n° 20160 | Fiche technique | 24613 caractères | 24613Temps de lecture estimé : 14 mn | 27/03/21 |
Résumé: Une histoire dans l'Histoire. | ||||
Critères: fh jeunes init confession mélo portrait historique -historiqu | ||||
Auteur : Radagast Envoi mini-message |
Ophélie venait de frapper dans ses mains pour réclamer l’attention générale. Voilà, c’était fait, tout le monde la regardait un peu étonné. Une gamine d’à peine vingt ans se faire remarquer ainsi, dans ces circonstances douloureuses. Mais elle ne pouvait plus reculer. Elle allait balancer l’équivalent d’une charge thermonucléaire dans cette assemblée constituée de ses parents, grands-parents, oncles, tantes, grands oncles et grand-tantes, cousins, cousines et elle en oubliait certainement. En tout près de deux cents personnes qui se demandaient ce qu’elle avait de si intéressant à dire.
Déjà elle voyait des visages se chiffonner.
Le Rabbin toussota et leva la main.
Le prêtre hocha la tête, pour confirmer les dires de son confrère. La jeune femme reprit le cours de sa déclaration.
Tout le monde sourit à l’évocation du surnom de l’aïeule. Super-Mamy, que ses petits-enfants lui donnaient affectueusement. Super-Mamy régnait sur six générations de Thouviard. Réglant les conflits entre frères et sœurs, dispensant ses conseils avisés aux uns et aux autres et consolant les plus jeunes.
Elle allait vraiment manquer, elle était le lien qui unissait toute cette famille.
C’est là que je fis connaissance du Rabbin Salztmann et du Père Germain.
J’ai retranscrit intégralement son récit dans ces quelques feuillets, elle voulait que je vous les lise.
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Comme vous le savez tous, je suis née le 15 novembre 1919, soit presque un an après la fin de la Grande Guerre. Mon père, Henry Monfroid, était banquier, ma mère, Iphigénie de la Tour s’occupait du château familial.
Ils se marièrent en 1916 alors que mon père faisait partie de l’intendance des armées. Un problème au genou lui avait évité le front. Tout en ne participant pas aux combats, il tirait quand même une certaine fierté de servir son pays.
Sitôt la guerre terminée, mon père reprit son travail, les affaires marchaient bien, il fallait reconstruire la France, réparer et surtout oublier. Je naquis au début des années folles, des années de fêtes, les années pour effacer les horreurs.
Mes parents recevaient beaucoup, tant dans leur hôtel particulier parisien qu’ici, au château. Quand me vint l’âge de saisir un peu ce qui se passait autour de moi, je m’émerveillai devant les Hispano-Suiza, Duesemberg ou autres Bugatti qui se garaient dans la propriété.
Ma nounou m’emmenait regarder ces merveilles. Dès quatre ans, je tombais amoureuse des automobiles, passion qui ne m’a jamais quittée depuis. Même si maintenant je ne peux plus conduire, et même si j’estime que les voitures d’aujourd’hui manquent de romantisme.
Dans l’hôtel particulier aussi des fêtes étaient données. Bien que je fusse confinée dans ma chambre avec ma gouvernante, je me glissais parfois près de la porte et j’y voyais de belles dames danser le charleston ou le fox-trot, même qu’un jour une certaine Joséphine Baker m’a embrassée, j’y ai aussi croisé Maurice Chevalier, mais ce sont des noms qui ne te disent rien, des noms d’un monde révolu.
Au château, ici même, de grands feux d’artifice étaient tirés lors de ces fêtes. Je les regardais depuis ma chambre, me bouchant les oreilles à cause du bruit, mais les yeux écarquillés, trépignant de joie après chaque fusée.
Nous étions heureux. Personne ne se doutait de ce qui nous attendait.
En 1930 mes parents vendirent l’hôtel de Paris, ou plutôt ils le bradèrent. Nous emménageâmes au château. Bien sûr, nombre d’employés et employées de maison ne nous suivirent pas. Ni mon père, qui resta à la capitale, pour régler quelques affaires, nous rassura-t-il. En fait, on le retrouva pendu dans son bureau.
