Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 20149Fiche technique86924 caractères86924
Temps de lecture estimé : 49 mn
22/03/21
Résumé:  Un photographe animalier tombe amoureux d'une éleveuse savoyarde qui l'héberge et le guide.
Critères:  fh amour voir photofilm caresses pénétratio -amouroman
Auteur : Roy Suffer  (Vieil épicurien)            Envoi mini-message
La chevrette




Route improbable en pleine Vanoise, à peine plus large que ma petite bagnole, parfois en surplomb d’un précipice de trois cents mètres, d’autres fois passant sous des tunnels creusés à même la roche, sans murets, sans sécurité. Je redoute surtout de me retrouver nez à nez avec un véhicule descendant et de devoir faire deux kilomètres en marche arrière jusqu’au précédent petit terre-plein de dégagement. Mais non. Après un bout de route moins minéral, entre petits champs et bois longeant un torrent, le village apparaît. Hameau plus que village, une dizaine de maisons groupées autour d’une chapelle, couvertes de lauzes, moitié en bois, moitié en pierres locales grises et rousses. Une petite place autour d’un bachat, face à la chapelle, et une maison comme les autres simplement signalée d’une petite pancarte peinte à la main : Épicerie – Bar.


J’y entre, déclenchant le tintement d’une clochette suspendue à l’huisserie et que le coin de la porte a juste heurtée. La conversation des trois hommes en bleus de travail, casquettes et chemises à carreaux, s’arrête net. On dévisage l’intrus de la tête aux pieds. Un gars de la ville, enfin… d’ailleurs.



Difficile à dire. D’un regard circulaire, j’ai vite fait l’inventaire du bar et de l’épicerie : quelques bouteilles de vin et quelques canettes pour l’un, quelques paquets de nouilles et boîtes de conserve pour l’autre.



Pas de question sur la marque ou la couleur, le produit est unique. Seul luxe, le patron se dirige vers un frigo fatigué pour y prendre une canette fraîche. Heureusement, parce que la bière tiède…



À ce moment, une sorte de tornade rose et bleue fracasse la porte avec une incroyable vigueur.



Et ladite Margot, en doudoune rose et jean balance un gros sac à dos sur une table et saute au cou du maire/patron de bistrot, claque une bise aux deux autres pour faire bonne mesure, m’adressant juste un petit signe de tête.



Robert va dans une pièce voisine chercher les denrées réclamées, pendant que la jeune femme se penche sur les conserves et les pâtes, piochant au hasard de ses envies. Le cafetier revient avec deux pains d’un kilo chacun et un morceau de jambon emballé dans un sachet plastique transparent, visiblement taillé à l’instant dans un jambon sec de pays qui emplit soudain l’air de son fumet.



Je fonce, pas le moment de mettre les deux pieds dans me même sabot avec cette petite tornade. Je trouve une maison fermée avec une cour envahie d’herbes folles, deux manœuvres et le tour est joué. Mon sac à dos est déjà prêt, j’enfile un jean dans la voiture, le duvet roulé sur le sac, l’anorak, et je chausse mes « Galibier » assis sous le haillon ouvert de ma R5. Margot arrive, son sac énorme sur le dos.



Je ferme la voiture et je hisse les bretelles de ma clayette de portage. Purée, ça pèse une tonne.



Jusqu’au petit pont de bois qui franchit le torrent, ça peut aller. Mais après, les choses deviennent plus dures. Je comprends vite que « doucement » pour elle, c’est « rapide » pour moi. C’est vrai qu’elle est née ici et que courir dans la montagne, c’est pareil pour cette fille que courir sur la plage pour une Bretonne. D’autant qu’elle est bâtie pour : petite, pas plus d’un mètre soixante, et la toile tendue à craquer de son jean laisse deviner des fesses et des jambes hyper musclées. Et ce cul rebondi, je le vois s’éloigner à chaque pas, alors que j’aspire l’air à bouche grande ouverte. Souffler, bien souffler à fond pour ne pas avoir un point de côté. Et puis c’est toujours comme ça, celui qui va vite attend l’autre et se repose, et repart dès que l’autre arrive. Celui qui est à la peine reste à la peine. Je sue sang et eau et je voudrais bien avoir le temps de poser mon anorak. Enfin une bonne décision :



Ouf ! Un peu de répit. Mon cœur cogne à m’en faire mal, presque autant que les soufflets de forge qui me servent de poumons. Boire, boire un grand coup pour mouiller ma gorge desséchée. Je tète furieusement ma gourde.



Je goûte, c’est du vin rouge, épais et onctueux, plein de soleil.



Pain, jambon, pomme, tout est bienvenu et la gourde de pinard se vide rapidement. On fait connaissance, elle se raconte un peu et moi aussi. Elle est partie en pension à Bourg-Saint-Maurice pour ses études, puis à Chambéry en université. Elle a un diplôme de véto. Mais en voyant ses collègues soigner des toutous à leurs mémères, elle est revenue dans son village élever ses propres vaches, prendre la suite de ses parents. Elle ne regrette pas, elle était là quand ils sont morts, de façon très rapprochée, l’un ayant hâte de rejoindre l’autre. Du coup, elle a sa maison au village où l’hiver elle soigne toutes les bêtes du coin, et son alpage où elle passe l’été, seule, tranquille.



Le soleil, le vin italien et la conversation qui n’en finit pas ralentissent considérablement la marche reprise. Finalement, cette sauvageonne semble ravie d’avoir un interlocuteur. Il nous faut donc près de trois heures pour atteindre l’alpage, découvrir la douzaine de bêtes magnifiques aux robes fauves, des Tarines, agitant leurs clarines au rythme de leurs mâchoires. Elles broutent une prairie de fleurs multicolores, bruissante de papillons et de sauterelles. On comprend immédiatement qu’avec cette nourriture, leur lait ne peut qu’être exceptionnel. Les bâtiments d’alpage sont spartiates : leur sol est creusé dans la pente, et les pierres arrachées ont servi à monter les murs des rez-de-chaussée, l’étage étant construit en rondins de sapins, troncs tirés jusqu’ici par une mule par son arrière-grand-père, m’explique Margot. Toits de lauzes couvrant des greniers à foin ouvrant à hauteur sur l’arrière, utilisés autant pour isoler le bas que pour parer à d’éventuels caprices du temps obligeant à garder les bêtes à l’abri. L’une des cabanes sert d’habitation, l’autre d’étable et de salle de traite, à la main bien sûr.


Très enterré dans la pente, toujours à l’ombre, le rez-de-chaussée sert de laboratoire pour confectionner les fromages. Margot a modernisé l’équipement du lieu grâce à des panneaux solaires qui lui procurent de la lumière pour les uns, de l’eau chaude pour les autres. En effet, plus personne ne veut plus gravir l’étroit chemin depuis le village pour récupérer quelques dizaines de litres de lait. Il faut donc transformer sur place : plus de 200 litres de lait par jour à traire à la main, et 20 kilos de fromage à fabriquer. La plupart du temps, Margot fabrique de la tomme, ce qui évite de chauffer le lait. Mais un grand chaudron de cuivre posé sur un poêle à bois lui permet de temps en temps, quand elle en a le courage, de faire également un peu de Beaufort, ou du moins un produit qui s’en rapproche. Mais il faut remonter trop de bois jusqu’ici pour une production importante de fromages à pâte chauffée. Sa production mûrit sagement dans une cave creusée à même la roche par le grand-père, dans le prolongement du laboratoire. Ce n’est qu’en fin de saison qu’elle monte à l’alpage en 4x4, cinq ou six voyages dans la journée, pour ramener sa production et en profiter pour monter des matériaux, du bois ou des ustensiles lourds et encombrants pour entretenir et améliorer l’alpage l’année suivante.


