n° 20466 | Fiche technique | 31645 caractères | 31645 5347 Temps de lecture estimé : 22 mn |
05/09/21 |
Résumé: Au terme de cinq siècles d’oubli, l’histoire de la sorcière Béatrice inspire sa descendante. | ||||
Critères: #humour #historique #sorcellerie fh hplusag hagé couple forêt campagne froid toilettes douche 69 fsodo | ||||
Auteur : Diable Mouret |
DEBUT de la série | Série : Sorcelleries des montagnes vivaroises Chapitre 01 | Épisode suivant |
Au coucher du soleil, j’ai quitté ma fuste et je suis rentré au chaud dans ma crotte.
Ben quoi ? Vous avez lu le Hobbit avec délectation, vous avez imaginé le trou de Bilbo Sacquet, mais vous ne savez pas ce que c’est qu’une crotte ?
Si, en plus, vous ne savez pas ce que c’est qu’une fuste, je me demande pourquoi vous allez lire la suite. Enfin, si vous insistez, je vous explique quand même.
Une fuste, c’est le vieux nom français de la cabane en rondin des Canadiens, c’est une habitation robuste, discrète et peu onéreuse pour peu qu’on possède une forêt de bonne taille, et c’est mon cas.
Lorsqu’il a fallu se partager, avec mes quelques cousins et autres cohéritiers, la succession de nos ancêtres, j’ai été le seul à accepter les vingt hectares de forêt oubliés près de l’abbaye en ruine de Mazan, entre source de la Loire et source de l’Ardèche. Il faut dire que j’étais le seul à savoir où était ce bois et à l’avoir parcouru en long, en large et en travers au cours de ma jeunesse.
En fouinant, j’avais découvert l’entrée d’une vieille habitation médiévale, une salle voûtée, à moitié enterrée, une espèce de grande cave au sol dallé, avec une cheminée monumentale au fond : ça, c’est ce qu’on appelle une crotte. Je suppose qu’il faut trouver une analogie avec le mot « grotte », mais je laisse ça aux linguistes.
Quand j’ai décidé de réduire mon activité professionnelle à des interventions ponctuelles sur des missions nécessitant une certaine expérience, je suis monté dans mon bois, j’ai fait mon habitation en construisant ma fuste au-dessus de ma crotte et j’y coule des jours paisibles entrecoupés de voyages aux quatre coins de notre planète qui, comme chacun sait, est ronde. Trouver des coins sur une boule, c’est assez curieux, mais c’est comme ça qu’on dit, paraît-il.
N’allez pas croire que je vis en ermite. Même si je me suis beaucoup intéressé à la vie des moines de l’abbaye en ruine que je vois au fond de la vallée, ma vie n’a rien de monacal, j’ai équipé mon logis de tous les conforts modernes et je ne néglige pas de me cultiver comme je cultive mon potager, mon verger et mes hectares de bois de chauffage.
En plus, à notre époque moderne, vous pouvez vous procurer bien des choses directement par internet, même si, parfois, quand on est peu nombreux au village, l’anonymat de certaines livraisons peut être relatif.
Le jour où j’ai commandé un lot complet de préservatifs de six modèles assortis en promotion, mon colis a bien été livré par la poste sous pli discret, comme promis sur le site. Même que notre charmante et jeune factrice m’a complimenté sur mon choix, m’a vanté la qualité des modèles « ultra sensitif » mais m’a confié que pour les « aromatisés à la fraise », le goût de fraise était purement chimique et n’avait rien à voir avec le goût des fraises de son jardin.
En jetant un œil discret sur le siège passager de son véhicule de service, j’ai vu alors qu’elle avait, pour son usage personnel, le même colis que moi. Elle ne m’a pas détaillé avec qui elle avait testé les produits : je suis bien élevé, alors je n’ai pas demandé.
Bref, à force de fouiner dans l’histoire du village et de ses moines, je suis devenu ce que les habitants du cru appellent un érudit local. Le terme est joli, légèrement désuet, avec une odeur de vieux papiers jaunis, un peu moisis, qui ne me déplaît pas.