J’avais onze ans, mon monde s’écroulait, mon père, ce héros, disparaissait, ruiné. Finie l’école privée ultra-chic et chère, j’allais à l’école communale, puis au collège et lycée public. Les filles y étaient rares à cette époque, mais ma mère estimait de son devoir de me donner toutes les chances. Une jeune fille se doit d’être belle, mais aussi intelligente, disait maman, bien en avance sur son époque, et même encore sur celle-ci.
Ma mère touchait une petite rente personnelle qui avait échappé aux huissiers et autres vautours. Nous vivions sans faire de folies.
Dans le château, il ne restait que la cuisinière et deux servantes qui faisaient un peu tout, de la poussière au repassage. Plus un jardinier, le mari de la cuisinière. Il avait eu l’idée de remplacer des parterres de fleurs par un potager, de construire un poulailler et installer quelques ruches, ce qui améliorait l’ordinaire et nous faisait faire de substantielles économies. Mon grand plaisir était de récupérer les œufs et de nourrir les poules.
Puis un jour, alors je venais de fêter mes quinze ans, monsieur Paul, notre jardinier, revint avec un jeune garçon à peine plus âgé que moi. Il expliqua à ma mère qu’il ne rajeunissait pas et qu’il lui fallait un assistant. Qu’il allait former ce gamin, lui apprendre le métier. Que ma mère ne devait pas se faire de soucis, ne pas lui verser de salaire, il lui suffisait d’avoir un toit, quelque chose dans son assiette et des vêtements, mais tout ça, monsieur Paul et son épouse s’en chargeaient.
Dans la réalité, ma mère lui glissait de temps à autre une pièce, tant il mettait de cœur à l’ouvrage.
Moi je découvrais un garçon, une espèce de bipède inconnue. Je n’étais entourée que de femmes, à la rigueur monsieur Paul, comme homme, mais vu son âge je pouvais le classer dans une catégorie à part.
Au collège ou au lycée, il n’y avait que des filles qui gloussaient comme des dindes lorsqu’elles croisaient des garçons empotés – la mixité vint beaucoup, beaucoup plus tard.
Même à l’église, les adolescentes étaient séparées des garçons, ainsi que les femmes mariées l’étaient de leurs conjoints. Le curé vous unissait devant Dieu, et vous séparait aussitôt après, toujours dans la maison de Dieu… incohérent. Les hommes à gauche, les femmes à droite. Comme si on allait organiser des parties fines dans la travée centrale.
Aussi étais-je très intéressée par ce spécimen.
Les cheveux blonds, des yeux noisette aux longs cils, le visage fin sur un grand corps dégingandé. C’est qu’à cet âge-là on grandit vite sans trop prendre de muscles.
Il s’était arrêté au certificat d’études et du coup consacrait tout son temps au jardinage, bien qu’il sache lire, écrire et compter couramment.
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Je participais aux tâches ménagères, cuisine, lessive, il était loin le temps où tout tombait tout cru dans mon bec. Mais je ne me plaignais pas, j’apprenais plein de choses, tant en chimie qu’en physique en mélangeant des produits ménagers ou en chauffant un pot-au-feu. Il suffit juste de garder sa curiosité éveillée.
Et ce bougre d’adolescent l’éveillait bien, ma curiosité. À chacune de nos rencontres, il bégayait et rougissait, ce qui faisait rire nos employées de maison.
Les travaux ménagers et mes devoirs terminés, je pouvais faire ce que je voulais. En général, je me promenais dans le parc, allais discuter un peu du potager avec monsieur Paul, histoire de faire bafouiller de plus belle son assistant, qui triturait sa casquette et rougissait à chacune de nos rencontres. Je sais, je ne faisais pas preuve de charité chrétienne, mais les distractions étaient rares. Le regarder en douce biner ou tailler les rosiers faisait fuir ma morosité.
C’est lors de ces visites que j’appris qu’il se prénommait Jean.
J’éclatai de rire, il devint écarlate, les yeux baissés il n’osait me regarder. Certes, je manquais de miséricorde, mais je masquais mon trouble par ces rires que je regrettais aussitôt.
Ce fut la première fois qu’il m’adressa la parole sans bafouiller et en osant me regarder dans les yeux, ce qui ne l’empêcha pas de rougir comme un coquelicot.
Il n’avait jamais une minute de temps libre, alors que je passais le mien à lire, me promener.
J’avais installé un transat sur la terrasse, je venais y prendre l’air tout en lisant. Je participais aux tâches ménagères, mais ma mère tenait à ce que je me cultive le plus possible. Un verre de citronnade à mes côtés, un bon livre entre les mains, un chapeau sur la tête, je me sentais aux portes du paradis.