Au-dessus, l’intérieur du chalet d’alpage est chaleureux, tout en bois sauf les conduits de cheminée, l’un pour le laboratoire, l’autre pour la cuisinière, petite, noire et haute sur pattes qui sert à la fois pour le chauffage, la cuisine et, à en croire le robinet de laiton éclatant au milieu du bloc noir, de production annexe d’eau chaude. La pièce est sombre et étroite, à peine un mètre sépare la cuisinière du banc placé devant la table rectangulaire, un coffre servant de second banc le long du mur de l’autre côté. Devant l’unique fenêtre ouvrant côté vallée, une pierre d’évier ancienne contraste avec le mitigeur récent qui l’alimente. Les tuyaux de cuivre courent à même le lambris, venant visiblement du grenier où se trouve le chauffe-eau solaire. Une armoire étroite, de type « homme debout », recueille les provisions rapportées, d’autres finissent sur les nombreuses étagères placées un peu partout sur les parois, affichant un invraisemblable bric-à-brac. Il y fait bon et je m’en étonne.



Une dernière porte, près de l’armoire, ouvre sur la chambre, ou plutôt le lieu de couchage. Encore plus étroite, la pièce est équipée de quatre couchettes superposées accolées aux deux parois latérales et séparées par la même armoire étroite que celle de la cuisine. C’est un bricolage local en planches de sapin, avec des paillasses remplies de foin pour tout confort. Une petite table et l’unique chaise du lieu trônent devant la fenêtre, une pile de registres et quelques stylos soigneusement rangés la faisant ressembler à un pupitre d’écolier. La couchette de gauche est visiblement occupée par mon hôtesse, un duvet chiffonné occupant la place basse et quelques piles de fringues celle du haut. Elle me désigne l’autre côté m’enjoignant de m’y installer, ce que je fais.


Elle court à l’extérieur en émettant des coups de sifflet stridents, des aboiements lui faisant écho. Par la fenêtre, je la vois dévaler la pente en courant, bientôt rejointe par un magnifique shetland tricolore. J’ai à peine installé mon duvet et sorti mes appareils de prise de vues qu’un concert croissant de clarines m’attire de nouveau près de la fenêtre. Margot remonte vers l’étable avec son troupeau et son chien. Je descends les rejoindre avec un boîtier, histoire de faire quelques clichés de cette scène banale pour l’endroit, mais tellement extraordinaire pour les citadins. Tout est beau, le lieu, les constructions, les tarines, le chien et sa maîtresse… À ma vue, le shetland se met à l’arrêt et gronde.



Il cesse instantanément. Je lui tends le dos de la main, il s’approche presque en rampant, me sent, puis me lèche la main. En deux caresses, nous sommes amis. Ne perdant pas une seconde, Margot a commencé la traite, essuyant soigneusement chaque pis avant de les tirer. Je fais quelques photos de l’action et me fais rappeler à l’ordre :



Bon. Allumer le feu, c’est pas compliqué si on a un peu de papier et du petit bois… Je n’avais rien de tout ça, juste un stock de bûches sous l’avancée de toit. Heureusement, le billot et la hachette se trouvaient là également. Je me fis donc du petit bois puis grimpai jusqu’au grenier à foin, par l’extérieur, pour en ramener une bonne poignée. Il remplacerait avantageusement le papier. Malgré un pouce un peu brûlé par mon briquet, le feu ronfla vite, compensant la rapide baisse de température de fin de journée. Il y avait des œufs frais, un jambon sec entamé pendait au plafond, j’optai pour une omelette. Je redécouvris le plaisir oublié de cuisiner sur une cuisinière. Longue à monter en température, les débuts furent difficiles. Mais ensuite, il suffisait de déplacer la poêle vers la zone optimale pour griller ou simplement maintenir au chaud. J’entendis le raclement des bidons de lait sur le sol du laboratoire et quelques instants plus tard la porte s’ouvrit sur une Margot encore essoufflée par ses efforts :



Elle quitte son blouson et se lave soigneusement les mains avant de se servir un grand verre de vin. Son pull étroit met en valeur une poitrine enfin dévoilée, assez petite, mais ferme et bondissante, à son image. C’est un beau brin de femme et son minois angélique ne gâche pas l’ensemble. Dès l’omelette avalée, elle court chercher l’un de ses fromages, dans les plus anciens qui mûrissent à la cave. Un délice ! Surtout avec les épaisses tranches de gros pain frais, rapporté le matin. Nous sommes éclairés par un petit néon de caravane, mais il fait encore jour dehors : le soleil se couche tôt en montagne, mais le jour perdure encore de longs instants. Elle renfile sa doudoune et m’invite à en faire autant, et nous partons au pas de charge vers un endroit qu’elle doit bien connaître. Mes cuisses protestent immédiatement de ce nouvel effort, mais la vue de celles de mon hôtesse, se modelant à chaque pas, m’est une motivation suffisante. En fait, nous n’allons pas très loin, il suffit de passer un promontoire pour atteindre comme un petit col. Et là, soudain, les derniers rayons nous inondent et vêtent de rouge orangé la roche autour de nous. C’est somptueux. Dès que le soleil disparaît, une étoile apparaît dans son sillage :



J’ai rêvé ou elle m’a tutoyé ? Nous retournons tranquillement à l’alpage, le chien Fram vient à notre rencontre agitant joyeusement sa queue.



Elle remet du bois dans la cuisinière et y pose une bouilloire, prémices d’un café. Le breuvage est costaud et accompagné d’une gnôle locale qu’elle verse à même les tasses encore chaudes. Elle m’interroge sur mes projets de photos, me disant qu’elle a tout ça « en magasin ». Puis, la fenêtre devenue noire, elle sort rapidement sur le balcon pousser les volets, simples panneaux de bois coulissant dans des gorges, système simple et efficace, et revient avec une grosse bûche noueuse qu’elle enfourne dans le foyer.



Mazette, il est à peine neuf heures, je me dis que je ne vais jamais pouvoir m’endormir, surtout avec le café. Elle éteint soigneusement le néon et allume une veilleuse dans la chambre.



Nous rions. La vessie vidée, je trouve Margot dans le plus simple appareil en train de se coucher. Un choc émotionnel et esthétique : bosse des mollets, bosse des cuisses, bosse des fesses, bosse des bras, bosse des seins, une vraie boule de muscles harmonieusement distribués, le tout dans une enveloppe blanche comme le lait de ses vaches sauf le visage et les bras. Je reste bouche bée.



