n° 20323 | Fiche technique | 12788 caractères | 12788 2185 Temps de lecture estimé : 9 mn |
17/06/21 |
Résumé: Le syndrome des cœurs brisés | ||||
Critères: #nonérotique #policier #vengeance #confession fh frousses rousseurs inconnu fdomine exhib strip nopéné attache | ||||
Auteur : radagast Envoi mini-message |
Lors du Salon du Livre à Paris, je travaille sur le stand de ma maison d’édition. Des auteurs viennent y dédicacer leurs derniers ouvrages, discuter avec les lecteurs ou des critiques, et moi je tiens la chandelle en quelque sorte, n’étant que l’assistant de l’agent littéraire. Je veille à ce que le romancier ait toujours un verre d’eau ou une tasse de café à portée de main ainsi qu’une réserve de stylos planquée près de moi.
En gros je me fais suer, mais il faut toujours faire sérieux et avoir l’air concerné par ce qui m’entoure et ceux qui m’interpellent. L’auteur… Mon supérieur… Les visiteurs… Les journalistes qui demandent un entretien avec l’écrivain… Ou encore le type qui cherche les toilettes.
Le soir je m’isole de toute cette agitation en allant dîner seul dans un restaurant sans prétention, à l’écart de ce microcosme. Puis je vais prendre un dernier verre, toujours seul, au bar d’un pub où j’ai mes habitudes. La barmaid me connaît, nous échangeons souvent quelques avis sur l’un ou l’autre des clients.
J’ai une admiration sans bornes pour cette profession, non seulement ils vous concoctent de somptueux cocktails, mais sont aussi capables de définir le profil psychologique d’un client qui commande un verre. À l’abri derrière leur bar, ils analysent avec efficacité les rouages de l’âme humaine.
Accoudé au bar, un élégant assemblage de verre et de métal en arc de cercle qui trône au centre de la pièce, j’observe les quelques souris et rats de laboratoire qui s’agitent aux tables, au son d’une douce musique de blues.
Nous discutons souvent ensemble car elle connaît mon secret, j’aimerais me lancer dans l’écriture, moi aussi, et je viens ici pour imaginer les vies rêvées des clients.
Le gars qui comme moi cherche à oublier les soucis quotidiens en essayant de lire l’avenir dans un verre de whisky ; le vieux beau, soit patron ou directeur d’une entreprise qui se ramène avec sa secrétaire très jeune et court vêtue ; le type ou la femme qui cherche une âme compatissante avec qui passer quelques heures voire une nuit, histoire de briser la solitude.
Toutes les têtes masculines se tournent vers elle et la détaillent comme le « loup » de Tex Avery. Les femmes voient arriver une rivale potentielle, sauf Cynthia qui se verrait bien sous la couette avec elle.
Effectivement la sublime rousse s’avance vers le bar. Tout dans son attitude et sa façon de marcher me fait penser à une lionne. Le port de tête altier, la démarche féline, la longue crinière de feu et ses prunelles d’ambre. Des grincheux vont dire que les lionnes ne possèdent pas de crinière… et alors ? Je fais ce que je veux !
Elle ne s’assied pas à mes côtés mais pas trop loin, laissant un siège d’écart entre nous, pour sauvegarder les apparences.
Elle possède une voix rauque et grave, qui se marie bien à sa personnalité, une sonorité de félin qui feule. Un type accoudé au bar à quelques mètres de là lève son verre en guise de salut. C’est à peine si elle lui accorde un regard méprisant.
Elle trempe les lèvres dans son breuvage, je ne peux m’empêcher d’admirer sa bouche pulpeuse légèrement recouverte de gloss couleur corail. Elle m’observe à la dérobée, je m’attends à me faire renvoyer à mes chères études comme l’autre blaireau tant elle semble sûre d’elle.
Elle s’amuse de mon embarras.
Elle reprend une gorgée de son cocktail et me murmure de sa voix rauque :
Elle hésite quelques instants.
****
D’aussi loin que je me souvienne, nous avons toujours été fusionnelles, un peu comme des jumelles. À part que nous étions juste des sœurs avec trois ans d’écart. Moi l’aînée et elle la petite, moi rousse, elle blonde comme les blés en été.