Un jour, dans mon petit coin de paradis je trouvai une rose toute fraîche sur mon siège. Une rose blanche.
Et chaque jour, je trouvai une fleur, le plus souvent une rose blanche, mais selon la saison je trouvais des pivoines, du lilas ou une fleur d’hibiscus. Je ne savais qui posait ces fleurs sur mon siège, bien que j’eus de gros soupçons.
N’y tenant plus, je me cachais et organisais une surveillance comme dans mes romans d’espionnage ou policiers.
Bien évidemment je vis arriver mon suspect principal une rose à la main, fleur qu’il déposa délicatement sur le siège. Je ne me fis pas repérer, je ne tenais pas à le gêner. Je le surveillais parfois, toujours discrètement alors qu’il me choisissait des fleurs. Je trouvais cette situation tellement romantique.
Lors de cet été, alors que nous étions encore insouciants, mais que de sombres bruits de bottes retentissaient, il se déroula un évènement qui bouleversa nos vies.
Jean aidait monsieur Paul à récolter le miel, il insérait les rayons dans un extracteur qu’il faisait tourner, j’admirais le liquide onctueux couler dans un grand seau en métal, puis Jean qui transvasait ensuite ce sirop dans de petits pots de verre.
Bien évidemment il s’en mettait partout sur les mains. Il ne savait comment se les nettoyer, alors je lui saisis la main et lui suçait les doigts, un à un. Nous nous regardions les yeux dans les yeux. Rouge comme une tomate, il déglutissait avec difficultés.
Il hésita à le prendre, mais il céda devant mon regard suppliant. Mon doigt dans sa bouche, ce fut certainement le moment le plus fort de ma jeune existence. J’ai su, à cet instant que c’était lui. À le voir s’embraser, je savais qu’il se trouvait dans le même état que moi, et certainement éprouver les mêmes sentiments.
Je ne connaissais rien de l’érotisme, mais ces minutes-là, passées à déguster du miel, les yeux dans les yeux, mon doigt dans sa bouche furent certainement les plus sensuelles de ma longue vie.
Mais comme le dira plus tard le poète, la vie sépare ceux qui s’aiment, nous aurions pu vivre une histoire d’amour comme en vivent les adolescents depuis la nuit des temps. Mais la vie se chargea de nous séparer… sans nous séparer.
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Nous vivions toujours, ma mère et moi, sur le fil du rasoir. À toujours calculer les dépenses, en espérant ne pas avoir une tuile qui nous tombe dessus à l’improviste, car entretenir un manoir comme le nôtre n’était pas une sinécure.
Il se trouve qu’un homme, de trente ans plus âgé que moi, me trouva à son goût. Il trouvait surtout à son goût le château, la respectabilité du titre que portait ma mère, et si en plus il pouvait mettre dans son lit une jeunette, il n’y voyait que des avantages.
C’est ainsi que Maurice Thouviard fit sa demande en mariage le jour de mon dix-huitième anniversaire. Ma mère voyait aussi le bon côté des choses, grâce à sa fortune, nous allions sortir la tête de l’eau. Il dirigeait une entreprise de construction et possédait des parts dans une aciérie.
En y réfléchissant bien je me retrouvais l’enjeu d’un marché, mariée à un homme de trente ans plus vieux que moi. Un homme que je n’aimais pas. Mais l’épouser signifiait voir s’effacer les soucis financiers, disparaître le risque de nous retrouver à la rue, ma mère et moi.
Donc, j’ai dit oui alors que des rumeurs de guerre devenaient de plus en plus pressantes.
Tout se bousculait dans le pays et surtout dans mon esprit. À quelques jours du mariage, je pris ma décision. Je ne me voyais pas perdre mon innocence entre les bras de ce personnage peu sympathique qu’était Maurice Thouviard. Bedonnant, toujours transpirant, au rire gras et au regard sale.
Aussi, une nuit, suis-je allée retrouver Jean. Il logeait dans le petit pavillon près des serres, avec Paul et son épouse. Il y possédait sa propre chambre. Je me revois encore me glisser en douce hors du manoir, et frapper à sa fenêtre. Dire qu’il fut surpris de me voir est un doux euphémisme, je me jetai en larmes dans ses bras. Après une infime hésitation, il me berça, embrassa mes cheveux et me caressa le dos comme on le ferait d’un petit animal apeuré.
