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Temps de lecture estimé : 65 mn
04/01/22
Résumé:  Jéromine va être recrutée par les services secrets. Alexandre apprend qu’il est atteint d’un cancer qui va lui faire perdre sa virilité.
Critères:  hf hff ff hh religion amour travesti fgode fsodo hgode hsodo donjon historique merveilleu -historiqu -aventure
Auteur : Miss Arthur      Envoi mini-message

Série : Histoires en Brocéliande et Erebus

Chapitre 08
Amazonie 1 - Partie 2

Chapitre 8 : crimes au couvent



Comme toutes les religieuses, je devais périodiquement me confesser. Sur le fond, cela ne me posait pas de problème, même si ma croyance avait fortement évolué depuis mon séjour chez les amazones. Je concevais désormais l’exercice comme purement formel et me permettant de continuer à avoir la paix dans le système. Je disais donc au prêtre ce que j’avais envie de dire ou ce qu’il avait envie d’entendre, sans aller trop loin. Le Père Felipe Gonzalez était donc le confesseur attaché à notre couvent. Comme je l’avais pressenti lorsque la mère supérieure m’avait reçue dans son bureau et m’avait parlé de lui, je n’appréciai pas cette rencontre. Encore un homme qui profitait de sa position de mâle dominant pour asseoir son pouvoir patriarcal sur le groupe de femmes que nous étions.


Une enquête interne me révéla rapidement qu’il manipulait certaines de nos sœurs à des fins sexuelles, profitant de leur manque d’éducation, de leur croyance aveugle dans la religion et dans la nécessité de pénitence dans un contexte de secret de la confession. L’absolution avait un prix et avec cet odieux individu, cela passait par l’acte sexuel à consentement forcé. J’étais révoltée. Je m’ouvris des résultats de mon enquête à Sœur Mercédès lors d’un de nos entretiens que nous faisions chaque semaine en tête à tête.


La mère supérieure m’avoua avoir des doutes à son sujet depuis longtemps, mais jusqu’ici, aucune des nonnes n’avait osé s’ouvrir à elle, sans doute à cause du secret de la confession. Le Père n’avait jamais rien tenté avec elle, privilégiant apparemment, comme mon enquête l’avait révélé, des sœurs ayant des faiblesses apparentes.


Je proposai à Sœur Mercédès qu’elle en parle à la hiérarchie de notre ordre, pour le faire remplacer. Sa réponse fut décevante, mais réaliste :


  • — Personne ne nous écoutera, l’Église est un système fermé, propice à la loi du silence. Et puis elle a été créée pour les hommes par les hommes. Nous les femmes religieuses, nous sommes une sous-catégorie, quasiment des esclaves. Il y a même des monastères où naissent des enfants.
  • — Ce n’est jamais arrivé ici, avec l’activité de ce prêtre ?
  • — Non, pas à ma connaissance.

Ce dernier point était assez mystérieux pour moi. Comment procédait-il ? Utilisait-il des plantes pour éviter la conception ? Y avait-il des avortements clandestins ? Avait-il des pratiques particulières ? Il fallait que j’en sache plus. Je proposai à Sœur Mercédès de poursuivre mon enquête et de lui en reparler dès que j’aurais de nouveaux éléments.


Il me fut assez facile de progresser. J’avais identifié en première phase de l’enquête une partie des victimes de ce prêtre prédateur, et non prédicateur, si je peux me permettre ce jeu de mots. Je me mis donc en observation discrète de la confession d’une des sœurs sous l’emprise du monstre. Je ne pus hélas rien entendre de ce qui se disait dans le confessionnal, preuve que le concept mis en place par l’Église marchait bien. Il faudrait un jour inventer de quoi entendre des conversations lointaines, me dis-je, cela serait pratique. Une fois le dialogue terminé, la sœur quitta le lieu, très rapidement suivie par le prêtre. Ils se dirigèrent vers une salle proche de là et non occupée. Nous étions après Vêpres et les lieux étaient déserts. La salle où ils étaient entrés était grande avec un volume qui aurait fait penser qu’elle aurait pu avoir deux étages de plafond. J’avais de la chance, une coursive extérieure longeait celle-ci à l’étage supérieur et une petite fenêtre dans ce même couloir y donnait de la lumière le jour. J’avais enlevé mes sandales pour ne pas faire de bruit et je pus en toute discrétion rejoindre la coursive pour voir ce qui se passait depuis la fenêtre en question.


Mon intuition avait été bonne. De mon point d’observation, je voyais les deux personnes en contrebas, les quatre bougies allumées m’offrant un éclairage suffisant. Le temps que j’arrive, le couple s’était déshabillé. La sœur était agenouillée en position de prière… les mains jointes devant le prêtre. J’entendais leurs propos de manière claire :


  • — Ma sœur, voici le programme de votre pénitence pour ce soir.
  • — Oui, Mon Père.
  • — Vous commencerez par me lécher le sexe et les bourses, puis je vous prendrai par le con. Enfin, pour expier vos péchés, nous le ferons à la manière de Sodome pour que vous vous repentiez bien par la suite et exorcisiez la chose.
  • — J’accepte la pénitence, Mon Père.

Ainsi fut-il fait. Le prêtre approcha son sexe de la femme toujours agenouillée et lui ordonna de le prendre en bouche. Elle voulut s’aider de ses mains mais le prêtre la réprimanda sèchement lui imposant de les garder en position de prière. Il s’interrompit un instant pour aller lui placer une bougie dans le cul ou dans le con, je ne saurais dire vu la distance et l’éclairage. Il alluma le bâton de cire et, se replaçant devant elle, lui demanda de reprendre son ouvrage. Si le cierge était consacré, c’était carrément blasphématoire ! Il finit par jouir dans sa bouche et elle avala sa semence sans protester.


Vint ensuite le coït vaginal. Il avait tout d’abord retiré le cierge et l’avait éteint avant de lui donner à lécher l’endroit qui avait pénétré son intimité. Elle se mit à quatre pattes en attendant la pénétration. Je le vis alors sortir d’une besace un petit étui qui semblait assez souple et dont il recouvrit son membre encore bandé. Sans doute une vessie de porc, pensai-je, voilà qui expliquait en partie l’absence de conception. Ainsi équipé, le prêtre vint se placer derrière la femme et la prit sans ménagement pendant quelque temps avant de changer d’orifice. Après avoir bien limé sa partenaire, il finit par jouir dans son cul.


La sœur se releva et le remercia pour cette pénitence. Ils sortirent chacun à leur tour de la pièce, la sœur en premier. Je redescendis rapidement de mon poste d’observation et arrivai à temps pour pouvoir suivre le prêtre à distance. Il se dirigeait alors vers la sortie du couvent. Alors qu’il s’éloignait dans la campagne sous la pleine lune, je conclus qu’il rentrait à son logement en ville.


Je trouvai une occasion le lendemain pour raconter en privé ces événements à la mère supérieure. Je n’avais pas l’intention de lui donner des détails scabreux, mais elle insista pour que je lui décrive la nature des actes.


  • — Qu’allons-nous faire ? me demanda-t-elle.
  • — Nous avons deux options, lui dis-je, ne rien faire ou le neutraliser.
  • — Le neutraliser ? Qu’est-ce à dire ?
  • — Ma mère, avez-vous parfois l’impression que la justice des hommes n’est pas une justice ?
  • — Certes, Ma Fille, mais il y a la justice de Dieu.
  • — Et si je vous disais que nous pourrions accélérer le passage de ce prêtre devant le tribunal de Dieu ?
  • — Vous voulez dire…
  • — Qu’il aura des comptes à rendre devant Saint-Pierre sous peu, si vous me l’autorisez.
  • — Mais vous parlez là de meurtre ?
  • — Vu l’étendue de ses crimes, je parlerais de rééquilibrage. Et puis nous sommes très largement en dessous du niveau de crime de l’Église à travers le monde, que ce soit aux Amériques ou ici avec la Sainte Inquisition.
  • — Vos arguments sont dignes des jésuites ou des dominicains, Ma Fille. Mais, admettons que je vous laisse faire et que nous soyons débarrassées de ce monstre, qui nous dit que le nouveau confesseur ne sera pas du même tonneau, voire pire ?
  • — C’est un risque à courir, mais il y aura un message quand ils trouveront le corps.
  • — Soit.



J’avais décidé de tuer le prêtre à la lune noire suivante, pour limiter le risque d’être vue. Je fabriquai également une tenue noire adaptée aux mouvements à partir de tissu utilisé pour les robes bénédictines. Pour la peau des mains et du visage, du charbon de bois ferait l’affaire, je nouerais aussi mes cheveux. Au cas où il y aurait enquête, la mère supérieure et moi aurions passé cette soirée à faire les comptes du monastère, c’était mon alibi. Mon plan était prêt.


Le soir dit, alors que le prêtre était sûrement en confession, je sortis discrètement du couvent dans ma tenue d’assassin. Je me cachai dans un bosquet en bordure du chemin menant à la ville, armée d’une dague. J’attendis une heure environ, je pense. L’homme marchait sur le chemin en sifflotant, visiblement content de lui. Je le laissai passer devant moi, surgis derrière lui, lui faisant une clef au bras d’une main et appliquant immédiatement la dague sur sa gorge.


  • — Pas un cri, salopard, lui dis-je.
  • — Qu… Qu… Qui y êtes-vous ? Que voulez-vous ? J’ai… J’ai… J’ai de l’argent.
  • — Je suis le bras armé de la justice de Dieu. Je te souhaite un bon procès, dis-je sèchement.

Et sur ce propos, je l’emmenai dans le fourré pour lui trancher la gorge. Ce fut très facile, ma lame était très affûtée. Je soulevai ensuite sa soutane et lui tranchai ses attributs masculins que je fourrai ensuite dans sa bouche. Je pris sa bourse pour faire croire à un crime de rôdeur. Je rentrai ensuite au monastère. Personne ne me vit et je pus, après avoir récupéré ma robe de moniale dans la pièce où je m’étais changée avant de sortir, rapidement rejoindre le bureau de la mère supérieure où elle m’attendait pour faire les comptes. Ce point avait été évoqué, à savoir que nous allions les faire ce soir-là, avec les cheffes de service lors de la dernière réunion du chapitre. Elles pourraient témoigner le cas échéant.

Sœur Mercédès m’attendait, anxieuse.


  • — C’est fait, lui dis-je.

Elle voulut me serrer dans ses bras.


  • — Attendez, lui dis-je, je ne veux pas que vous ayez des traces de charbon de bois sur vous ou sur vos habits. Je dois brûler mes vêtements et me laver pour effacer toutes traces.