C’est comme ça que j’ai reçu, un jour où la mairie était ouverte (donc c’était soit un mardi matin, soit un jeudi après-midi), la transmission d’un message électronique envoyé depuis la région lyonnaise.
Chose surprenante par les temps qui courent, le message était irréprochable au niveau orthographique, le style était recherché sans être précieux et la demande, quoique complexe, était clairement exprimée.
Une dame ayant occupé le temps libre de sa retraite à des recherches généalogiques s’était aperçue qu’elle avait des ancêtres dans la commune. Jusque-là, rien d’extraordinaire : la haute Ardèche a expédié des générations d’émigrés vers les contrées au climat plus clément, à la terre plus fertile, ou aux armées demandeuses de chair à canon. Les demandes d’actes d’état civil arrivent régulièrement au secrétariat de mairie qui, selon les cas, fournit la copie ou renvoie aux archives départementales.
Ce qui était plus original, c’est que cette personne avait identifié une branche apparentée à la famille Ventolon et qu’elle avait retrouvé la trace de cette famille dans un article paru en 1913 au milieu d’une publication portant le titre interminable et rébarbatif de « Mélanges d’histoire offerts à Monsieur Charles Brémont par ses amis et ses élèves, à l’occasion de sa vingt-cinquième année de son enseignement à l’école pratique des hautes études ».
Un certain Jean Régné, archiviste départemental de l’Ardèche avait publié dans ce recueil un article d’une trentaine de pages consacré à la sorcellerie en Vivarais du XVe au XVIIe siècle.
Il se trouve que j’avais moi-même déjà découvert cet article et que je l’avais lu avec un intérêt lié principalement à la façon dont les moines et inquisiteurs de l’époque obtenaient les aveux des présumées sorcières. Mes opinions républicaines et révolutionnaires sortaient renforcées de la lecture des comptes rendus, établis devant notaire, des tortures perpétrées « au nom de la religion ». Quelques sorcières présumées avaient échappé à un procès pour la simple raison qu’elles n’avaient pas survécu aux interrogatoires. D’autres s’en étaient tirées avec des orteils arrachés, des pieds brûlés, des bras cassés et autres mutilations.
Il se trouve qu’au milieu de ces comptes rendus où de pauvres paysannes hurlaient sous la torture qu’elles étaient bonnes chrétiennes et n’avaient jamais commis d’actes répréhensibles, une certaine Béatrix Laurence, veuve de Pierre Ventolon, interrogée le 29 novembre 1519, racontait longuement, et de façon détaillée comment elle avait été recrutée par un diable nommé Mouret qui l’avait emmené « à la synagogue » pour la faire participer à des messes noires. Elle expliquait aussi comment elle avait eu le pouvoir de faire mourir les enfants et les animaux des voisins dont elle souhaitait se venger.
Je me fis donc un plaisir de répondre à cette dame que je connaissais le texte en question, que j’avais déjà lu l’histoire de son ancêtre présumée et que, pour parfaire sa connaissance du sujet, je l’invitais à lire, dans le numéro de 1913 de la « revue du Vivarais », la publication par le même Jean Régné, du texte intégral de l’interrogatoire de Béatrix Laurence, tel qu’il est archivé dans un registre de Simon Valentin, qui était à l’époque « notaire à Montpezat ».
C’est ainsi que débuta une correspondance érudite mais non aride et que, de fil en aiguille, un jour, la dame en question décida de venir visiter les lieux où son ancêtre pratiqua la sorcellerie un demi-millénaire plus tôt.
Elle profita de la belle saison pour s’installer quelques jours dans un des rares hôtels ouverts l’été à moins de vingt kilomètres de l’abbaye. Elle s’était fait accompagner de sa fille, quadragénaire indépendante et néanmoins séduisante, qui œuvrait dans les plantes bienfaisantes et la cosmétique naturelle.
Nous avons visité Vernason, le hameau où avait vécu la sorcière, nous avons retrouvé la fontaine où « ledit diable Mouret » lui était apparu et nous avons poussé jusqu’à Rieuclar où elle avait fait mourir une fillette en lui jetant un sort. Nous avons aussi parcouru les ruines de l’abbaye de Mazan, à la recherche d’un lieu où auraient pu se trouver les cellules et les salles d’interrogatoire des moines et inquisiteurs.
