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n° 20209Fiche technique36455 caractères36455
Temps de lecture estimé : 22 mn
17/04/21
Résumé:  Des lunettes qui tombent m'ouvrent les yeux sur une femme remarquable.
Critères:  fh travail amour pénétratio -rencontre
Auteur : Roy Suffer  (Vieil épicurien)            Envoi mini-message
Clin d'œil




Des fois les lunettes, c’est chiant ! Et celles-ci le sont particulièrement. Je les mets correctement en place et une minute plus tard elles sont sur le bout de mon nez. Bon, pas totalement stupide, j’ai bien essayé d’augmenter le serrage des branches. Résultat, ça tient un peu mieux, un peu, mais ça me blesse derrière les oreilles, de ces irritations lancinantes qui vous pourrissent la vie pour une piètre efficacité. Je trouve le temps de passer chez l’opticien et de râler poliment.



J’attends, en poussant toujours mes lorgnons de l’index pour les remonter. Vraiment pas glop ! Je ne vous dis pas comment c’est pénible pour bricoler ou jardiner. La galère ! Et en plus avec des mains sales ou des gants, bonjour le maquillage… Une grande fille se pointe, la démarche nonchalante, elle aussi porte des lunettes. Une cliente ? Une touriste de passage ? C’est vrai qu’elle pourrait bien débarquer d’un pays nordique, vu sa taille, ses cheveux blonds et ses yeux… Rhaaah ! Difficile à dire ses yeux… Bleus ? Gris ? Bleu-gris ? « T’as de beaux yeux, tu sais », c’est juste ce qu’on a envie de lui dire. Quant au reste, mamma mia ! Ce qui saute aux yeux, même avec des lunettes baladeuses, c’est la gigantesque olive qui part de ses genoux pour aboutir sous sa poitrine. Un ovale parfait, enrobé dans une robe de lainage gris à côtes verticales, autrement dit « une chaussette » qui la moule à la perfection. Une poitrine sans autre prétention que d’être haute et bien serrée, un col cheminée très large, un collant blanc et des bottines noires. Magnifique ! Elle s’assoit face à moi et me demande :



Elle se lève, regarde derrière mes oreilles puis se penche vers mon visage, relève mes lorgnons avec ses longs doigts fins aux ongles très longs et très soignés. J’ai son ovale parfait en fond et ses yeux extraordinaires en gros plan. Bleus, clairs au centre, foncés au pourtour finissant sur un gris anthracite. Un peu de rimmel agglomère de longs cils, faisant de l’ensemble d’improbables étoiles.



Elle prend mes lunettes et s’en va. Je la regarde s’éloigner, aussi superbe de dos que de face. Taille haute et fine, fesses très marquées s’inscrivant dans cet ovale fascinant. La démarche est tranquille, les jambes longues et assez fines, mais néanmoins musclées, un port altier semblant dominer le monde. Il me faut bien attendre une dizaine de minutes à me faire chier en contemplant en flou le magasin et les passants dans la rue. Elle revient enfin et me demande de me lever. C’est vrai qu’elle est presque aussi grande que moi avec ses talons. Elle met mes verres en place, teste les branches, ajuste la position en soufflant « regardez-moi », ça c’était inutile. Puis elle se recule de trois pas.



Elle reprend mes lorgnons et dans ce geste je remarque à son doigt une superbe bague composée d’une pierre verte, une émeraude vraisemblablement, montée sur un petit dôme d’or blanc entouré de petits diamants. Je lui saisis la main au passage :



C’est une petite maison de ville, coincée entre deux autres, juste une porte d’entrée et une baie sur la rue, une dizaine de mètres de profondeur donnant sur un petit jardin. De quoi faire un living traversant avec cuisine intégrée au rez-de-chaussée et deux chambres à l’étage. J’ai fait virer tout l’intérieur vétuste et couler deux dalles de béton qui consolident le tout. J’en suis au placo et aux finitions, le plombier a passé ses tuyaux, l’électricien ses câbles. Mon premier achat a été la porte d’entrée et la baie avec volet roulant pour protéger des intrusions. Elle se pointe vers dix-huit heures quinze.



Putain, ce cul à hauteur de mon nez ! Vraiment superbe. Nous arrivons sur le palier.



On y a passé dix week-ends, vingt jours de pur bonheur. Parce que cette grande fille est aussi adorable en salopette qu’en robe chaussette, parce qu’elle est courageuse et gaie, parce qu’elle n’a pas hésité une seconde à sacrifier ses ongles pour la bonne cause, malgré des gants de ménage. On a chanté avec la radio, on a ri, on s’est un peu battu avec des restes de chaux. Mais on a aussi dégagé une ancienne trace de porte qui devait permettre de communiquer avec la maison voisine et qui fera une niche sympa. Pendant les autres jours de la semaine, les entreprises avançaient. Les maçons ont monté deux murs de parpaings et ont coulé une terrasse de béton dessus, le menuisier est venu poser des baies coulissantes en bas, une main courante et une terrasse bois en haut. Les palettes de comblanchien ont été livrées juste quand nous eûmes terminé les murs et j’ai pu me lancer dans la pose du travertin au rez-de-chaussée. J’ai mis plus de temps dans le couloir et les toilettes que dans le living à cause des découpes, mais le résultat était assez bluffant. Montage de la cuisine, papiers peints et peintures, dernières finitions et la Miss Océane put enfin emménager dans son « palace », et moi toucher mon premier loyer.


