n° 20538 | Fiche technique | 23290 caractères | 23290Temps de lecture estimé : 13 mn | 14/10/21 |
Résumé: Ce voyage de retour, qui devait être un voyage de rêve, tourne à l’horreur, en me rendant à une réalité cauchemardesque. | ||||
Critères: fh train humour fantastiqu -fantastiq | ||||
Auteur : Iovan Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Looking for Manara Chapitre 07 / 07 | FIN de la série |
Résumé de l’épisode précédent :
Leur quête enfin, enfin terminée et couronnée de succès, ma très belle Carla et ses compagnons vont enfin pouvoir vivre leur vie. Mais…
Nous devions retrouver la Nonna à la sortie de Vérone, en début d’après-midi, qu’elle avait libre, ne commençant son service que vers dix-sept heures. Nous prîmes un car, à la gare routière de Milan, qui nous déposa dans le centre de la jolie petite ville où nous n’eûmes même pas le temps, mon Adorée et moi, de nous embrasser sous le mythique petit balcon de la maison de Juliette, comme deux pimpins de touristes amoureux..
La Nonna arriva vers quinze heures, dans la voiture que le célèbre dessinateur nous avait envoyée, conduite par son chauffeur.
Une demi-heure plus tard, nous étions à la grille du vaste domaine, qui entourait la demeure de l’artiste. Nous empruntâmes un chemin empierré, et arrivâmes face au vaste perron où le talentueux dessinateur attendait ses créations…
C’était un grand et beau vieil homme aux cheveux blancs, qui dégageait, cela frappait dès le premier regard, une impression de calme et de maîtrise tranquille de lui-même et de ce qui l’environnait. Il était vêtu d’un pantalon de velours, d’une chemise blanche assortie d’un foulard, et portait un riche gilet de laine dont la ceinture était nouée. Il accueillit chaleureusement, avec une émotion certaine totalement maîtrisée, ses personnages qu’il étreignit affectueusement, l’un après l’autre. Carla souriait, des larmes plein les yeux, et je vis le joli menton de Claudia trembler d’émotion, même Faust était impressionné et se départit de son attitude désinvolte de petit frimeur, seule Honey, avec son joli sourire, ne paraissait pas sensible à l’émoi qui semblait étreindre, même, la hautaine Béatrice. Le maître des lieux les fit entrer dans la luxueuse demeure et entra à leur suite.
Ainsi que j’en avais prévenu ma très belle maîtresse, je me mis en retrait et partis… Alors que je brûlais d’envie de les suivre et de découvrir le saint des saints où se créait tant de beauté et de merveille artistique, mais le respect que j’éprouvais pour le grand Monsieur et pour mes chers compagnons, ainsi que pour l’importance de cet événement unique, me commandait de me retirer et de leur permettre de jouir de ce moment sans qu’aucune ombre ne puisse venir le ternir, de quelques manières.
J’allai me promener, pour passer le temps, dans l’immense propriété de l’artiste. Près de ce qui ressemblait à une ferme entourée de vignobles, j’aperçus de nombreux animaux, certains dans des enclos, d’autres en liberté.
Perché sur le toit, un grand corbeau semblait me regarder. Pouvait-il me voir, lui aussi… ? J’étais étonné : je n’aurais jamais cru qu’il y avait de ces grands oiseaux jusqu’en Vénétie. Je m’approchai pour mieux l’observer. Il me salua en patois vénitien et vint se poser sur le puits où je m’étais assis. J’étais émerveillé.
C’est à ce moment que j’entendis une voix de femme, derrière moi.
Je me retournai et vis une très belle femme blonde. Je reconnus immédiatement Tippi Hedren.
Elle fit comme si elle n’avait pas entendu.
Elle retourna s’asseoir sur un banc, à côté d’un beau gars en tenue de hussard qui semblait s’ennuyer. Il se tourna vers moi et me lança :
Le grand corbeau s’interrompit, voyant que je le fixai, un sourcil levé.
Puis je l’entendis maugréer :
Il se leva.
Ils se levèrent et partirent. Négligemment, Angelo, c’était son nom, pelotait les jolies fesses de la blonde.
Le grand corbeau haussa les épaules, dépité.
