- — Oh-oh, un homme qui fume. Il paraît que ce n’est pas bien, mais je ne vous en ferai pas reproche, j’ai attrapé le même vice. Sauf que je suis partie trop vite et que j’ai oublié mes cigarettes. Auriez-vous pitié d’une pauvre toxicomane en manque ?
- — Mais bien sûr, avec plaisir. Tenez…
- — Hum merci. Vous, c’est Jérôme, c’est cela ?
- — Absolument, pour vous servir. Et vous, c’est Angélique, n’est-ce pas ?
- — C’est bien cela. Et que fait Jérôme dans la vie ?
- — J’ai un cabinet de conseil en formation professionnelle qui s’adresse essentiellement aux entreprises. Aujourd’hui, elles sous-traitent fréquemment ce domaine plutôt que de recruter un spécialiste à plein-temps.
- — D’accord. Et ça marche bien ?
- — Pas mal, je dois dire, je ne me plains pas, même si c’est très prenant. Et vous, que faites-vous ?
- — Je fais commerce de mon corps…
- — Diable ! Il faut avouer que vous avez des arguments pour cela.
- — Ce n’est pas vraiment ce que vous croyez, rassurez-vous. Il se trouve que j’ai été recrutée par un photographe, à qui il faut croire que j’ai plu, pour servir de modèle à quelques grosses boîtes de vente à distance, comme « La Déroute », « Les 3 Cuisses » et « Rouge-Porte ».
- — Mannequin, en quelque sorte.
- — Euh, oui, mais pas vraiment, il ne faut pas exagérer. Je préfère dire « modèle » parce que je n’ai pas du tout les caractéristiques des mannequins de mode. Pas assez grande ni assez maigre. Mais justement, il recherchait quelqu’un de « normal », avec des formes comme la plupart des clientes de ces distributeurs, pas un cintre sur pattes. J’étais alors prof d’EPS, j’avais sa fille dans ma classe de collège, il est venu me voir à la fin d’un conseil de classe pour me faire cette proposition. Deux catalogues par an, soit deux mois de poses, et entre-temps le rafraîchissement des sites Internet, environ une semaine par mois.
- — Et donc vous avez accepté. Au final, vous travaillez encore moins qu’en étant prof et vous gagnez plus ?
- — Pas de mystère, la chose est simple. Salaire de prof débutant, 1 650 euros par mois. Et avec la bonne surprise de participer à l’effort national pour 1100 euros prélevés à la source en dix fois. Retirez le loyer, l’eau, le gaz, l’électricité, le téléphone, la taxe d’habitation. Vous pouvez profiter d’à peu près 750 euros pour entretenir la voiture, manger un peu tout de même et les vêtements, les produits d’entretien, les loisirs et, le cas échéant, faire quelques économies pour des vacances ! Ce n’est pas la misère, c’est vrai, mais pas la joie non plus. Il m’aurait été impossible d’acheter un logement, par exemple.
- — Je comprends, c’est vrai que les profs sont très mal payés en France. Et donc les photos, ça rapporte ?
- — Pas une fortune, mais beaucoup mieux. Bon an, mal an, j’arrive à me faire trois ou quatre fois plus.
- — Ah quand même !
- — Oui, j’en suis même à éviter de faire plus parce que les impôts ne me ratent pas non plus dans ce cas-là. Mais là, il devient possible de faire des projets, ou d’épargner tant que les projets ne sont pas mûrs.
- — Un bon plan en somme.
- — Hé-hé, il faut que j’en profite tant que je suis à peu près potable. C’est pour ça que je me suis mise en disponibilité, je sais très bien que ça ne durera qu’un temps.
- — Euh… concernant le « à peu près potable », vous êtes loin du compte. Vous êtes superbe.
- — C’est gentil. Mais j’ai un petit problème ; un petit coussin graisseux apparu récemment sur le ventre. Et j’ai beau faire deux fois plus d’abdominaux, rien n’y fait.
- — Vous devriez essayer un truc chinois : masser un point qui se trouve à deux doigts en dessous du nombril. C’est facile, le nombril, deux doigts en dessous, vous appuyez un doigt cinq minutes, deux fois par jour.
- — Vous vous moquez de moi là, et ça, en revanche, ce n’est pas gentil.
- — Non, pas du tout. C’est sans garantie parce que je n’ai pas essayé, mais je vous assure que c’est connu en tant que point d’acupression. Et puis ça ne coûte pas cher d’essayer.
- — Écoutez, je veux bien essayer votre truc pendant un mois et si ça marche, je vous invite à dîner.
- — Pari tenu. Eh bien, ravi d’avoir fait votre connaissance. C’était un peu bref à mon goût, mais… adieu !
- — Ha-ha-ha ! Voyez comme vous êtes. J’étais sûre que c’était une blague.
- — Non, non, pas du tout, je vous assure, c’est tout à fait vrai. Sauf que j’ignore complètement si ça marche. Et si vous passez un mois sur un canapé à vous empiffrer en vous appuyant sous le nombril, il est certain que le pari sera perdu.
- — Non, ce n’est pas mon genre. Je vous promets que je vais essayer, c’est tellement… simple et incroyable à la fois. On verra dans un mois.
- — D’accord. Dites-le au moins à Sophie, je suis aussi curieux que vous de connaître le résultat.
- — Je maintiens, si ça marche, je vous invite à dîner. Sur ce, je dois y aller, je me lève tôt demain, j’ai beaucoup de route à faire pour rejoindre le Nord, là où je pose. Bonne fin de soirée.
- — Merci, au revoir peut-être. Je crois que je vais y aller aussi.
Sophie m’alpague sitôt la belle Angélique partie.
- — Hé ! Ne te sauve pas comme ça, Jérôme. Alors ? Comment tu la trouves, ma copine ? Qu’est-ce que vous avez mijoté ensemble, si ce n’est pas indiscret ?
- — Holà ! Doucement ! Je passe à la question parce que j’ai fumé un clope avec ta copine ?
- — Alors, écoute, depuis que je la connais, c’est la première fois que je la vois s’isoler avec un mec. En général, elle va fumer en décalé pour qu’on lui foute la paix.
- — C’est simple : elle avait oublié ses clopes et elle m’a taxé. Autrement, c’est vrai qu’elle est « canon », mais beaucoup trop pour moi. Merci, j’ai déjà donné.
- — Oui, je sais, on le sait tous. Mais je t’assure qu’Angélique n’a rien à voir avec la mentalité de ton ex. C’est une fille bien qui en a bavé et qui a surmonté des situations terriblement difficiles.
- — Je ne te dis pas le contraire, mais quand je lui ai demandé son boulot, elle m’a répondu faire commerce de son corps. Ça refroidit un brin. Genre, c’est combien ?
- — Nooonnn ! Ce devait être un trait d’humour pour éveiller ton intérêt. Elle pose pour vendre des fringues et c’est bien payé, voilà tout.
- — Oui, je sais, elle m’a expliqué, c’est tout ce qu’on a « mijoté » ensemble.
- — En tout cas ça me plairaît bien qu’elle ait flashé sur toi et inversement. Vous connaissant tous les deux, je trouve que vous iriez très bien ensemble.
- — C’est ça, Sophie l’entremetteuse ! J’ai beaucoup d’amitié pour toi, mais je t’en prie, occupe-toi de ton Marc et laisse-moi m’occuper de ma vie, s’il te plaît.