L’invitation est claire et je ne peux m’y soustraire. Mais non seulement je suis un peu gêné de me mettre à poil devant cette fille que je ne connais que depuis le matin, mais en plus cette vision sublime a déclenché un début d’érection. En quittant le reste, j’hésite à poser mon slip, et puis je me dis qu’après tout, si ça peut lui donner des idées, ce ne serait pas de refus… Ça n’attire qu’un léger sourire et un commentaire :



À l’évidence, mes propos l’ont un peu agacée, ou alors craint-elle elle-même de trop fantasmer pour pouvoir s’endormir… Les paillasses de foin sont bruyantes, les vaches sous nos pieds font aussi des bruits bizarres, pourtant la fatigue m’emporte rapidement dans les bras de Morphée. J’en étais à la voir se faire couvrir par le mâle dominant d’une harde de chamois, après l’avoir vue admirer le coucher du soleil en chevauchant un grand mâle bouquetin comme une Harley, quand le bruit des couvercles de la cuisinière me tire du sommeil. J’ai perdu ma lampe de poche quelque part entre paillasse et mur, je ne sais pas où se trouve le bouton de la veilleuse et c’est en me cognant un peu partout que je me dirige vers le rais de lumière filtrant sous la porte, encore nu. Je ne cherche qu’un peu de lumière pour retrouver mes vêtements. Mais là, nouvelle vision paradisiaque : Margot est en train de s’astiquer les dessous de bras, les seins, le ventre et le fri-fri avec un gant de toilette, totalement nue devant la pierre d’évier. Ma mâchoire tombe, mon pénis se relève. Elle rit :



Pour un réveil, c’est un réveil. Tout à fait dans le prolongement de mon rêve. Ce que c’est beau une femme en train de faire sa toilette ! En ajoutant ce spectacle à la traditionnelle gaule du matin, ma zigounette inspecte le plafond tandis que mes yeux ne peuvent se détacher de ce strip-show. Je manque de me brûler là où il ne faut pas sur la cuisinière qui rugit d’un feu d’enfer, ne pouvant échapper sans paraître bégueule à cette séquence de nudisme. Elle s’essuie énergiquement, les yeux rivés sur ma virilité dressée :



Et je raconte…



J’ai la folle envie de la toucher, de sentir sur elle le discret parfum du savon frais, elle s’assoit face à moi devant son bol de café brûlant, mes yeux ne quittent pas ses seins magnifiques. Elle couvre de grandes tartines de crème et engloutit le tout avec appétit, naturel et entrain. En un éclair, ses formes merveilleuses disparaissent dans vêtements et bottes, me laissant pantois et au garde-à-vous.



Elle disparaît, les bêtes s’agitent sous mes pieds, le chien aboie joyeusement. Quel cyclone, cette Margot ! Je la trouve cependant un peu salope de me laisser dans cet état après, il faut être honnête, avoir tout fait pour le provoquer. Mais bon, le jeu n’est pas si désagréable, l’attente peut renforcer le désir et le plaisir, et puis peut-être veut-elle me tester, car si j’avais vraiment voulu lui sauter dessus, peu d’oreilles auraient pu voler à son secours.


Sur ses conseils, en retournant au petit col de la veille et en montant vers les rochers, je trouve tous les bouquetins souhaités. Je passe une bonne partie de la journée au milieu de ces animaux paisibles, seuls les jeunes simulent des combats dans de terribles chocs de crânes heurtés. Je redescends vers seize heures, les pellicules et les yeux bien remplis de superbes images. Des nuages lourds de promesses montent de la vallée et en moins d’une demi-heure nous sommes en plein brouillard. Margot soigne ses fromages dans la cave, les retournant, les essuyant, les goûtant parfois à cœur avec une petite tarière dont elle referme soigneusement la trace. Puis vers dix-sept heures :



Effectivement, quelques dizaines de minutes plus tard, le concert de clarines et de jappements se fait entendre, et le troupeau rentre juste à temps pour éviter une grosse averse. Je la rejoins pour quelques clichés de la traite, mais cette fois avec un autre appareil, un autre objectif très ouvert et une pelloche plus sensible : pas de flash, je joue juste avec l’ampoule pendant au bout d’un long fil.



Ce n’est pas vraiment ce qui se passe. Dans la nuit, le vent a tourné et vers cinq heures du matin un superbe orage éclate. Impressionnants, les orages en montagne, avec ces roulements incessants de tonnerre répercutés par les parois, et puis on est aux premières loges pour les éclairs et la foudre, explosions et flashes simultanés. Malgré le vent, la pluie et le danger, le vaillant petit soldat s’habille, remplit un seau d’eau et grimpe au grenier.



J’hésite à tripoter la cuisinière, cette grosse masse métallique étant susceptible d’attirer la foudre par la cheminée. Mais, devant son courage, nous préparer un café est bien le minimum que je puisse faire. Puis l’orage s’éloigne, ne nous laissant qu’une pluie drue tombant tout droit. Elle revient, aussi tempétueuse que la météo :



Presque tiède ! Glacée, tu veux dire… Elle m’entraîne jusqu’au coin de l’alpage où un moignon de gouttière concentre l’eau de la moitié du toit, qui tombe sur une petite plate-forme de pierres évitant le ravinement. Dans la pâle lumière du levant, elle jette son petit corps immaculé sous la cataracte puis se recule pour se savonner en lançant :



Putain, ce qu’elle est froide, j’en suffoque. Au lieu de me tendre le savon, elle se met à me frotter énergiquement le dos puis me tend le sien en même temps que le cube moussant. C’est la première fois que je tripote ce délicieux petit corps à la peau plus douce encore que je l’imaginais. Une vraie peau de bébé. Se retournant, elle se colle à moi, lançant le savon plus loin sur l’herbe, et m’entraîne de nouveau sous la cascade glaciale. Toujours collée à moi, elle se retourne puis, après un tour complet, me fait tourner à mon tour. C’est bizarre, mais l’eau est soudain moins froide, une sorte de chaleur intense s’établit entre nos corps jointifs. Pourtant et malgré cela, ma zigounette est ratatinée, plus petite que la moitié de mon petit doigt. C’est ce qu’elle constate en rentrant dans le logis qui nous paraît torride. Nous nous essuyons mutuellement très énergiquement puis nous nous asseyons côte à côte sur le banc, toujours nus, devant la cuisinière, buvant à petites gorgées le café brûlant.



C’est à ce moment-là qu’elle m’enjambe, plante ses tétons sur ma poitrine et me gratifie d’un interminable baiser. Je la pétris furieusement partout où je peux mettre mes mains, nos souffles suffoquent par nos narines dilatées, nos bouches affamées font se choquer nos dents tandis que nos langues n’en finissent pas d’explorer l’autre. Elle a toutes les peines du monde à se dégager pour implorer « Prends-moi ! », tandis que sa menotte saisit mon sexe enfin dressé pour le positionner à l’entrée de son temple. Alors elle se laisse retomber et s’empale de tout son poids. Depuis le début, je me suis dit que faire l’amour avec cette petite tornade relèverait du combat, du défi physique. Je ne me suis pas trompé. L’étreinte est furieuse, désordonnée, violente. Devant, derrière, sur le dos, à genoux sur le banc, dessus, dessous, sur la table, tout y passe en quelques minutes. Elle glapit, mord, griffe, hurle ses « vas-y… encore… oh oui… plus fort… » jusqu’à me vaincre, délivrant d’incroyables quantités de sperme brûlant tout au fond de son ventre. Usé, épuisé, en sueur, je reprends peu à peu ma conscience et mon souffle pour lui dire :



Elle s’habille et me plante là, tout idiot et bouleversé par la séquence incroyable que je viens de vivre. Je lave avec précautions une zigounette tuméfiée, mais tellement heureuse de l’être et me vêts pour la rejoindre. La pluie a presque cessé et déjà les nuages se déchirent sur des pans de ciel bleu.