Nous restâmes un grand moment à bavarder et, me faisant promettre de ne jamais en parler, il me raconta son expérience cinématographique. L’après-midi passa très vite.
Nous vîmes revenir le hussard et sa belle compagne, main dans la main, des fétus de paille plein les cheveux… Lui avait l’air beaucoup plus détendu.
Le grand corbeau, les voyant, se mit à chantonner, sur l’air des lampions :
Je me rendis compte qu’il était triste.
Il soupira.
Il s’envola vers les vignobles, et j’entendis une voix de femme.
Je me retournai, mais ne vis personne.
Le grand corbeau devait lui aussi avoir un réseau de première car, effectivement, lorsque je parvins devant la vaste demeure de l’artiste, mes compagnons en étaient sortis et leurs adieux faits, se dirigeaient vers le parking où le chauffeur attendait.
Ils ne tarissaient pas d’éloges sur leur créateur, vantant son intelligence, sa bonté et sa chaleur. Il avait généreusement accordé son autorisation et avait émancipé ses personnages, les encourageant, mais les mettant aussi en garde, contre les pièges et les dangers d’un monde qu’il savait difficile. Il les avait conquis.
Honey pleurait et ma belle Carla la consolait, la tenant dans ses bras, lui parlant à l’oreille.
Nous allâmes embrasser et remercier la Nonna qui prenait son service. La vieille dame était ravie que tout se soit bien déroulé, et nous prîmes congé d’elle, la remerciant chaleureusement.
Une heure et demie plus tard, le chauffeur nous déposait à Milan.
Après de longues embrassades et promesses de vite nous revoir, notre petit groupe se sépara, Faust et Claudia partant d’un côté, Béatrice et Honey repartant ensemble, main dans la main… non sans que Béatrice, gourmande, m’eût demandé si j’avais le numéro de Simona qu’elle « avait bêtement oublié de lui demander. »… Ma chère Zia l’avait, bien sûr, et je le communiquai à la belle perverse, ravie.
J’emmenai ma Carla adorée, dîner à la Casa Arlati, une jolie petite trattoria sur le Grand Canal. Carla demanda une table isolée, ce qui me donnait un peu de liberté. Ma belle était rayonnante d’enthousiasme à l’idée de sa toute nouvelle vie. Inquiet de sa réponse, je lui posai la question de ce qu’elle comptait faire maintenant. La coquine me regardait par-dessus son verre, prenant son temps…
Je me saisis de sa main et l’embrassai avec passion.
Après un savoureux dîner pendant lequel ma belle Carla se montra gaie et enjouée, nous rentrâmes à l’hôtel, flânant le long du canal. Anticipant déjà les délices de la longue nuit qui s’offrait à nous, je profitai de ce que ma Belle se délassait sous la douche, pour appeler la Stazione Centrale et réserver nos billets pour le lendemain.
Je tombai sur une employée à l’étrange voix de crécelle, qui m’indiqua que, pour nous, il n’y avait pas d’autre possibilité que le train de nuit de ce soir. Je refusai, et lui demandai de bien vouloir regarder les offres pour le lendemain.
La voix miaula rageusement dans l’écouteur :
Elle raccrocha, avant que j’aie pu réagir.
Je pris l’Ass-Phone dans le sac de Carla et lançai une recherche. Étrangement, j’avais accès à tous les sites de réservation, mais n’obtenais aucun résultat. Pas un train, pas un avion, ni même un car… Je ne pouvais avoir accès à aucun moyen de transport.
Quand ma belle Carla sortit de la douche, séchant sa magnifique chevelure, je lui fis part de ce problème. Cela l’étonna, mais pour elle, il n’y avait aucun problème : nous n’avions qu’à prendre ce train… C’était un peu notre train, non ?
Je souris : ma belle avait encore raison !
Je décrochai le téléphone, et composai le numéro de la gare. Une voix de femme chaude et sensuelle me répondit :
Je n’avais pas dit un mot. Étrange ! Après tout… Pas plus que le reste !
Je téléphonai, à l’arrache au Zio, pour l’informer de notre départ précipité.