- — Bon, bon, excuse-moi. Ce que tu peux être susceptible dès qu’il s’agit de nanas…
- — Peut-être que je ne suis pas encore tout à fait remis de la gamelle que j’ai prise avec mon ex. Allez, bises, merci et bonne fin de soirée.
En rentrant chez moi, je repense tout de même à cette Angélique. Vraiment une belle femme avec tout ce qu’il faut où il faut, et surtout des yeux magnifiques, envoûtants. À la fois bleus et gris, ils donnent l’impression d’une photo d’éclipse du soleil, des gerbes argentées jaillissant autour de la pupille noire sur un fond bleu foncé. Remarquables. Des images mémorisées de cette fille émaillent ma soirée jusqu’à trouver le sommeil.
La dure réalité quotidienne a tôt fait de faire disparaître Angélique de mes préoccupations, jusqu’au jour où mon portable tinte, m’annonçant un message :
- — Bonjour. C’est Angélique, l’amie de Sophie. Puis-je vous appeler ?
Tiens donc. Que me veut-elle, celle-là ? Encore une manœuvre de cette coquine de Sophie ? En tout cas, c’est plutôt délicat de faire un texto avant d’appeler. Je m’apprêtais à quitter le bureau, je réponds être disponible dans une demi-heure, le temps de rentrer et de me mettre à l’aise.
- — Jérôme ? Je ne vous dérange pas, j’espère ?
- — Pas du tout. Je suis rentré et disponible.
- — Bien. Alors que choisissez-vous ? Chinois, fruits de mer ou traditionnel gastronomique ? Ou autre chose si vous préférez, mais en évitant hamburger-frites-Coca, c’est pas mon truc…
- — Le mien non plus. Mais pourquoi ce choix et l’invitation qu’il sous-entend ?
- — Eh bien, parce que je tiens mes engagements et vous avez gagné. En un mois, j’ai retrouvé ma plaque de chocolat. Grâce à vous, j’ai miraculeusement perdu mon petit coussin graisseux.
- — Ah oui, ça y est, j’y suis. Ce pari chez Sophie et Marc, d’accord… Écoutez, je suis ravi pour vous et ravi que ça ait fonctionné. Et puis ravi aussi d’avoir à dîner en votre compagnie. Alors je dirais « fruits de mer », sans hésiter, j’adore ça.
- — Très bon choix, je n’aurais pas fait mieux. Seriez-vous libre samedi soir prochain ?
- — Libre comme l’air.
- — Parfait. Alors, disons dix-neuf heures trente à « La Rascasse », rue du Temple. Vous voyez où c’est ?
- — Pas du tout, mais je vais trouver facilement. À samedi donc, et merci à la fois pour cette invitation et le respect de votre parole. Oh, dites, mais comment avez-vous eu mon numéro ?
- — Sophie, bien sûr, qui l’a piqué dans les contacts du portable de Marc.
- — Toujours aussi chipie, cette Sophie.
- — C’est comme ça qu’on l’aime, non ? À samedi.
Mon cœur se met à battre un peu plus fort à cette perspective, les images de la soirée chez Sophie et Marc me reviennent en mémoire. Dîner avec une jolie femme n’est jamais désagréable. Je tente le sobre et élégant, chemisette et costume de lin vert amande. Bingo, elle porte une robe fourreau verte avec une petite veste noire en forme. Bon sang, elle est encore plus belle que dans ma mémoire. Et ces yeux… fascinants ! Le resto n’est pas mal non plus. On nous installe dans un angle d’une grande salle offrant des îlots multiples séparés par des aquariums où gambadent des homards. Apéritif, elle prend une coupe, je demande un whisky, on m’apporte une carte. C’est assez rare, c’est bien. Je commande mon préféré en précisant sans glace.
- — C’est évident, Monsieur, répond le garçon.
Il revient avec une coupe remplie de glaçons avec un petit verre de whisky planté au centre. Super ! Rafraîchi sans être dilué. Quant au plateau de fruits de mer, somptueux, tant en quantité qu’en qualité. Je félicite mon hôtesse, histoire de rompre la glace de notre mutuelle intimidation. Après les huîtres et un premier verre de Montagny qu’elle m’a laissé choisir, la conversation s’engage. Elle se livre un peu, me contant son passé de gymnaste, les entraînements, les compétitions, les coupes, jusqu’à ce terrible accident. Ses parents la ramenaient d’une compétition, elle se reposait sur la banquette arrière et n’a pas vu arriver le chauffard alcoolisé qui les a percutés. La voiture est partie en toupie et a fini sa course enroulée autour d’un platane. Bilan deux morts et ses chevilles brisées. Douze opérations, six mois en fauteuil roulant et autant de rééducation.
Orpheline à dix-neuf ans avec juste un bac en poche, un projet de vie détruit. Pour rester dans le domaine sportif, une fois ses capacités partiellement recouvrées, elle a fait STAPS et obtenu son CAP de prof d’EPS à vingt-trois ans. C’est comme ça qu’elle s’est retrouvée dans un collège du Nord où elle a été recrutée par un père d’élève photographe. Depuis, elle partage sa vie entre les corons et le Nivernais où elle a fait rénover la maison familiale, achetant dans le même temps un petit appartement près de Roubaix, ce serait toujours le loyer en moins si elle devait réintégrer l’Éducation nationale.
Le restaurant pas trop bruyant et la distance entre les tables permettent les échanges de confidences. Sa voix douce et profonde est une caresse pour mes trompes d’eustache. Je lui narre aussi mon parcours, le master en sciences de l’éducation, le boulot de formateur puis la décision d’ouvrir mon propre cabinet, mais aussi mes déboires conjugaux ayant, par manque d’expérience, confondu ce qui est beau à l’extérieur avec l’intérieur d’une personne. En guise de conclusion, je lui déclare sentencieusement :
- — On a beau traiter certains hommes de clébards, de queutards ou de coureurs de jupons, s’il n’y avait pas de jupons à courir, ils n’existeraient pas.
- — Je suis une femme, plutôt féministe, et je devrais m’offusquer. Pourtant je dois reconnaître que vous n’avez pas tout à fait tort. Depuis que je m’expose sur le Net et sur papier glacé, mes employeurs reçoivent des milliers de courriers et de mails pour obtenir mon nom, mon téléphone. Même des cadres de ces boîtes se sont mis sur les rangs et le photographe en premier. J’ai claqué sa figure et la porte, il est revenu me chercher avec de plates excuses. Voyez-vous, je pourrais mettre un homme différent chaque soir dans mon lit. Quel intérêt ? Pour quel genre de relation éphémère, sans sentiments, sans partage, sans complicité ? Je ne suis pas une oie blanche, mais ce genre de chose ne m’intéresse pas. Je trouve cela même… dégradant.
- — Tout à fait d’accord. Dans le cas d’une femme, on ne dirait jamais que vous êtes une collectionneuse d’hommes, mais une fille à tout le monde, une femme légère.
- — Hélas oui, le féminisme a encore de belles conquêtes devant lui.