Par chance, le temps était froid et il était normal que nous ayons fait du feu, le bureau ayant une cheminée. J’enlevai mes vêtements, sans réaliser que je me trouvais ainsi nue devant la mère supérieure. Sur mes consignes, elle avait apporté une bassine et de quoi me laver. Je me savonnai le visage et les mains pour éliminer le charbon de bois, lavai aussi ma dague. Après que je me fus essuyée, Sœur Mercédès vint vers moi :


  • — Merci, Sœur Jéromine, merci pour tout. J’ai trouvé ce soir sœur Dolorès en pleurs après sa confession. Je crois que nous, enfin, vous avez fait ce qu’il fallait.
  • — Ma mère, dis-je, gagnée par l’émotion, c’est la première personne que je tue de sang-froid…
  • — Oh, Ma fille… Dieu vous vienne en aide !

Et elle s’approcha de moi, m’enlaça. J’étais nue et elle en robe. Nos bouches se rencontrèrent, nous nous embrassâmes un long moment. Je sentis ses mains parcourir mon corps et m’abandonnai naturellement à ses caresses. Je lui dis alors :


  • — Ma Mère, faisons d’abord les comptes, nous continuerons après…
  • — D’accord, Jéromine, faisons cela.
  • — Ma mère ?
  • — Appelle-moi Mercédès quand nous sommes seules et tutoie-moi.
  • — Bien… Mercédès.

Les comptes furent finalement plus rapides à faire que prévu. Nous prétendrions naturellement le contraire si on venait à nous poser des questions. Nous ajoutâmes le contenu de la bourse du prêtre à nos revenus, augmentant artificiellement le nombre de légumes vendus. Personne ne verrait rien. Cela dit, la somme était conséquente, ce ne serait que justice pour le couvent.


La cellule de Mercédès était contiguë au bureau et avait deux portes, l’une ouvrant sur le couloir, l’autre communicant avec lui. C’était donc pratique pour nous, ce soir-là et pour les nombreux autres qui suivirent. Nous commençâmes par faire l’amour sur le tapis devant la cheminée, où se consumaient lentement les restes de ma tenue d’assassin. Puis nous allâmes sur sa couche dans sa cellule où nous nous aimâmes le reste de la nuit. C’est ainsi que Mercédès et moi devînmes amantes, pour notre plus grand bonheur. Mercédès m’avoua toujours avoir eu un penchant pour les femmes, même si elle avait rarement connu des étreintes féminines, par prudence. Elle n’avait non plus jamais connu d’hommes, leurs corps poilus et leurs brutalités lui faisant horreur.


J’étais heureuse que Mercédès et moi développions cette relation. Nous pûmes à partir de ce soir-là profiter souvent de nos corps et je crois que cela fit aussi grandir nos âmes.





Chapitre 9 : l’arrestation de Jéromine



Le corps du prêtre fut découvert par des paysans empruntant la route quelques jours après le meurtre, l’odeur de charogne avait attiré leur attention. Le prévôt local conclut à un meurtre de rôdeur. L’évêché était en ébullition et on nous dépêcha rapidement un nouveau confesseur. Ce dernier semblait appliquer le standard théorique de sa fonction avec professionnalisme et n’importuna jamais aucune sœur, pour ce que nous en apprîmes. Il nous fit bon effet, à Mercédès et moi. Cela dit, il est possible que certaines de nos sœurs aient été tristes malgré tout : même s’il était odieux et un amant brutal abusant des nonnes, certaines appréciaient peut-être l’ancien prêtre… Ce qui était fait était fait. J’avais décidé par précaution de cacher mes armes et mes souvenirs dans un lieu connu de moi seule, au cas où une fouille se produirait malgré tout.


Un an s’écoula, le couvent prospérait, j’étais heureuse et passais beaucoup de nuits dans les bras de Mercédès, tout allait bien, trop bien.


Un jour de printemps 1548, des hommes en armes, portant les armoiries du Roi sur leurs cuirasses, se présentèrent devant la porte du couvent et exigèrent d’investir les lieux. Ils étaient nombreux – une cinquantaine – et très menaçants. Mercédès et moi arrivâmes précipitamment vers eux pour comprendre ce qui se passait. Celui qui semblait être l’officier-chef du détachement parla à voix forte :


  • — Service du Roi, nous avons ordre d’emmener une religieuse connue sous le nom de Sœur Jéromine de Murcie. Toute résistance est inutile. À la moindre incartade, nous vous passons par les armes.

Nous étions toutes choquées. Je commençai à m’avancer pour aller vers eux. Mercédès voulut me retenir.


  • — Non Mercédès, lui dis-je. Je dois obéir.

Et me tournant vers l’officier :


  • — Capitaine (j’avais reconnu la couleur de son foulard sur sa cuirasse du même modèle que celle des conquistadores), je suis Sœur Jéromine de Murcie, je vais vous suivre. Puis-je avant cela faire mes adieux à mes sœurs et la mère supérieure ainsi que prendre quelques affaires ?
  • — C’est accordé. Faîtes vite.
  • — Merci.

Accompagnée de Mercédès, je regagnai ma cellule pour prendre quelques affaires. Elle me demanda discrètement :


  • — Tu crois que c’est à cause du prêtre ?
  • — Je ne sais pas, je ne pense pas, ça aurait été le prévôt en ce cas. Cela doit être pour autre chose de plus ancien.
  • — Tu ne m’as finalement jamais parlé de ton passé…
  • — C’est peut-être mieux ainsi. J’espère pouvoir te le conter un jour.
  • — Dois-je te dire adieu ?
  • — Je ne sais pas, non, pas adieu, cela ne peut pas finir ainsi.
  • — Embrasse-moi, Jéromine. Dieu fasse que je garde longtemps le goût de ce baiser.

Nous nous embrassâmes longuement, puis repartîmes vers l’entrée du couvent où les soldats m’attendaient.


  • — Au revoir, mes sœurs, dis-je, à celles qui étaient présentes (elles étaient toutes là maintenant, je pense). Dieu vous garde. Je vous aime.

Puis je me tournai vers le capitaine :


  • — Capitaine, je suis à vous.

Il me dirigea vers une monture qui m’était destinée. Un sergent s’interposa :


  • — Devons-nous lui mettre les fers, Mon capitaine ?
  • — Cela ne sera pas nécessaire, selon les instructions que j’ai reçues, n’est-ce pas Sœur Jéromine ?
  • — Oui, Capitaine, j’ai fait vœu d’obéissance.
  • — Savez-vous monter en amazone ?
  • — Oui (il avait de l’humour, cet homme, sans le savoir…).
  • — Parfait, sergent, aidez Sœur Jéromine à monter sur ce destrier.

Et c’est ainsi que je quittai le couvent de Saragosse. J’étais bien triste d’avoir dû quitter Mercédès, qui plus est dans ces conditions. L’avenir montrerait que j’avais bien fait de ne pas lui dire adieu. Je n’avais aucune idée de la raison de cette arrestation, des plus étranges. Mon passé venait de remonter à la surface.


Je fus amenée à Tolède*, incarcérée immédiatement dans une prison. Personne n’avait dit mot sur les raisons de mon arrestation pendant le voyage. On me laissa mes vêtements, fouilla les affaires anodines que j’avais emmenées et je pus les avoir avec moi dans la cellule qui m’attendait. Cette dernière était en pierre et ne puait pas trop. Une litière en bois, un seau d’aisance, je serais probablement nourrie au pain sec et à l’eau. Le personnel de la prison ne semblait relever ni de l’Inquisition ni de la justice. Les armes sur les uniformes étaient celles du Roi.


Nous étions en fin de journée, on me porta effectivement du pain sec et de l’eau pour tout dîner. L’eau n’avait pas de goût particulier et le pain n’était pas moisi. Je dormis très mal cette nuit-là, je m’étais habitué au confort de ma cellule monastique.


Le premier interrogatoire eut lieu le lendemain. On m’amena dans une pièce sombre avec juste une table et deux chaises, toujours vêtue de mes habits monastiques. J’étais face à une personne en civil, grand environ quarante-cinq ans. J’attaquai d’emblée par des questions :


  • — Pourquoi suis-je ici ? Que me voulez-vous ? De quoi suis-je accusée ?
  • — Sœur Jéromine, si je peux vous appeler ainsi, c’est moi qui pose les questions. C’est la règle n° 1. La règle n° 2, c’est que vous répondiez.
  • — Qui êtes-vous ? Vous n’êtes ni l’inquisition ni la justice royale ?
  • — Allons, allons, dois-je vous rappeler la règle n° 1 ? Voulez-vous finir à la Question ? Nous pouvons faire venir vos frères inquisiteurs, vous savez. Qui êtes-vous, Sœur Jéromine ?
  • — Je suis Sœur Jéromine de Murcie, moniale bénédictine au couvent de Saragosse, adjointe de la mère supérieure.
  • — Ça, nous le savons déjà. Parlez-nous de votre vie avant cela.
  • — Eh bien, j’étais missionnaire aux Amériques et suis revenue début 1547 en Espagne.
  • — Ce voyage fut-il sans encombre ?
  • — Le navire que je pris pour aller de Carthagène à Porto Rico fut attaqué par des pirates français. Nous avons eu le dessus.
  • — Et qu’en est-il de votre implication dans le combat ?
  • — J’ai participé.
  • — Vous ne nous dîtes pas tout. Selon un rapport du commandant, transmis par l’Amirauté et confirmé par une autre source, vous avez démontré des talents de guerrière surpassant ceux des meilleurs soldats du royaume. Expliquez-vous et arrêtez de me prendre pour un imbécile, Ma Sœur.
  • — Bien, puisque vous connaissez tout, oui, je me suis battue comme une lionne et je suis sans aucun doute la meilleure contributrice de cette victoire.
  • — Voilà qui est mieux. Qui vous a formée ? D’où venez-vous ? Il n’est pas normal qu’une nonne bénédictine soit une combattante, et qui plus est de ce niveau.
  • — Dieu connaît la réponse à vos questions, je lui ai dit sous le secret de la confession. Adressez-vous à lui, il vous le dira.
  • — Ah, vous le prenez ainsi ? Qui était le confesseur ?
  • — Cette information est secrète. Vous n’avez pas à en connaître.
  • — VOUS VOUS FOUTEZ DE MOI ! C’EST MOI QUI DÉCIDE CE QUI EST SECRET OU NON. ET QUI A LE BESOIN D’EN CONNAÎTRE ! hurla-t-il.
  • — Je ne vous dirais plus rien. Demandez à Dieu.
  • — Nous verrons cela. Gardes ! Ramenez la prisonnière dans sa cellule.

On me ramena dans ma cellule. Les gardes me firent me dévêtir et c’est nue que j’étais désormais. Mes affaires avaient disparu, l’eau, le reste de pain et le seau d’aisance aussi. Je m’allongeai nue sur le bois du lit. J’avais froid. J’essayai de dormir mais n’y parvins pas. Je pensai à Gaspar qui était potentiellement en danger. Je m’interrogeai sur ma stratégie, mais tant pis, je décidai de la maintenir.