Après s’être enquis de l’heure de départ, il m’affirma qu’ils seraient tous à la gare pour nous souhaiter bon voyage. Je le remerciai et nous nous mîmes, Carla et moi, à nous préparer au départ. Ma belle me semblait parfaitement heureuse de ce voyage et paraissait tout à fait détendue, ce qui me rassura, et calma un peu l’inquiétude qui me tenaillait depuis cette décision de hâter notre départ.
Nous prîmes un taxi qui nous déposa devant la gare, et une dizaine de minutes plus tard, Zio, Zia, Gian Carlo et Tamara étaient là. Les adieux furent brefs, le train partait dans les quinze minutes. Nous nous rendîmes à une borne électronique où ma belle Carla retira nos deux billets, puis, de là, au quai sept, où notre train était sur le point de partir. Nous montâmes à bord. Il fut aisé d’y trouver nos places : le train était vide… Absolument désert ! C’était bizarre… je n’aimais pas ça… et je me sentis une vague angoisse au creux de l’estomac. Je n’en dis rien.
J’aidai Carla à poser son sac de voyage dans le filet et je l’embrassai. Lentement, les lumières de la gare se mirent à glisser le long de la fenêtre. Le train traversait la banlieue nord et roulait à petite vitesse.
Je l’embrassai, étreint par une émotion indicible, et nous restâmes un long moment à nous cajoler du bout des doigts, à nous caresser du bout des yeux…
Soudain, elle s’écria :
Elle avait saisi mon visage dans ses mains et me regardait, ses beaux yeux pleins de larmes.
Elle se jeta dans mes bras et nous nous embrassâmes, nous nous embrassâmes encore et encore.
Une inquiétude m’empoignait alors que j’aurais dû en être heureux : quelle était la raison de ce changement d’état ? Qu’est-ce que cela signifiait… ? Je chassai ces idées sombres, je voulais être léger.
Je pensais que je n’avais même pas eu le temps d’emmener mon Adorée au bord de la Scarlighett, rivière de mon enfance, courant limpide dans son écrin de verdure au nom étincelant de gouttes d’eau, de souvenirs et de lumière. Au retour… Nous irions tous les deux, au retour !
Ma Divine Carla était là, sagement assise, face à moi, regardant distraitement la banlieue dérouler son film gris. Une fois de plus, je me perdais dans sa contemplation. Dieu, qu’elle était belle !
Elle riait, légère…
Sa soif de vie, son appétit inextinguible, son désir dévorant me subjuguaient. Une fois de plus, je tombai amoureux.
Je déposai un baiser sur sa jolie bouche et sortis du compartiment, la laissant en tête à tête avec un de ces magazines papier glacé pleins de photos qui ne mettront jamais les méninges de qui que ce soit en surchauffe.
Le train roulait toujours très lentement et c’était étrange de déambuler seul dans ce couloir désert, la sensation de malaise que j’avais éprouvée en montant dans ce train s’amplifiait, j’étais mal… Je n’avais qu’une hâte, retrouver ma Carla.
J’arrivai au wagon-bar, désert lui aussi, pas une âme, pas un bruit. Je ne cherchai même pas à appeler, c’était inutile. Je m’apprêtais à repartir quand un cliquetis se fit entendre, provenant des distributeurs automatiques alignés près du bar. Je m’approchai. Avec son bruit creux caractéristique, un gobelet en plastique tomba dans son logement, un nouveau cliquetis, un voyant rouge qui clignote et la machine cracha un jet brun et mousseux… Je m’emparai du gobelet d’ersatz et repartis vers le compartiment où m’attendait ma belle. Je remarquai que le train ne roulait plus, il était arrêté dans ce qui ressemblait à une gare désaffectée et enveloppée de brume.
En chemin, je pensai que c’était loin d’être une boisson royale que je portais à ma Reine, quand je sentis tous mes poils se hérisser : l’odeur, l’odieuse odeur flottait dans le couloir ! L’Infâme était dans notre train ! Je hurlai « Carla !! » au moment où retentissait une sonnerie stridente, et me mis à courir vers notre compartiment
Comme dans un cauchemar. Je constatai que je n’avançai pas, mes mouvements se décomposaient en un ralenti désespérément lent… mon cœur dans ma poitrine s’affolait, shooté par un flot d’adrénaline qui me faisait panteler. Il fallait que j’arrive à Carla… Il fallait la prévenir… Il était là ! Et cette sonnerie qui… ! J’avais l’impression que ma poitrine allait éclater… Vite ! Vite ! Carla ! Ma Carla… J’étais fou de rage et d’angoisse, les hurlements qui me montaient dans la gorge se transformaient en borborygme grotesque… elle ne pourrait même pas m’entendre… et cette sonnerie… ! L’odeur se précisait, devenait de plus en plus forte. Le bruit et l’odeur ! Infernal.