Les marmottes sont bien au rendez-vous, avec leur comportement habituel : craintives au début, curieuses ensuite, puis elles s’habituent si vous ne bougez pas et ne faites pas de bruit. Des familles entières, des grosses mémères placides ne pensant qu’à bouffer, des jeunes ne pensant qu’à jouer dans les rayons du soleil revenu. Magnifique. Je passe trois heures passionnantes avec autant de centaines de photos à la clé. Quand je rentre, je trouve Margot en train de… tricoter ! Si, si. Un truc qui paraît compliqué avec quatre aiguilles en carré, pendant qu’une bonne odeur s’élève d’une casserole sur le coin de la cuisinière. Saucisses aux lentilles.



Nous partons tous deux d’un éclat de rire qui n’en finit pas, tournant au fou rare. J’ai conservé ce trophée au fond de ma poche pendant des années. Et puis un jour, durant un rhume certainement, il a dû tomber en sortant précipitamment un mouchoir. Elle veut me le faire essayer, je repousse cela au dessert parce qu’il est encore bien fatigué, alors elle s’enquiert de l’état de santé du petit animal.



Je l’embrasse tendrement, nous déjeunons paisiblement, puis tentons de nous enfiler à deux dans le même duvet. Ni facile ni pratique. Au bout du compte, nos deux paillasses atterrissent sur le sol avec nos deux duvets zippés ensemble. Impeccable ! Elle me remet en forme avec une fellation de bonne volonté sinon experte. Je lui fais non pas l’amour, mais la tendresse, doucement, profondément, profitant un maximum de chaque millimètre de son corps sublime. Nous nous assoupissons l’un dans l’autre aux derniers spasmes de notre étreinte.


La fin d’après-midi est, comme elle l’a annoncé, très ensoleillée. Chose promise, elle décrocha une paire de vrais sabots un peu usés qui servent de déco dans un coin sombre de la cuisine et que je n’avais même pas remarquée, se coiffe d’un carré de tissu brodé sur fond rouge, se munit d’un bâton et, ainsi nue, m’appelle :



Je la suis, le Nikon à la main. Quel spectacle ! Si l’on parle d’adaptation au milieu, cette fille est en accord parfait avec l’endroit. Sa musculature, ses gestes, sa présence dans le décor, silhouette se découpant tantôt à contre-jour sur les cimes lointaines, tantôt éclatante sur fond de robes feu des tarines, tout est harmonieux et tend visuellement vers la perfection. Quant à la séquence de la traite, pour une fois effectuée devant la porte grande ouverte laissant entrer des flots de lumière dorée, je me régale : la cambrure du dos et les cuisses largement écartées de la laitière m’offrent des clichés d’un invraisemblable érotisme, tant devant que derrière ou de profil. Je la suis encore au laboratoire, lui demandant de traiter son lait dans le même costume.



Il est vrai que je viens de faire une série, par-dessous le ventre de la vache, sur son sexe béant, laissant voir nettement sa muqueuse rose sous sa broussaille brune. Humides, peut-être à cause de la situation, les chairs délicates accrochent des perles de lumière du plus bel effet. Le brassage du caillé met ses seins en valeur, puis c’est toute sa musculature lorsqu’elle retire du bac la lourde poche de tissu pour l’égouttage. Pas avare de surprises, une fois le caillé traité, elle saute dans le bac et prend un bain dans le petit lait.



La scène est si incongrue et si terriblement érotique que j’abandonne mes appareils pour l’y rejoindre. Nous faisons l’amour comme des fous dans le bac à lait encore tiède, avec les sensations heureuses d’adolescents faisant une grosse bêtise, jouant ensuite à nous asperger avec le tuyau d’eau, mettant le laboratoire dans un état désastreux d’inondation.



***********




Elle dévale la pente tel un météore et j’ai vraiment du mal à la suivre. En vue du village, elle s’arrête soudain et m’attend, m’offrant ses lèvres et ses bras ouverts.



Ça allait de soi, mais ça allait peut-être mieux en le disant.



Un prétexte, m’explique-t-elle ensuite, pour me faire visiter sa maison. C’est un chalet familial construit par l’arrière-grand-père, agrandi par son père et réaménagé par Margot depuis que ses parents sont décédés. Une triste histoire d’après ce que j’ai compris. Sa mère malade en plein hiver, son père a voulu l’emmener à l’hôpital dans la vallée, la voiture a quitté la route, peut-être emportée par une coulée de neige. Personne ne s’est inquiété, les pensant à l’hosto, ce n’est que plusieurs jours plus tard qu’un chauffeur de chasse-neige a aperçu la carcasse de la voiture au fond du torrent. Margot faisait ses études, on ne l’a contactée que pour les enterrer. De ce passé, il ne reste qu’une photo jaunie dans un cadre, un couple rustique et sain qui aide à comprendre l’hérédité de la jeune femme.


Le chalet est immense, mais pas dans sa partie visible. Comme souvent en pays de montagne, il y a l’habitation, jolie, typique, mais raisonnable, posée sur un vaste sous-sol qui s’étale bien au-delà des limites du chalet. Sous terre, pas de neige et pas de froid, tout est autour de 12 degrés même au cœur de l’hiver. Il y a là un grand garage avec la Land Rover, un atelier, une chaufferie, une buanderie, une cave bien remplie, une fromagerie, une colossale réserve de bois et une immense étable, avec réserve de foin, qui donne directement sur le pré à l’arrière en utilisant astucieusement la pente du terrain. Tous ces lieux sont éclairés par des puits de lumière ouvrant dans le soubassement du chalet, protégés de la neige par les escaliers, les balcons et les avancées de toit. C’est typique d’un habitat bien conçu pour la région et son climat : un chalet d’environ quatre-vingts mètres carrés sur deux niveaux et une mansarde, et près de trois cents mètres-carrés en souterrain.



C’est ça que j’aime chez elle : nous vivons une aventure temporaire, elle en est consciente, elle ne mêle pas de mélo sentimental à nos délires sexuels.


La remontée vers l’alpage se fait allègrement. Je me sens des ailes. D’abord je suis mieux entraîné et habitué à l’altitude, ensuite je me dis que nous allons nous offrir une petite soirée de plaisirs divers. Et puis le pain et les trois bouteilles de vin que j’ai achetées sont bien moins lourds que mon matériel photo. Casse-croûte rituel aux derniers sapins puis, sans sourciller, Margot quitte ses vêtements et les empile sur son sac. Je fais de même. Nous voilà repartis dans l’élégance raffinée de nos seules chaussures de montagne et des chaussettes qui en dépassent. Je la suis, Bon Dieu, ce cul ! Et en plus, la traction du sac fait gicler sa poitrine en avant, somptueux obus offerts au vent, au soleil et à ma vue. Malgré l’effort, je bande comme un âne en arrivant.