Le deuxième interrogatoire fut un peu différent. Les gardes entrèrent dans ma cellule et me lancèrent de l’eau glacée pour me réveiller. Faute de seau d’aisance, j’avais dû uriner et déféquer dans un coin de la cellule. Ils me passèrent des fers aux bras et aux pieds et je dus marcher ainsi, nue, jusqu’à la salle d’interrogatoire. C’était la même pièce, maintenant quasiment vide, plus de tables mais une seule chaise. Je vis un crochet au plafond, duquel pendait une chaîne. Je ne l’avais pas remarqué lors du premier interrogatoire. Les gardes accrochèrent la chaîne à mes fers de bras, puis me hissèrent jusqu’à ce que la pointe de mes pieds touchât à peine le sol. C’était éprouvant.

Mon questionneur entra et s’assit sur la chaise, le dossier devant lui.


  • — Alors Ma Sœur, quelque chose à me dire ?
  • — Allez au diable, lui dis-je.
  • — Notre enquête progresse, nous savons que c’est Frère Gaspar de Carvajal, de l’ordre des Dominicains, qui vous a signé vos sauf-conduits pour rentrer en Espagne.
  • — …
  • — Vous ne dites rien ? Notre enquête à Murcie n’a montré aucun souvenir d’une personne de votre âge, partie nonne chez les bénédictines, et qui plus est aux Amériques.
  • — …
  • — Vous êtes une énigme, une anomalie, Ma Sœur. Vous ne dites toujours rien ?
  • — Laissez Frère Gaspar en paix, il n’y est pour rien. Il ne connaît pas la vérité.
  • — Ce n’était pas lui votre confesseur ?
  • — …
  • — Nous pourrions le faire venir de Quito pour le questionner, mais cela prendrait du temps (là, je marquai un point).
  • — Votre légende prend l’eau, Ma Sœur, nous savons qu’avant l’établissement de vos sauf-conduits, aucune Sœur Jéromine n’existait à Quito.
  • — Je ne peux rien vous dire, si je le faisais, cela briserait mes serments. Dieu connaît la vérité.
  • — C’est votre dernier mot ? Pour aujourd’hui, j’entends.
  • — Oui.
  • — Gardes, fouettez-la – trente coups – avant que vous la rameniez en cellule. À demain, ma Sœur, nous changerons de lieu. Vous découvrirez nos machines qui vous feront tout nous dire.

Je finis par crier de douleur après le dixième coup. Je perdis le compte et m’évanouis. Je réveillai, endolorie dans ma cellule, toujours nue et portant mes fers aux mains et aux pieds.


J’étais dans un état déplorable lorsqu’ils vinrent me chercher pour le troisième interrogatoire. Je n’avais rien mangé depuis deux jours, rien bu non plus. Ils durent me traîner, nue et enferrée, jusqu’à une pièce qui n’était ni plus ni moins qu’une copie conforme d’une salle de torture de l’inquisition. Ils ôtèrent mes fers puis, avec diverses cordes à pieds, mes poignets, mes cuisses et mes épaules, m’attachèrent sur le chevalet. J’étais très faible et n’offrais aucune résistance… à quoi bon ? Celui que je pouvais désormais appeler mon tortionnaire était présent.


  • — Ah, Sœur Jéromine, bien dormi ?

Je ne répondis pas.


  • — J’ai encore quelques questions supplémentaires, outre celles auxquelles vous n’avez toujours pas répondu.
  • — …
  • — Que pouvez-vous me dire de la mort du Père Felipe Gonzalez, l’ancien confesseur de votre couvent ?
  • — Il a été tué par un rôdeur, sur la route de Saragosse en revenant d’une séance tardive de confession, dis-je d’une voix faible.
  • — Oui, bien sûr, c’est la conclusion du prévôt. Que faisiez-vous à cette heure-là ?
  • — Je faisais les comptes du couvent avec la mère supérieure, dans son bureau.
  • — Ah oui, Sœur Mercédès de Pavie, vous êtes… très proches, je crois. Et si quelqu’un avait vu une ombre noire sortir du monastère peu de temps avant que le prêtre ne le quitte, se mettre en embuscade et l’assassiner froidement ? Que dire de plus du fait qu’on l’a retrouvé sa gorge tranchée avec ses attributs masculins dans la bouche ? Saviez-vous qu’il culbutait plusieurs de vos sœurs après la confession ?
  • — Je l’ignorais, mentis-je. Si c’était un queutard, cela peut être une vengeance d’un mari cocu de la ville, il culbutait, comme vous le dites, peut-être aussi des paroissiennes ? J’étais avec Sœur Mercédès, je vous l’ai dit.
  • — Et vous n’avez rien d’autre à me dire ?
  • — Non.
  • — Bourreau, commencez votre œuvre.

Je sentis mes membres s’étirer. Mes articulations tenaient, mais c’était extrêmement douloureux. Je hurlai.


  • — Et là, toujours rien ? reprit mon questionneur.
  • — Allez au diable, répondis-je.

Je soufrai le martyre. La torture continuait, c’était atroce. Je m’imaginai bientôt démembrée. Puis ils arrêtèrent, défirent les liens. J’avais très mal, mais mes articulations avaient tenu bon. Ils me levèrent pour m’installer sur une table où ils lièrent mes mains en bordure de celle-ci puis mes pieds avec une corde reliée au plafond par une poulie.


  • — Voyons si vous parlerez une fois réhydratée.

Le bourreau me plaça un entonnoir dans la bouche, puis je le vis arriver avec une bonbonne d’eau énorme. Il commença mon remplissage. J’étais obligée d’avaler, mon ventre gonflait. Cela débordait de partout. J’en pris dans les poumons. J’essayai de tousser. Non seulement mon ventre allait exploser mais j’allai me noyer. Ils arrêtèrent de verser de l’eau, me hissèrent la tête à l’envers en levant mes pieds. L’eau repartait vers le bas, je toussai, j’avais le nez plein, j’avais du mal à respirer. Ils attendirent que j’ai un semblant d’avoir repris mes esprits et me remirent à l’horizontale.


  • — Alors, vous nous dites quelque chose maintenant ? demanda mon tortionnaire.
  • — Non.
  • — Bourreau, continuez.

Et là, alors que l’eau revenait dans ma gorge, je mourus.




*Sous le règne de Charles Quint, le siège de la cour du roi était à Tolède, Madrid n’est encore qu’une petite bourgade qui deviendra siège de la cour royale sous le règne de Philippe II, son successeur.




Chapitre 10 : Au service secret de Sa Majesté



Il y avait de la lumière, une belle lumière de printemps. Je m’éveillai. J’étais dans un grand lit, très confortable. Mes yeux me révélèrent que j’étais dans une très grande pièce, fort bien décorée et meublée, certainement dans un château. Je n’étais donc pas morte, où j’étais au paradis. Je me redressai, restai assise sur lit, j’avais un peu mal aux articulations mais cela allait. Mon corps était propre, mes cheveux peignés. Je n’étais plus nue mais portai une jolie chemise de nuit en soie.


J’avais faim, très faim. Je vis une table dressée à l’autre bout de la pièce, apparemment pleine de victuailles. En passant près d’une des grandes fenêtres, je remarquai un fort joli parc au-dehors. J’étais visiblement au deuxième étage vu la hauteur. Quel calme, quelle sérénité ! La table regorgeait de mets, tous appétissants et joliment préparés. Il y avait là des fruits, des légumes cuisinés, de la volaille, du jambon cru et du pain, de quoi se faire de bien bonnes tartines ! Une carafe d’eau et une de vin complétaient le tout. Je commençai à me servir, hésitai soudain de manger par peur du poison. Après tout, je n’en avais cure, étant quasiment morte déjà plusieurs fois. Je mangeai donc à satiété et bus un peu de vin. Je crois que je n’avais rien mangé d’aussi bon de toute ma vie.


Dans une autre partie de la pièce se trouvaient des vêtements, délicatement posés sur un divan, en trois groupes : une robe de bénédictine toute neuve, une robe de dame de la cour et un ensemble plus masculin avec pantalon de chasse, bottes et pourpoint en velours. J’optai pour cette dernière tenue, au cas où j’aurais à combattre ou à devoir m’échapper précipitamment. Une fois habillée, je nouai mes cheveux en queue de cheval et repris mon observation du parc.


C’est alors que j’entendis derrière moi une porte s’ouvrir et une voix familière s’adresser à moi. C’était mon tortionnaire.


  • — Ah, Ma Sœur, je vois que vous êtes réveillée, et habillée aussi. J’aurais parié que vous alliez choisir cette tenue.
  • — Comment osez-vous ? répondis-je. Après tout ce que vous m’avez fait !
  • — Tout doux, Ma Sœur, tout doux. Je vous dois bien des explications et des excuses pour commencer.
  • — Je vous écoute, à moins que ce soit encore une de vos ruses pour me faire parler !
  • — Non, Ma Sœur, c’est terminé.
  • — Terminé ?
  • — Oui, vous avez passé le test.
  • — Le test ? Quel test ?
  • — Laissez-moi tout d’abord me présenter. Je suis le colonel Alejandro de la Vega, chef de la division opérations des services secrets du Roi.
  • — Colonel ? Les services secrets du Roi ?
  • — Oui, depuis quelques mois, le Prince Philippe, fils de notre Roi Charles bien-aimé, a convaincu son père de la nécessité d’avoir un service de renseignement organisé, et ce, militairement*.
  • — Et que viens-je faire dans cette histoire ?
  • — J’y viens. Dès votre retour des Amériques, nous avons eu des informations concernant vos exploits contre les pirates en mer des Caraïbes.
  • — Le rapport fait à l’Amirauté par le commandant de la Santa Monica ?
  • — Pas seulement. Nous avons pensé que vous pourriez faire une très bonne recrue pour notre nouveau service.
  • — Et ?
  • — Nous vous avons observée dès les premiers jours de votre arrivée au couvent à Saragosse. Puis nous avons attendu confirmation de l’autorisation de tenter de vous recruter. Vu vos doubles qualités de femme et de religieuse, cela n’a pas été sans difficulté, le Roi a dû finalement donner son autorisation en personne.
  • — Vous me flattez. Et pourquoi ce test ? Vous m’avez presque tuée.
  • — Je vous présente encore toutes mes excuses pour les tourments qui vous ont été infligés.
  • — C’était digne de l’Inquisition.
  • — Oui, nous nous inspirons de leurs méthodes pour certains interrogatoires. J’ai cependant veillé à ce que le bourreau n’aille pas trop loin et ne vous abîme pas. Les médecins m’ont dit que cela ne serait plus bientôt qu’un mauvais souvenir pour vous. Comment vous sentez-vous ?
  • — Assez bien, merci. Alors c’est terminé plus de questions sur mon passé ?
  • — Non, même si vous êtes définitivement une énigme pour moi.
  • — Je suis une femme, nous avons nos mystères.
  • — Certes. Je vous offre d’intégrer mon service, avec le grade de capitaine et le traitement associé.
  • — Comme si j’étais un homme ?
  • — Comme si vous étiez un homme.
  • — Et si je refuse ?
  • — Soit vous réintégrez votre couvent avec obligation de tenir secret tout ce qui vous est arrivé depuis votre arrestation. Soit on vous tue si vous ne voulez pas respecter ce secret.