Il lui fallut quelque temps pour s’organiser, d’autant qu’elle ne voulait utiliser dans cette maison « neuve » que des choses neuves, ou du moins nouvelles. A priori, ça n’avait rien de difficile parce qu’elle ne possédait pas grand-chose dans sa chambrette, proportionnellement louée à prix d’or, quatre cents euros. Elle eut recours tout de même à Emmaüs et « Troc de l’Île », mais, quand je reçus l’invitation à la pendaison de crémaillère, j’avoue avoir été épaté. Je ne m’étais pas mis sur mon trente-et-un, mais quand même, au moins trente et demi. Je m’attendais en effet à rencontrer un tas d’inconnus, peut-être de la boutique d’optique ou de ses amis et famille du nord.



Là, je dois des explications. « Comment ? Passer tous ses week-ends avec un canon sans la sauter ? T’as viré ta cuti ou alors tu nous racontes des craques ? En fait, c’est un vrai boudin… » Mais non, ce n’est pas vrai. Bien sûr que le sujet est venu sur le tapis, bien sûr que j’ai tenté ma chance. Mais je me suis cassé le pif ! Elle n’est pas homo non plus, mais plutôt handicapée sexuelle. Elle m’a juste expliqué avoir eu des expériences navrantes et n’être pas prête à recommencer. Je n’ai pas insisté, on a gagné du temps et je crois, pour elle en tous cas, un regain d’enthousiasme. Les choses étaient posées, on n’y revenait pas, notre relation était claire.



Champagne et toasts de foie gras, saumon fumé aux pointes d’asperges, douzaine d’escargots avec fagot de haricots verts, charlotte aux fraises.



Étagères métalliques récupérées et repeintes, quelques pots et jardinières, c’est charmant, surtout avec les derniers rayons du soleil en train de se cacher derrière les maisons du fond. Elle semble heureuse, à la fois détendue et excitée. Détendue parce qu’elle se sent bien dans le nid qu’elle a en partie conçu, et qui est une réussite d’équilibre entre rustique et modernité, excitée parce qu’elle a encore plein de projets.



Elle va mettre de la musique, un CD genre discothèque, la soirée pré-mâchée. Peu importe, elle se niche dans mes bras et c’est bon. Cette grande fille souple ondule contre moi, valse, tango, marche, lambada puis la série de slows, interminable et dévastatrice. Elle pose son front sur mon épaule, sa joue contre la mienne, nous bougeons à peine et je bande comme un bonobo. Elle ne peut pas ne pas le sentir, pire, elle se colle à moi comme l’autre partie d’un velcro. À croire qu’elle aime ça, une forme d’hommage à sa beauté… Le CD s’arrête, on reste debout l’un contre l’autre… Et puis les vannes s’ouvrent :



Ses larmes traversent ma chemise et son rimmel y laisse des taches. Elle se recule prestement :



Elle est bien cette chambre, vraiment bien. Spacieuse, claire, charmante, à son image. Lit de fer peint en blanc, voile simulant un petit ciel de lit, couvre-lit, rideaux assortis, sur un guéridon nappe de cretonne à petites fleurs sur fond blanc. Elle me fait descendre sa fermeture à glissière, elle ne porte sous son fourreau qu’un brésilien qui souligne à merveille son bassin, haut et large, et cette culotte serre la taille fine en décrivant un V profond. Vite envolée. Elle est bien plus belle que je ne l’imaginais, à la fois longue et fine, mais charnue et musclée. J’en prends plein les mirettes.



Ô Rodin, Maillol et consorts ! Je reconnais votre talent, mais il est bien pâle au regard de celui de la nature. Jamais vos bronzes ni vos marbres, fussent-ils de Carrare, n’offriront à mes mains ce toucher à la fois tiède et tendre, jamais mes doigts écartés se succéderont à coucher une pointe de sein aussitôt redressée, encore plus drue qu’avant, jamais vos œuvres pourtant magnifiques n’auront ce duvet si ténu, blond à en être transparent, qui donne déjà le contact juste avant le contact. Sculpturale Océane, les dieux des arts se sont penchés sur ton berceau. Je n’ose rien d’autre pendant de longues minutes que de parcourir de mes doigts étonnés les plus belles courbes qui leur soient offertes. Jamais une statue ne tendra le cou et la main pour saisir mon sexe et s’en délecter. De « L’origine du monde », jamais gouttes de cyprine ne couleront dans ma bouche avide. Et ce corps qui vient au corps à corps, cherchant sans relâche à augmenter l’aire de contact, m’enveloppant de toute son infinie douceur et de sa souplesse de liane, comme un besoin vital qui nous fait rouler l’un sur l’autre, l’un dans l’autre. Pas de figures libres, pas de figures imposées, pas d’inventaire du Kamasutra, rien qu’une intense sensualité partagée indéfiniment, jusqu’à notre épuisement total. Le sommeil nous emporte, le réveil nous ressoude jusqu’à la fin du dimanche. Je rentre chez moi éberlué, les lèvres usées, la gorge sèche, les couilles vides, les tempes battantes. Je ne savais pas qu’une telle fusion puisse exister, je ne suis plus que scories…