J’en profite pour griller une de mes dernières pellicules pour un reportage fromager. Mademoiselle s’est rhabillée, et moi également. Quel boulot, que de gestes précis et sûrs, de température surveillée au degré près ! Mais ça vaut financièrement le coup (ou le coût). Notre conversation du dîner tourne autour de ça, de ses activités et ses réussites.



Nous remontons au petit col regarder le coucher de soleil, tendrement enlacés cette fois. Spectacle magique. Durant le retour, la perspective de quelques folies nous amène sur le sujet. Elle commence :



On fait toilette de l’objectif, on trouve de quoi lubrifier, du beurre maison en l’occurrence, mais la petite musclée reste obstinément tendue, donc fermée. On picole un peu pour se détendre, on tète le bouton rose jusqu’à l’orgasme, on ramone un peu la voie classique, mais la face nord reste interdite.



Elle sort de je ne sais où une corne de vache, assez droite, très jolie et parfaitement bien polie, dehors comme dedans.



C’est long et délicat, avec des prodiges de patience et de précautions. Mais au bout d’une demi-heure d’efforts et de sacrifices, j’estime avoir toute ma place dans cet orifice. Mazette ! Musclée dehors, mais musclée dedans aussi. Je me trouve coincé dans un étau brûlant, pressé comme on peut le faire avec un vieux tube de dentifrice. Il me semble que tout le sang de mon érection parvient dans mon gland, mais ne peut plus s’en échapper, qu’il se dilate monstrueusement. Va-t-il éclater ? J’imagine l’hémorragie, et là où on est je suis foutu, c’est sûr. Imaginaire stérile, tout se passe plutôt bien, je jouis comme un fou, ces deux globes prodigieusement harmonieux, joints en cœur renversé, frétillant au bout de ma queue. Je touche au sublime, au cosmique. Ma partenaire semble plutôt bien s’habituer, et goûte que je me penche sur elle pour lui exciter le clito. Elle prend elle-même la relève quand je commence à me déchaîner, crispé sur ses hanches. Le final est fulgurant, les reins transpercés des mille poignards du plaisir total, mes jets de semence lui déclenchant un hurlement rageur. Après quelques ablutions, elle déclare satisfaite :



Le réveil du lendemain est un peu pâteux, je crois que c’est l’agitation des vaches, pressées d’être traites, qui nous a réveillés. Mauvaise humeur de Margot donc, et pour moi également parce qu’il ne fait pas beau. Pas encore de pluie, mais un couvercle gris parsemé de grosses taches noires, rien de bon. Je fais quelques clichés de la cave d’affinage, des gestes de retournement et de ressuyage, de prélèvements à la tarière aussi. J’examine la cave en détail, un super boulot que de creuser ça. Certes, on n’est pas dans le granit, mais dans du schiste, et la pioche a souvent suivi les couches. Mais il a fallu sortir environ soixante mètres cubes de rocher, c’est énorme, et tout à la main. Margot me confirme qu’une grande quantité a été utilisée pour améliorer les bâtiments, constituer une réserve de lauzes en cas de pépin de toiture. Et le reste a soigneusement été empilé un peu au-dessus, sur la pente, en forme de proue de navire. Ainsi, en cas de glissement de neige, sans même parler d’avalanche, elle serait détournée des habitations. Astucieux.


Je remarque un petit conduit dans la voûte, tout au fond. C’est en fait une aération haute permettant une ventilation constante de la cave. Elle débouche dans une sorte de cheminée de pierres construite à même le sol. Là encore, un travail de Romain, car il a fallu percer à peu près cinq mètres de roche à la verticale, et sans outils motorisés. Les anciens avaient la moelle ! Pour ajouter à sa mauvaise humeur, le chien se met soudain à aboyer. Elle fonce, craignant un danger quelconque pour ses bêtes. En fait, c’est le petit vacher, celui qui n’a pas de lumière à tous les étages, qui arrive essoufflé de la vallée.



Elle court fourrer une grosse trousse médicale dans son sac à dos, enfiler ses chaussures de marche et part en courant presque vers le village. Je reste comme deux ronds de flan avec un garçon inconnu qui a autant de conversation qu’un mélèze et qui tient à dormir dans le grenier de foin. Triste soirée.


Margot revient en début d’après-midi, les traits tirés.



Je ne la revois que le soir, après la traite. Elle mange rapidement, j’ai fait un minestrone en sachet et du jambon. Puis elle s’écroule dans notre lit double que j’ai recréé après le départ du Fifi, inutile qu’il raconte partout que l’on couche ensemble. En écoutant sa respiration paisible, je pense que c’est une sacrée petite bonne femme, capable de courir dix heures en montagne pour sauver deux vaches, de les surveiller toute une nuit, de faire dix kilos de fromage ensuite, et une traite pour couronner le tout. Quelle santé, quelle énergie !


Le lendemain, je pars de bonne heure pour trouver des chamois, assez haut, sur ses indications. Les renseignements sont précis et justes, pratiquement à tout coup. Puis ce sont les lagopèdes, le lièvre et la perdrix variables (colorés l’été et blancs en hiver), l’hermine, l’aigle royal, le gypaète barbu, pour finir en limite haute de forêt par le grand tétras. Douze jours déjà que je suis dans cet alpage avec mon adorable hôtesse. Je prolonge le plaisir encore quelque temps avec quelques clichés macro de la flore locale, des papillons, des paysages. Je donne quelques coups de main, pour vider l’étable du fumier par exemple et réparer le plancher des balcons qui est un peu faible par endroits. Mais il faut se rendre à l’évidence : je dois partir, même à regret. Je promets de revenir en hiver pour compléter ma collection et montrer la métamorphose saisonnière des animaux et des paysages. Elle m’hébergera dans son chalet, au village. Quand je tourne la clé de contact de ma petite voiture, une grosse boule envahit mon estomac.




**********




Pendant quatre mois, je travaille presque exclusivement à l’exploitation des nombreux clichés rapportés. Les tirages les plus… « confidentiels » ornent les murs de mon labo et de mon bureau, une façon d’être encore auprès de la petite femme exceptionnelle que j’ai rencontrée. Un éditeur publiant des revues scolaires accepte de faire un cahier spécial sur la production artisanale des fromages de montagne, l’occasion d’écrire à Margot pour lui demander son assentiment sur le principe et la maquette. Nous convenons que j’irai la voir après le Salon de l’agriculture où elle concourt encore, mais que, compte tenu des conditions climatiques, j’irai en train et elle me prendra à la gare avec son 4x4.


