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n° 20345Fiche technique20213 caractères20213
Temps de lecture estimé : 12 mn
02/07/21
Résumé:  Un amour fusionnel contre toute barbarie
Critères:  f ff uniforme bizarre travail amour -lesbos
Auteur : calpurnia            Envoi mini-message
Le jour venu




La docteur Tania C. pratique son métier d’une manière très particulière. Elle travaille dans une prison de Colombus, Ohio. Ex-docteur, faudrait-il préciser : les médecins qui participent activement à des exécutions capitales le font en violation du serment d’Hippocrate. Ils perdent ainsi leur droit d’exercer.


Cette nuit, elle a ainsi posé les cathéters sur les bras d’une jeune femme, Sabrina, jugée coupable de plusieurs meurtres au premier degré, c’est-à-dire avec préméditation. Sabrina était d’une grande beauté. La tueuse en série ne s’est pas rebellée… pas plus qu’elle ne s’était réellement défendue devant ses juges. Ni injures ni supplications le moment venu. Elle semblait indifférente à son propre sort, comme si pour elle, la vie – la sienne comme celle de ses victimes – ne valait plus rien.


Tania vit avec Abigaïl dans une petite maison délabrée située en retrait de la cité, au milieu des champs de soja. Le jour se lève. Cette journée de début d’automne sera ensoleillée. Tania rentre chez elle après une éprouvante nuit de travail. Dans son rétroviseur s’éloigne peu à peu la forme obscure de l’enceinte surmontée de barbelés et piquetée des feux des projecteurs. Un autre monde situé hors du temps, où presque toute humanité se trouve abolie. Sur le volant, les mains tremblent légèrement, comme après chaque exécution. Avant, elle exerçait comme médecin militaire. Elle est allée en Somalie, en Irak, en Afghanistan, a connu les poussées d’adrénaline lors des attentats sanglants. Puis une erreur médicale tragique l’a mise sur la touche. À cinquante ans, après une vie trépidante d’aventures sous la bannière étoilée, elle a répondu à une offre d’emploi. Il faut bien vivre. Ses cheveux d’un brun très sombre sont devenus gris en quelques mois. Elle est revenue dans l’État où elle a vu le jour. Sa fidèle Abigaïl l’y attendait, comme au retour de chacune de ses permissions, mais cette fois pour ne plus bouger.


Abigaïl ne dort pas. Elle a veillé toute la nuit, regardé les étoiles, lu de la poésie, écouté de la musique. Elle ne dort jamais lorsqu’elle sait que son aimée procède à une injection létale. Ils en ont parlé à la télé locale. Mais Tania reste toujours dans l’ombre, loin des journalistes, c’est la règle, pour sa sécurité. Abigaïl prépare une tarte à la rhubarbe, celle que sa compagne préfère. Les petites mains blanches aplatissent la pâte sablée avec le rouleau, avec soin, pour que le cercle soit régulier, d’une épaisseur constante. Dans l’aurore, la radio chantonne en sourdine. Elle n’a pas d’emploi. Le couple vit modestement, ne part que rarement en vacances. Elles ont presque le même âge.


Leur porte n’est pas verrouillée. Tania entre silencieusement, enlève aussitôt des chaussures. Peut-être qu’Abigaïl dort cette fois-ci ? Ne pas la réveiller. Ne pas lui faire porter ce poids…


Devant le plan de travail de la cuisine, Abigaïl lui tourne le dos. Elle n’entend pas sa tendre amie s’approcher d’elle. Tania se fige, contemple à contre-jour la silhouette aimée. Les reins gracieux, les fesses fines. Tania est massive, tandis qu’Abigaïl est menue, légère comme un rayon de soleil. Tania prend Abigaïl par les hanches, doucement. Surprise, celle-ci pousse un cri aigu. L’odeur chaude du corps, la sueur, l’attente, mêlée à celle du sucre qui chauffe avec la rhubarbe dans une casserole : Tania se sent mieux, la sève de vie remonte en elle, comme après un long hiver.


