Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 20194Fiche technique11916 caractères11916
Temps de lecture estimé : 7 mn
11/04/21
Résumé:  Un dîner à l'aveugle dans un restaurant d'un genre particulier, où les autres sens viennent remplacer le regard.
Critères:  fh inconnu caférestau cérébral caresses préservati pénétratio yeuxbandés confession -rencontre
Auteur : Ludivine de la Plume      Envoi mini-message
Les yeux fermés




Le concept m’avait séduite d’emblée : un dîner dégustation, les yeux bandés, en écoutant des lectures érotiques. La soirée, organisée par un restaurant libertin de qualité, m’avait été proposée par des amies sensibles comme moi au plaisir des mots et de la concupiscence.


Las, les agendas parisiens étant ce qu’ils sont, elles s’étaient décommandées les unes après les autres, à leur grand regret… et au mien, abandonnée au milieu du gué.

Il était trop tard pour me désister, et puis, après tout, pourquoi ne pas tenter seule l’aventure ? Peut-être même serais-je plus disponible à une éventuelle rencontre…

La soirée était cependant dite « verticale », selon le lexique libertin qui désigne les événements n’impliquant pas de contacts charnels.


Arriver seule n’était pas si facile.

Les autres convives buvant un verre au bar étaient tous en couple.

Par chance une autre personne avait dû venir seule, m’annonça l’hôte des lieux avant de me bander les yeux et de m’accompagner en bas, puis de m’installer à l’aveugle en face du dénommé Florent à qui il me présenta. Nous n’avions tous deux que nos prénoms et nos voix comme points de repère, car comme Florent me l’apprit, il avait choisi lui aussi de se faire bander les yeux à l’étage. D’une voix grave et chaleureuse, il souligna l’origine de mon prénom, Pénélope, disant espérer que ce dîner distrairait mes pensées de l’attente d’Ulysse.


Il s’exprimait avec élégance et sensibilité. Était-il gay ? J’avoue m’être posé la question, m’en voulant aussitôt d’intérioriser un cliché aussi éculé. Sa compagne était malade, il s’était comme moi décidé à venir seul, et se réjouit de ma solitude providentielle.

Nous trouvâmes vite un sujet de conversation dans notre intérêt partagé pour le sexe et le plaisir, sujet inépuisable que les lieux libertins permettent d’évoquer facilement.

Une fois tous les convives installés, nous cessâmes cependant de bavarder pour nous consacrer à l’écoute et la dégustation.


On nous avait invités à nous laver les mains avant de passer à table, et nous mangions avec nos doigts des mets choisis et préparés en conséquence, afin que le toucher fût lui aussi sollicité. L’expérience était surprenante, et me permit de réaliser à quel point la vue nous empêche de profiter pleinement de nos autres sens. Là, le cerveau travaillait sur la base des parfums, des consistances, des saveurs… Il me fallut un moment pour le décider à lâcher prise et renoncer à identifier ce que je dégustais : quelle importance, finalement, qu’il s’agisse de gambas ou de foie gras, de coriandre ou d’anis, de Pessac ou de Chablis ? Pourquoi ne pas me laisser aller à humer, toucher, déguster sans rationaliser ?


Le parallèle avec la sexualité se fit évident : inviter le cerveau à lâcher prise, cesser d’analyser, n’écouter que ses sens…

Entre les plats, le temps allongé par la difficulté d’un service absolument silencieux était comblé par l’écoute d’une histoire érotique, lue à plusieurs voix. Des voix féminines et masculines admirablement posées, sensuelles sans en faire trop, contaient une histoire d’amour à tiroirs, ponctuée de scènes de sexe et de textes érotiques que se lisent les amants.


L’histoire était bien écrite, posant l’atmosphère avec élégance, faisant doucement monter la tension sexuelle, et les textes plus crus lus par les amants s’enchâssaient délicatement dans cette dentelle subtile, provoquant un shot d’excitation auquel mon corps n’était pas insensible. Autour de moi la tension était partagée : je sentais cette densité de silence singulière que crée l’attention extrême, comme lors d’une scène particulièrement forte au théâtre.

L’écoute collective est d’une puissance rare, et le partage à l’aveugle de cette émotion en décuplait l’effet.


La fin du repas me cueillit dans un état d’incandescence avancé.

J’étais quasiment en apnée et mes yeux derrière le bandeau avaient, je le savais, pris la couleur trouble que cet état leur confère.

Le silence régnait encore, le temps que chacun redescende de sa transe.

Mais la tension se dénoua bientôt chez les autres, j’entendis leurs exclamations et leurs paroles exploser, leurs commentaires, leurs avis…

Je ne voulais pas les entendre, je ne voulais pas bouger, pas parler.

Les gens remontaient pour boire un verre au bar, ils parlaient fort, ils agressaient mes sens à vif.

Qu’ils me laissent, qu’ils montent, qu’ils s’éloignent.

Je ne veux pas bouger, je veux rester là.

Combien de temps s’écoula ainsi, je ne sais pas. Mais j’entendis soudain Florent exhaler lentement en face de moi. Lui non plus n’avait pas bougé, n’avait pas parlé.