Heureusement, car même avec des chaînes, ma petite auto n’aurait jamais pu atteindre le village. Dès la porte de son chalet franchie, l’effusion de nos retrouvailles est d’une intensité inouïe, me rappelant notre premier rapport. Je crois qu’en vingt-quatre heures, toutes les pièces de la maison accueillent nos ébats et que nous n’arrêtons que pour satisfaire nos besoins vitaux les plus essentiels. Je lui remets une dizaine des cahiers édités, et un album des photos coquines accompagnées de trois grands tirages soigneusement roulés dans un étui. J’ai aussi apporté un premier projet du bouquin que j’espère éditer environ cent trente meilleurs clichés des milliers réalisés. Je veux compléter tout cela avec des vues de saison hivernale. Elle me félicite pour mes « talents » de photographe et me dit que j’ai raté un automne particulièrement lumineux et coloré. Puis, au premier jour de beau soleil, nous enfilons les raquettes, skis sur le dos, pour remonter à l’alpage sous la neige. Le Fifi est chargé de s’occuper des vaches.



La nuit n’est pas loin de tomber quand nous arrivons enfin. Que c’est dur de progresser dans la neige épaisse ! Je l’arrête pour pouvoir photographier les bâtiments avant toute trace, sous une neige vierge qui les noie aux deux tiers. Magique, impressionnant, très beau. Notre premier travail est d’allumer un bon feu, puis de remplir des seaux et bassines de neige propre pour nous faire de l’eau, car bien sûr, le captage est gelé. Soupe, fromage et jambon sont les seuls ingrédients que nous avons apportés. Les placards recèlent également des pâtes, de la polenta et des pots de confiture. Mais bon sang qu’il fait froid ! Les vitres sont étoilées de givre à l’intérieur, malgré la couche de neige, dont on dit qu’il ne fait que zéro au-dessous, et l’épaisse couche de foin. Je crois que le froid vient surtout du plancher, assez mince et parfois disjoint, et de l’étable au-dessous. Nous tirons deux paillasses dans la cuisine et nous nous relayons toute la nuit pour entretenir le feu. Serrés l’un contre l’autre, nus dans les épais duvets, nous avons enfin chaud.


Le lendemain matin, après discussion, nous décidons d’aller voir si la cave ne serait pas plus accueillante, car supposée à température constante. Il me faut pelleter pendant presque une heure pour atteindre la porte du laboratoire qui déjà semble moins froid que l’habitation. Quant à la cave, il y fait effectivement très doux, environ dix à douze degrés, ce qui nous paraît tiède comparé aux moins quinze extérieurs. Le seul problème est l’éclairage, car, sous quatre-vingts centimètres de neige, les panneaux solaires sont en repos et les batteries à plat à cause du froid. Restent les solutions anciennes de dépannage, bougies et lampes tempête. De plus, en allumant le chaudron du labo qui sert aux pâtes cuites, la température devient carrément agréable, et le bac à fromage rempli de neige nous procure une quantité importante d’eau.



Oui, on ne sait jamais, les problèmes arrivent souvent plus vite qu’on ne pense. La vie s’organise dans notre nouveau logis. On rapporte les provisions, deux paillasses et, sans faire pour autant les mêmes strip-teases qu’en été, nous vivons dans un semi-confort supportable pour quelques jours. Et avec l’aide précieuse de mon hôtesse, c’est assez rapide. Elle n’a pas son pareil pour détecter les traces dans la neige et situer rapidement les animaux. Hormis un portrait assez fugitif de l’hermine, juste deux yeux et un museau sur du blanc, je peux rapidement compléter mes collections en situation hivernale. Simplement, je dois ajouter à mon projet un chapitre sur les traces et déjections. Nous redescendons à skis vers la civilisation sans regret. Je passe encore quelques jours chez Margot sans autre motif que le plaisir, plaisir que nous prenons sans retenue, dans le confort retrouvé, trois ou quatre fois par jour. Je promets au Maire, il faut bien voisiner un peu, de revenir présenter la maquette de mon projet à l’époque de la transhumance qu’il me faut encore photographier pour être exhaustif ou presque.


Je reviens donc une troisième fois dans l’année, tout autant pour tenir ma parole que pour retrouver Margot, je le confesse. Je lui rapporte un cadeau très particulier : une éolienne à axe vertical, construite d’après des plans parus dans une excellente revue de bricolage avec la complicité d’un copain dirigeant un atelier de mécanique de précision.



C’est vrai que l’engin nécessite un travail considérable, car complètement hors-norme. Chaque pièce est unique, ou limitée à deux ou quatre exemplaires. Mais cette turbine à vent de type « Savonius » a la particularité d’ouvrir ses quatre portions de cylindre largement quand le vent est faible et de les refermer progressivement quand le vent est fort, complètement en cas de tempête. Tout ça en acier inoxydable fait que l’engin est quasiment inaltérable, même dans des conditions extrêmes. J’ai beau essayer de le convaincre, une fois le premier prototype réalisé, qu’un marché potentiel existe aussi en bord de mer, il refuse catégoriquement.


Nous empruntons Fifi et une mule pour monter cet engin, pas très lourd, mais un peu encombrant, en accompagnant la transhumance. Il me donne également un coup de main, avec sa force colossale, pour l’installer bien calé en bas et en haut sur l’angle du balcon, abrité du plus gros de la neige par l’avancée de toit. Dès l’installation, le bazar se met à tourner et bientôt à produire du courant, je dirais même un max de courant. J’avais essayé différents générateurs, plus ou moins compliqués, plus ou moins performants : dynamos de vieilles voitures, alternateurs plus récents, mais tous avaient leurs défauts. C’est un autre copain qui me donne la solution. Il travaille aux télécoms où l’on remplace les téléphones à cadran par des téléphones à touches. Or, dans les téléphones à cadran, ce qui fabrique les impulsions électriques c’est un aimant cylindrique tournant devant des bobinages. Avec un bon bricolage, je tire du huit à quatorze volts en courant continu, correct pour une batterie. Et mon engin entraîne ça sans problème, le tout fourré dans une petite cocotte en inox, placée tout en haut en bout d’axe, sous le toit, bien à l’abri. Conformément à mes mesures en cours de construction, l’engin d’un mètre de haut et de soixante centimètres déplié, trente fermé, produit à peu près l’équivalent de deux panneaux solaires avec une facilité remarquable, depuis la petite brise jusqu’à la tempête et… même la nuit et même l’hiver.


Margot bat des mains, et enfin un sourire éclaire son visage. Depuis mon arrivée, je lui trouve mauvaise mine, renfermée, presque triste ou du moins soucieuse. La montée vers l’alpage, pourtant à la vitesse de la bonne volonté des vaches, semble l’avoir épuisée. Il est vrai que je suis arrivé seulement la veille et que j’ai passé la soirée dans l’école avec tout le village pour projeter les diapos de la maquette de mon futur bouquin ; j’ai été applaudi et congratulé par le maire pour ne pas avoir trahi ni la beauté des lieux ni l’intimité du village. Mon plus beau compliment vient d’un vieil homme qui me dit en sortant :



Je ne peux pas rester et je ne reviendrai pas la voir de l’été, préparant une expédition ornithologique aux îles Féroé avec un groupe de scientifiques, un truc à ne pas manquer. Mais au contraire, on aurait pu profiter pleinement de ces brefs instants de complicité retrouvée. Je la questionne en vain, elle parle de problèmes digestifs et va se coucher, seule sur sa paillasse. Je repars perplexe et attristé, avant d’être repris par le tourbillon de la vie et des projets. Les semaines puis les mois passent sans que je ne reprenne contact, elle non plus. Je ne dis pas que j’ai oublié Margot, mais simplement que le courant de la vie m’emporte ailleurs, loin d’elle. Et puis deux ans plus tard je me marie, avec une autre, et je ne peux décemment pas retourner chez une ancienne maîtresse avec mon épouse, ni la trahir en y allant sans elle, car, plus le temps passe, plus je me rends compte que j’ai fait une énorme erreur…




-o-o-o-o-o-o-




Vingt-huit ans plus tard…



La sonnette de la porte d’entrée me fait m’entailler la joue d’un malencontreux coup de rasoir.