L’ex-médecin éprouve une envie brûlante de cette chair vivante. Les cadavres ne désirent plus rien, se dit-elle. Tout à l’heure, elle voulait prendre d’abord une douche pour évacuer l’exhalaison maudite de la prison sur sa peau, mais ce sera pour plus tard. L’image de Sabrina en tenue orange se superpose à celle d’Abigaïl, qui prend soin de ne jamais porter cette couleur maudite. Tania aurait préféré que la condamnée se rebelle, résiste à l’exécution, se débatte, lui rende le travail difficile. Elle n’a pas entendu un cri, pas un sanglot, à peine un souffle, et puis plus aucun battement de cœur dans le stéthoscope. Les brebis menées à l’abattoir en toute obéissance la glacent.


Les grandes mains de Tania se promènent sur le corsage, trouvent les petits seins libres sous le tissu. Ces grandes mains avides défont le bouton du haut, puis un second. Abigaïl bascule sa tête en arrière. C’est sa manière à elle d’exprimer son accord pour l’étreinte.

Le sucre est en train de devenir caramel, et la rhubarbe de roussir. Pas grave. Tania n’a pas faim, cette fois-ci. En d’autres occasions, elle aurait dévoré tout le contenu du réfrigérateur. Elle ne laissera pas Abigaïl couper le feu sous la casserole. Pas le temps, pas même celui de passer aux toilettes. Un autre incendie est en cours, en bas du ventre. Le désir est une urgence absolue.


Tania malaxe les seins, pince les tétons, fermement. Ce sont deux beaux oiseaux de chair ardente, fins comme ceux d’une adolescente à peine formée. Abigaïl adore ce geste qu’elle accompagne. Prolongée, cette caresse pourrait la conduire à l’orgasme mammaire. Sauf lorsqu’elle est en période de règles ou juste auparavant, auquel cas cela provoque une douleur. Tania, elle, a déjà eu sa ménopause, depuis sa première exécution. Le corsage est maintenant déboutonné jusqu’en bas. Tania le retire, et plaque le buste de sa compagne sur le plan de travail, une main sur le cou, comme une policière procède à une arrestation, cependant avec douceur. Elle a vu des agents des forces de l’ordre pratiquer cela sur des suspectes, avant de lier les poignets dans le dos, et trouve ce geste très sexuel. Mais elle ne possède pas de menottes. Abigaïl se livre entièrement, se laisse porter en confiance, tout son corps offert pour sa faunesse affamée. Elle sait qu’entre les mains aimantes de Tania, aucun mal ne peut lui arriver, même dans l’étreinte la plus furieuse. Elles ont parfois mené très loin ces jeux de bondage et de souffle.


L’exécution a eu lieu à minuit pile. Le gouverneur républicain avait la possibilité d’accorder un sursis d’un simple coup de fil, mais il ne l’a pas fait – il ne le fait jamais, par principe. Deux gardiennes ont extrait Sabrina de sa cellule, lui ont proposé son dernier repas, puis l’ont attachée sur le fauteuil qui ressemble à celui d’un dentiste, recouvert de skaï noir. La procureure était présente, comme il se doit, ainsi que l’avocat, le juge, le directeur et les jurés. Parmi ceux-ci, certains éprouvaient une certaine excitation sexuelle. La magistrate aussi, même si elle le dissimulait derrière ses verres fumés. Le silence qui régnait avait l’épaisseur et la noirceur du goudron. L’odeur était particulière, unique à cette situation-là. Tania, très sensible aux fragrances, maniait ses aiguilles avec fébrilité, en évitant de faire souffrir autant qu’il lui était possible. Cette fois, elle n’a pas éprouvé de difficulté à trouver les veines et à les faire saillir. Le beau visage de la condamnée semblait inexpressif, malgré des yeux brillants. Elle est déjà morte à l’intérieur, a pensé Tania. Comme un arbre foudroyé dont les branches sont sèches. Une odeur d’éther s’est répandue. Il fallait quand même stériliser la peau et le matériel, au cas où, hypothèse improbable, l’appel téléphonique salvateur serait intervenu après le début de l’injection.