Il réfléchit quelques secondes, comme lorsqu’il me choisissait une rose. Pour toute réponse, il m’embrassa sur les lèvres. Un premier baiser plein de retenue et maladroit, mais pur.
Alors que nous nous déshabillions, gauches et impatients, il s’interrompit et me déclara très solennellement : Mademoiselle Mireille, je dois vous avouer une chose, Jean n’est pas mon prénom. Je me prénomme Samuel.
Qu’il se prénomme Alfred, Jean ou Samuel, je n’en avais rien à faire. Je voulais juste faire l’amour pour la première fois avec lui.
Alors, nous sous sommes aimés toute une nuit. Ce fut très beau, très doux, très tendre, du moins pour les deux inexpérimentés que nous étions.
Alors que je disais oui au prêtre, je savais que Jean me regardait, de même lorsque nous dansions dans la grande salle. Je pensais encore à lui quand je me suis retrouvée dans le lit de mon mari. Ce n’était pas une brute, mais bien loin de la douceur et de la délicatesse de Jean.
Puis vint la drôle de guerre. Heureusement Jean ne fut pas mobilisé, car trop jeune de quelques mois. Maurice non plus, lui étant trop âgé. Quand la débâcle se profila, je me trouvais au château, Maurice à Paris pour ses affaires.
Après une période d’incertitude et de tâtonnements, mon mari montra son vrai visage. Il se rangea ouvertement du côté des envahisseurs et des collaborateurs.
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Nous partagions notre temps entre Paris et le manoir, Paris où Maurice avait ses « affaires ». Puis alors que mon ventre s’arrondissait, j’habitais au château à temps plein. Certes je n’avais pas les facilités de la ville, mais nous avions largement de quoi nous nourrir.
Les bruits qui couraient, puis les discussions avec mon époux ne me rassuraient guère sur les intentions de l’envahisseur et sur celles non moins délétères du gouvernement de Vichy.
Les parents de Jean, prudents, craignaient que les choses ne tournent de cette façon. Alors, bien à l’avance ils laissèrent leur fils aux bons soins de leur ami Paul. Il ne revit jamais ni son père ni sa mère.
Terrorisée, je suppliais Jean de fuir, de rejoindre l’Espagne ou mieux la Grande-Bretagne. Mais têtu comme une mule, il refusait systématiquement de partir. Il voulait me protéger, disait-il. Je me réfugiais souvent entre ses bras, lorsque nous étions seuls, bien que je soupçonne Paul et son épouse de se douter de quelque chose.
Jean savait les mots pour me rassurer, je me demandais d’où il tirait cette force, et surtout, qui le rassurait, lui ?
D’aucuns diraient que je trompais mon mari, mais je savais de source sûre qu’il ne se privait pas de faire pareil alors qu’il se trouvait à la capitale. Je ne faisais que lui rendre la pareille.
Mon premier fils, Louis naquit ici, au château.
Puis mon mari eut l’idée lumineuse de loger des officiers de la Wehrmacht ici même. Un Oberst – une espèce de colonel – et ses aides de camp habitaient l’aile nord de notre vieille demeure, nous reléguant dans les communs. En fait, ils s’invitèrent plus qu’il ne les invita, mais ils y mirent les formes, vu ses sympathies.
Une nuit, Samuel revint avec une famille entière, les parents et deux enfants, une famille qui fuyait les arrestations et les exactions de la milice.
Terrorisée à l’idée de nous faire surprendre par nos « locataires », je ne pus cependant me résoudre à les rejeter. Notre château datait de plusieurs siècles et il existait dans le sous-sol des caves, souterrains et peut-être même des oubliettes. Nous avons caché ces malheureux dans une vieille cave voûtée.
Selon Jean, personne ne pourrait imaginer que des juifs puissent se cacher sous les pieds d’officiers de la Wehrmacht. Les souterrains nous servirent bien pour faire circuler ces malheureux à l’abri des regards indiscrets.
Je fus de nouveau enceinte et j’accouchais de mon second fils, Philippe. Et pendant ce temps, d’autres ombres aux regards angoissés transitèrent discrètement dans les sous-sols de notre vieille demeure.