Un facteur, pas l’habituel, mais un autre, qui ne vient que pour les recommandés ou les trucs spéciaux.



Sur l’enveloppe est porté :


A l’intention de Monsieur Jérôme Rézin

Ayant habité 188 rue de la Cruche

Aux bons soins des services postaux

Pour faire suivre à sa nouvelle adresse.


Bizarre autant qu’étrange, mais assez fin puisque m’étant parvenu, si toutefois c’est bien pour moi. Il s’agit d’une simple lettre enveloppant un edelweiss séché, un peu abîmé par le transport.



Monsieur et cher ami,


Je suis navrée de vous importuner après tant d’années, peut-être même que vous ne vous souvenez pas de moi, mais qu’importe. Il est des moments de la vie où l’on souhaite faire ce que l’on n’a pas fait, dire ce que l’on n’a pas dit. Je vis un de ces moments-là.


Qui suis-je ? Margot « la chevrette », la petite bonne femme qui courait la montagne derrière ses vaches dans un coin perdu de Vanoise. Celle qui vous a hébergé pendant que vous réalisiez cet ouvrage remarquable sur notre région et qui, à ma connaissance, n’a jamais été égalé.


À partir de là, si le lecteur n’est pas Monsieur Jérôme Rézin, qu’il ait la décence d’interrompre sa lecture, car le reste ne le concerne en rien.


(Et il fallait passer à la page suivante)


Je voulais donc vous dire, et pour le dire je vais reprendre le tutoiement que nous employions autrefois, je voulais donc te dire, cher Jérôme, combien j’ai été navrée de mon comportement lors de notre dernière brève rencontre. Je le regrette amèrement, d’autant plus qu’elle fut la dernière, que je l’ai gâchée, et qu’elle a sûrement compté pour beaucoup dans le fait que tu ne sois jamais revenu dans notre village. « Me voir » serait prétentieux, mais au moins profiter de la quiétude et des paysages que tu avais, je crois, beaucoup appréciés. Tu as dû me prendre pour quelqu’un de versatile, inconstant, voire cyclothymique. Ce n’est pourtant pas le cas, absolument pas. C’est que cette fois-là, je n’ai pas su gérer mes émotions, et je te prie de me le pardonner.


À vrai dire, notre courte histoire a chamboulé ma vie. Oh, pas totalement, je suis toujours restée Margot « la chevrette », éleveuse, fromagère et véto à l’occasion. Mais j’étais tombée follement amoureuse, ce que je croyais impossible, et tu m’as révélée en tant que femme, et je veux t’en remercier infiniment. Sans toi, qui fus mon unique amour, car nul ne t’a remplacé jusqu’à ce jour, je n’aurais pas connu, je pense, l’exaltation des sentiments et l’exultation des sens. Je savais que notre histoire aurait une fin, j’ai donc voulu la prolonger, en marquer ma chair. Lors de notre dernière rencontre donc, j’étais enceinte, volontairement enceinte (n’oublie pas que je suis véto !). Je vivais un terrible conflit intérieur entre le « je ne veux pas qu’il se croie piégé si je le lui dis » et le « je ne veux pas qu’il se sente trahi si je ne le lui dis pas». N’ayant pu trancher ce dilemme, j’ai donc eu un comportement effroyable, à l’image du chaos qui régnait dans ma tête.


J’ai eu bien du mal à redescendre de l’alpage avec mon ventre devenu gros, il m’a fallu toute une journée et l’aide fréquente de Fifi (si tu te souviens de lui). Mais j’avais fait ma saison d’alpage et d’ailleurs, avec la production de cette année-là, j’ai obtenu deux médailles d’or. J’ai accouché en septembre, toute seule comme une grande et à la maison, d’un superbe petit garçon que j’ai appelé… Jérôme, souvenir permanent, si c’était nécessaire. Je l’ai élevé et éduqué seule, pour mon plus grand bonheur. Rassure-toi, je ne viens pas te demander quoi que ce soit pour ton fils. Il a fait de brillantes études, gagne très bien sa vie, et il vit à l’autre bout du monde où il est diplomate.


Comprends-moi, cher ami, cher amour, emporter ce secret dans la tombe m’aurait semblé te trahir une seconde fois, tu as le droit de le savoir. Or la tombe est proche, très proche. Je sens déjà le vent froid de la cape de la faucheuse me glacer les os, bien plus que le vent des cimes qui fait toujours tourner une petite éolienne incroyablement robuste. Il a fallu changer les batteries, souvent, les panneaux solaires une fois, mais ton bricolage tient merveilleusement le coup et m’a fourni des heures d’éclairage en toutes saisons.


Reste calme, Jérôme, ne cherche pas s’il te plaît à me voir. Je vais juste partir vers d’autres pâturages que certains disent plus beaux, laissant ici un corps rongé par un crabe, un tourteau en l’occurrence, que l’on peut aussi trouver en montagne, la preuve. Cette pauvre dépouille n’a plus rien à voir avec le corps plein de vitalité que tu as étreint, que tu me voies dans cet état ajouterait à mon tourment.


Voilà, tu sais tout, j’ai fait ce que j’ai cru bon de faire et mon cœur est allégé d’un poids énorme. Comme je suis certaine de ta grande bonté, j’espère fermement obtenir ton pardon pour toutes ces choses tues depuis des décennies. Mais je ne voulais pas entraver ta vie, ta carrière, que je suivais de loin en achetant régulièrement toutes tes œuvres à leur parution.


Adieu et merci, mon ami, mon amour.

Margot



Ma vue se brouille de larmes aux derniers mots de cette lettre. Vingt-huit ans plus tard, toute cette histoire me frappe en pleine figure. Je plonge dans mes archives et, au bout d’une demi-heure, juché sur un escabeau, je finis par retrouver un gros dossier au fond d’un haut placard. J’ai un besoin immédiat de revoir ces clichés oubliés, d’en ressentir le puissant érotisme, de faire remonter à la surface de ma peau des sensations dissipées par le temps. Je téléphone ensuite à la mairie du village de Vanoise, c’est une secrétaire qui me répond… Une secrétaire ? Là-bas ? Pas possible… Elle me passe le maire, le nouveau maire, une voix jeune, de jeune loup même. Il ne connaît pas Margot, mais me donne le numéro de l’ancien maire. Une voix avinée et chevrotante d’ancienneté me répond. Oui, il se souvient de moi, oui, la Margot a été hospitalisée à Chambéry puis transportée à Lyon, il ne sait pas trop où ni dans quel hôpital. Promis, il m’appellera quand le Bon Dieu l’aura rappelée.


