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n° 20580Fiche technique19180 caractères19180
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Temps de lecture estimé : 11 mn
16/11/21
Présentation:  Petite bluette vraiment pas érotique
Résumé:  Quoi de plus bête qu’une bancelle, quatre pieds et un plateau… et pourtant… !
Critères:  fh fagée jeunes freresoeur jardin anniversai amour cunnilingu nostalgie
Auteur : Charlie67            Envoi mini-message
La bancelle de Noémie






Étant l’œuvre de Robert, j’avais évidemment droit à tous ses soins. Maintenant, je suis toute tordue, crevassée, écaillée par le temps. J’avais fière allure quand il m’a créé. Le jeune homme s’était lancé dans cette aventure sans trop savoir où cela le mènerait.

C’était un défi pour lui. Son père lui avait dit :



Les mains du garçon s’activèrent, scièrent, rabotèrent, percèrent, poncèrent, et me voilà… !


Oh bien sûr, je ne pouvais me comparer à un de ces bancs « design », dessiné par un des derniers artistes en vogue ni à un de ceux du parc voisin tout en fonte et en chêne, fraîchement repeints chaque printemps. Non, je n’étais qu’une bancelle de pauvre sapin ! Mais j’étais la bancelle de Noémie.


J’avais connu la belle dès ma création. Elle venait admirer Robert me peaufinant. Elle avait toujours un mot gentil pour lui, comme pour moi. Elle me trouvait beau, moi, un bête banc. Si j’avais pu, je crois que j’en aurais rougi de plaisir !


Ce n’est pas elle qui m’avait étrenné, même si j’aurais bien aimé… ! Non, c’était cette chipie de Catherine qui m’avait sauté dessus la première. Il fallait dire que l’accueil de la famille était mitigé.



Cette dernière posa son gros popotin sur mon dos. Pfff, je pliais sous la charge, mais hmmm, je tenais bon… !



Noémie ne me connut officiellement que le soir de ce premier jour. Elle posa son délicat fessier sur mon dos. Sa courte jupe plissée remonta suffisamment pour que la peau nue de ses cuisses entre en contact avec mon bois. Il faut dire qu’à cette époque-là, je n’avais pas encore les crevasses et callosités qui marquent maintenant mon âge. Aussi éphémère qu’il fût, le contact m’électrisa. Telle une caresse, elle passa deux à trois fois sa main sur mon grain verni. Je savais qu’à tout jamais, je serais la bancelle de Noémie.


La belle regardait le grand dadais de ses yeux de biche. L’invite à la rejoindre ne fut pas comprise. Il pérorait sur la difficulté à me construire et la satisfaction de me regarder. Il parlait, il parlait au lieu de prendre cette frêle menotte, de la caresser, peut-être de la porter à ses lèvres. Non, il soûlait de paroles futiles la pauvre enfant qui n’espérait qu’un geste tendre.


Je ne la revis pas de longtemps. Les vacances scolaires étaient passées et le dur carcan des études retombait sur cette jeunesse. Avant de partir pour l’université, Robert m’installa sous une charmille qu’il tailla harmonieusement pour me donner un couvert confortable. L’endroit, bien choisi, me positionnait près de l’entrée de la propriété avec une vue sur tout le chemin menant à la grande bâtisse familiale.


Je passais là mon premier hiver et les années suivantes en commençant à faire partie du décor. La maman s’asseyait souvent sur moi en revenant des courses. Elle s’y accordait ce délicieux temps de repos avant de reprendre ses cabas et le rude collier de la ménagère. Le père venait aussi me rendre visite de temps à autre. Quand la douceur du soir le permettait, il fumait sa pipe sous la charmille, me tapotant de temps à autre. Je devais lui rappeler son fils qui réussissait si bien dans ses études.


Robert ne m’oubliait pas, chaque été, il m’emmenait dans l’atelier. Me décapant, me ponçant, réparant les petits outrages du temps qui apparaissaient déjà, malgré mon jeune âge. Me réinstallant à ma place, il profitait de moi, malgré le confort relatif, et piquait un petit somme réparateur à l’ombre du soleil estival. À quoi rêvait-il ? Je ne saurais dire, espérant tout de même que ce soit à la belle dont j’espérais le retour.