J’avais comme un air de déjà vu**, cela ressemblait tellement à ce qui s’était passé chez les amazones…


  • — J’ai droit à un délai de réflexion ? lui demandai-je.
  • — Oui, bien sûr. Il est midi. Ce soir vous conviendrait-il ?
  • — Je le pense.
  • — Vous êtes libre de circuler dans tout le château et dans le parc. Nous ne pouvons pas vous autoriser à sortir avant votre réponse.
  • — Parfait. Merci.
  • — Encore une chose : si vous acceptez, je serais heureux de vous inviter à dîner. J’ai beaucoup à me faire pardonner. Vous ne me croirez sans doute pas, mais je n’ai pris aucun plaisir à vous torturer ainsi. Je…
  • — N’en dites pas plus, Colonel. Nous verrons cela plus tard. Merci de votre franchise.

Le colonel prit congé. Je restai seule dans la chambre un moment, puis en sortit pour trouver un long couloir, enfin un escalier descendant vers le rez-de-chaussée. Je croisai des gens du personnel, qui eurent avec moi le comportement qu’on doit à un hôte. Quel contraste ! hier, ou peut-être il y a plusieurs jours, je ne saurais dire combien de temps j’avais dormi, j’étais enchaînée, nue, torturée, pensant mourir…


Je me promenai longtemps dans le parc, trouvai dans un bosquet une jolie fontaine où l’eau coulait. J’allai m’asseoir à côté en respirant profondément. J’avais besoin de communier à nouveau avec la nature. Je remerciai Dieu et la Déesse de m’avoir laissée en vie. Rapidement, l’idée se fit à moi que j’accepterai l’offre du colonel et je ne sais pourquoi je lui pardonnai ce qu’il m’avait fait subir. Je pensai à Gaspar et à Mercédès. Je les aimais tous les deux d’un amour sincère, encore un point hors normes dans notre société catholique formatée… Comment pouvait-on, étant femme, aimer deux personnes à la fois, un homme et surtout une autre femme ? J’attendis que la lumière du jour tombât pour revenir vers le château. Les allées étaient illuminées de torches. En entrant dans le vestibule, j’avisai un serviteur et lui dis que je demandais audience au Colonel de la Vega.


Je fus introduite dans un bureau richement décoré. Le colonel se leva pour m’accueillir.


  • — Dînerons-nous ensemble, Ma Sœur, ou devrais-je dire, Capitaine ?
  • — Capitaine conviendra, Colonel !
  • — Merci, je me réjouis de votre décision.
  • — J’ai toutefois quelques questions et des conditions à vous soumettre.
  • — Je vous écoute.
  • — Avez-vous des nouvelles de Frère Gaspar de Carvajal ?
  • — Oui, il est à Quito. Pour tout vous dire, il désespère de voir ses demandes de retour en Espagne aboutir un jour.
  • — Ah, et pourquoi ses demandes n’aboutissent-elles pas ?
  • — C’est lié à notre affaire en cours… Vous voudriez qu’il revienne en Espagne ?
  • — Oui.
  • — Parfait, je vais donner les ordres dès demain matin.
  • — Merci. Et s’agissant de Sœur Mercédès ?
  • — Elle n’a rien à craindre, la justice du Roi a conclu à un crime de rôdeur. L’enquête ne sera pas rouverte.
  • — Et votre « observateur » qui aurait vu une ombre noire tuer le prêtre ?
  • — Un homme à nous, tenu par le secret.
  • — Je vois.
  • — Désirez-vous passer à table ? Si ma compagnie ne vous rebute pas, bien sûr.
  • — Je ne sais pas pourquoi, Colonel, mais je vous pardonne.
  • — Je serai à jamais votre obligé, Capitaine.

Nous passâmes à table dans une autre pièce, illuminée de chandelles. Cela avait beaucoup de charme.


  • — Vous prendrez du vin ?
  • — Oui, s’il n’est pas altéré par une drogue quelconque, dis-je en riant.
  • — Nous vous apprendrons tout cela, et quelques autres choses aussi. Si vous en êtes d’accord, votre formation commencera demain matin.
  • — Avec plaisir.
  • — Il y a bien sûr des choses que nous n’aurons pas besoin de vous enseigner, si ce n’est parfaire votre entraînement.
  • — Comme ?
  • — Les techniques d’assassinat au couteau, le tir aux armes à feu, le combat d’abordage au sabre ou à la dague, l’art de se dissimuler… Dois-je continuer ?
  • — Non, vous m’avez bien cernée. Qu’allez-vous m’enseigner ?
  • — L’art de chiffrer et déchiffrer les messages codés, parler et écrire d’autres langues, la géopolitique du monde et les volontés secrètes de notre Roi.
  • — Diable, vous m’accordez une très grande confiance.
  • — Le test a montré vos capacités de résistance. Je sais que vous ne me direz jamais qui vous êtes vraiment.
  • — Très juste, même là en cet instant fort agréable avec vous.
  • — Oui, c’est une technique utilisable, mais je réserve ces ruses à nos ennemis. Pour ce qui est des langues ?
  • — Outre l’espagnol, je parle couramment le latin et plusieurs dialectes indigènes des Amériques, dont des langues d’Amazonie.
  • — Bien sûr. Nous vous enseignerons le français, l’anglais, le hollandais et la langue ottomane.
  • — Excellent.
  • — Encore une chose.
  • — Oui ?
  • — Comme je vous l’ai dit ce midi, je n’ai pris aucun plaisir à vous torturer.
  • — Je vous crois.
  • — Je dois cependant vous avouer que j’ai aimé voir votre corps nu, vous êtes très belle.
  • — Vous me gênez, Colonel. Cela dit, être nue n’était pas un problème pour moi.
  • — Ne vous méprenez pas, je ne cherche aucunement à vous mettre dans mon lit. Je tenais juste à vous le dire.
  • — Merci, l’honnêteté de vos sentiments me touche.
  • — Ah, un point que nous n’avons pas abordé au sujet de votre formation…
  • — Lequel ?
  • — Nos agents de haut niveau – et vous en faites partie – doivent être rompus à toutes les techniques… relationnelles entre êtres humains.
  • — Qu’est-ce à dire ?
  • — Nous, et je dis « nous », devons, quand il le faut, pouvoir avoir un commerce charnel avec d’autres personnes, hommes ou femmes, à des fins de renseignement et pour le succès de nos missions bien sûr.
  • — …
  • — Oui, cela peut être gênant.
  • — Vous dites hommes ou femmes ?
  • — Oui… Par exemple, en ce qui me concerne, j’ai dû, même si je n’ai jamais aimé que les femmes, apprendre à avoir des relations sexuelles avec les hommes.
  • — Et commettre ainsi le péché de Sodome ?
  • — Oui, mais il n’y a plus de notion de péché si c’est pour le service du Roi. Pas besoin de se confesser non plus quand on est membre du service.
  • — Cela me va très bien. Pas de risque d’aller au bûcher ?
  • — L’Inquisition n’a aucun pouvoir sur nous. Puis-je savoir, si ce n’est pas trop indiscret, quel est votre niveau par rapport aux besoins de formation en ce domaine ?
  • — Vous voulez dire, pour la bagatelle ?
  • — Oui.
  • — Et bien… J’ai déjà fait l’amour avec un homme, et avec plusieurs femmes aussi.
  • — Très bien. Et… pour les détails ?
  • — J’ai pratiqué… fellation, cunnilingus et pénétration vaginale (je ne lui dis pas bien sûr que j’avais pratiqué aussi en tant qu’homme). Pour ce qui est de la sodomie, uniquement avec des olisbos en bois jusqu’ici. Mais cela ne devrait pas poser de problème avec un vrai homme.
  • — Je vois. Vis-à-vis de la formation, nous pourrons donc nous passer de ce module, sauf si vous souhaitez approfondir certaines techniques, si je peux me permettre ce jeu de mots douteux !

Je ris de bon cœur, et lui aussi. Le colonel reprit :


  • — Vous rencontrerez prochainement le Prince Philippe, et peut-être le Roi aussi. Votre formation sera achevée d’ici deux mois. Vous aurez ensuite un peu de temps à vous avant vos premières missions.
  • — Merci Colonel, merci pour cette nouvelle vie qui s’offre à moi.
  • — C’est nous qui vous remercions, Capitaine.
  • — Je vais juste vous avouer une chose, pour vous mettre à l’aise et en même temps continuer à entretenir le mystère : je n’ai jamais formé le moindre vœu de moniale bénédictine.
  • — Vous êtes décidément surprenante, Capitaine ! Je lève mon verre au meilleur recrutement que j’ai jamais fait !
  • — Merci Colonel, je dédie ce verre au service du Roi et à l’Espagne !

Et nous bûmes ainsi notre dernier verre de la soirée. Le colonel me fit le baise-main, puis un majordome me raccompagna à ma chambre. Je trouvai sur mon lit un foulard plié. Je reconnus la couleur du grade de capitaine. Une note était posée à côté. Elle détaillait le programme de la journée du lendemain.




*Note de l’auteur : Philippe II, lorsqu’il sera roi, organisera l’un des plus efficaces réseaux d’espionnage de l’occident chrétien. J’ai juste un peu anticipé sa création.

**Voir chapitre 3 : la transformation de Frère Jérôme.




Chapitre 11 : la formation de la Capitaine Jéromine



Je me levai tôt, vers six heures du matin. Je me lavai avec une cuvette et un broc d’eau puis m’habillai avec mes habits de la veille. Je nouai mon foulard autour de mon cou. Je tirai le cordon à côté de mon lit pour me signaler aux serviteurs. Un majordome pénétra dans la pièce après avoir toqué à la porte et que je l’eus autorisé à entrer. Je l’informai de mon désir de prendre mon petit-déjeuner. Il me demanda si je désirai un chocolat des Amériques comme boisson chaude. J’acceptai avec plaisir et lui détaillai ensuite le reste de mes exigences. Il revint quelque temps plus tard avec un plateau dont le contenu se révéla délicieux.


Il était huit heures, j’étais attendue à la salle des cartes pour un cours de géopolitique mondiale. Mon professeur était un homme assez âgé, un véritable puits de science qui parlait agréablement de ce qu’il appelait le dessous des cartes. C’était passionnant. Je fis une pause à dix heures puis passai à mon premier cours de français. Le fait d’être espagnole et de connaître le latin aidait grandement pour l’apprentissage de cette langue supposée être celle de l’amour et de la galanterie. Je crois que je me débrouillai bien.


Après le repas de midi, pris en commun avec le colonel, j’avais droit à mon premier cours de science du chiffre, les messages codés. Le colonel me prévint que j’aurais une surprise, mais n’en dit pas plus malgré mon insistance.