Elle me suivait partout, calquant ses moindres gestes sur les miens, j’étais la grande sœur, qu’il fallait imiter. J’étais la grande sœur qui protégeait, qui montrait le chemin, la bonne voie.
Certes, parfois le fardeau était lourd, mais que n’aurais-je fais pour elle. L’aider à faire ses devoirs, la protéger des harceleurs, lui apprendre à se maquiller ou entendre ses premiers émois amoureux.
Je me confiais aussi à elle, lui disant mes espoirs, mes rêves, mes aspirations. Je songeais à faire des études de droit, devenir une avocate renommée.
Elle désirait aider les autres, être médecin ou chirurgien. Nous le pouvions, rien n’aurait su nous arrêter lorsque nous étions ensemble, lorsque nous nous soutenions mutuellement.
Nous avions des moments de faiblesse, des instants de doute, que nous surmontions à deux. Quelquefois des engueulades, des prises de bec qui ne duraient jamais.
J’étais sa confidente, elle était la mienne.
Puis un jour elle fit des cachotteries. Je le savais car je la connaissais aussi bien que moi. Des périodes de silence, un sourire rêveur, de l’inattention, son esprit vagabondait par monts et par vaux. Elle était amoureuse, elle venait de rencontrer un homme et n’osait me l’annoncer, voulant certainement garder son amour secret, ne pas le révéler tout de suite au grand jour. Conserver la révélation pour un peu plus tard.
Je respectais ses volontés, jusqu’à un certain point. Garder un secret secret, je voulais bien, mais encore ne fallait-il pas trop abuser. À ma grande honte, je l’ai suivie, espionnée à la manière d’un détective privé.
Je les ai vus tous deux en train de s’embrasser dans un parc, puis aller dans un bar. Il était séduisant, plus âgé qu’elle, mais possédait un je ne sais quoi qui me mettait mal à l’aise, me laissait une étrange impression de gêne.
Non pas dû au fait que j’espionnais ma petite sœur, mais le personnage lui-même me troublait. Trop beau. Trop apprêté. Trop sûr de lui. Pas assez amoureux à mon goût, il semblait jouer un rôle.
Je lui laissais cependant le bénéfice du doute.
Bien mal m’en prit. Il lui donna rendez-vous un soir dans leur bistrot préféré, elle croyait qu’il allait lui demander de vivre avec lui, lui offrir une bague et un dîner romantique…
Il vint avec sa nouvelle conquête, il ne faisait que ça, séduire une fille, profiter d’elle et la jeter ensuite sans ménagements. Ma sœur ne supporta pas l’épreuve, elle croyait en ses rêves, il ne lui offrait qu’un cauchemar.
Un médecin de garde aux urgences prit le temps de m’expliquer les causes du décès de ma sœur. Et j’appris un nouveau mot. Très poétique s’il n’était si cruel : Tako Tsubo, c’est du japonais. Une cardiomyopathie due à un stress émotionnel.
On l’appelle aussi Syndrome des cœurs brisés. Le ventricule se déforme pour finir par ressembler à un piège à poulpe, le fameux Tako Tsubo.
Ma sœur mourut sous les yeux de son amoureux, ou plutôt de son assassin. Personne ne savait que faire, les secours arrivèrent trop tard. En fait, ce soir-là il y eu deux morts : ma sœur et l’enfant qu’elle portait.
Je faillis me laisser périr moi aussi, de chagrin, de tristesse. De désespoir. Puis la colère prit le dessus. Pis que la colère : la haine.
Je me mis à sa recherche tel un fauve. Je ne l’avais vu qu’une fois, dans une foule, mais je n’oublie jamais un visage. Je connaissais ses lieux de chasse de prédilection. Là où il sélectionnait ses proies, paradant tel un paon parmi de jeunes femmes éblouies par son bagout, sa faconde.
Je mis un an à retrouver sa trace, puis quelques mois à l’observer agir envers d’autres victimes afin d’étudier son modus operandi. Il séduisait une innocente, lui faisait miroiter une vie de luxe et de luxure. Pour la jeter sitôt une nouvelle proie repérée.