Pour digérer le demi-homard avec une mayonnaise maison parfaite, elle a pris un sorbet poire arrosé de Williamine et moi un colonel. Je la regarde aller jusqu’au comptoir pour régler l’addition, sûrement salée, et je ne suis pas le seul. Des têtes se tournent, des bouches restent béantes. Quelle silhouette d’hyperféminité ! Poitrine, hanches, fessier, démarche féline, tout y est, surtout ces yeux fascinants. Nous décidons de faire quelques pas avant de remonter dans nos voitures respectives, une promenade digestive en quelque sorte. Elle me demande de se pendre à mon bras, prétextant être un peu ivre, j’accepte avec grand plaisir. Je la remercie chaleureusement pour cet excellent dîner et sa délicieuse compagnie.
- — Je ne connaissais pas cet endroit, mais j’y reviendrai volontiers. C’est vrai qu’il y a peu d’intérêt à y venir seul, ce sont des moments qui incitent au partage.
- — Mais quand vous voulez, je suis partante également et bien d’accord pour le partage. Moi non plus, je ne connaissais pas. J’ai fait une recherche Internet et « Tripoviseur ».
- — Si vos autres propositions étaient du même niveau, ça vaudrait le coup de les essayer, non ?
- — Tout à fait. Pas trop souvent tout de même pour éviter excès et prise de poids, mais tous les quinze jours par exemple, quand je suis ici. Une fois, c’est vous qui invitez, une fois, c’est moi. Ça vous dirait ?
- — Très très bien, ça, comme programme. Je suis preneur.
Nous marchons silencieusement jusqu’au bord de la rivière, des lumières scintillent dans l’eau calme, je regarde son profil à la dérobée.
- — J’ai une moustache de langoustine dans l’oreille ?
- — Non, pardonnez-moi, je n’arrivais pas à détourner mon regard ni à trouver des mots que vous n’auriez pas encore entendus…
- — Alors, ne dites rien. C’est parfait comme ça. Les silences sont parfois plus chargés de sens que les mots.
Nous revenons au parking encore plus lentement, le refus muet de se quitter peut-être. Nos bagnoles sont les dernières, elle se tourne vers moi, elle me regarde, je la regarde. J’ouvre mes bras pour une bise de circonstance, elle y plonge et pose sa tête sur mon épaule, contre mon menton. Slow immobile et sans musique, mes bras se referment autour de sa taille fine, ses seins vrillent ma poitrine. Soudain, elle lève la tête :
- — Merci, Jérôme, pour cette merveilleuse soirée.
- — Non, merci à vous, Angélique, qui en êtes l’instigatrice. Et comme on dit en Normandie : « Encore une fois autant ! »
- — Plein de fois autant, s’écrie-t-elle. À dans quinze petits jours.
Sur ce, elle fonce jusqu’à sa voiture sans se retourner et démarre presque sur les chapeaux de roues. Je reste là pantois, complètement tourneboulé. Piège hypothétique de la séduction. Est-elle un espoir de bonheur ou une promesse de nouvelles souffrances ? « Reste prudent, mon vieux Jérôme, prudent et circonspect. Mais… ‘Je n’ai qu’une seule envie, me laisser tenter, la victime est si belle et le crime est si gai’ comme dit la chanson », pensé-je in petto. Victime, victime, ce pourrait bien être moi au bout du compte. Peu importe, laissons l’effet se faire.
Cette fine mouche de Sophie bourdonne au carreau, et surtout au téléphone. Elle devine qu’il se passe quelque chose entre Angélique et moi, puisqu’elle lui a refilé mon téléphone. Mais elle ne sait rien et ne contrôle rien et ça, ça l’agace. Du coup, elle m’invite à un apéro dînatoire le samedi suivant, Angélique aussi, j’imagine. À moins que ce ne soit pour me passer à la question comme au temps de l’inquisition.
Angélique est bien là, superbe comme d’habitude dans une jupe courte noire très moulante et un chemisier de soie bleu comme ses yeux. Marc lui fait la bise et la fait tourner pour mieux l’admirer.
- — Ouais, ben, pas étonnant, jappe Sophie jalouse, t’as vu sa garde-robe, et à l’œil en plus.
- — Oui, Jérôme, il faut que je vous explique, me dit Angélique en me saluant. Tous les vêtements que je porte pour les photos, à quelques exceptions près, ne peuvent plus être vendus. Ils ont été portés, ils ne sont plus neufs. Avant, ils partaient à la benne ! Alors, avec quelques filles, on s’est battues pour pouvoir récupérer ceux qui nous plaisaient et donner le reste à une association d’aide aux démunis. Résultat, j’ai effectivement une dizaine de mètres de portants chargés de fringues.
- — Elle gagne sur tous les tableaux, c’est dégueulasse, poursuit Sophie en soupirant. Et jamais un pour moi !
- — Tu sais bien que ce n’est pas ta taille.
Ça part fort. On sent bien que Sophie est très agacée. Nous prenons place chacun à un bout du salon, sans s’ignorer, mais sans copiner. Loisir pour moi d’admirer les jambes superbes, charnues et musclées, d’Angélique qui ne me prive pas de croisements et décroisements. Ça y est, j’ai la trique. Première fois aussi forte pour cette femme que je considérais jusque-là inaccessible. Je me recentre sur mon copain Marc, et nous entamons une discussion boulot-politico-sportive, ça calme. Les femmes papotent de leur côté jusqu’à ce que, n’y tenant plus, Sophie lance très fort :
- — Et alors, au fait. Pourquoi m’as-tu demandé le portable de Jérôme ? Tu l’as appelé ? Jérôme, Angélique t’a appelé ?
- — Euh… oui, oui.
- — Et c’était pour quoi ? C’est pas sympa de nous faire des cachotteries !
- — Rien d’important, un pari stupide que nous avions fait la dernière fois ici, il y a quelques semaines.
- — Oui, renchérit Angélique, un truc chinois pour perdre la graisse sur le ventre. Il se trouve que ça a marché. Je voulais le lui dire et le remercier.
- — Quoi ? Un truc pour perdre du ventre ? Tu entends ça, Marc ? Et vous voudriez garder ça pour vous ?
- — Ouais, rien de bien malin. Il s’agit d’appuyer pendant cinq minutes deux fois par jour deux doigts en dessous du nombril.
- — Pff ! N’importe quoi. Mon pauvre Jérôme, avec des canulars comme ça tu resteras toujours célibataire.
Merci, de rien, du coup je fais un peu la tronche et j’accompagne Marc en cuisine chercher de nouveaux plateaux de ce qui nous servira de dîner. Au retour, Angélique est au supplice. Elle a baissé sa jupe et relevé son chemisier pour montrer à Sophie sa plaque de chocolat retrouvée et le point précis qu’elle a massé. Elle porte un string, indispensable sous une jupe aussi serrée, et nous avons une vue incroyable sur son somptueux postérieur. Marc en est bouche bée, moi aussi je l’avoue. Le temps qu’elle se tortille pour remonter l’étroit fourreau noir, j’ai le temps de photographier mentalement les galbes et la musculature des cuisses et des fesses, le galbe parfait des hanches. L’érection me reprend. Si Sophie est agacée, je sens Angélique excédée. Les conversations glissent sur d’autres sujets, mais dès les petits fours de dessert avalés, la belle modèle se lève et déclare son souhait de partir, toujours pour se préparer à faire la route le lendemain. C’est à Sophie de faire grise mine, d’autant que j’emboîte le pas de sa copine.
Dans l’allée vers la rue, elle me glisse discrètement :
- — Vous me suivez jusque chez moi ?