Lors d’une formation, Tania se souvient en avoir discuté avec une collègue d’un autre État, qui lui a avoué ressentir souvent un orgasme involontaire à ce moment-là. Aveu en tête à tête autour d’un café, non dépourvu de gêne, le regard fuyant : un secret entre exécutrices, tabou pour qui n’est pas du sérail. Certaines ont trouvé leur vocation. Pour tuer légalement, il faut être un soldat en guerre, se trouver en situation de légitime défense, ou bien mettre en œuvre la peine de mort ou l’euthanasie, dans les pays où cela est autorisé. Les deux premières voies sont aléatoires et dangereuses.


Tania plonge sa main dans le pantalon de sa compagne, puis sous la culotte. Le buisson pubien est bien mouillé. Après un court massage des grandes lèvres que gonfle le désir, le majeur agile découvre le fourreau du clitoris et réveille le bourgeon endormi en l’effleurant à peine, ce qui fait sursauter Abigaïl. Une pile électrique, ce matin, pense Tania. Tant mieux. Elle ressent une rage en elle, elle a besoin de sexe à haute dose. Abigaïl appuie ses avant-bras sur le pâton étalé. Elle est déjà parvenue au bord de la jouissance. Sa respiration se fait profonde ; l’explosion humide est proche. Le sucre brûle et les morceaux de rhubarbe partent en fumée. Les regards ne se sont toujours pas croisés depuis qu’elles se sont retrouvées au petit matin.


Souvent, Tania s’est demandé ce qu’elle ressentirait si elle se retrouvait à son tour dans le fauteuil des condamnées. Sans doute ne se laisserait-elle pas faire, elle se débattrait furieusement dans ses liens, quitte à casser les aiguilles dans ses veines, à saigner sur le similicuir. Avec elle, il faudrait s’y reprendre à plusieurs fois. Le public y trouverait son compte, pour le spectacle, comme au cirque des Romains antiques. Coupable ou bien innocente et victime d’une erreur judiciaire, peu importe. Elle a promis à Abigaïl que si celle-ci mourait, elle s’injecterait elle-même le fluide mortel afin de la rejoindre au ciel, rapidement, pour qu’elles puissent encore s’aimer pour l’éternité. Le serment est réciproque. Même si parfois elles se disputent et se réconcilient dans des flots de paroles et de larmes, aucune des deux ne pourrait vivre sans l’autre.


Les deux femmes ont toujours été fidèles l’une à l’autre à travers trois décennies. Même lorsque c’était compliqué, dans les bases militaires au milieu du désert, avec les jeunes soldates, impudiques et provocantes, qui sortaient de la douche seulement vêtues de leur plaque d’identité militaire autour du cou, robustes guerrières aux muscles cultivés sous les haltères, l’air faussement viril, mais tellement féminines lorsqu’elles vernissaient les ongles de leurs pieds dans le plus simple appareil, fraîches et frémissantes, Vénus sortant de leur coquille. Puis les examiner en visite médicale… il y en avait de peu farouches lorsqu’elles s’allongeaient sur la table d’examen, une fois la culotte tombée… elles n’exhibaient pas que leurs cicatrices de combats. En attendant de se retrouver à l’aéroport, les amoureuses échangeaient des lettres d’amour et de désir de feu, parfumées d’humeurs vulvaires, à lire au rythme du passage du vaguemestre.