Mes deux visiteuses semblèrent apprécier leur visite. La mère était satisfaite d’avoir visité les lieux où avait vécu une ancêtre qu’elle jugeait quand même peu recommandable.
Par contre, la fille s’avéra beaucoup plus curieuse, quasiment fascinée par cette sorcière qui se vantait de ses activités et énumérait tranquillement aux inquisiteurs tant de raisons d’être condamnée au bûcher. J’appris, au détour d’un échange, qu’elle portait les prénoms de Béatrice et de Laurence en deuxième et troisième position à l’état civil. Était-ce cette coïncidence qui la faisait se sentir si proche de cette ancêtre qu’elle imaginait déjà comme une féministe avant l’heure, guérisseuse et quelque peu hérétique ?
Quelles pouvaient bien être les motivations de cette Béatrix Laurens, veuve quinquagénaire, de se poser en être maléfique en ce début du XVIe siècle, alors que Martin Luther commençait tout juste à ruer dans les brancards de l’Église catholique ? Se considérait-elle comme vieille et en fin de vie ? Pour l’époque, et pour une paysanne, il est vrai qu’elle devait être physiquement déjà usée.
Nous avons même envisagé la possibilité que l’épidémie de « mal de Naples » mentionnée en 1496 par un bourgeois du Puy ait pu gagner les montagnes proches. Ce chroniqueur explique que c’est le roi de France Charles, huitième du nom, qui rapporta de son royaume de Naples, une maladie qu’on appela les pupes ; d’autres l’appelaient la grosse vérole, d’autres le mal de Naples. Il dit aussi que cette maladie tua beaucoup de gens au Puy et ailleurs. Faudrait-il mettre sur le compte des atteintes cérébrales du tréponème pâle les divagations des présumées sorcières ?
J’avouerais volontiers que je jubilais quelque peu en leur racontant que la vérole avait fait des ravages dans une ville aussi dévote que Le Puy.
Nos discussions s’étirèrent en longueur et l’escapade montagnarde des deux dames prit fin avant que nous n’ayons trouvé réponse à toutes les questions.
La mère était satisfaite d’avoir comblé un vide dans un arbre généalogique touffu, mais ne souhaitait pas mettre trop en lumière cette ancêtre délinquante : pour elle, c’était une affaire classée.
La fille, bien au contraire, s’était carrément prise d’affection pour la sorcière et, au fur et à mesure des discussions, nous ne faisions qu’allonger la liste des questions. Je n’oserais dire qu’elle fut sensible à mon charme personnel, mais elle semblait apprécier nos échanges.
C’est donc avec elle que je poursuivis, au fil des semaines et des mois, une correspondance qui abordait le sujet d’une façon de plus en plus personnelle. En même temps que l’histoire de la sorcière, c’est aussi la flore locale qui l’intéressait, elle avait aperçu bon nombre de plantes pour lesquelles elle imaginait déjà des usages professionnels. Songeait-elle à créer une ligne de produits « de la sorcière Béatrix » ? Pour avoir lu les recettes de produits de beauté données par l’illustre Nostradamus en 1555, je ne puis que dissuader ceux qui voudraient tester les mélanges en usage au XVIe siècle : il y a là de quoi tuer à petit feu toutes les coquettes du monde. Je me fis un plaisir de lui donner l’adresse où télécharger ce vénérable document, première œuvre de Michel de Nostre-Dame, un peu avant qu’il ne se lance dans les prophéties.
Petit à petit, une certaine complicité, voire une amitié, s’était établie. Je m’étais permis, lors d’un échange épistolaire électronique, de l’appeler « ma Béatrix Laurence du XXIe siècle » et, dans la réponse, elle avait signé « votre Béatrix Laurence ».
Un jour, je m’aperçus qu’elle avait ouvert une adresse mail spécifique pour nos conversations, au nom de « Béalaure ». C’est donc sous cet affectueux sobriquet que je pris l’habitude de m’adresser à elle.