- — Avec plaisir.
Je suis ses feux arrière jusqu’à un petit pavillon assez coquet dans un quartier résidentiel calme.
- — J’ai tout transformé pour gommer des souvenirs douloureux, mais malgré tout c’est là que j’ai passé mon enfance, des années heureuses, et je m’y ressource.
- — C’est tout à fait charmant, en effet, et vous avez un bel intérieur.
- — Oui, c’est agréable d’avoir un peu d’argent pour faire tout ça. Mes parents en seraient effarés. Bon, je vous offre un verre ? Moi j’en ai besoin, j’ai failli exploser.
- — Volontiers. Je vous ai sentie à la limite de la rupture, en effet.
- — Mais de quoi se mêle-t-elle ? Merde à la fin… J’ai l’impression d’être fliquée. Cognac ou armagnac ?
- — Armagnac.
- — Évidemment, pourquoi ai-je demandé à un homme de goût… Je suis vraiment perturbée.
- — Calmez-vous, prenez un peu de recul. Notre première invitation commune n’était pas due au hasard. Sophie avait espéré que la mayonnaise prenne entre nous. Mais là, elle n’est plus au courant de rien, elle imagine, elle tente de savoir et n’y parvient pas. Ça la rend folle.
- — Mais oui, vous avez raison. Sauf que jamais personne n’est venu fourrer son nez dans ma vie privée, et ça m’horripile. Ce serait trop bête de me fâcher avec Sophie six mois après l’avoir retrouvée.
- — Vous vous connaissiez depuis longtemps ?
- — Depuis le collège, en classe et au club de badminton quand je n’étais pas en compète de gym. Ensuite elle a fait lettres et droit, moi scientifique et STAPS. On s’est retrouvées par hasard, dans un magasin de meubles, justement. Elle changeait sa machine à laver et moi je meublais cette maison. Et vous ?
- — Quand j’étais formateur, j’ai eu Marc comme stagiaire et je ne sais pas comment le courant est passé, on est devenus amis. Quelques soirées à quatre avec mon ex-femme. Et ils ont été très sympas quand je me suis fait plaquer, contrairement à d’autres couples. Un célibataire devient un danger potentiel…
- — Ah oui ? Ce que les gens peuvent être stupides, tout de même. Ça rejoint notre discussion de samedi dernier. Au fait, je tiens à vous préciser que mon invitation impromptue de ce soir, genre « dernier verre », était juste pour passer un petit moment de paix en tête à tête avec vous. Samedi, j’étais tellement bien après vous avoir quitté. Je vous connais à peine et pourtant vous m’apaisez, je suis en confiance, tranquille, bien. Je ne sais pas à quoi c’est dû, feeling ou sixième sens féminin.
- — Rassurez-vous, je n’espérais rien d’autre. Je n’ai pas d’illusions, vous êtes beaucoup trop belle pour moi et j’ai encore trop peur de souffrir à nouveau.
- — Tiens ? C’est rare chez vous, deux erreurs coup sur coup. Un, trop belle ? Vous plaisantez. Une fille trop balaise rafistolée des chevilles qui finira certainement en fauteuil roulant. Deux, moi vous faire souffrir ? Mais grand dieu, pour quelle raison ? je n’y prendrais aucun plaisir et je sais trop ce que c’est que la souffrance. Trinquons à notre amitié, au plaisir d’être ensemble et de partager, comme vous dites.
- — À la vôtre et à notre amitié naissante. Et pardonnez-moi d’avoir envisagé une possibilité d’histoire entre nous, c’était stupide de ma part.
- — Non, pas du tout, c’est naturel entre un homme seul et une femme seule. Quelque part, j’en suis honorée. Mais c’est un peu prématuré. Contentons-nous de profiter du présent qui n’est déjà pas si mal.
- — Tout à fait. D’ailleurs j’irais bien fumer une cigarette.
- — Allons dans le « fumoir ». C’est dans la véranda que je m’adonne à ce vice sans empuantir la maison.
L’endroit est sympathique, décoré de plantes vertes avec un petit salon de jardin, une table et deux fauteuils. Elle ouvre grand l’une des baies et, sans reflets parasites, j’aperçois des rangs de légumes.
- — Vous avez un potager ?
- — Oui, le potager de mon père que j’ai voulu perpétuer. Les légumes sont si bons, poussés naturellement, et puis ça me fait un sacré exercice physique. Le seul défaut, c’est qu’en été je suis en séances photo, juste au moment du pic de production et du plus gros besoin en arrosage. J’en perds ainsi beaucoup.
- — Dommage en effet. Si vous le souhaitez, je pourrais peut-être venir en prendre soin, la clé du portail suffirait.
- — Oh ! Ça, ce serait vraiment trop gentil. Et puis, tout ne serait pas perdu, vous cueillez et emportez ce qui est mûr.
- — Voilà un marché qui me paraît honnête, donc il est conclu, on fait comme ça.
- — Voyez, Jérôme, c’est ça qui me plaît chez vous et qui m’apaise. Tout est simple et sans prise de tête.
- — C’est juste naturel : je vis en appartement, ça me fera prendre l’air, et puis j’achète des légumes bios à prix d’or. Je m’y retrouverai aussi.
- — C’est formidable. Merci d’être comme ça, mon ami.
- — Mais de rien et avec plaisir, mon amie.
On fume, on picole, on re-fume, on re-picole. On est bien. Il est une heure du matin, on s’en moque, c’est déjà dimanche. Alors elle m’emmène visiter l’étage, coup d’œil rapide sur sa chambre, claire et fraîche, sur la salle de bains, grande et bien équipée, la petite salle de musculation pour cette athlète et la grande pièce servant de dressing, avec effectivement une douzaine de portants alignés et un mur entier d’étagères. Tout est plein.
- — Voilà ma caverne d’Ali baba ! Voyez, j’ai de quoi me vêtir jusqu’à la fin de mes jours. Ce n’est pas toujours d’une qualité exceptionnelle, mais ça ferait quand même baver bien des femmes.
- — Dont Sophie, si j’ai bien compris.
- — Oh, celle-là… Bon, restons zen.
- — Mais dites-moi, il n’y a plus de place pour tout ce que vous rapportez de nouveau ?
- — C’est vrai, quoique je puisse encore ajouter un ou deux portants. Non, ce que je fais, d’abord c’est que j’en garde moins qu’au début, et ensuite je fais régulièrement du tri, j’en élimine et je le donne aux plus démunis. J’ai placé des panneaux de bois de camphre contre les insectes et cette pièce reste dans le noir avec une VMC.
- — J’avoue que c’est un peu fou. Même des chaussures ?
- — Oui, parce qu’on marche sur du bitume, dans le sable ou la neige pour les clichés en extérieur, pas toujours en studio. Donc les chaussures ne sont plus neuves donc invendables.
- — Très impressionnant. Ça fait un sacré bonus en plus de votre rémunération.
- — Oui, mais il faut tenir compte du fait que je suis payée tout en bas de l’échelle du mannequinat, mille euros la journée. Les mannequins vedettes gagnent dix à vingt fois plus.
- — Bel espoir quand vous serez vedette !
- — Non, trop tard pour moi et comme je vous l’ai dit, je n’ai pas les critères. Tout juste puis-je espérer finir à 1 500 dans trois ou quatre ans.