  • — Vous savez, Capitaine, je suis comme vous, dit-il. Je ne dis pas tous mes secrets.
  • — C’est bien normal, Colonel, vous ne seriez pas chef des opérations sinon.
  • — Nous nous comprenons, très chère. Le prince Philippe souhaitera vous rencontrer en fin de formation.
  • — Fort bien.
  • — Vous devrez peut-être à cette occasion passer une tenue plus féminine.
  • — De religieuse ?
  • — Non, la tenue de cour sera plus appropriée.
  • — Bien. Cela dit, pourriez-vous alors me mander une camériste ? Je n’ai jamais revêtu ce genre d’habit dans ma vie antérieure.
  • — Ah, oui, bien sûr. Je n’y avais pas pensé. Mille excuses. Cela dit, nous avons le temps.
  • — Vous n’avez pas à vous excuser, colonel. Ce repas était succulent, vous remercierez la cuisine.
  • — Je n’y manquerai pas. Bon après-midi, Capitaine.
  • — À vous aussi, Colonel.

Je me dirigeai vers la salle de cours de science du chiffre. J’ouvris la porte et reconnus de dos l’homme en train d’écrire à la craie sur un grand tableau d’ardoise : Pedro Del Gado ! Quelle ne fut pas ma surprise ! Il se retourna et se présenta :


  • — Lieutenant Pedro Del Gado, pour vous servir, Capitaine !

Je pris un ton militaire pour lui répondre :


  • — Repos, Lieutenant, alors c’est vous mon professeur de chiffre ? Je ne m’y attendais pas.
  • — J’avoue, Capitaine, que je ne suis pas étonné de vous voir rejoindre le service. À vrai dire, j’en suis pour partie responsable.
  • — Je vois, l’attaque des pirates sur le Santa Monica.
  • — Oui, j’ai fait mon rapport au colonel dès mon retour à Madrid. Le compte-rendu de l’Amirauté nous est parvenu quelques jours après, confirmant le mien.
  • — Vous êtes donc spécialiste des messages codés ?
  • — Oui, vous avez le droit de savoir que j’étais allé aux Amériques pour former nos états-majors sur place.
  • — Et vous aviez fini votre mission quand nous avons pris le bateau ensemble.
  • — Exactement. On commence ?

Si le français avait été facile pour moi, le chiffre se révéla plus dur. Je n’étais pas versée dans les mathématiques et cela était beaucoup plus complexe que de faire les comptes du couvent ! Une pensée pour Mercédès traversa fugitivement mon esprit. Je me dis que cette matière serait peut-être la plus difficile de mon apprentissage, non pas que les femmes auraient été plus mauvaises que les hommes en mathématiques, quelle idée stupide, mais juste parce que c’était inhabituel pour moi ! En ayant cette pensée, je me dis que tout de même, j’avais passé plus d’années de ma vie étant homme que femme. J’avais cependant l’impression que mon changement d’état m’avait fait grandir, évoluer positivement. Cette pensée mettait encore plus en lumière dans mon esprit le côté absurde de la domination masculine qui nous était imposée.



Le lieutenant Del Gado était un bon pédagogue, heureusement pour moi. Sa patience était un gage de compréhension. Je sortis du cours un peu vidée. J’avais en sortant en moi l’image de Del Gado se livrant à ses ébats entre hommes dans sa cabine sur le bateau de retour vers l’Espagne. Je me demandai ce qu’il pouvait faire face à une femme, je ne l’y voyais pas du tout.


Le dernier cours de deux heures fut consacré à l’anglais, plus difficile pour moi que le français, mais vu les liens avec cette dernière langue, cela allait malgré tout. Cette première journée entièrement intellectuelle m’avait bien fatiguée, mais j’acceptai tout de même de dîner avec le colonel.


  • — Alors, Capitaine, cette première journée ?
  • — Très intéressante, captivante, même, mais épuisante. J’aurais aimé un peu d’exercice, course, gymnastique, tir ou combat.
  • — Nous y veillerons, deux heures d’exercice par jour vous conviendraient-elles ?
  • — Oui, cela sera parfait.

Alors qu’il me servait un verre de vin, il aborda un autre point :


  • — Il faudra aussi que nous fassions un test de résistance à l’alcool.
  • — Ah oui ? Pourquoi ?
  • — Dans vos missions, vous serez peut-être amenée à boire et il faut que vous teniez le coup, et votre langue aussi.
  • — Bien vu, une nouvelle séance de torture ?
  • — Non, cela sera beaucoup plus doux. Nous pourrons la faire ensemble si vous le souhaitez.
  • — Avec plaisir, Colonel, mais pas ce soir.
  • — À l’issue de ces deux mois, vous devrez également faire un exercice en fin de stage.
  • — Du genre ?
  • — Vous serez abandonnée, seule, à plusieurs lieues d’une forteresse, à pieds et avec un équipement très sommaire. Vous devrez la rejoindre et libérer un ou une otage après avoir subtilisé des documents.
  • — Beau programme. Cela me plaît.
  • — La réussite à cette épreuve sera votre confirmation d’agent de la division des opérations.
  • — Si j’échoue ?
  • — Vous conservez votre grade mais restez cantonnée à faire de l’instruction sur vos savoir-faire actuels.
  • — Je préfère réussir.
  • — Cela ne m’étonne pas.

Ce soir-là, une fois au lit dans ma chemise en soie, j’eus des pensées érotiques pour Mercédès et pour Gaspar. Je tombai rapidement dans les bras de Morphée et fis un rêve coquin où nous étions tous les trois.


J’étais au couvent de Saragosse, arrivée en tenue militaire. Devant les sœurs surprises de me revoir, Mercédès m’avait accueillie en me serrant dans ses bras. Elle me demanda ce que je faisais dans cette tenue. Je lui dis être désormais au service du Roi. Elle m’amena à son bureau où une surprise m’attendait. Là, je vis Gaspar, dans le plus simple appareil, qui nous attendait assis près de la cheminée, son membre déjà en érection. Mercédès, bien que n’aimant pas les hommes, ne semblait pas s’en offusquer. Elle se déshabilla elle aussi une fois la porte du bureau fermée. Soudainement, j’étais nue moi aussi, en ayant toutefois gardé mon foulard de capitaine. Gaspar vint vers nous. Nous nous étreignîmes à trois, je sentais son sexe flageller gentiment ma cuisse.


Je l’embrassai à pleine bouche puis m’agenouillai devant lui pour lui faire une fellation. Mercédès était derrière moi et frottait ses seins dans mon dos tout en malaxant les miens avec ses mains. Sous mes caresses buccales expertes, Gaspar finit par jouir dans ma bouche. Je proposai à Mercédès de partager sa semence avec moi en l’embrassant, et curieusement elle accepta. Nous restâmes enlacées elle et moi un certain temps, puis nous mîmes tête-bêche sur le tapis, Mercédès sous moi, pour que nos bouches s’occupent l’une de l’autre de nos sexes. Gaspar nous observait en astiquant son membre afin de lui redonner de la vigueur, il proposa alors de venir me prendre la vulve alors que Mercédès me léchait toujours. Après un coït fort agréable, il se répandit en moi et je jouis aussi. Nous nous relevâmes pour prendre une liqueur bénédictine.


Je proposai à Mercédès de goûter la bite de Gaspar, dans sa bouche ou dans son con, mais elle refusa. Elle me dit un mot à l’oreille sur ce qu’elle avait inventé en mon absence, un système de harnais en cuir auquel était accroché un olisbos. Si ce dispositif pouvait être utilisé entre femmes pour simuler un pénis d’homme, il pouvait servir aussi à pratiquer Sodome sur un homme ou une femme. Je lui proposai de l’utiliser sur elle et elle en fut ravie. Elle sortit donc l’objet et me le mit autour de la taille. Gaspar nous regardait d’un air amusé. Je lubrifiai bien l’engin mais la vulve de Mercédès était déjà fort poisseuse et je n’eus donc aucun mal à la pénétrer. Je le fis d’abord en levrette, puis en missionnaire. Gaspar nous regardait en se masturbant. Mercédès finit par jouir. Après avoir repris ses esprits, elle voulut inverser les rôles. J’acceptai avec grand plaisir, et bientôt elle me limait la chatte à son tour avec son olisbos. Je la fis se coucher sur le dos et m’empalai sur elle. Je fis signe à Gaspar de venir vers nous, en amenant son sexe près de ma bouche. Je lui fis un début de fellation, puis lui demandai de me prendre par le cul, ayant toujours la bite en bois de Mercédès dans ma matrice. Quel rêve je faisais là ! Je connus donc à cette occasion ma première sodomie par une vraie bite. Bon, ce n’était que sur le plan onirique. Gaspar et Mercédès me besognaient tous les deux. Je me souvenais de comment mes sœurs amazones m’avaient parlé de l’expérience de double pénétration. Quel bonheur !


Dans mon rêve, Gaspar me demanda s’il pouvait essayer lui aussi l’olisbos, à savoir se faire sodomiser par l’une d’entre nous. Mercédès eut cet honneur et je vis mon homme couiner comme une femme sous la pénétration. C’était grandiose. La nuit se poursuivit et au matin mon sexe était bien poisseux. Je dus me faire une toilette intime si je ne voulais pas sentir la femme de mauvaise vie.


Ma formation se poursuivait, cela faisait maintenant un mois qu’elle avait commencé. Le fait d’avoir une activité physique chaque jour avait des effets bénéfiques. Je retrouvai ma forme de l’époque de mon séjour dans la forêt amazonienne. Je commençai à bien parler le français et l’anglais, mais le hollandais et la langue ottomane me posaient plus de difficultés. Les autres cours étaient passionnants et même le chiffre trouva finalement goût à mon esprit. J’affectionnai également le cours sur les poisons et les antidotes. Notre début de colonisation aux Amériques avait considérablement enrichi nos connaissances dans ce domaine et j’eus une pensée nostalgique pour l’enseignement que j’avais aussi reçu de mes sœurs de la forêt dans ce même domaine. J’évoquai d’ailleurs certaines plantes amazoniennes et leurs effets à mon professeur, mettant bien sûr sous silence la plante qui avait contribué à mon changement de sexe.


Vint cette soirée où le colonel voulut tester ma résistance à l’alcool. Nous nous étions mis d’accord sur une légende : j’étais censée être la femme d’un diplomate espagnol en poste à Constantinople, reçue par un général des troupes ottomanes. J’étais supposée être en mission pour voler des documents de leur stratégie militaire. Dans ce scénario, le général avait des doutes sur moi et pensait que j’étais une espionne. Le colonel n’avait pas trop détaillé l’intrigue prévue et je serai essentiellement en mode improvisation. Nous étions à son bureau et nous attaquâmes au rhum. Au bout de trois verres, je commençai à me sentir pompette et le colonel le vit, ce qui le fit sourire. Il s’en servit un pour m’accompagner, dit-il, puis au quatrième verre se mit à me poser des questions :


  • — Alors, dame Isabella, comment va votre mari ?
  • — Bien, dis-je, mais pour tout vous dire, je crois qu’il est sensible à la beauté des femmes turques.
  • — Ah oui, cela ne m’étonne pas. Savez-vous, chère dame, que notre population a beaucoup en commun avec la vôtre ?
  • — Comment cela ?
  • — Oui, cela fait plusieurs siècles que nous enlevons des femmes blanches pour les mettre dans nos harems. Peu à peu, notre peau devient plus blanche, nous nous ressemblons.
  • — Et puis ?
  • — Vous pourriez travailler pour nous, ici à Constantinople. Nous fournirions des femmes à votre mari.
  • — Comment ça, travailler pour vous ? Je ne suis pas une espionne.
  • — C’est ce que nous verrons.