Le pire, c’est que la magie fonctionne encore le week-end suivant. Cette fois, c’est moi qui invite. Elle ne connaît pas encore ma grande maison, avec son grand jardin. Trop peut-être, mais vestiges d’une autre vie et témoignage d’efforts importants que je n’ai pas eu envie de solder à l’encan. Elle aime. Quand les nécessités vitales parviennent à nous désunir, nous décidons d’une petite balade, histoire de refaire le plein d’oxygène. L’occasion de discuter. Nous sommes à l’évidence deux adultes responsables, un peu surpris par ce qui leur arrive, mais conscients de nos engagements respectifs, des impératifs de la vie, du travail. Pour elle surtout, il faut qu’elle garde le temps de travailler, de préparer ses unités de valeur. Elle a pris des vacances en juin pour aller en Belgique passer les épreuves. Il faut qu’elle réussisse. Pas question donc de vivre ensemble ; ni même de consacrer tous les week-ends à notre folie amoureuse. Un sur deux, c’est bien, une fois chez toi, une fois chez moi. Et cet espacement semble renforcer encore l’impérieuse attraction qui nous anime, ça devient démentiel.


Elle revient ravie, elle a validé son master de médecine. Plus que… quatre ans de spécialisation en ophtalmologie ! Une éternité… Et elle va devoir passer deux ans à l’université à plein temps, à Bruxelles, sans salaire bien sûr. Nous décidons donc de la déménager chez moi. Elle trouve une nouvelle locataire pour sa petite maison, une de ses collègues en plein divorce qui lui rachète ses meubles. Impeccable. Les deux autres années seront en stage, elle espère pouvoir l’effectuer en France, elle touchera une rémunération.




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Ses cheveux défaits flottent au vent, dégageant son profil de médaille. Je ne me lasse pas de la regarder arpenter cette dune parmi les oyats et les panicauts. Ses longs bras, ses jambes interminables, ses fesses pommées, ses petits seins encore tout drus, ses yeux étranges contenant toutes les couleurs de la mer du Nord, toutes ces paires entre lesquelles je trouve un bonheur absolu et intact, un plaisir total et sans cesse renouvelé. Elle est heureuse, visiblement, ces dunes sont « ses » dunes, ces plages sont « ses » plages, cette mer est « sa » mer. Nous y venons aussi souvent que possible, logeant chez la belle-famille, des gens du nord merveilleusement accueillants.



Je croyais que « rentrer » voulait dire juste chez ses parents. Mais non, là elle fait les valises et dit au revoir à sa mère.



Nous n’avons même pas posé les valises à la maison, direct à son cabinet, elle a toujours une clé dans son trousseau. Elle commence par me mettre des gouttes pour dilater la pupille et un anesthésique léger. Elle me colle une loupe sur l’œil et en scrute le fond. Elle est belle, concentrée, précise.



Elle m’injecte un liquide de contraste dans le bras, de la fluorescéine. Après un moment d’attente, je repasse dans ses appareils. Sur son écran s’affichent des images rondes du fond de mon œil. On dirait une photo du sol de Mars pour l’une, un feu d’artifice pour l’autre.



Elle m’a fait une ordonnance. Le lendemain je suis allé chercher le produit. Putain ! Huit cents boules une petite ampoule genre pipi de mésange ! Ils exagèrent les salauds. Heureusement pour moi qu’il y a la sécu, mais il ne faut pas chercher les causes de son trou financier.


Gouttes d’anesthésique. Elle me fait la toilette à la bétadine, me voilà à moitié chinois ! Re anesthésique.



Elle me pose un champ opératoire percé d’un trou et le déplie. Elle me place un écarteur sous les paupières, désagréable. Nettoyage de l’œil à la bétadine, puis rinçage au liquide physiologique. Je l’entends tapoter sa seringue pour éliminer les bulles et elle entre dans mon champ de vision. Une main tient un petit gabarit en plastique, l’autre la seringue. Putain j’ai les boules !



Elle approche le gabarit. Elle doit piquer à 4,5 mm du bord de l’iris, un boulot de précision. Ça y est, la seringue approche. Oh putain ! Anesthésie oui, mais je sens bien l’aiguille toucher mon œil. Le globe s’enfonce, se déforme, résiste, et puis toc… l’aiguille entre.



Elle appuie sur le piston, des volutes rosâtres envahissent ma vision, c’est assez joli. Elle retire la seringue. Encore un petit coup de bétadine sur le trou, et c’est fini. Ouf !… Elle enlève l’écarteur, re-ouf, et retire le champ opératoire puis m’essuie.



Je me relève, j’arrache blouse, charlotte et cache-pieds. Elle est assise devant son ordi, toujours harnachée et masquée, le visage dans une large compresse, sanglotant à bas bruit.