- — Sur ces bonnes paroles, il est largement temps que je vous quitte, même si c’est à regret.
- — Nous nous retrouvons dans moins d’une semaine, ce sera très vite passé. Au revoir, mon ami.
- — À très bientôt, très chère amie.
Toujours cette même difficulté à nous séparer. Je rentre encore une fois tourneboulé par cette femme qui, en plus d’être remarquablement belle et intelligente, fait son jardin. Incroyable. La semaine s’écoule effectivement très vite et je passe la prendre chez elle, une voiture c’est mieux que deux, pour l’emmener au restaurant chinois. Ce n’est pas mal, au détail près que nos vêtements sentent un peu le graillon en sortant. Il faut attendre une quinzaine avant de nous revoir pour la soirée au restaurant traditionnel-gastronomique. Nous sommes un peu déçus malgré le prix plutôt astronomique. C’est une cuisine assez compliquée et lourde, trop de goûts mélangés, trop de sauces, trop en quantité également. L’excès en tout finit par nuire, on sent un chef à la recherche d’une étoile et qui en fait trop, à notre goût. Entre temps, au cours de mes pérégrinations dans les entreprises, on m’a vivement conseillé deux autres adresses que nous testerons le mois suivant. J’espère que ce sera mieux, car une déception n’incite pas à passer une bonne soirée. D’un côté, nous avions hâte de nous changer et de prendre une douche, de l’autre celle d’avaler deux « Digervit » pour espérer dormir.
Le premier est un japonais, une table chaude. En soi, c’est déjà un spectacle. Les mets légers et colorés sont cuisinés devant vous sur une plaque d’acier sans presque de matière grasse, ça vole, ça saute, ça flambe, ça atterrit par miracle dans votre assiette et c’est prodigieusement bon. Angélique est absolument ravie, moi aussi. Avec les fruits de mer, c’est à retenir, même s’il faut faire une trentaine de kilomètres. C’est elle qui conduit et je lui fais découvrir mon appartement, plus modeste que sa villa, mais avec tout de même une terrasse où nous pouvons fumer en devisant. La saison s’avance, elle va bientôt s’absenter pour un mois, préparation des catalogues automne-hiver oblige.
- — Je peux vous confier quelque chose ? Vous allez me manquer et ce mois va être très long.
- — Allons, Jérôme, un peu d’optimisme. Ce n’est qu’un seul de nos samedis gastronomiques qui va sauter. Et puis vous me maudirez en vous occupant de mon petit jardin.
- — Non, deux fois puisque vous partez cinq semaines pleines.
- — Nous reprendrons dès le dimanche soir de mon retour, promis. À vous d’organiser cela et de m’attendre chez moi. Tenez, je vous confie mes clés. En général, j’arrive vers dix-sept heures.
- — Ah parce que vous ne rentrez pas le samedi ?
- — Eh non, je vais travailler six jours sur sept et douze heures par jour. Mais au moins trente mille euros à la clé ! Donc plein de restos.
- — Ce sera très long…
Nous échangeons quelques SMS, le dimanche essentiellement. C’est un peu chiant d’aller arroser tous les soirs. Au bout d’une semaine, je passe dans une jardinerie et j’en sors avec un équipement impressionnant d’arrosage goutte à goutte, tuyau poreux, asperseurs et programmateur. Je passe un week-end à installer tout ça avec des notices de style « Yquéha » ainsi que quelques sacs de paillage. Impeccable. Je n’ai plus à passer qu’une à deux fois par semaine pour récolter, tous les soirs à la nuit tombante l’installation irrigue les plantes sans excès ni déperdition d’eau. Les plantes ont l’air d’aimer ça, la production est généreuse. J’en mange, mais j’en fais aussi des sachets placés dans son congélateur. Le reste du temps, je galère sur les dossiers de financement à déposer avant la fin de juillet, pour mon cabinet et de nombreuses entreprises. Les aides publiques sont accessibles au prix de dossiers compliqués, répondant à la fois aux exigences de l’État, de la Région et de l’Europe. Un pensum.
Enfin, le dimanche tant attendu est là. Dès le petit déjeuner avalé, je file chez elle. Je profite du matin pour ouvrir et aérer tant qu’il fait presque frais, puis je me lance dans l’arrachage de ces sournois pieds d’herbes qui poussent dès que j’ai le dos tourné. Quelques bonnes poignées de gros sel dans les allées pour finir de les éradiquer. Je déjeune d’une carotte rincée et de deux tomates puis un coup de tondeuse sur la petite pelouse devant la maison. Tout me semble nickel, il faut encore faire « la bascule » des volets, fermer ceux qui passent au soleil et ouvrir ceux à l’ombre. La maison me paraît être fraîche et sentir bon. Il ne me reste plus qu’à me changer et ouvrir grand le portail. À dix-sept heures trente, des pneus font crisser le gravier de l’allée. Angélique sort de voiture, encore plus belle que dans ma mémoire, en short et débardeur, luisante de sueur.
- — Ah Jérôme, mon merveilleux ami fidèle au poste. Je ne vous touche même pas, je file sous la douche ? Une circulation effroyable en Île-de-France, tous les Parisiens en vacances ou en week-end, ce satané GPS qui voulait sans cesse me ramener sur le périph’ que je voulais à tout prix éviter et par-dessus le marché ma clim en panne : soit je sue, soit je me pèle. J’ai opté pour suer avec les vitres ouvertes. Je suis épuisée.
- — Vous voulez boire quelque chose ?
- — Un jus de fruits bien frais, il doit y en avoir au frigo. Dans dix minutes, je suis toute à vous.
Je commence par décharger sa voiture, ce sera fait. Je prends presque une suée à monter les cartons de vêtements qu’elle a rapportés. Je suis en train de remplir deux verres d’orangeade quand elle sort de la salle de bains dans un petit peignoir oriental fort seyant, très court et très peu fermé, laissant mes regards s’égarer en des zones intimes. Ça y est, je bande. Et ça ne s’arrange pas lorsqu’elle se jette à mon cou et me serre dans ses bras, j’en suis tout ébaubi.
- — Jérôme, oserai-je avouer que vous m’avez manqué… infiniment…
- — C’est encore une chose partagée, infiniment aussi.
- — J’ai très soif, à la vôtre.
Elle n’a pas pu ne pas sentir mon érection contre son ventre, comme je vois ses tétons tenter de percer le fin satin du peignoir. Elle a l’alibi de la douche fraîche, d’accord. Elle enfile des sandales et fonce dans le jardin.
- — Oooohh ! Magnifique ! Tout est en parfait état, comme si j’étais partie hier. Du paillage, malin… Et ça ? Qu’est-ce que c’est que tous ces tuyaux ?
- — Un système d’arrosage automatique programmable. Une heure trente d’arrosage chaque soir en goutte à goutte.
- — D’accord, du Jérôme dans le texte. Comme mes parents ne partaient presque jamais, mon père était sur place pour arroser. Je ne connaissais pas ça, c’est super. Les légumes ne souffrent pas du tout de la chaleur.
- — Vous trouverez plein de tomates et de courgettes au frais, des haricots aussi et j’en ai congelé. Il y a des fraises également. Je vous ai laissé le plaisir de cueillir les plus récentes.
- — C’est formidable, vous êtes… adorable. Génial et adorable. Quel ami ! Vous avez retenu pour ce soir ?