Il ne faut que trois jours, trois jours durant lesquels je revis intensément cette période de ma vie, mémorable par sa beauté comme par l’exotisme que j’y ai trouvé, tout autant que parfois à l’autre bout du monde. Je prends ma voiture pour aller accompagner Margot à sa dernière demeure.


Tout a bien changé. Si l’ancienne et périlleuse route sert encore de voie descendante bien aménagée, une voie montante a été construite avec force ouvrages d’art et surplombs de béton. Le village s’est également transformé, plus que triplé avec deux hôtels et une myriade de petits chalets modernes. C’est devenu une petite station familiale de ski, ski de fond et randonnée pédestre, disent les pancartes. Parc national ou pas, quand il y a du pognon à faire, les autorisations se trouvent et ça met tout le monde d’accord. L’ancien village, que j’ai du mal à retrouver, fait figure de musée avec ses ruelles étroites exclusivement piétonnes et pavées. Petite affluence dans la vieille église, glaciale comme il se doit. Que des vieux ou presque, la totalité de l’ancien village en somme. Seul, un jeune couple tranche dans cette maigre assemblée. Un grand jeune homme à petites lunettes et costume sombre impeccablement taillé, affublé d’une pétasse blonde en manteau panthère. Elle semble maugréer durant toute la cérémonie, dans le petit cimetière notamment où ses talons de quinze centimètres s’accommodent mal du sol inégal et en pente. Je me dirige vers eux pour tenter de faire connaissance quand un vieux monsieur m’interpelle :



Je reste donc, louant une chambre dans l’un de ces nouveaux hôtels. Une de ces chambres aux murs de placo lambrissés de frisette, pour « faire montagne », au balcon fleuri de géraniums donnant sur des pistes sans neige hérissées de pylônes de remontées mécaniques. Des petits « œufs » transportent même les moins courageux vers les alpages. J’en prends un en direction des lieux connus. L’alpage de Margot fait tache, vestige du passé à quelques dizaines de minutes de marche d’un rutilant bistrot-discothèque. Même de loin, j’aperçois le scintillement d’une petite éolienne en inox et je rencontre Fifi qui n’a guère changé si ce n’est quelques cheveux en moins, comme si le temps n’avait pas de prise sur les pauvres d’esprit. Il garde encore une douzaine de vaches, les siennes désormais, car « Madame Margot » les lui a données. Et il habite l’alpage à l’année maintenant qu’il pourrait monter et descendre facilement, mais « Madame Margot » l’a autorisé à occuper les lieux.


Au dîner, on me sert un repas « typique » de la région : jambon sec de bouquetin (mon œil), rôti de chamois à la polenta, peut-être du veau ou de la chèvre archi-bouillie et un fromage industriel insipide. Le menu savoyard en sachets ! Déplaisir de partager les conversations et les défécations des chambres voisines dans cet hôtel sonore, un désastre qui ne peut donner la moindre idée de la vie réelle en cet endroit.


Le notaire fait lecture des dernières volontés de Margot. Fifi est là également. Elle lègue à son fils tous ses comptes et placements, ce qui représente une jolie somme s’exprimant en centaines de milliers d’euros. Ce qui arrache un léger sourire et un regard vers son époux à la pétasse blonde, toujours emmitouflée dans ce que je crois être de la vraie peau de panthère. Ensuite, elle attribuait son alpage et les terres qui l’entourent à Monsieur Philippe Moulin dit « Fifi ». Enfin, elle souhaite me léguer sa maison « afin que je reprenne goût au pays », dit-elle, si bien sûr son fils n’y voit pas d’inconvénient. Il peut en outre récupérer tout ce qu’il souhaite dans cette maison.



Ses immenses talons résonnent dans le hall alors qu’elle trottine vers la limousine, attendue par le chauffeur. Nous restons un bref instant entre « Jérômes ».



Je lui ouvre les bras et nous nous étreignons comme deux hommes, une brève et chaleureuse accolade, puis il part rejoindre son monstre en peau de panthère.


Lorsque je pénètre dans le chalet de Margot, je m’attends à le trouver comme quitté précipitamment, fraîchement occupé. Que nenni ! Elle avait tout prévu et savait bien qu’elle allait en partir pour toujours. Tout est rangé au millimètre, presque de façon impersonnelle, seule une légère couche de poussière dit tout le temps qui s’est écoulé dans les hôpitaux. J’ouvre, j’aère, je fais des courses. Je me croyais incapable de supporter le souvenir permanent de Margot au travers de tous les objets qu’elle avait touchés, et puis, pas du tout. Tout est si logiquement à sa place et indéniablement utile qu’aucun trouble ne me vient. A contrario, je me sens bien, chez moi. Je dors comme un loir dans ce lit où nous avons fait l’amour avec tant de fougue, peut-être là où nous avons conçu Jérôme, à moins que ce ne soit sous la douche, dans la cuisine ou sur le tapis devant la cheminée. Que de souvenirs heureux accumulés ici, plus que dans les vingt-huit dernières années.


C’est décidé, je vais vivre ici. L’étable et la réserve de foin libérées m’offrent un immense espace en sous-sol pour y installer un grand atelier, et puis la vente de mon appartement parisien m’assurera un confortable matelas qui m’emmènera aisément jusqu’à la retraite. Je n’ai plus d’attaches, sinon deux filles vivant loin de moi et qui ne soupçonnent même pas l’existence de leur demi-frère, rien ne s’oppose à ce projet. Et puis occuper ce chalet isolé de la cohue par d’anciens pâturages empêchera la convoitise d’agents immobiliers peu scrupuleux.


Un mercredi de septembre, quand les feuillus deviennent jaunes et roux entre les conifères irrémédiablement verts, on sonne à ma porte. Les visites sont rares. Une petite dame en tailleur strict, serviette à la main, que j’aurais prise pour un témoin de Jéhovah, se présente.



C’est une petite femme pleine de vigueur et très souriante qui s’installe sur mon canapé. Sa silhouette courte et vigoureuse ainsi que son joli minois ne sont pas sans me rappeler quelqu’un, de loin. Je lui offre un café, elle tire de temps en temps sur sa jupe qu’un fessier rebondi s’obstine à remonter, malgré des cuisses puissantes, ce que confirment ses mollets musclés.



Elle s’enflamme en parlant, penchée en avant, la poitrine petite, mais arrogante, désormais sans souci de la jupe qui remonte jusqu’à mi-cuisse. Vraiment, ses attitudes et sa corpulence me font penser à Margot. Signe du destin ?



Plus personne ne peut être gêné, maintenant, de cette merveilleuse vérité. Je l’emmène même dans mon « perchoir », le bureau que j’ai installé sous les combles du chalet, et où les murs de lambris sont décorés des posters licencieux de « la Chevrette ». L’érotisme toujours torride de ces clichés la fait rougir jusqu’au creux du corsage.