Je lui souris malgré mes yeux toujours cachés par mon bandeau. J’ignorais s’il avait enlevé le sien.

Mais je savais ce que je voulais.



Lui aussi.

Il se pencha vers moi, je sentis son parfum léger, il prit ma main posée près de moi sur la banquette.

Juste ma main.

Il la posa sur la table, maintenant débarrassée.

Il la caressa très lentement.

Parcourut d’un doigt léger chacun de mes doigts.

Cette caresse si innocente en apparence me procura le même plaisir que s’il caressait mon sexe.

Je soupirai.

Il porta ma main à ses lèvres.

Baisers légers sur le bout de mes doigts.

Je frémis.

De mon index je caressai sa lèvre inférieure.

Il suspendit son souffle.

Je caressai son visage, en parcourus les reliefs sans essayer d’analyser. Étaient-ils harmonieux ou déséquilibrés ?

Je m’en foutais. Je le voulais.

Il se leva, me tenant toujours par la main, m’invitant ainsi à me lever.

Il avait dû enlever son bandeau, car sa démarche était assurée lorsqu’il me guida vers les salons du fond.

C’était exactement ce que je voulais et il le savait.

Il m’adossa aux pierres irrégulières du mur, juste à l’entrée du salon, et prit mon visage dans ses mains pour m’embrasser.


J’étais en totale ébullition quand je lui rendis son baiser. Sa langue était douce, mais impérieuse quand elle pénétra ma bouche, se fit plus légère pour parcourir mes lèvres. Mon sexe pulsait entre mes jambes et je sentais la cyprine couler le long de ma cuisse. Le sien s’appuyait contre mon ventre et j’aimais le sentir dur contre moi.

Il s’approcha de mon oreille et murmura d’une voix très douce :



Je répondis sur le même ton :



Ce furent presque nos seules paroles.

Nous ne parlâmes plus quand il m’enleva mon caraco de soie pour effleurer de la paume de sa main la pointe de mes petits seins érigée par le désir. Quand il se pencha pour en mordiller le bout. Plus fort. Puis plus fort encore. Mes soupirs et mes gémissements seuls le guidèrent quand il souleva ma jupe et toucha ma fente trempée du bout de ses doigts, puis en entra un avant de le humer et de le lécher, ce que je devinai aussi clairement que si je le voyais faire.

Quand je détachai sa ceinture et sortis de son pantalon sa queue tendue, quand j’en caressai le gland du plat de ma paume, nous ne prononçâmes pas un mot.

Mais quand il s’agenouilla pour m’enlever ma culotte puis commença à me lécher, je l’interrompis :



Et j’ajoutai, faussement contrite :



Arrivée à un certain point d’ébullition, j’ai besoin d’une chose et d’une seule et cela peut parfois me rendre impérieuse…

Il ne s’en formalisa pas et me répondit :



Mais je me tus.

Plus un mot ne fut prononcé quand il approcha sa queue de mon orée, me caressa tout doucement de son gland tandis que je commençai à trembler d’impatience, me fit attendre, me tantalisa, joua avec mon clitoris et mon envie d’être pénétrée, rentra juste le bout, puis le retira. Encore et encore.


Mais je criai quand il s’enfonça enfin jusqu’à la garde et s’immobilisa tout au fond en m’embrassant puis me mordant la nuque. Je criai de plus belle quand il se retira, me faisant sentir toute sa longueur, puis quand il revint et répéta ce mouvement profond. Encore et encore.

Je criai plus fort quand il intensifia ses va-et-vient, plus vite, plus fort, plus loin.

Et j’explosai de plaisir et de jubilation quand il crispa ses doigts sur mes hanches et que je le sentis s’abandonner au fond de moi, son corps marquant les à-coups de son plaisir.

Je frissonnai quand il se retira doucement, et tremblai sur mes jambes jusqu’au canapé où je me laissai tomber, secouée par les vagues du plaisir d’après, comme autant de répliques d’un tremblement de terre.

Assis près de moi, il me caressait les cheveux tandis que je reprenais mes esprits.


Quand il voulut enlever le bandeau de mes yeux, je parlai à nouveau.



Il me fallut encore un peu de temps pour redescendre des sommets du plaisir et remonter l’escalier vers la réalité.

À l’accueil, je ne trouvai pas de carte de Florent me laissant son numéro.

Peut-être l’avais-je vexé ?


Un taxi libre stationnait juste en face.

Le chauffeur, un beau gosse mat de peau au regard pénétrant, me demanda d’un air entendu si j’avais passé une bonne soirée. Il devait connaître l’endroit…



Le parfum qui flottait dans l’habitacle me parut curieusement familier, mais j’étais trop fatiguée pour chercher à l’identifier.



J’allais le rembarrer poliment quand son œil pétillant dans le rétroviseur m’interpella.

Et sa dernière phrase résonna dans ma mémoire. En écho avec d’autres mots prononcés à mon oreille quelques instants plus tôt.

Par la même voix.

Nos regards se croisèrent dans le rétroviseur.

La prochaine fois était déjà là.