Anonyme dans notre jardin, Jean organisait les passages de mains de maître. Aux familles fuyant les rafles, s’ajoutèrent bientôt des aviateurs anglais et américains. Je vivais dans la crainte de nous faire surprendre. Surprendre avec Jean, surprendre avec des gens fuyant les persécutions, ou alors des militaires alliés. Par je ne sais quel miracle, jamais rien ne fut soupçonné, nous ne fûmes jamais inquiétés.
Vivre sous une telle tension rendait nos étreintes encore plus intenses, nous ne savions jamais si nous ne nous embrassions pas la dernière fois. Nous nous aimions alors comme s’il s’agissait de l’ultime étreinte.
En mil neuf cent quarante-trois, je portais mon troisième enfant, Pierre, ton grand-père. Mais le vent de l’histoire tournait. Les envahisseurs arrogants se trouvaient sur la défensive et n’en étaient que plus dangereux.
J’accouchai au château alors que les alliés arrivaient, repoussaient l’armée allemande. Mon mari était venu me dire qu’il fuyait lui aussi, je ne sais s’il désirait m’emmener avec lui, mais il n’en eut pas le temps, empêché qu’il fût par la résistance et les troupes françaises.
Mon accouchement ne se déroula pas très bien, je faillis perdre mon fils, le médecin m’annonça que je ne pourrais certainement plus avoir d’enfant.
Les évènements s’accéléraient, je fus arrêtée en même temps que Maurice Thouviard, mon mari et collabo bien connu.
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Moi, Mireille Thouviard, née Montfroid, fille d’Iphigénie de la Tour, allait être jugée comme collabo, en compagnie de mon mari. C’est qu’ils ne faisaient guère d’enquête, ces résistants de la vingt-cinquième heure, ils allaient me balancer en prison, peut-être même me tondre.
C’était sans compter Jean. Il remua ciel et terre, retrouvant des gens que nous avions cachés et fait passer en Espagne. Nombre vinrent témoigner, ainsi qu’un colonel de la RAF et un commandant de l’US Air Force.
Ils rabattirent le caquet de ces juges imbus de leur importance. On me libéra avec force courbettes et excuses. C’est suite à ce procès qu’un colonel de la RAF est devenu le parrain de mon dernier fils. On me barda de médailles et de décorations, soit pour m’honorer, ou plutôt pour que j’oublie la façon dont ils me traitèrent.
Maurice échappa à la peine de mort grâce à moi et mes actes, lui servant de caution morale en quelque sorte, mais on le retrouva pendu dans sa cellule. Suicide ou exécution sommaire, nul ne le sut jamais.
Je récupérai les entreprises de mon mari, les fis prospérer. Je créai aussi une fondation avec l’argent qu’il avait spolié pour aider tous ces gens qui venaient de tout perdre.
Je pouvais compter sur Jean pour m’aider dans cette tâche. Il m’a toujours soutenue, conseillée. Et aimée.
Pour ceux qui se demanderaient pourquoi ne pas l’avoir épousé, une seule réponse. Il a toujours refusé, il ne voulait pas passer pour un opportuniste, un profiteur. Ce n’est pas faute de l’avoir harcelé, mais il était têtu comme une mule ! Cela ne nous empêchait pas de nous retrouver le soir, et de nous aimer, émus comme deux adolescents. Personne ne me fit la moindre remarque.
Comme au bon vieux temps, chaque jour il m’apportait une fleur blanche, il tenait à s’occuper du jardin, jardinier à jamais. Il m’a laissée seule il y a presque quinze ans maintenant, avec mes souvenirs.
Aussi, mes enfants, je vous implore maintenant, mettez-moi en terre auprès du seul homme que j’ai jamais aimé. Enterrez-moi auprès de Jean, ou Samuel comme vous voudrez.
Un dernier détail sans importance, avant que vous ne preniez une décision.
J’ai toujours honoré mon devoir conjugal avec Maurice. Mais je connaissais parfaitement mes périodes de fécondité, et je m’arrangeais pour ne pas avoir de rapports avec lui pendant ces jours-là.
Ce qui veut dire que vous mes enfants, Philippe, Louis et Pierre… vous êtes les fils de Samuel.
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Chaque semaine, un bouquet de fleurs blanches est posé sur une tombe toute simple, portant juste cette inscription :
Mademoiselle Mireille et Monsieur Jean