- — Oui, bien sûr.
- — C’est presque dommage, je serais bien restée ici me gaver de tout cela. Après plus d’un mois de régime brasserie…
- — Demain. Vous aurez toute la semaine pour vous rattraper.
- — C’est vrai. Où allons-nous ?
- — En pleine campagne, un jeune cuisinier pétri de talent, paraît-il.
- — Vous conduirez, s’il vous plaît. Marre de la voiture.
L’auberge est une ancienne ferme ne payant guère de mine, mais il y a une belle terrasse sous de grands tilleuls, juste au bord d’un petit ruisseau qui glougloute de marche en marche. Dès la mise en bouche, c’est un petit feu d’artifice dans les papilles ; aux queues d’écrevisses sur gaspacho de petits pois frais et compotée d’ail noir, on pleure de joie ; le dos de canette au jus de truffes et échalotes confites nous file un orgasme buccal ; le fromage de chèvre au fruits du mendiant et verdurette à l’huile de noisette étonne et ravit ; et la compotée de rhubarbe au jus de fraises et sorbet menthe fraîche nous achève. On tutoie le divin ! Celui-là aussi, on le place dans le trio de tête.
- — Avouez que ça aurait été dommage de rater ça.
- — Ah oui vraiment. Quel talent ! J’en suis éberluée. C’est incroyable ce que l’on peut faire avec de bons produits. Vous vous souvenez de l’autre avec ses sauces grasses ? Là, le produit est respecté, sublimé, même. J’ai a-do-ré. Quel bonheur d’être de retour !
- — C’est vrai, ce restaurant et vous et c’est le bonheur qui est de retour.
- — Jérôme…
- — Oui ?
- — Il faut que je vous dise…
- — Je vous écoute ?
- — J’ai eu plus d’un mois pour réfléchir, avoir le recul nécessaire, analyser mes souvenirs et mes sentiments.
- — Et alors ?
- — Jérôme, je suis amoureuse de vous.
J’ai filé un coup de patin qui a failli nous propulser dans le pare-brise. Heureusement qu’il n’y avait pas de voiture derrière. Je me suis garé à la première entrée de chemin ; le cœur battant la chamade.
- — Vous pourriez prévenir avant de me faire des coups pareils !
- — Ha-ha-ha ! Là au moins, je sais que ça vous a fait de l’effet.
- — Je sors fumer une cigarette, il faut que je me calme, que je réalise et que je me pince.
- — Je vous accompagne.
J’ai poussé le cri du loup en levant le nez vers la lune, elle ricanait dans sa petite robe d’été dont le fond blanc reflétait les rayons pâles. Nous avions mangé la même chose et fumé la même cigarette, alors je l’ai prise dans mes bras pour un premier long baiser, hésitant au début, vorace ensuite. Le sol inégal la fit reculer jusque contre la carrosserie.
- — Jérôme, vous n’allez pas profiter du fait que je n’ai ni culotte ni soutien-gorge pour abuser de moi en pleine nature au bord d’une route de campagne, demanda-t-elle d’une petite voix ingénue ?
- — Et provocatrice avec ça. Je ne vous savais pas comme ça. Non, je n’en profiterai pas, car un lit confortable nous attend à moins de dix kilomètres. Et que pour une première fois, je veux qu’elle soit belle, pas à la sauvette.
- — En plus, ce n’était pas vrai, juste pour vous exciter.
Ces dix kilomètres n’ont pas existé. Nous sommes déjà dans sa chambre, elle est déjà nue et moi aussi. Magie du désir partagé. Je n’ai pas assez de mains ni de bouches pour parcourir ce corps sculptural offert à ma gourmandise au moins une heure durant. Elle émet des soupirs, des petits gémissements, s’offre totalement à mon délire tactile. Quand ma bouche approche de son origine du monde, elle ouvre largement ses cuisses puissantes et me laisse laper son bonheur liquide comme un affamé. Rassasiée, ma bouche remonte vers son nombril, ses seins dilatés, sa bouche avide, tandis que ma verge s’enfile sans effort dans son écrin de plaisir. Là, elle me bloque de ses bras et de ses jambes repliées pour murmurer :
- — Ne bougez plus, mon amour. Profitez de cet instant unique. Ressentez la perception sublime de nos deux corps faits l’un pour l’autre, de nos sexes enchâssés. Nous touchons au sublime, à l’absolu, pour la première fois. Le bonheur est total, il faut en imprégner nos mémoires…
C’est une cérébrale, à n’en pas douter. Je reste donc immobile, bien planté au fond du ventre chaud et humide, mais mon pénis y vit sa vie et se met à palpiter de puissantes pulsations sanguines. En retour, son étui se contracte aussi, massant délicieusement mon sexe. L’un entretient l’émoi de l’autre et inversement. Et cela dure, dure, jusqu’à ce qu’elle prenne une profonde inspiration, rejette la tête en arrière. Ses ongles pénètrent la peau de mon dos, ses talons s’enfoncent dans mes fesses et une intense vibration parcourt ce corps musclé. Pas de soubresauts, pas de cris, juste une tétanie extrême et totale, comme une crampe généralisée. Il semble que ce soit un orgasme, à la fois puissant et discret. Ce que me confirme son murmure :
- — Je le savais, je savais que c’était vous, l’homme que j’espérais, mon homme, mon mâle, mon âme sœur. Allez-y, mon amour, prenez votre plaisir et donnez-m’en. Je suis toute à vous, totalement, faites à votre guise, ce sera bien.
Une telle invite ne se refuse pas. J’entame une lente reptation sur cette peau déjà embuée, de façon à faire profiter mon gland de toute la longueur de son vagin, dans un sens puis dans l’autre. Angélique a fermé ses paupières, un léger sourire aux lèvres, exactement comme tout à l’heure au restaurant lorsqu’elle goûtait une bouchée d’un plat nouveau. Elle déguste, elle savoure les sensations. Quelques minutes plus tard, je suis dressé sur mes bras tendus et je laisse aller mon bassin au rythme endiablé de ses coups de boutoir. Nos sexes marquent le tempo d’un clapotis sonore. Angélique me tient les côtes. Elle a ouvert ses yeux étranges et me fixe en m’encourageant :
- — Oueh, oueh, allez-y, mon amour, vous allez me faire jouir, vous savez. Oueh, oueh, je vais jouir, je vais jouir, oueh, oueh… Ah ça y est, je jouis, je jouiiis. Oh, mon amour, je jouis…
Même tétanie généralisée, mais cette fois, nous suons l’un et l’autre à grosses gouttes et elle souffle fort. Je décide de la mettre à contribution et nous fais faire un demi-tour, elle sur moi, l’invitant à prendre son plaisir à son rythme. Dieu qu’elle est belle ainsi en amazone, seins aux pointes durcies pointées droit devant, astiquant son clitoris sur mon pubis velu. Je lui tiens les mains, elle me sourit. Je lui pose les mains sur ma poitrine pour empoigner la sienne, elle ouvre la bouche en un O muet d’étonnement. Elle aspire l’air à grandes goulées, mais soudain ses bras semblent la trahir et elle s’affale sur moi. Je l’enserre et mon bassin, avec la complicité des rebonds du lit, entame une rafale de petits coups très rapides qui la propulsent vers une autre tétanie. Des râles accompagnent sa reprise de respiration, comme un coureur exténué. Elle avale sa salive avec peine et se redresse.
