine, avec notamment la trouvaille d’un gel dans son sac de sport. À ce moment-là, ils se parlaient à voix basse pour ne pas être entendus par l’agent de police dépositaire de l’ordre public. Mais il semble bien que le dénommé Aurélien Hautefeuille incitait sa partenaire à imiter le son d’un orgasme. L’éjaculation fut rapide et est elle-même sujet à caution, car elle a laissé la jeune femme dans une attitude de déception qu’elle a eu du mal à cacher.

En conclusion, mon intime conviction est que les dénommés Aurélien Hautefeuille et Valérie Gramant ne sont pas intimes sexuellement. Aussi je propose d’appliquer à chacun l’amende forfaitaire de 135 euros, majorée de 600 euros pour tentative d’égarement de la police.

Valérie était furieuse :

• — Total 735 euros ! On a fait tout ça, pour finalement se faire baiser par la police !