De jeune fille, je n’avais que la turbulente Catherine. Maintenant son bac passé, elle se complaisait dans son oisiveté, me fréquentant de temps à autre. Son « transistor » posé à même mon bois transmettait les ondes endiablées d’un fougueux rock’n’roll. Si sa jupette me faisait tout autant goûter à sa peau dénudée, j’avais la nostalgie de celle de Noémie.

C’est d’ailleurs la petite sœur qui me fit connaître ma première copulation. Enfin pas que je participe, mais bel et bien que je subisse. Mon dos en est encore endolori. Il est probable qu’à la brune d’un jour d’été les sens s’exacerbent plus qu’à l’ordinaire. La mignonne rentrait de promenade et entraîna le mâle du moment dans mon antre et à l’abri des regards indiscrets.


Les choses commençaient sagement, malgré les gloussements de la belle. L’escogriffe, lui, ne comprit pas immédiatement sa bonne fortune. Son visage encore boutonneux préjugeait d’une inexpérience en la matière. Il hasarda bien une main inquisitrice sur la cuisse, mais une tape discrète empêcha sa progression sous le tissu. La rouée savait se faire désirer.


Le dandin refroidi, elle allait le réveiller, le chauffer à blanc. Les bouches soudées et la main dans le short du jeune homme, elle vérifiait ses bonnes dispositions. Avec une dextérité hors du commun, elle envoya valdinguer sa culotte. Maman la retrouva quelques jours plus tard et se demanda ce que faisait cette pièce de vêtement dans le coin ? Catherine prit la tête du garçon entre ses mains et la dirigea sous sa jupe pour un broute-minou d’anthologie. Si le hululement poussé n’en était pas vraiment d’un strigidé, il n’en effraya pas moins la gent trotte-menu environnante.


Le godelureau n’avait pas encore repris son souffle qu’il se retrouva encapuchonné et allongé sur moi. L’amazone le chevaucha hardiment et se lança dans une sarabande qui m’aurait laissé sur les rotules, si j’en avais. Il n’empêche que je soupçonne que c’est à partir de cette soirée que j’ai eu du jeu dans les mortaises.



Le problème, avec la cadette de la famille, était qu’elle était insatiable. Il y eut un, deux, trois représentants masculins. Ensuite, je n’ai plus compté. J’ai béni le retour des frimas qui rendaient moins agréables les séances culs nus en extérieur. L’automne emporta cette jeunesse vers leurs chères études et je me retrouvais avec mes habitudes et les fréquentations sporadiques de papa et maman.


Et toujours pas de Noémie à l’horizon !


L’année suivante vit les vingt-cinq ans de Robert. Une petite fête s’imposait. La propriété, désertée par les anciens, avait été envahie par une horde sauvage et désordonnée qui mettait à sac les réserves buvables de la maisonnée. La soirée était à peine entamée qu’une nombreuse « viande soûle » jonchait déjà les pelouses. Le demi-jubilaire s’écarta de la beuverie pour me rejoindre. Une fois assis, il posa son verre de bière inentamé et demeura là, pensif. Son esprit divagant devait être morose car aucun sourire n’éclairait son visage.


Le tintinnabulement de la clochette du portillon lui fit relever la tête et le corps pour accueillir un nouveau convive. La sylphide qui l’accompagnait pour son retour me laissa pantois. Noémie avait encore embelli pour autant que cela puisse être possible. Elle portait une légère robe printanière accompagnée d’un mince cardigan négligemment jeté sur ses blanches épaules. Ses boucles brunes encadraient son visage à jamais poupin. Les ans glissaient sur elle, mais ne l’accablaient pas. Son cou gracile, sa taille bien prise et son allure élancée me titillaient jusqu’au plus profond de mes cernes.