Quand je fus sûre de moi, et après moult préparatifs je tendis mon piège, avec moi pour appas.
Je m’arrangeais pour croiser son chemin, me retrouver dans les mêmes lieux au même moment, tout en l’ignorant royalement.
Ce macho m’as-tu-vu ne pouvait qu’être stimulé par mon manque de réaction. Le monde ne tournait plus autour de lui et cela le perturbait… pauvre chou !
Il rusa tel un renard autour d’un poulailler, se rapprochant de moi à pas de velours. D’abord des mots échangés, des sourires, puis enfin il me proposa un café. En tout bien tout honneur.
Plusieurs fois par semaine nous nous retrouvions le midi ou le soir pour discuter de tout et de rien. Il sauta le pas un mois plus tard en m’invitant à partager le repas de midi. Il travaillait comme courtier dans une société d’assurance, paraît-il.
Puis, les jours passant, comme le courant entre nous, il m’invita un soir au cinéma, puis dans restaurant renommé. Après le premier baiser chaste échangé à la sortie du restaurant, il devint plus entreprenant.
Je lui avais avoué aimer le théâtre, aussi m’invita-t-il à une représentation d’une comédie romantique, La dégustation. Je m’étais apprêtée pour l’occasion, une robe fourreau noire largement décolletée, fendue sur la jambe, une étole en soie sur les épaules, mes longs cheveux roux cascadant négligemment sur mon dos, je lui faisais de l’effet, ainsi qu’à d’autres mâles de l’assistance, ce qui le rendait nerveux et jaloux.
Feignant l’innocence en personne, je l’invitai à prendre un dernier verre chez moi. Ce qu’il accepta avec empressement. Aussitôt la porte fermée il m’embrassa comme un mort de faim qui se jetait sur un jambon beurre. Je l’emmenai vers ma chambre où je le déshabillai. Allongé sur le lit, il me regarda effectuer un strip-tease très sensuel. Strip-tease rapide car à part un tanga très coquin, je ne portais rien d’autre qu’une paire de bas autofixants.
Son érection devint encore plus tendue lorsqu’il découvrit ma toison rousse taillée au cordeau, ce pourrait devenir le titre d’une nouvelle : Comment faire perdre la tête à un mâle.
Comme promis, je lui offrais un dernier verre, et tandis qu’il dégustait son Armagnac, je lui cajolais le perce-neige et les deux clochettes. Son vilebrequin vibrait entre mes doigts, je me faisais forte de le faire venir entre mes mains. Son souffle s’accéléra, ses yeux se révulsèrent tandis qu’il se libérait, sombrant dans ce que l’on nomme la petite mort.
Il mit un peu de temps à reprendre ses esprits. Il faut dire que j’avais ajouté quelques gouttes de tranquillisant à son breuvage. Il affichait toujours un sourire béat quand le lui passai les menottes aux poignets, menottes bien attachées à un piton planté dans le mur.
Il me fixa l’air étonné alors que je me rhabillai.
Son sourire vacilla alors qu’il essayait de deviner mes intentions.
Il commençait à paniquer et s’agiter sur le lit.
Alors que je refermais la porte je l’entendis hurler : Reviens, salo…
J’avais loué l’appartement au nom d’une société bidon. Le propriétaire ne rechignant pas à se faire payer trois trimestres d’avance en liquide.
Les meubles ? Achetés dans une ressourcerie, lui donnaient un cachet de maison vivante, ne ressemblant pas à un appartement témoin avec tables, commodes et bahuts sentant encore le neuf, presque sous emballage.
Le tout, là aussi, payé cash, en liquide.
Quand le proprio ne verra plus rien venir, je serai loin, à lécher mes plaies.
****
Lorsque je reprends mes esprits, elle a payé nos consommations et laissé un pourboire conséquent à Cynthia. Deux billets de cent euros traînent sur le comptoir. La narratrice doit déjà être loin. À côté de mon verre traîne un trousseau de clefs.
Je ne sais que faire… retrouver un type coincé dans un appartement inconnu dans une ville de quinze millions d’habitants…
Ou retrouver une sublime rousse dans la même ville de quinze millions d’habitants ?