Dans le courant du mois d’octobre, elle m’interrogea sur un passage de l’interrogatoire rédigé en latin. Elle l’avait, jusque-là, négligé pour éplucher le reste du texte qui était écrit en vieux français, quand ce n’était pas une transcription plus ou moins phonétique du patois local.
Le paragraphe était inséré dans la description des assemblées de sorciers auxquelles Béatrix Laurence se rendait les jeudis aux environs de minuit.
Les sorciers y mangeaient « plusieurs chairs de moutons, de bœufs et autres fruits », assemblés autour d’un feu dont les flammes étaient de couleur bleue.
Et post dictum convivium factum, dictus Moretus diabolus in forma simili homilis tunc cum illa stans, faciebat inclinare dictam delatam in ante et equitabat dictam et cognoscebat carnaliter per indebitum sexum, posteriori, per anum, qui diabolus habebat suum membrum sicut homo sed frigidum. Quo facto, dictus Moretus dabat dicte que loquitur candelam picis et ibat facere hommagium alteri diabolo, cujus anum bucca sua osculabatur.
Comme j’avais ânonné du latin pendant mes années de collège, je m’attelai à la traduction, après avoir téléchargé un dictionnaire convenable. Je n’oserais dire que j’ai poursuivi des études de latin car c’est plutôt elles qui m’ont poursuivi sans jamais me rattraper. Je n’arrive toujours pas à imaginer ce qui peut être séduisant dans cette langue.
On était loin de la construction classique des phrases cicéroniennes, ou de la Guerre des Gaules de l’illustre César. Visiblement, le notaire avait plaqué des mots latins sur des phrases en français de son époque. Un premier examen m’incita à penser que c’était pour ne point choquer les oreilles des moines qui avaient fait vœu de chasteté.
On commence par « Et après avoir fait ledit repas, ledit diable Mouret, sous une forme semblable à un homme, s’est levé avec elle… ».
Ensuite, « faciebat inclinare dictam delatam in ante » veut dire que ce diable a fait incliner ladite déposante vers l’avant.
Jusque-là, le charabia restait compréhensible, mais ensuite, il m’a fallu rechercher dans le dictionnaire pour savoir que « equitabat » pouvait signifier chevaucher et que « cognoscebat carnaliter » devait probablement être traduit par « il l’a connue charnellement ». Même en latin, la périphrase restait de mise.
Une fois le cadre général posé, le reste du texte se comprend mieux :
– « indebitum sexum », c’est du sexe indu, des pratiques sexuelles prohibées.
– « Posteriori per anum » précise où et comment le diable a introduit « suum membrum sicut homo sed frigidum », c’est son membre, semblable à celui d’un homme, mais froid.
Ensuite, il semble qu’il lui a remis une chandelle de poix et l’a envoyé rendre hommage à un autre diable, ce qui se fait en lui embrassant l’anus avec la bouche (anum bucca sua osculabatur).
J’avoue que j’ai regretté que ce genre de passage n’ait point été au programme de mes années collège, j’imaginais avec délices ma professeure de latin nous guider dans la traduction tout en prenant les positions décrites pour mieux illustrer le sens du texte.
Vers le début novembre, ma correspondante me demanda où elle pourrait venir passer quelques jours pour voir à quoi ressemblait le pays à la saison du procès, « le mardi vingt-cinquième jour du mois de novembre », cinq siècles après l’an 1519.
En cette saison, rien n’est ouvert, aussi je lui vantai les charmes de ma fuste et de la chambre d’amis que je venais d’ajouter au corps de bâtiment. Nos relations épistolaires étaient, au fil des jours, devenues franchement amicales, et je me suis demandé si je pourrais ajouter « et plus, si affinités ». Et c’est comme ça que, peu après la Saint-Martin, elle débarqua en fin de matinée dans mon logis champêtre et néanmoins montagnard.
À tout hasard, j’ai fait livrer un deuxième assortiment de préservatifs sous pli discret, ce qui m’a valu un regard assez admiratif de la factrice. J’ai la prétention de croire qu’elle m’a cru encore performant malgré mon âge… à moins qu’elle ne se soit demandé dans quel colis les petites pastilles bleues m’avaient été livrées.