Tania déboucle la ceinture et abaisse le pantalon de sa compagne, sans laisser à celle-ci le temps d’atteindre sa pleine joie clitoridienne. Elle introduit sa main sous la culotte blanche, humide comme un sous-bois d’automne, par-derrière. Elle se demande si Abigaïl s’est masturbée dans son bain, en l’attendant, avec l’aide de son coquin de petit canard vibrant, ou bien couchée dans l’herbe du jardin, la tête plongée dans les étoiles et ses pensées mystérieuses, peut-être nue – l’air est doux et elle n’est pas frileuse. Les doigts se glissent dans la raie fessière en plusieurs allers-retours, s’attardent sur la margelle du puits, picorant comme un moineau. Abigaïl se cambre, mord sa lèvre inférieure, se tient sur la pointe des pieds, tendue comme un arc. Tous les parfums intimes sont confiés à l’aimée. Elle veut offrir sa petite rosette si sensible à l’exploration digitale. Tania lui donne son index à sucer, puis l’insère lentement dans l’anus qui l’avale avec gourmandise, phalange après phalange. Saisie de volupté anale, Abigaïl gémit et ronronne comme une chatte épanouie. La radio diffuse une chanson country qui évoque Caryl Chessman. Lui, c’était la chambre à gaz californienne. Tania coupe le son, agacée. Elle enfonce son doigt au maximum, le plie, explore les côtés du rectum à travers l’œil borgne. Abigaïl s’agite, se stimule elle-même le clitoris, puis s’introduit le majeur et l’annuaire dans le vagin ruisselant d’envie. Les petits seins durcis s’impriment sur la pâte sablée. Il ne reste maintenant plus rien de la rhubarbe et son sirop. Le soleil entre par la fenêtre par-dessus le grand liquidambar à l’odeur de cannelle et dont les feuilles s’éparpillent au vent.


L’année dernière, dans un cauchemar, Tania a vu Abigaïl, sanglée dans le fauteuil fatal. Elle était nue, plus belle et désirable que jamais. Tania devait lui planter ses cathéters dans les bras, à moins que ce fût dans la zone intime qu’exposaient les cuisses maintenues écartées. Elle a joui en procédant, bien qu’Abigaïl la suppliât en pleurant de la laisser en vie au nom de leur amour partagé. Un incompréhensible orgasme sadique lui a labouré le ventre, comme un voluptueux coup de poignard. Puis elle s’est aperçue que la procureure la pénétrait en levrette, à travers un trou dans son uniforme, au moyen d’un gode-ceinture, devant tous les jurés interloqués. Tania s’est réveillée, une main plaquée sur le sexe, avec une grosse envie de faire pipi. Depuis, elle a renoncé à son habituel petit verre de bourbon avant d’aller se coucher, quitte à ne pas trouver le sommeil.


Abigaïl se détend, apaisée. Le silence est presque complet, à peine troublé par le bruit des souffles qui se mélangent. Quelques gouttes de sueur tombent sur les fragments de pâte sablée. Juste avant de perdre connaissance, Sabrina avait murmuré un mot, un seul mot. Personne n’a compris ce qu’elle a voulu dire, pas même Tania qui se tenait tout près. Elle a seulement perçu un « S » final. Tania revoit les lèvres s’animer pour délivrer le message ultime, mystérieux.


À l’époque où Tania était médecin militaire, les retrouvailles étaient aussi brûlantes, d’autant plus à cause de leur rareté. Mais elles ne pratiquaient pas encore le sexe anal lesbien ni aucune des activités qu’elles considéraient, de par leur éducation, comme déviantes, comme celles de dépravées, et qu’elles pratiquent à présent très souvent avec une inventivité sans cesse renouvelée : la douche dorée, les godemichés de toutes formes, en bois verni, que Tania sait fabriquer avec son tour, la fessée et même la dangereuse pendaison, la flagellation et la crucifixion érotique, la torture chatouilleuse ou avec de la cire, le shibari, les jeux de rôles variés, ceux avec la nourriture, avec les menstrues d’Abigaïl, et surtout, aux beaux jours, les ébats à l’extérieur, pique-niques coquins dans la tenue d’Ève, sous le soleil, sous la lune ou sous la pluie d’orage, l’été, dans les odeurs d’ozone et de transpiration, sur la balançoire, dans les herbes folles ou bien la boue, quitte a être surprises en pleine action par les voisins, Madison et Paul, un couple d’agriculteurs dont les enfants ont déjà quitté le nid.


Madison et Abigaïl sont des amies d’enfance. Elles se sont toujours soutenues dans l’épreuve, notamment lors du cancer du sang de Madison, à cause de l’utilisation de pesticides dans leur champ. Cependant, malgré leur vieille complicité, Tania ne leur a pas parlé de son nouvel emploi, et prié Abigaïl de se taire à ce sujet. Comment aurait-elle pu leur expliquer ?