Enfin, j’atteignis notre compartiment, j’aperçus ma belle toujours plongée dans sa lecture. J’essayai de hurler pour l’alerter… rien à faire. Et toujours cette sonnerie assourdissante !
Et là, je le vis.
Il était assis dans le compartiment, presque en face de Carla. Le visage tourné dans ma direction, il savait que j’arrivais. Il me fixait des deux trous noirs de son regard, impassible. Je m’essayai encore à hurler, ce fut tout juste un filet de voix qui sortit de ma gorge, et que moi-même, j’entendis à peine. Carla, toujours absorbée par sa lecture, semblait ne même pas s’être aperçue de l’odieuse présence.
Il se leva, silhouette malingre et bancale, ma belle ne leva même pas la tête, et il ouvrit la porte. Sa voix caverneuse me fit frissonner.
Il avait grandi ! Je sentis la chair de poule me couvrir tout le corps.
Il fit un pas vers moi.
Cette sonnerie !
Ma voix ! J’avais retrouvé ma voix !
Il éclata d’un rire sardonique de comédie.
Il avançait, il avait grandi encore, il était maintenant aussi grand que moi. Il me semblait que la sonnerie était plus forte, encore.
Dans un geste de rage, je lui balançai le gobelet de café au visage. Il se figea comme frappé de stupeur et lentement s’essuya du dos de la main, me fixant de son regard vide, tous ses traits frémissant de fureur. Il me dépassait d’une tête.
Je hurlai :
Prenant une voix niaise, il se foutait de ma gueule ! Je lui balançai un grand coup de savate dans les nonnèques. J’eus l’impression d’avoir shooté dans un mur.
Je reculai en claudiquant, tant je m’étais fait mal, hurlant pour essayer d’alerter ma belle…
Il avançait toujours… Immense.
La sonnerie continuait à me vriller les tympans.
Il avait fini par me faire reculer, mort de trouille, anéanti d’angoisse pour ma Carla, jusqu’à la plate-forme d’entrée du wagon. À ce moment, une grande belle femme en tenue de soirée sortit des toilettes et me regarda. Elle m’adressa un magnifique sourire, et de la même voix sensuelle et chaude que celle de la standardiste de la gare Centrale :
J’entendis, derrière moi, la portière s’ouvrir avec un claquement métallique, et d’un geste négligent, la créature me poussa. Je basculai en arrière et tombai durement sur le quai, alors que retentissait le sinistre rire imbécile de l’Ignoble.
La sonnerie achevait de m’affoler, me raclant le cerveau.
Je tentai de me relever. Carla ! Ma Carla… Environné de brume, de fumée, de vapeur, je hurlai, fou de douleur… je ne pouvais faire aucun mouvement, cloué au sol, sur le quai. Emporté par un tourbillon de panique, je sentais des larmes de rage impuissante me monter aux yeux… Carla ! Au secours… ! Quelqu’un !
La portière claqua, se refermant et, lentement, le train s’ébranla. Je hurlai à m’arracher la gorge, sanglotant le nom de ma belle, seuls le vacarme de la sonnerie et le fracas du train prenant de la vitesse me répondirent…
Je clignai des yeux dans la lumière grise d’un petit jour sale, la sonnerie du réveil me raclant le cerveau…j’étais dans mon lit… je me rendis compte que des larmes coulaient sur mes joues et mes tempes…
Carla… ! Ma Carla !
Dans les ruines de mon rêve, les yeux grands ouverts sur l’immensité d’un désastre que je n’arrivais pas à concevoir, j’étais anéanti, secoué de sanglots.
L’ombre portée de la rambarde, au plafond, semblait les barreaux d’un cachot.
Le cauchemar venait de commencer.