J’avais cassé une douzaine d’œufs des poules de mon poulailler sur ma dernière récolte de cèpes. Les fromages des fermes voisines, le beurre fermier, et quelques autres produits du cru ont fait le repas de midi. Pour le repas du soir, elle me dit qu’elle avait prévu…
L’après-midi, elle a voulu parcourir le chemin entre Vernazon et l’abbaye pour connaître le trajet suivi par la sorcière lorsqu’elle avait été arrêtée « par trois religieux et un sergent » pour être présentée à l’inquisiteur. On est parti à travers bois.
Les météorologues avaient prévu un épisode cévenol pour le début de soirée et nous avons vu le ciel se couvrir progressivement par le sud pendant que nous marchions. Il est vrai que comme elle passait pas mal de temps à photographier des plantes et à en prélever des échantillons, notre marche était souvent ralentie, chose peu gênante, car nous n’étions surtout pas en compétition.
La pluie commença à tomber doucement alors que nous étions sur le chemin du retour, à deux kilomètres de la maison, alors on s’est rapproché l’un de l’autre sous mon grand parapluie de berger. Histoire d’être bien abritée, elle m’a attrapé par la taille.
Quand j’ai fredonné machinalement du Brassens, « Un petit coin de parapluie, contre un coin de paradis », elle a chantonné la suite « je ne perdais pas au change, pardi ! ».
Et puis, le vent est arrivé en rafales, et j’ai été contraint de replier le parapluie qui menaçait de se transformer en parapente et de nous faire décoller du sol. J’ai pris un raccourci dans les genêts, ce qui a fini de nous tremper les pantalons et nous sommes arrivés tout au bout de mon domaine, dans ma forêt personnelle, à quelques centaines de mètres de la maison. Heureusement que j’entretiens mon sous-bois, ne serait-ce que pour alimenter mon chauffage, car nous avons pu passer aisément entre les arbres. Ça a carrément tourné au déluge pour les derniers mètres et nous avons fini avec des pas glissés dont certains auraient pu être gracieux en d’autres circonstances.
On est entrés, dégoulinants et boueux, par la porte de la chaufferie. On a quitté nos vêtements trempés au coin du lave-linge et on est allé se draper dans les couvertures qui traînent ordinairement sur mon vieux canapé. En galant hôte, j’ai conduit mon invitée, encore vêtue de pudiques sous-vêtements de sport, jusqu’à ma salle de bain. Comme dessous affriolants, on trouve mieux, mais elle portait joliment cet ensemble orné de petits moutons proclamant leur fabrication en laine de mérinos. J’ai été assez heureux de la voir s’extasier sur ma pièce d’eau de vingt mètres carrés, avec la douche à l’italienne dans un coin, la grande baignoire de fonte au milieu de la pièce et la tuyauterie façon « salle des machines du Nautilus ». Vivre au milieu des bois fait qu’on a de la place et c’est un luxe dont j’aime profiter.
Pendant que je remisais et mettais à sécher nos frusques trempées, elle a pris le temps de se réchauffer sous la douche et est réapparue, vêtue maintenant d’une ample robe d’intérieur, taillée un peu à la façon d’une bure de moine, mais qu’elle faisait mouvoir avec beaucoup plus de grâce que les acteurs de la publicité du camembert « Chaussée aux moines ». Je suis donc allé, à mon tour, me décrasser sous l’eau chaude, et elle a pris possession de la cuisine avec un cabas bien garni dont le décor vantait les mérites des Halles de Lyon qui portent, comme chacun sait, le nom de feu Paul Bocuse.
Une fois rhabillé pour la soirée, c’est-à-dire fringué d’un vieux jogging informe et bien chaud, je n’ai eu qu’à mettre les pieds sous la table pour déguster une spécialité alsacienne arrosée d’un Gewurtztraminer.
Elle m’a appris tout en mangeant que ce plat s’appelait un Bæckeofe, et que ses ingrédients comprenaient notamment du mouton, du bœuf et d’autres viandes, cuites avec divers légumes. La gastronomie alsacienne confinerait-elle à la sorcellerie ?
Après ça, on a fait griller des châtaignes dans le petit foyer ouvert que j’ai au coin de la grande cheminée.