Le cavalier, guidant la fille par sa menotte, la fit asseoir sur moi, pour lui éviter la vision de l’orgie se déroulant par ailleurs. Quel plaisir sans aucune commune mesure de pouvoir accueillir un séant aussi agréable ! Elle avait la légèreté et la délicatesse d’une plume. Quel dommage que mon créateur ne m’eût doté de mains pour pouvoir l’accompagner dans son mouvement, arranger sa robe, effacer un faux pli !



Il enserra les mains jointes de la belle et lui dit :



« Embrasse-la, grand idiot », me dis-je. Mais non, ils se regardaient les yeux dans les yeux et ne bougeaient pas. « Mais qu’ils sont niais, ils vont encore laisser passer leur chance. » Par la force de ma volonté, je mettais comme une main dans leur dos pour les pousser. « Allez, embrassez-vous ! »


Lentement, très lentement, ils se rapprochèrent. Lentement, très lentement, leurs bouches s’entrouvrirent. Lentement, toujours très lentement, ils se soudèrent pour un premier baiser fougueux. Je les sentais amoureux, indéfectiblement amoureux. J’étais satisfait et resterais la bancelle de Noémie.


Pour le mariage, le photographe officiel trouva qu’il serait charmant de prendre un cliché du couple sous cette charmille, assis sur cette insolite bancelle. Il faut dire que Robert m’avait poncé à blanc, mais c’était la belle Noémie qui avait tendrement épandu les deux couches de vernis. J’étais superbe et fière comme Artaban de figurer sur cette photo.


Les années passaient avec la visite sporadique du jeune couple auquel s’ajoutèrent progressivement un, deux, puis trois bambins. Papa décéda peu après cette troisième et dernière arrivée. Maman le suivit de près. Je me retrouvais donc seul pendant de longs mois. Les herbes folles poussaient, me chatouillaient les pieds et ma brave charmille tirait la gueule à force de ne plus être taillée. Et puis un jour, ils revinrent… !


Catherine et Robert déambulaient sur les parterres et leurs discussions étaient animées. La chipie avait de ces tenues au chemisier aussi ouvert sur sa poitrine que sa jupe était courte. Ses jambes fuselées et gainées se terminaient par des escarpins dont les talons aiguilles n’avaient rien à faire dans mon environnement terreux. Ensuite, ils vinrent s’asseoir sur moi et je pus comprendre leur conversation.



« Comment, quoi ! Cette morveuse traite ma Noémie de conne, attends, tu vas voir. »



« Hé, hé, hé… ! »




Quelque temps plus tard, l’environnement s’agita un peu. Des personnes venaient, prenaient des mesures, donnaient de grandes explications à Noémie. Elle vint un jour avec un homme emphatique à la moustache en impériale et au geste ample. Il voulait faire table rase de ces vieilleries, donner des lignes pures, minérales et modernes au parc. Elle n’eut qu’un sourire poli, mais je ne revis jamais l’Attila des jardins.


Les grandes manœuvres commencèrent peu de temps après. Une multitude d’ouvriers s’affairaient à rénover la maison et un vieil homme du village s’occupa du jardin. La période fut rude, mais je supportais cela stoïquement. Combien de mégots ont été éteints sur moi, combien de peaux de sauciflards ou de croûtes de calendos ont pollué mon environnement ? Je ne saurais dire, mais le jardinier nettoyait tout cela avec patience.



À la demande de la maîtresse de maison, il prit soin de moi, il est sûr que Robert n’avait plus le temps… à ce qu’il disait… ! Il me ponça, boucha quelques crevasses, posa quelques chevilles là où ça branlait, puis vint le moment attendu…


Noémie me ripolina le dos, le dessous, les pieds. Deux couches salvatrices qu’elle m’appliquait avec amour, tout au moins le supposais-je. J’adorais sentir son pinceau me parcourir et le verni pénétrer mes pores. Une fois sec, elle passait sa main pour vérifier le lissage, moment d’extase à m’en faire frétiller le duramen.


La vie recommença, intense comme elle peut l’être dans une famille. Le temps passait, je voyais grandir les bambins, Robert bedonné, et Noémie inchangée. La quarantaine lui allait bien. Il n’était que les jours de grands froids où elle venait s’asseoir sur moi. Le matin avec un café et son quotidien, l’après-midi avec un thé et un bouquin et le soir avec sa mélancolie.