- — Mon merveilleux amant, vous allez me faire mourir de plaisir. Mais et vous ?
- — Votre plaisir est mon plaisir. Je vous aime et j’aime vous faire perdre tout contrôle.
- — C’est bien peu dire que je vous aime aussi. Mais moi aussi, je veux vous amener à l’orgasme.
- — Alors, offrez-moi votre somptueux postérieur que je l’emplisse de ma liqueur.
Aussitôt, elle s’écarte de moi, restant à quatre pattes, tendant à ma convoitise une rotondité sublime, orbe double largement écartée, vulve dilatée et orifices béants. Je ne peux me retenir de lécher avidement cette olive de chair tendre, du clitoris à l’anus, fourrant ma langue partout où elle peut pénétrer. Cette fois, j’entends un « Oooh ! » et j’imagine sa bouche arrondie comme il y a un instant. Sa cyprine est omniprésente et continue de sourdre en coulant le long de ses cuisses. Mon dard trouve son chemin sans effort, mes mains un vaste champ de préhension. Cette fois je ne pense plus qu’à mon plaisir, qu’au plaisir de baiser cette femme sublime, cadeau phénoménal que la vie me fait. Je pilonne sans égards, et c’est bien nécessaire tellement elle est humide. Parfois je m’arrête brutalement et de courtes tétanies lui creusent les reins et l’incitent à lancer ses fesses à l’assaut de mon mât. Elle aime donc ça, elle en veut encore, je lui en donne.
Mon ventre frappe ses fesses, fausse fessée qui en appellerait une vraie, mais on verra peut-être plus tard. Son cul, sa taille fine, son dos en V, son cou gracile, elle est si belle et si délicieuse que je sens le plaisir monter. Une dernière charge plus rapide et plus forte et les poignards de l’orgasme se plantent dans mes reins. Il y a des éjaculations de jouissance et puis il y a l’orgasme. Celui-ci en est un colossal et me fauche presque jusqu’à la syncope. Je m’effondre sur elle, elle s’effondre sur le lit et se raidit comme une statue de pierre, vibrant comme si on la sculptait au marteau-piqueur. Ses fesses soudain rigides m’essorent la queue comme un tube de dentifrice. Elle se vide d’air dans un grognement de bête agonisante. Nos sueurs et nos sucs mêlés, nos corps enfiévrés, mais sans vie, empilés, la petite mort nous frappe de son néant provisoire.
Il faut récupérer chacun les membres qui nous appartiennent, retrouver doucement la réalité, espérant que la vie ne sera qu’intermèdes entre de tels moments de bonheur. Angélique jette un œil distrait vers le réveil.
- — Quoi ? Deux heures et demie que nous faisons l’amour ? Moi qui étais épuisée par cinq semaines de travail intense, cinq cents bornes en plein cagnard, je n’avais même pas envie d’aller au restaurant et je viens de gravir l’Everest les doigts dans le nez ! Pire, je me sens dans une forme olympique !
- — Le plaisir shoote aux endorphines, vous ne sentez plus votre fatigue.
- — En tout cas, j’ai très soif. Je vous remonte quelque chose ?
- — Si vous restez nue, je descends aussi.
Au détail près que, dès qu’elle s’agita, des bruits incongrus de pets humides se firent entendre. Direction salle de bains, j’attends mon tour avant de la rejoindre à la cuisine.
- — Qu’est-ce qu’il fait chaud ! Même nue, j’ai envie de tout ouvrir pour faire courant d’air. Mais je n’ai pas envie qu’un voisin nous aperçoive ni de me faire dévorer par les moustiques.
- — Il suffit d’éteindre les lumières.
Ce que nous faisons, bénéficiant soudain d’un peu de fraîcheur. Dans la véranda grande ouverte, elle vient se nicher contre moi.
- — Dès notre première rencontre chez Sophie, j’ai eu comme des papillons dans le ventre. C’était bien la première fois qu’une telle chose m’arrivait. C’est curieux tout de même cette sensation de reconnaître quelqu’un sans l’avoir jamais vu.
- — Mémoire confuse de vies antérieures, disent les uns, ou plus prosaïquement une de mes tantes disait que « toute cafetière a son couvercle » !
- — Ha-ha ! Ça, j’aime bien, très imagé. Et c’est vraiment mon impression présente : c’est le bon monsieur qui s’emboîte parfaitement avec moi, moralement et physiquement. L’idéal en somme.
- — Ce serait bien si ça durait plus que le temps d’une merveilleuse soirée.
- — Je n’osais pas le dire. J’espère que ce n’est pas pour vous une aventure d’un soir ?
- — Oh, fine comme vous l’êtes, vous imaginez bien que je ne suis pas fait de ce bois-là. Le plus inquiet des deux, c’était moi : trop belle pour moi, tous les hommes à ses pieds, elle choisit, elle prend, elle jette.
- — Et vous, vous avez bien compris depuis que je ne suis pas ce genre de femme. Moi, c’est la quête de l’inaccessible absolu. Et je crois que ma quête se termine, et plutôt bien. C’est vrai que vous me trouvez belle ?
- — Plus que ça, vous savez bien, je ne trouve pas les mots, que des mots que d’autres ont dû déjà galvauder à votre égard.
- — On s’en fout des autres. Dites-moi ce que vous pensez vraiment.
- — Eh bien… sublime, je vous trouve sublime. Le comble de la féminité, de la beauté à l’état pur, des formes que tout sculpteur rêve de révéler d’un bloc de marbre. Et des yeux invraisemblables qui vous donnent un regard étrange de chien husky. Tellement que j’ai mis beaucoup de temps à avoir envie de vous, l’envie physique, je veux dire, j’ai mis longtemps à bander pour vous pour être cru. Curieusement, les femmes qui ont tel ou tel petit défaut semblent plus accessibles. Mais quand on rencontre la perfection, on pense que ce n’est pas pour soi.
- — Eh bé ! De tels mots, personne ne me les a jamais dits et je ne pense pas les mériter. En revanche, j’ai cru comprendre que vous aviez fort bien surmonté le plafond de verre et que désormais vous êtes en mesure de bander pour moi. J’en suis ravie. Faites voir un peu ? Hum… en effet. Il est peut-être inutile de changer les draps si nous devons recommencer. Mais au fait, vous travaillez demain, enfin tout à l’heure ?
- — Non, je me suis mis en vacances. J’ai fini mes dossiers de financement et je me suis dit qu’on pourrait peut-être se rattraper en passant quelques moments ensemble. Je n’imaginais pas à quel point.
Elle me caresse la queue en m’embrassant goulûment. Je pense qu’une deuxième séance est inéluctable. Elle est même bien plus proche que je ne pense, car Angélique se laisse glisser le long de ma poitrine et embouche mon sexe avec voracité. Je regrette que nous soyons presque dans l’obscurité, car les faibles rayons de la lune éclairent surtout ses yeux, tentant de lire mes réactions sur mon visage. Ce n’est pas une spécialiste de la discipline, j’ai connu mieux, mais elle y met tout son cœur. Quel délice de recevoir une fellation d’une jolie femme, ce don de plaisir sans retour car, jusqu’à preuve du contraire, la cavité buccale de la femme ne contient pas de clitoris. Je le lui dis, et ce faisant je gâche ma turlute. Car c’est une cérébrale, qui veut répondre et débattre.