Et puis, après un regard prometteur et complice, elle s’est levée, elle a sorti de son cabas un petit sachet de papier kraft, sur lequel j’ai eu le temps de voir, en guise d’étiquette, une simple gommette bleue, avant qu’elle ne le jette sur les braises du feu dans lequel je venais de poser les épluchures des châtaignes.
Aussitôt, les flammes du feu se sont colorées en bleu et, à sa demande, j’ai baissé les lumières de la pièce.
Elle a attrapé sa robe par la taille, l’a retroussé jusque sous ses bras, puis s’est inclinée, posant ses coudes sur la table, la croupe tendue vers moi en disant :
Si les sorcières représentées par les illustres illustrateurs du moyen-âge sont bandantes comme des épouvantails à corbeaux, la mienne était digne de figurer dans des peintures de Michel-Ange ou de Léonard de Vinci. Même si ces deux grands illustrateurs de saints lieux étaient des sodomites invétérés.
L’effet fut brut et brutal, fort et rapide : des glandes dont j’ignore le nom déversaient dans mon organisme des doses massives d’hormones dont je suis heureux d’ignorer les noms car je serais incapable de les écrire sans fautes. Mon sang réussissait, tout à la fois, à faire battre mes tempes et à gonfler mon « membrum ».
Bandant comme un bélier, je réalisai avec effroi que, vu l’état d’excitation dans lequel elle m’avait mis, le « cognoscebat carnaliter » promis risquait fort de se réduire à un simple « bonjour, au revoir, merci madame ».
Il fallait que je trouve en urgence un moyen de détendre à la fois l’atmosphère et mon braquemart, sous peine d’être ridiculisé et disqualifié. Et je m’aperçus que je commençais à tenir quelque peu à cette fille.
Alors, un peu bêtement, avec ce qui me restait de facultés cérébrales, je me permis de faire remarquer que la trace claire du bikini sur ce cul parfait et la toison soigneusement taillée pourraient être considérées comme des anachronismes.
Sa réponse fut exprimée en une phrase fort élégante, dont j’ai oublié la formulation exacte, mais dont le sens général était que, d’une part, j’étais en train d’enculer les mouches et, d’autre part que ce n’était pas les mouches qu’elle me demandait d’enculer à ce moment précis.
Comme je viens de le dire, je n’ai pas saisi immédiatement toutes les nuances de la phrase et, la prenant au pied de la lettre, je plaçai mon gland sur l’anus de ma belle Béalaure et commençai à appuyer avec une douce fermeté.
Une contraction des sphincters me signifia ma méprise et ma conquête me rappela que dans la déposition de la sorcière, « indebitum sexum » est mentionné préalablement à « posteriori per anum ». D’autre part, m’avoua-t-elle également, d’un point de vue pratique, elle n’avait aucune envie de se faire enculer à sec et sans préliminaires.
Cet échange verbal, bref mais plein de bon sens, eut deux qualités. D’une part, le déroulement de l’expérimentation à mener était maintenant bien défini et, d’autre part, le pic hormonal étant passé, je commençais à utiliser à nouveau mon cerveau pour guider ma conduite.
J’en profitai pour attraper, dans un tiroir du buffet, un des préservatifs « super sensitif » recommandé par ma postière. Je me débarrassai aussi de mon pantalon qui m’entravait désagréablement, tire-bouchonné sur mes chevilles. C’était à la fois anachronique et ridicule : le vaudeville n’était pas un genre théâtral en vogue à la Renaissance.
Je présentai donc mon « membrum » devant son « sexum » et me mis en selle pour « equitabat » ma belle monture. Je dois noter sur le compte rendu expérimental que ledit « membrum » n’était pas vraiment « frigidum » comme celui du diable Mouret, mais que j’eus quand même la sensation de le plonger dans un fourreau bouillant.
Notre « cognoscebat carnaliter » se présentait sous les meilleurs auspices et nous pûmes tester au cours de cette chevauchée différentes allures traditionnelles de la cavalerie.
Je me suis aperçu assez rapidement que ma citadine amante réprimait ses émissions sonores : la crainte probablement de déranger les voisins. Comme, ici, les voisins les plus proches sont à presque un kilomètre, je me suis permis de l’autoriser à couper la sourdine et à laisser libre cours à ses vocalises. La voûte de la crotte en résonna voluptueusement.