Recommençant le cycle de la vie, les enfants s’émancipaient, s’éloignaient pour vivre leurs propres expériences. Les bruits et les turbulences de la maison s’estompaient pour laisser place au silence de la nature et aux soupirs de la toujours belle.


L’homme de la maison s’agitait bien, il y avait son job, ses affaires, son business. Toutes choses qui nous laissaient indifférents, Noémie et moi. Nous coulions nos jours heureux sans nous préoccuper du lendemain. Mal nous en prit… !


Robert, avec son morceau de bakélite invariablement collé à l’oreille, me visitait de moins en moins. Je ne l’intéressais plus que comme un objet fonctionnel. D’ailleurs, un peu comme son épouse. Je voyais bien qu’elle n’était plus qu’un objet pour lui. Bel objet, certes, mais bel objet seulement ! Ce bête parallélépipède de plastique devenait son monde, il conversait et ne s’occupait plus de rien d’autre. Il se réfugiait vers moi et sous ma charmille pour discuter à voix basse et feutrée. Je mis un moment à comprendre.


Il avait une maîtresse… !


Et c’était des « chérie, chérie » et « des bisous, bisous », mais qu’il pouvait avoir l’air con à vouloir jouer le jeune homme à plus de cinquante balais, ridicule… ! On ne le vit plus très longtemps, le bellâtre. Il disparut du paysage, nous laissant Noémie et moi à notre nostalgie des jours heureux.


Il y eut bien sûr l’arrivée de la génération suivante avec force bambins dont je ne me rappelle plus de tous les noms. La belle grand-mère accueillait tout ce petit monde turbulent avec joie. Il y eut les jeux sur les pelouses, les goûters plantureux, les chamailleries pour pouvoir s’asseoir sur moi. Ensuite nous goûtions surtout les grands moments de solitude.


Le vieux jardinier, trop fatigué probablement, avait déclaré forfait. Un jeune gars l’avait remplacé, bien plus énergique, mais bien moins amoureux de notre environnement. C’était la maîtresse de maison qui taillait les rosiers et la charmille. Elle prenait quelques instants de repos sur moi, posant à côté d’elle son panier d’osier et son sécateur, mais gardant son chapeau de paille. Qu’elle était belle, ma jardinière !


C’était maintenant elle qui prenait soin de moi. L’homme de peine me manutentionnait.



Commençait alors un moment de parfaite communion. Chaque jour, elle me consacrait un moment de ponçage. Que le papier de verre était doux sous sa délicate menotte ! Elle faisait cela patiemment. Puis venait l’extase du vernissage pour me donner le petit plus qui me rajeunissait. Elle avait ses crèmes et moi ma lasure. Nous vieillissions de concert sans nous soucier des autres.


Un jour, un des petits fils, David, me semble-t-il, vint avec un gros bonhomme à moustache. Après avoir fait le tour du propriétaire, j’eus l’avantage de les accueillir. La conversation d’abord badine se fit ensuite plus précise.



« Comment ça, vieille toupie… espèce de malotru ! »



« Connard ! »



J’oubliais rapidement cet intermède et notre vie continuait à s’écouler tranquillement, sauf un jour où des personnes avec des écharpes tricolores envahirent nos parterres pour célébrer l’anniversaire de Noémie. Nonagénaire, qu’il était marqué sur la corbeille de fleurs, je ne me rendais pas vraiment compte, mais quand le journaliste de la feuille de chou locale voulut prendre une photo, elle insista pour la prendre avec moi.


Ah Noémie… !


Quand la voiture blanche se gara devant la propriété, elle était assise sur moi. Une jeune femme au demeurant très gentille empoigna sa valise et lui dit :



Une dernière caresse sur mon bois, un dernier regard circulaire sur la propriété et elle me quitta. J’avais compris, je ne serais plus jamais la bancelle de Noémie.


Quelque temps plus tard, je vis réapparaître le gros homme à moustache accompagné d’ouvriers en tenues orange. Il les apostropha :