Le colonel me servit un nouveau verre, la tête me tournait maintenant.


  • — Mais enfin Général, que me dites-vous là ?
  • — Voyez-vous chère dame, chère Isabella, vous êtes trop au fait des choses de la cour, de notre administration, de notre système. C’est louche.
  • — Vous trouvez ? Je suis simplement curieuse, comme beaucoup de femmes occidentales.
  • — Ah oui, et que diriez-vous à propos de documents étranges que nous avons découverts dans votre hôtel particulier, on dirait des messages codés ?
  • — Vous vous méprenez, il ne s’agit que de jeux mathématiques que nous affectionnons, mon mari et moi. Vous avez fouillé notre maison ?

Après le verre suivant, il m’était plus dur de trouver mes mots. Le colonel se resservit à son tour, mais je pense que j’avais déjà bu le triple par rapport à lui. L’exercice commença à partir en vrille dans les questions suivantes.


  • — Qui êtes-vous, Isabella ?
  • — Juste… juste la femme de Felipe Diaz de Salamanque, fille de bonne famille et épouse modèle.
  • — Que savez-vous de Jéromine de Murcie ?
  • — C’est, c’est… c’est un homme.
  • — Un homme ? Que dites-vous là ?
  • — Oui, c’est Frère Jérôme… Je suis… Je suis juste un peu ivre.

Le colonel estima qu’à ce stade, l’exercice était terminé. Il se resservit un verre.


  • — Colonel, dis-je étant complètement saoule, voulez-vous coucher avec moi ?
  • — Euh, une autre fois, Jéromine, une autre fois.

Et il me fit raccompagner par les serviteurs qui me firent me mettre au lit. Une bassine en bord de celui-ci me fut utile pour vomir ce qui restait de rhum dans mon estomac. Pas de cours le matin suivant, il valait mieux. J’émergeai en fin de matinée avec une belle gueule de bois. Je pris un repas léger, sans vin, avec le colonel qui analysa l’exercice de la veille.


  • — Excellent, Capitaine, vraiment excellent.
  • — Ah oui ? (je n’avais que de vagues souvenirs)
  • — Non seulement vous tenez bien l’alcool, mais vous avez su éluder les questions difficiles.
  • — Vraiment ?
  • — Oui, et votre dernier coup de dire que vous étiez un homme, tout simplement sublime ! Quand on sait la femme que vous êtes, et si je peux me permettre, moi qui vous ai vu dans le plus simple appareil ! En fait, ce genre d’approche de dire n’importe quoi est adapté à la situation. Comment l’idée vous est-elle venue ?
  • — Je ne sais pas, c’est venu comme ça, mentis-je.

Comme quoi une faiblesse apparente peut devenir une force, pensai-je intérieurement.


  • — Quant à votre dernière proposition, c’était aussi bien tenté.
  • — Euh, laquelle ? Je ne me souviens pas…
  • — Sauf votre respect, Capitaine, vous m’avez proposé de coucher avec vous…
  • — Ah oui, j’ai fait ça ? Je devais être bien saoule…
  • — Comme un Portugais. C’est bon pour moi, vous avez passé cet examen.
  • — Merci, Colonel.
  • — Tout le plaisir était pour moi.

Les deux mois touchaient à leur fin, l’exercice en campagne approchait.


Mélanie m’annonça que les trois pyramides existaient bien et avaient été localisées au sud-ouest de Manaus, au Brésil. Les cartes satellites/radars avaient été faciles à exploiter. Nous contactâmes l’Universidad del Estado del Amazonas pour leur proposer de participer au projet. Ils furent emballés. Nous dûmes soumettre une modification du projet, mais ce fut assez facile contrairement à ce que nous avions pensé. Désormais, nous avions constitué l’équipe pour la future expédition :

– Juanita, de l’université de Quito ;

– Manuel de l’université de Manaus, qui serait accompagné de deux assistants pour la logistique ;

– Marc, du laboratoire de pharmacologie de Toulouse ;

– Mélanie, qu’on ne présente plus ;

– et moi, bien sûr, chef de l’expédition en titre.

Le début de l’expédition était pour dans trois mois, elle devait en durer deux. Nous démarrerions tous de Manaus, accueillis par Manuel et son équipe. Compte tenu du nombre de participants et du matériel à emmener, nous partirions de Manaus avec trois 4x4 adaptés à la forêt amazonienne. Manuel nous avait dit que rejoindre la zone des pyramides serait difficile et que les véhicules seraient conduits par ses assistants et lui, faute d’entraînement suffisant de nous autres chercheurs occidentaux. Juanita n’était pas non plus fan de conduite en forêt.


Tout allait bien, trop bien, jusqu’à ce matin où n’étant pas en forme, j’allai consulter un médecin.




Chapitre 12 : Arrêt maladie



Après deux consultations chez le médecin, j’eus droit à des analyses, des prises de sang et un passage au scanner. Le résultat fut sans appel. J’avais un cancer ou plutôt deux, l’un à la prostate, l’autre aux testicules. Selon l’oncologue, il faudrait opérer d’ici cinq mois, avant que ne se forment des métastases. J’aurais alors aussi droit à une chimiothérapie. Je lui dis que je devais partir en Amazonie dans trois mois, pour une durée de deux mois. Il eut l’air embêté, compte tenu de la proximité de mon retour avec l’opération. Il y avait un moyen de ralentir la croissance des cancers selon lui, et je devais prendre pour cela dès maintenant des hormones féminines. Il me dit aussi qu’après l’opération je ne pourrais plus bander ni avoir d’enfants. J’étais célibataire et n’avais pas de compagne, donc pas de problème direct en théorie, si ce n’est que mon ego de mâle venait d’en prendre un sacré coup. Face à une déprime se développant comme une tempête, je lui demandai de me mettre en arrêt trois semaines pour souffler un peu. Je mis la traduction du manuscrit en stand-by.



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Mélanie raconte :


Alex était en arrêt maladie pour trois semaines. J’avais l’impression qu’il n’allait pas bien du tout et que cela affectait grandement son moral. Il m’avait dit avoir mis en suspens la traduction du manuscrit de Frère Jérôme, ou plutôt de la Capitaine Jéromine, devrais-je dire. Les préparatifs de la mission avançaient, mais j’avais l’intuition que je devais aller le voir, j’avais peur qu’il ne veuille plus en faire partie. Je lui téléphonai trois jours après le début de son arrêt :



Il m’ouvrit la porte de son appartement. Il était en jogging et pas rasé de plusieurs jours.



Je m’assis sur le canapé. Il revint avec un verre qu’il posa sur la table basse. Il s’assit sur le fauteuil en face de moi.



Alex eut un sourire qui n’en était pas un.



Je rentrais au labo. Alex me faisait beaucoup de peine, cela devait être terrible pour lui et c’était dur de le voir ainsi. Je pensai sincèrement que je pouvais l’aider. Il me téléphona le lendemain.



Je quittai le labo vers dix-sept heures, le temps de faire quelques courses, une chaîne bien connue de magasins surgelés me serait d’un grand secours ! Mon appartement était petit, mais bien organisé, cosy, pas trop girly, mais un peu quand même. Je dressai une table pour deux, avec des bougies pour donner un cadre romantique. Presque une Saint-Valentin ! Le carillon de la porte d’entrée retentit vers dix-neuf heures trente. J’ouvris la porte et vis un Alex bien rasé, bien habillé, un bouquet de fleurs et une bouteille de vin à la main.



Nous nous fîmes la bise.



Je lui pris les fleurs que j’allai mettre dans un vase à la cuisine. Puis je revins au salon avec les fleurs que je posai sur un meuble. Alex s’était assis sur le canapé et semblait aller bien. Nous discutâmes du fait que le vin pouvait passer avec ce que j’avais prévu. Je lui proposai un apéritif. Il accepta. Il prit un whisky et moi un porto. Je lui parlai des avancées de ces derniers jours pour la préparation de notre mission. J’avais fait réserver les billets d’avion pour l’aller, le retour étant plus flexible mais déjà payé lui aussi.



Nous passâmes à table. Le dîner fut très bon, merci P… Alors que je mangeai, en sirotant l’excellent vin amené par Alex, j’eus soudain une idée peu conventionnelle pour la femme que j’étais.



Nous finîmes le repas avec un bon dessert. Je mis une petite musique d’ambiance.



Et nous dansâmes l’un contre l’autre. Graduellement, nos corps s’enlacèrent plus fort. Alex bandait, je sentais sa bite contre mon bas-ventre à travers nos vêtements. Nos langues se rencontrèrent et bientôt nous ne fîmes plus attention à la musique.



Arrivés dans la chambre, il me déshabilla pour atteindre mes sous-vêtements, J’étais maintenant en culotte et en soutien-gorge.



Je le déshabillai à mon tour. Bon, un caleçon en coton, pas très sexy tout ça.



Nous nous caressâmes, embrassâmes. Alex avait mis un parfum musqué très agréable. Nous nous mîmes en 69, mon premier avec un homme. Sa langue était experte pour me bouffer le berlingot. Pour ma part, ma bouche n’avait connu que des chattes, des culs mais aussi des godes, donc je n’étais pas complètement perdue. J’eus un orgasme sous les caresses buccales et les doigts d’Alex qui s’occupaient de ma vulve et de mon bouton. J’arrêtai alors ma fellation. Nous changeâmes de position et Alex me pénétra bientôt en missionnaire. La traduction du manuscrit trottait dans ma tête à l’évocation de cette position. Il en était de même sans doute pour Alex. Sa bite coulissait bien en moi et j’appréciai le contact de nos bassins. Finalement, la bite avait du bon, meilleure que les godes, mais de là à virer ma cuti !


Nous restâmes longtemps l’un contre l’autre. Une fois mis sur le côté, Alex s’endormit. Je me levai, le regardais dormir. Nous nous éveillâmes dans la nuit et je lui proposai de remettre le couvert. Cette fois-ci, j’avais l’intention de lui offrir mon cul.



Je sortis du gel de ma table de nuit, m’en enduisis l’anus avant de masturber la bite d’Alex avec pour la rendre bien ferme et glissante.