Nous avons aussi constaté que la table de bois était finalement assez inconfortable et nous avons intercalé quelques torchons de cuisine entre le bois et nous. Je dus aussi noter que nous avons abandonné la position « posteriori » pour tester, toujours sur la table, la position plus classique du missionnaire, quoiqu’elle pût paraître inadaptée à une copulation entre deux êtres diaboliques.
Nous avions bien des choses à découvrir l’un de l’autre et ces premiers ébats nous laissèrent un peu essoufflés, mais plutôt satisfaits.
Nous sommes alors passés à la phase du « posteriori, per anum » qui nécessita la mise en œuvre du préservatif de modèle renforcé et du petit sachet de gel lubrifiant annexé à son emballage.
Béalaure n’était peut-être pas coutumière de la sodomie, mais elle devait avoir quand même une certaine pratique car elle sut contracter et décontracter judicieusement ses sphincters pour permettre une pénétration en douceur. Nous avons ainsi pu « equitabat » et parfaire notre « cognoscebat carnaliter ».
Nos jambes étaient un peu molles lorsque nous avons finalement remisé la vaisselle sale dans le grand évier, et c’est étroitement enlacé que nous avons gagné ma chambre en passant par la douche, histoire de nous rafraîchir un peu.
Inutile de défaire le lit de la chambre d’amis : c’est dans mon grand lit que nous nous sommes endormis, l’un contre l’autre.
Et c’est là que, du côté des quatre heures du matin, nous avons eu le coup de foudre.
Enfin, là aussi, quand je dis « nous », c’est un peu exagéré car c’est le pylône électrique sur la montagne d’en face qui a pris l’éclair. Nous, nous avons juste eu un grand flash blanc bleuté qui a illuminé la chambre « a giorno ».
J’ai eu le temps de me réveiller, de constater que Béalaure dormait avec sa tête sur mon épaule, et de la prendre dans mes bras avant que le grondement du tonnerre ne déferle. Ma belle en fût tout effrayée, je me vis donc contraint de la serrer contre moi pour la rassurer, ce qui ne m’incommoda pas le moins du monde, bien au contraire.
Sa respiration se calma peu à peu, pendant que je lui expliquais que le gentil pylône électrique, avec son grand paratonnerre, protégeait deux hameaux et une demi-douzaine de maisons isolées (dont la mienne) des foudres de Jupiter.
Au bout de quelques minutes, son cœur se remit à battre à une fréquence normale et elle me confia un besoin pressant de se rendre aux toilettes.
Sans surprise, le coup de foudre avait fait disjoncter le transformateur local et mon logis était privé d’électricité. C’est un fâcheux imprévu, mais qui est loin d’être imprévisible, c’est pourquoi je dispose, dans la table de chevet, d’une petite lampe torche pour ce genre de circonstances.
Nous voilà partis, nus comme des vers, elle me tenant par la taille, moi tenant la lumière, pour aller jusqu’aux toilettes qui, à cet étage, sont dans ma grande salle de bains.
Pendant qu’elle se tenait assise sur le trône de faïence, je me tenais à côté, faisant fonction de lampadaire avec ma lampe à la main. Sa main était quelque peu descendue et, au lieu de ma taille, son bras entourait maintenant le haut de ma cuisse.
C’est vrai qu’il faisait un peu frais et que l’ambiance aurait convenu à un film d’épouvante. Pour moi qui connais ma maison, comme je l’ai construite, pas de mystères ; mais pour elle, il était visible que c’était un peu stressant !
Nous restions ainsi le temps de vider sa charmante vessie, et puis je sentis sa main qui prit les choses en main (ce qui, pour une main, est bien la moindre des choses).
Elle me massa délicatement les testicules dans la pénombre, repère, dans l’obscurité, les positions de mes différents appendices et joue avec.