Rapidement, Tania retire ses vêtements. Elle se dévêt complètement, laissant apparaître ses formes généreuses en plein soleil. Elle n’est pas grosse, seulement grande et athlétique. Elle peut soulever Abigaïl d’une seule main, ou la porter sur ses épaules sans effort, ce dont elles ne se privent pas afin d’assister au défilé du 4 juillet. Deux cents livres sur la balance, quand même. Une fois toute nue, debout, face à sa douce aimée qui ne la touche pas, elle se masturbe d’une main et boit une canette de Budweiser de l’autre, d’un trait. Elle se plaît à s’exhiber devant sa belle, pour atteindre un orgasme express, quitte à se contenter d’un simple spasme. Dans la prison, certaines collègues le font au vestiaire sans se soucier d’être vues, non pas qu’elles soient lesbiennes, mais parce qu’elles évacuent ainsi la pression. Surtout, les nuits d’exécution capitale. Dans cette étrange sororité où l’on côtoie la mort et où la folie n’est jamais loin, personne n’en parle à l’extérieur ni ne songe à leur en tenir rigueur. Parfois, elles se servent d’un vibromasseur et parviennent à l’extase, les yeux révulsés et les jambes tremblantes, dans des râles d’agonisantes, puis se rhabillent et rentrent chez elles embrasser leurs enfants. Souvent fusent des blagues atroces, déclenchant des rires gras de toutes parts. Celui de Tania est discret. Pudique, elle a toujours conservé ses distances.


Parmi les gardiennes, Tania l’exécutrice en chef est crainte et respectée par les unes, méprisée par d’autres. Des clans se sont formés, avec des amitiés et ses inimitiés. Chacune sait qu’elle vit avec une femme et qu’aucun homme n’a jamais pu l’approcher, pas même William, le directeur de la prison, pourtant galant et infatigable collectionneur de conquêtes, distribuant primes et promotions aux moins farouches avec lui, lorsqu’il convoque ses subordonnées dans son bureau pour « faire le point ». Beaucoup se laissent attirer par l’argent, les charmes du séducteur toujours élégant, ou les deux en même temps, et se laissent basculer au milieu des dossiers pour une saillie express, ou bien pratiquent la fellation à quatre pattes sous le bureau pendant qu’il signe le tableau d’avancement. William ne manque jamais une exécution. Lorsque Tania fait son office, elle constate la bosse qui se forme à l’entrejambe du pantalon du responsable de l’établissement.


Malgré ce manque de docilité, la hiérarchie pénitentiaire apprécie la rigueur professionnelle de Tania : avec elle, il ne se produit jamais de bavure et les condamnées meurent dans le temps imparti, dans une illusion d’apaisement. Elle maîtrise le processus complexe des trois produits successifs à injecter : le premier anesthésie, le second paralyse et le dernier tue. Quelquefois, l’ange noir de la justice déploie des ailes et prend l’avion pour un État du sud, en remplacement d’une collègue indisponible. Ces quelques jours de séparation des bras d’Abigaïl sont pour elle un déchirement, comme l’époque où elle partait à la guerre. Elle traîne une réputation de froideur. Elle sait que circulent sur elle des rumeurs abjectes, comme celle selon laquelle il lui arrive de violer les détenues, la nuit, dans le couloir de la mort, en s’introduisant dans les cellules comme une louve affamée de stupre. Elle n’a pourtant jamais touché à un seul de leurs cheveux, même sous les provocations, même agonie d’injures par celles qui n’ont plus rien à perdre. Mais elle admet qu’il ne sert à rien de démentir et préfère hausser les épaules. Certaines projettent leurs fantasmes sur les autres, jusqu’à les mélanger avec la réalité. En dépit de cette réputation, elle se montre bonne camarade envers ses collègues, toujours prête à entendre celles qui souffrent et celles qui étouffent sous ces néons lugubres.


Tania serre Abigaïl dans ses bras protecteurs, sans prononcer une parole. Maintenant, à force d’écouter la voix du silence, elle comprend quel était le mot dernier de la belle Sabrina.


« Justice ».