Il ajouta :



Là-dessus, il me lima longuement le conduit. J’avais une main sur ma chatte pour me faire du bien pendant ce temps. Il se répandit en moi et je jouis encore une nouvelle fois alors qu’il me léchait la chatte après avoir déculé. Nous terminâmes la nuit à dormir d’un sommeil réparateur. Le matin nous trouva enlacés dans le lit. Nous discutâmes au petit-déjeuner.





Chapitre 13 : fin de stage



Après ces quelques jours d’infidélité passagère, j’avais repris ma traduction. J’étais certes encore en arrêt maladie, mais travailler me faisait du bien. Et puis surtout, Mélanie m’avait fait retrouver goût à la vie. J’en étais resté au moment où Jéromine était sur le point de passer sa dernière épreuve dans sa formation.


Le colonel m’expliqua ce qui m’attendait : j’allai être déposée à trente lieues* de la forteresse de l’exercice. Le milieu étant hostile, des patrouilles ennemies, jouées par nos troupes, seraient partout dans la région. Je devais bien sûr ne pas me faire prendre. Je devais entrer dans la place forte, trouver un document chiffré se trouvant dans le bureau du chef de celle-ci puis libérer une prisonnière emprisonnée avant de la ramener dans un endroit ami à trois lieues de là. La mission serait réussie à ces conditions, j’avais cinq jours pour accomplir mon travail. J’avais droit à choisir les vêtements que je voulais et deux armements seulement. On ne me fournirait pas de monture pour me déplacer ni de nourriture, mais j’avais droit à une gourde. On me donnerait une carte de la région et à une boussole. En cas de combat, nous ne devions en aucun cas nous tuer ni provoquer de blessures graves. Nous devions estimer si nous avions des chances d’avoir le dessus ou non. S’il devait y avoir échange de tirs au pistolet, le colonel considérait qu’au vu de mon habileté, je ferais mouche si je tirais la première et à moins de douze pas**. Les pistolets seraient chargés à blanc. La prisonnière devait répondre à un mot de passe : je devais dire : « La nuit est noire et pleine de terreur », ce à quoi elle répondrait « Méditez vos péchés, Capitaine ». Le colonel était vraiment un coquin.


La mission démarrerait le lendemain matin, par un transport en carriole pour aller jusqu’au point de largage. J’avais la nuit et la matinée du transport pour étudier la situation.


Je choisis comme tenue un pantalon sombre et un pourpoint réversible, gris d’un côté et noir de l’autre. Un bonnet masquerait mes cheveux et j’essaierai de me donner une silhouette la plus androgyne possible, enfin quelque chose qui ne fasse pas trop féminin. Cela dit, aucune femme ne se promenait en pantalon dans notre société. Côté armement, je choisis une longue dague ainsi qu’une sarbacane avec des pointes que j’enduirais de poison somnifère. L’armurier fut surpris de mon choix mais me laissa faire. Pour la nourriture, je me servirais dans la nature en ou en volant des victuailles chez des paysans sur mon parcours.


Je dormis tout de même. J’avais étudié la carte, assez sommaire en fait, et devrais sûrement m’adapter en fonction de la réalité du terrain. Le voyage en carriole me permit d’affiner ma stratégie. Sauf opportunité permettant un déplacement discret de jour, je privilégierais la nuit.


Je fus déposée par la carriole sur un plateau désert, nous étions en milieu d’après-midi. En marchant normalement, sans m’arrêter, il me fallait environ trente heures pour aller jusqu’à la forteresse, si bien sûr je ne m’égarais pas. La visibilité était très bonne, j’étais donc potentiellement très visible. Je décidai de me dissimuler jusqu’à la nuit. Je me mis en mode gris pour le pourpoint, trouvai un rocher au pied duquel attendre, et qui plus est à l’ombre. Nous étions fin juin et il commençait à faire chaud. Je trouvai une source en route où je pus me désaltérer. L’eau était claire et il n’y avait pas de troupeau en vue. Je devais faire route à l’est, descendre du plateau, longer une rivière sur laquelle je trouverai forcément un village ce qui me permettrait de me restaurer. Je dormis d’un œil jusqu’à la tombée de la nuit.


Enfin vint l’heure de me mettre en route. Je retournai mon pourpoint pour le passer en noir. Au bout de trois heures de marche, j’atteignis le bord du plateau jusqu’à la falaise surplombant la rivière. Je trouvai un chemin de mule pour descendre vers la berge, qui semblait praticable à pied. J’étais en bas une demi-heure plus tard. Il était environ une heure du matin quand j’atteignis un village. La marche avait creusé mon appétit. J’avisai une ferme qui ne semblait pas gardée par des chiens.

Je pus y trouver un séchoir à jambon ou je pus couper un bon morceau avec ma dague. C’était salé, il faudrait que je boive pour me réhydrater, d’un autre côté j’avais dépensé des sels en marchant. Après m’être restaurée, je voulus reprendre ma route mais aperçus deux silhouettes à cheval en sortie du village. Je longeai une façade de maison dans l’ombre jusqu’à approcher à quelques mètres des deux cavaliers. Je sortis ma sarbacane, y mit une fléchette et visai le cou d’un des deux hommes. Je fis mouche et il s’écroula rapidement sur son cheval. Son camarade se mit en alerte et dégaina son épée. Il commit l’erreur de descendre de son cheval. Il ne me voyait pas. Je me glissai derrière lui puis lui fis une clef au bras en appliquant sans le blesser ma dague sur sa gorge.


  • — Ne bouge plus, tu es mort, lui dis-je.
  • — D’accord, vous avez gagné.

Je retirai ma dague et lui libérai le bras.


  • — Quelles sont vos consignes ? me demanda-t-il.
  • — Tu es mort égorgé et ton camarade aussi, empoisonné par du poison mortel, voilà ce que tu diras au contrôleur. Rassure-toi, ton collègue n’est qu’endormi, il se réveillera bientôt. Je vous pique un cheval. Vous pouvez rentrer à deux ?
  • — Oui, vous allez rire, on a prévu le coup et planqué un troisième cheval…
  • — Vous partiez perdant ?
  • — Votre réputation vous précède, Capitaine. Bonne chance dans votre mission.
  • — Avant de partir, avez-vous des vivres que j’aurais pu récupérer sur vous ? Et je vous prends aussi un pistolet et une épée au passage et de l’argent si vous en avez.
  • — Oui, prenez cette besace pleine de victuailles et cette bourse. Voici une épée et mon pistolet.
  • — Merci. Je te le rendrai. Rentrez bien.

J’avais bien aimé cette rencontre avec ces deux collègues, même si un des deux n’avait pas eu l’occasion de parler. La mission commençait bien. Il me fallait être prudente et parcourir une lieue à l’heure était risqué, même à cheval. Je ne galopai pas et ne trottai pas non plus, le pas serait suffisant. Je décidai rapidement de quitter le chemin bordant la rivière, le risque de rencontrer des patrouilles étant trop grand. Par rapport à ma route théorique idéale si tant est qu’avec la précision de ma carte je pusse en définir une, je me déportai volontairement de quelques degrés, partant nord-est alors que je devais aller vers l’est. Peu avant l’aube, j’étais à proximité d’une forêt. Je décidai de m’y cacher pour la journée, j’avais suffisamment de provisions pour tenir deux jours. Les nuits duraient environ de neuf heures en cette saison. Malgré mon détour volontaire, j’avais couvert plus d’un tiers du parcours, un cheval au pas allant plus vite qu’un homme à pied. Trois nuits devraient donc être suffisantes pour rejoindre la forteresse. Je pus également nourrir le cheval avec les pâturages qui bordaient la forêt. Tout allait bien. Je dormis dans un bosquet avec la couverture de selle du cheval en ayant pris soin d’attacher ce dernier à un arbre. Je pensai à la forteresse. Je ne la connaissais pas, n’avais pas de corde ni de grappin et ne savais pas si je pouvais l’escalader. Ayant suffisamment dormi, j’explorai un peu mon environnement forestier, peu luxuriant par rapport à l’Amazonie et moins hostile aussi. Il y avait aussi plus de monde dans nos forêts. J’espérais de ne pas avoir été vue.


Avant de partir, je trouvai les restes d’un feu de charbonnier. Je pris quelques charbons qui me seraient utiles pour ma discrétion en cas de besoin. Cela dit, je ne voulais pas me noircir les mains et le visage pour cette nuit-là, au cas où j’aie à me déplacer de jour, n’ayant pas le nécessaire pour me débarbouiller. Je me remis en route pour la deuxième nuit. Je ne croisai personne. Le fait d’avoir un cheval me fit de nouveau gagner du temps et je pus continuer ma stratégie de contournement de la route directe. Pas de forêt en vue alors que l’aube approchait. J’étais sur un plateau. Il y avait des troupeaux de moutons, donc certainement des bergers.


Je me risquai à me cacher dans une bergerie. Par chance, je pus y faire entrer mon cheval, j’aurais dû l’abandonner sinon, ne pouvant le laisser à côté de la cabane au risque de me faire repérer. Dans la matinée, alors que je dormais d’un œil, j’entendis du bruit à l’extérieur. Je pris mon épée et bondis de ma paillasse, me collai sur le mur à proximité de la porte. Un homme entra, visiblement un berger. Il vit tout de suite mon cheval dans la bâtisse. Je passai derrière lui, appliquai la porte de mon épée dans son dos et lui dit d’une voix enrouée, pour faire plus masculin :


  • — Pas un geste, pas un cri. Lève tes bras.
  • — Oui, Messire. Vous devez être la personne recherchée par les soldats du roi.
  • — Crois-tu ? Et qu’ont-ils dit ?
  • — Qu’une personne dangereuse rôdait dans la région ! Ils offrent une récompense de 10 réals d’argent.
  • — Je ne suis pas une personne dangereuse ni un criminel, j’ai juste troussé une femme de la famille royale.
  • — Ça alors !
  • — Si je te donne un ducat d’or, tiendras-tu ta langue ? (j’avais examiné le contenu de la bourse, qui contenait vingt ducats, une belle somme.)
  • — Oui, Messire.
  • — Tu le jures ?
  • — Sur la Sainte Vierge et le Petit Jésus. Sur la tête de ma mère aussi.
  • — Je te crois. Si tu trahis ton serment, mon fantôme viendra te tourmenter chaque nuit.
  • — Sainte Mère de Dieu ! dit-il en se signant.
  • — Je reste ici ce jour, je repartirai à la nuit.