La nature étant ce qu’elle est, je commençai à bander presque sans m’en apercevoir et ce fut lorsque je sentis que c'était maintenant ses lèvres qui jouaient avec mon gland que je réalisai pleinement où nous en étions. Ce n’était pas une de ces fellations de compétition, une de ces « gorges profondes » auxquelles se livrent ces actrices du X majuscule qui semblent avoir des diplômes d’avaleuses de sabres. Non : c’était un petit festival de léchouilles et suçotements, tout en délicatesses, mais d’une efficacité diabolique.
Je mis donc mon « membrum » au garde à vous, avec présentation des armes et baïonnette au canon. Mais je commençai à trouver que cette situation était quand même un peu trop machiste pour deux adultes responsables comme nous. Je risquai une petite remarque sur le fait que cet épisode ne figure pas dans la déposition en latin.
La réponse fut claire :
Le temps de trouver un recoin pour poser la lampe et me voici, à mon tour, à genoux devant ma belle qui est toujours sur son trône d’aisance. Mes lèvres, à leur tour, entamèrent un chapitre de « léchouilles et suçotements ». Je léchouillais les mamelons, je suçotais les tétons et, dans la pénombre qui me privait de la vue, je fis appel à mon ouïe pour suivre l’évolution de l’excitation de Béalaure.
Lorsque, collégien, je peinais sur les versions latines, une amie de ma mère, bigote invétérée, avait voulu « m’aider » en me faisant apprendre les prières en latin que le concile Vatican II venait de remiser au rayon des vieilleries. Une de ses phrases favorites était « Comme on connaît ses saints, on les honore ».
Moi, je connais les seins de Béalaure et c’est à genoux que je les honore.
Au bout d’un moment, elle me repoussa, me culbuta sur le tapis qui sert de sortie de bain, au pied de la baignoire, puis elle se leva et vint se positionner au-dessus de moi. En bonne habitante du département du Rhône, elle sait que son numéro minéralogique est le 69 et elle vint s’accroupir au-dessus de ma tête et se courba pour reprendre en bouche mon « membrum » qui n’avait eu ni le temps ni l’envie de ramollir.
Comme il y a toujours aussi peu de lumière pour utiliser le sens de la vue, nous suppléâmes à ce manque par l’usage de l’ouïe, de l’odorat, du goût et du toucher.
C’est juste après que j’ai délivré ma semence que j’ai senti les contractions de Béalaure et que ses sécrétions m’ont abreuvé. Elle s’est alors penchée un peu plus pour m’embrasser l’anus en annonçant :
Puis, elle s’est redressée, et c’est son anus qui s’est retrouvé sous mon nez. Alors, moi aussi qui lui ai « rendu hommage ».
Et c’est à ce moment précis que l’électricité est revenue et que la pièce s’est illuminée d’un coup.
Nous nous sommes regardés, nous nous sommes demandé si la fée électricité pouvait obéir à un diable de pacotille et à une réincarnation moderne de sorcière médiévale.
Après tout, en 1519, si un bricoleur s’était lancé dans des expériences électriques, il aurait eu toutes les chances d’être considéré comme un sorcier et de finir au bûcher.
Elle m’a quand même fait remarquer que ma petite lampe torche gainée de caoutchouc noir pouvait être considérée comme l’équivalent moderne de la « candelam picis », la chandelle de poix mentionnée dans les aveux.
Du coup, nous sommes retournés au lit, histoire de nous remettre de ces multiples émotions.
En regardant par la fenêtre, avant de fermer les yeux, je crois bien que j’ai vu la pluie qui tournait à la neige.
Franchement, utiliser les termes de « bénédiction nuptiale » pour parler de l’union d’une sorcière et d’un diable de pacotille serait franchement inapproprié. Alors faut-il que j’écrive « malédiction » ?
Ce serait encore plus inadéquat. Aussi, en replongeant dans le sommeil, je me suis dit qu’il serait bon que je consulte un dictionnaire pour trouver le mot juste. J’ai aussi eu le temps de penser qu’il était prématuré d’envisager d’écrire le mot « fin » en bas de ce récit. La formule « à suivre » me plaît d’avantage et je n’ai pas envie de prévoir d’avance le nombre de fois où je vais l’utiliser. On avisera le moment venu.
Je n’ai pas envie que ce moment arrive.
À suivre