- — Humpff… Pas seulement, c’est aussi une bonne manière de se débarrasser d’un homme dont on ne veut pas subir les assauts.
Puis se redressant, elle me plaque un baiser, une main sur ma nuque, l’autre toujours sur mon sexe.
- — Rassurez-vous, ce n’est pas le cas en ce moment. Je voudrais plutôt vous sentir en moi.
La table de la cuisine offre le plus proche support sur lequel je l’appuie pour embrocher son somptueux fessier, elle reçoit cet assaut comme une délivrance. Quelques instants plus tard, elle y est à plat dos, cuisses largement ouvertes et poitrine offerte à un pétrissage en règle. Nous terminons cette séance au lit, encastrés l’un dans l’autre quand le sommeil nous rattrape. Il n’est pas loin de midi quand nous nous réveillons, béats de nous découvrir dans le même lit, heureux de n’avoir pas rêvé. Comme la vie est belle parfois !
Je me charge du déjeuner pendant qu’elle déballe ses cartons de vêtements ; carottes râpées, concombre, tomates et aromates du jardin, avec deux œufs durs et un trait d’huile d’olive. Un petit délice rafraîchissant et sain, suivi, il fallait s’en douter, d’une sieste crapuleuse sur le canapé du living. Le téléphone sonne, Angélique va répondre. Nue, un coude négligemment posé sur la console, elle est très à l’aise dans ce costume d’Ève, très à l’aise et prodigieusement belle. Ses gros seins aux larges embases d’une tenue parfaite, l’ample ovale de ses hanches, sa taille fine, ses cuisses puissantes, ses fesses pommées… Quelle merveille ! C’est Sophie qui appelle, bien sûr. Oui, elle est bien rentrée, oui, elle est fatiguée, non, elle ne pourra pas venir à un barbecue samedi parce qu’elle compte partir quelques jours en vacances. Oh ! Le gros mensonge ! Pas si sûr, car une fois la conversation terminée :
- — Je me disais, mon amour que, comme vous êtes en vacances quelques jours, peut-être qu’on pourrait se faire une petite escapade tous les deux, en amoureux. Qu’en pensez-vous ?
- — Tout ce que vous voudrez. Pendant ce temps, on laissera votre voiture au garage pour réparer la clim.
- — Excellente idée. On va où ?
- — Où vous voulez, sachant que les côtes sont blindées de monde, reste l’Auvergne ou le Cantal…
- — Ou la montagne. Ça me dirait bien quelques randonnées avec vous. Vous connaissez des coins ?
- — Bien sûr. Mon coin préféré se situe dans les Alpes italiennes, le Grand Paradis.
- — Oh ! Le Grand Paradis !… Jamais entendu parler, mais ça me semble tout indiqué.
Je téléphone, on ne nous accepte qu’à partir du samedi, tout le temps pour nous préparer et faire les fous.
Après s’être émerveillée au col du Petit Saint-Bernard, sur la vue du Mont-Blanc côté italien, Angélique se cramponne à la poignée de maintien sur cette route qui n’en finit pas de monter et de tourner. Puis c’est la délivrance en atteignant la large vallée de Cogne inondée de soleil et… de touristes. Elle est enthousiaste :
- — Ah oui, ça c’est de la montagne, de la vraie ! Ce que c’est beau ! Et toutes ces maisons fleuries et couvertes de pierres plates…
- — Oui, ce sont des lauzes, et ces empilements de poutres à claires-voies sur certaines façades, ce sont d’anciens greniers à foin, des fenils, l’agriculture et notamment l’élevage était la principale activité autrefois. Ils produisent un merveilleux fromage, la fontina, et cette vaste prairie est toujours réservée à cette activité traditionnelle.
- — Magnifique, j’ai hâte d’en goûter.
- — Pas de souci, ils en mettent partout, dans la polenta comme dans les pizzas.
- — C’est vrai ? Ha-ha-ha ! Et ces énormes tas de cailloux tout le long du torrent ? Ils ont rasé la montagne ?
- — Non, ce sont les rejets de la mine, voyez, tout là-haut. On extrayait du minerai de fer qui alimentait une usine sidérurgique à Aoste, qui s’appelait « la Cogne », aujourd’hui fermée. Mine et élevage étaient les deux activités de la vallée, avant le tourisme.
- — D’accord. Et notre hôtel ? C’est lequel ?
- — Pas ici, on va encore monter, jusqu’au bout de la route.
Au bout de la route en effet, jusqu’à l’Auberge du Belvédère, la bien nommée, où la patronne nous accueille en m’embrassant à pleins bras. J’y suis connu et reconnu. Excellente table de cuisine familiale, propreté à manger par terre et vue extraordinaire sur le Grand Paradis et le mont Blanc depuis un balcon surplombant Cogne à couper le souffle. Angélique adore. Mise en jambes sur les chemins « à poussettes », il le faut, car on est à 1 800 mètres, puis nous passons une nuit au refuge Vittorio Sella, voir bouquetins, chamois et marmottes.
Ma compagne athlétique grimpe comme un chamois, j’ai presque du mal à la suivre. Cascade de Lillaz, puis montée escarpée au Lago di Loie, mais là, Angélique grimace. Sa cheville droite la fait souffrir. Nous redescendons par le chemin plus facile, mais plus long des fermes de Bardonney. Dès les premiers sapins rejoints, je lui dégotte un gros bâton aussi tordu que noueux. Elle peut s’y appuyer aux endroits où je ne peux pas la soutenir. Le soir, je la masse avec le baume qu’elle a apporté, elle prend des antalgiques, mais nous nous contentons de faire « les touristes » à la maison de la dentelle, spécialité locale, puis à Aoste dans les vieilles rues et les ruines romaines. Annoncer le départ par le col du Grand-Saint-Bernard et les bords du Léman semble être pour elle un soulagement.
Vingt ans plus tard…
Nous sommes de nouveau sur les sentiers « à poussettes » de Cogne. Ce lieu a tellement plu à Angélique que nous y revenons souvent. Sophie et Marc étaient nos témoins à notre mariage, et nos deux grands enfants préfèrent définitivement la mer à la montagne, ils sont en stage de voile aux Glénan. Mon épouse est toujours aussi belle qu’autrefois, ses yeux toujours aussi fascinants et elle me donne toujours autant de plaisir. L’Auberge du Belvédère a fait installer un ascenseur et une rampe d’accès, c’est bien, ça m’évite beaucoup de tracas et de fatigue.
Avec le nouveau fauteuil roulant motorisé, équipé de roues tous-terrains, je n’ai plus qu’à aider Angélique à sortir de quelques ornières ou à surpasser quelques gros cailloux. Les plaques de métal vissées dans sa cheville droite avaient bougé ici-même il y a vingt ans. Elle a serré les dents espérant ne pas repasser sur le billard, mais elle a compensé avec la jambe gauche provoquant un problème identique. L’opération devint inévitable, mais l’état de ses multiples petits os broyés n’a permis qu’une rémission d’une dizaine d’années. Il a fallu des attelles rigides la faisant marcher comme Robocop, puis les chevilles n’ont plus supporté son poids. Nous fondons tous nos espoirs dans un exosquelette que l’on nous promet depuis trois ans déjà…