Je n’avais pas confiance, malgré le serment du berger et le ducat dépensé. Je restai à le surveiller de la fenêtre de la bergerie tant qu’il restait en vue avec son troupeau. Quand ce ne fut plus le cas et malgré le jour encore persistant, je décidai de me mettre en route à pied avec mon cheval. J’aperçus des cavaliers en fin de journée sur l’horizon et avant que j’ai pu me cacher, je les vis changer d’allure pour venir vers moi. Je mis mon cheval au galop et une poursuite s’engagea. J’avais certes un peu d’avance mais n’étais pas sûre que ce soit éternel. Ils étaient deux, il me serait dur de gagner en combat simulé à l’épée contre deux cavaliers. J’optai pour neutraliser le premier au pistolet, et je prendrai ensuite l’autre par surprise à l’épée. Alors que je pensais à mon plan en galopant, j’atteignis une zone de rochers qui pourraient faire l’affaire. Je passai derrière un groupe de rochers, descendis de cheval et me mis en position. Ni moi ni mon cheval ne pouvions être vus lorsqu’ils arriveraient. Le chemin était à moins de douze pas, idéal pour un tir réussi.


Ils arrivèrent un peu moins vite que ce que j’avais estimé. Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, un cheval ne peut pas galoper si longtemps que cela et la fatigue avait dû commencer à les toucher. Ils passèrent enfin devant moi. Je tirai un coup, me disant alors que j’aurais dû prendre deux pistolets après le premier combat. Sous le bruit de la détonation, le cheval du deuxième cavalier rua et désarçonna son cavalier. Je me ruai à pied sur lui avec mon épée. Le premier n’avait pas compris qu’il était supposé être mort et vint vers moi l’épée à la main.


  • — Arrête, dis-je, tu es mort suite à mon coup de feu.

Il se ravisa et comprit, puis descendit de cheval.


  • — Joli coup, moins de douze pas, effectivement.

Le deuxième se releva.


  • — Vous m’avez bien eu aussi, je n’avais aucune chance quand vous vous êtes ruée sur moi.
  • — Merci les gars, dis-je.

Et m’adressant à celui qui était tombé :


  • — Ça va la chute, pas de casse ?
  • — Non, je suis entraîné.
  • — Tant mieux, répondis-je. Vous direz aux contrôleurs que j’ai pris un de vos chevaux et un pistolet de plus. Officiellement, j’ai caché vos corps et renvoyé le cheval qui reste. Je prends aussi un de vos uniformes, désolée.
  • — Bien Milady, je veux dire, Capitaine. En fait, nous avons de quoi vous en fournir un… Le colonel se doutait que vous le feriez. Bonne continuation de mission.
  • — Bon retour à tous les deux.

Étais-je donc si prévisible ? J’étais un peu blessée dans mon amour propre que le colonel ait anticipé cette décision. Après tout, je me dis que c’était normal, nous étions des professionnels et j’aurai sûrement fait comme lui. De plus, cela permettait à ses hommes de rentrer en restant habillés, même si là pour le coup ils n’avaient qu’un seul cheval.


La nuit ne tarderait pas, je décidai de rester dans ces rochers jusque-là. Je fis le point à l’aide de ma carte. En poursuivant plein est cette nuit, je devais arriver à l’aube à proximité de la forteresse. Ma progression se passa sans encombre. Je dus toutefois faire un petit détour d’une lieue car la carte, trop imprécise, m’avait laissé penser qu’un accès à une rivière pouvait se faire facilement et il en était autrement à cause d’une falaise infranchissable. À une lieue de la forteresse, profitant d’un bosquet, je me changeai et revêtis l’uniforme donné par les soldats. Il était à ma taille, décidément, quel coquin ce colonel ! Même la cuirasse m’allait bien, le casque aussi.


J’avais élaboré une stratégie pour entrer sans être remarquée dans la forteresse. La route que j’avais rejointe et que le bosquet bordait reliait la forteresse à une ville voisine assez distante. Je me dis qu’il y aurait bien des soldats qui la quitteraient dans la journée. La chance me sourit en fin de matinée : un cavalier arriva seul, en uniforme. Je sortis du bosquet, en lui faisant signe.


  • — Holà, camarade, peux-tu m’aider lui dis-je en prenant ma voix enrouée.
  • — Qu’y a-t-il ?
  • — J’ai un camarade blessé, nous avons été attaqués par des bandits, il est dans le bosquet, mentis-je.
  • — J’arrive.

Il descendit de cheval et vint à ma rencontre.


  • — Nous étions en patrouille dans le cadre de l’exercice de formation de la capitaine, dis-je. Des brigands nous sont tombés dessus en milieu de nuit.
  • — Ah oui ? Ce n’était pas elle alors. À la forteresse, nous sommes plus que prêts à la recevoir.
  • — Je n’en doute pas. Elle ne réussira pas, je te le parie 10 réals.

Alors que nous entrions dans le bosquet, je l’immobilisai et lui appliquai ma dague sur le coup.


  • — Tu vas me dire quel est le mot de passe pour entrer dans la forteresse, dis-je de ma vraie voix.
  • — C’est… C’est vous, Capitaine ?
  • — Oui, c’est bien moi. Dans la vraie vie, je te demanderais le mot de passe en te proposant en échange de t’épargner. Si tu me le donnais, je t’attacherais alors et te laisserais au milieu de ce bosquet.
  • — D’accord, le mot de passe de ce jour est : « Bleue est la barbe du Prophète », le garde en faction doit répondre « Blanche est la tunique du Christ ».
  • — Ils n’auraient pas pu trouver mieux ? Merci en tout cas. Dans la vraie vie, finalement, je ne suis pas sûre que je t’aurais laissé en vie. Cela dit, tu vas attendre ici quelques heures avant d’aller faire ton rapport. Je ne voudrais pas que la forteresse se doute de ma proximité.
  • — Pas de risque, le poste de commandement de l’exercice est en fait proche de la maison où vous devez amener la prisonnière une fois libérée.
  • — Dans ces conditions, tu peux le rallier à ta guise.
  • — Merci, Capitaine. Je retire ce que j’ai dit : je pense que vous allez réussir.
  • — Merci.

Je sortis du bosquet, montai à cheval et partis vers la forteresse en traînant le deuxième cheval par son licol. Je fus bientôt devant la porte, ayant franchi le pont-levis. J’avisai la sentinelle, en prenant ma voix enrouée.


  • — Holà, j’ai une urgence, j’ai un camarade gravement blessé que j’ai dû laisser à quelques lieux d’ici. Son état ne lui permet pas d’être transporté, même si j’ai réussi à stabiliser ses blessures. Nous avons été attaqués par des brigands. Je dois voir immédiatement le commandant du fort pour lui en parler.
  • — On n’entre pas sans le mot de passe, nous sommes en exercice.
  • — Je sais, je fais partie des patrouilles de plastron. Bleue est la barbe du prophète.
  • — Blanche est la tunique du Christ. Tu peux entrer, vas mettre tes chevaux à l’écurie. Le bureau du commandant est au dernier étage de la tour du donjon.
  • — Merci.

Et c’est ainsi que j’entrai dans la forteresse. Je mis les chevaux à l’écurie et me dirigeai ensuite vers le donjon. J’avais pris soin de cacher ma sarbacane entre la cuirasse et mon pourpoint. J’étais juste un soldat en uniforme, avec casque, cuirasse, portant les armoiries royales, une épée à ceinture et une dague. Je montai les escaliers et arrivai rapidement au dernier étage, dont la seule pièce était le bureau du commandant de la forteresse. J’espérai que le commandant serait seul. La porte entr’ouverte me confirma cet espoir et je décidai de tenter tout de suite un tir de fléchette. Alors que j’entrai, il me vit, se leva, mais avant d’avoir pu crier ou parler, ma fléchette avait atteint son cou. C’était le colonel ! Il dormait désormais d’un bon sommeil.


Il me fallait trouver maintenant trouver le document chiffré. La fouille des tiroirs du bureau ne donna rien. Je trouvai finalement un coffre dans le mur derrière un tableau, très classique, somme toute. Le colonel avait les clefs sur lui et le coffre me révéla bientôt son contenu : le fameux document, que je glissai immédiatement sous mon pourpoint. Au mur du bureau se trouvait un plan des différents étages de la forteresse. La prisonnière devait se trouver dans les cachots, dans les sous-sols de la tour nord. Je mémorisai le plan, puis redescendis les marches, comme si de rien n’était, en ayant pris soin de verrouiller la porte du bureau où dormait le colonel.


Je saluai les gradés que je croisai puis me rendis vers les cachots. Il n’y avait qu’un seul garde en faction pour s’occuper des prisonniers. Un tir de sarbacane le colla dans un sommeil profond et je lui pris immédiatement ses clefs. Les cellules contenaient des hommes, sauf la dernière dans laquelle je vis une jeune fille en haillons, fort belle, cela dit.


  • — La nuit est noire et pleine de terreur, lui dis-je.
  • — Méditez vos péchés, Capitaine.

Je lui ouvris la porte de sa cellule.


  • — Vite, lui dis-je. Venez vous changer, prenez la tenue du garde.

Elle se mit nue alors que je déshabillai le garde. Elle était effectivement très belle. Elle enfila le pantalon et le pourpoint, je lui ajustai la cuirasse et le casque, roulant ses cheveux dedans. Ce n’était pas parfait vu la taille de l’uniforme du garde mais ce serait suffisant pour sortir du château. Les chevaux nous attendaient à l’écurie.


  • — Vous savez monter comme un homme ? lui demandai-je, en réalisant que j’avais négligé ce détail.
  • — Oui.
  • — Parfait. Allons-y, sans nous presser en faisant comme si nous sortions simplement du château.

Le garde de service à la porte était le même qu’à mon entrée.


  • — Je pars chercher notre camarade blessé, lui dis-je. Nous serons de retour dans l’après-midi. Le colonel a fait prévenir le chirurgien.
  • — Bonne route, Dieu vous protège des brigands.
  • — Merci.

Il ne fallut ensuite qu’une heure et demie pour rejoindre la maison « amie ». Nous discutâmes en route. L’ex-prisonnière me dit s’appeler Isabella. Elle savait qui j’étais mais ne m’en dit pas plus sur elle-même. Elle me félicita grandement pour sa libération. La maison « amie » était vide d’habitants, mais bien meublée, avec à l’intérieur une belle table pourvue de victuailles à notre attention. Il y avait aussi de quoi se laver avec un grand baquet et de quoi faire chauffer de l’eau. Après quatre jours d’aventures, j’avais une immense envie de propreté. Je puais la transpiration et le cheval. Je me demandai à Isabella si cela la dérangeait que je me lave devant elle.


  • — Non, bien sûr que non. Je vais faire de même si vous n’y voyez pas d’inconvénient, le cachot était hélas bien réaliste et ces haillons puants ! Et puis vous m’avez déjà vue nue.

Je fis chauffer de l’eau pour préparer le bain. Le baquet était assez grand pour deux et nous pûmes nous y installer quand l’eau fut assez chaude. Isabella proposa de me savonner et j’acceptai avec plaisir. Bientôt, l’astiquage de ma peau donna lieu à des baisers et à des caresses, que je lui rendis. Après ce bain fort réparateur, nous sortîmes pour nous sécher et nous installâmes sur le divan de la pièce où nous continuâmes nos amours. Nous connûmes nos bouches, nos sexes, cela faisait du bien. Nous finîmes par nous rhabiller. Le colonel avait aussi prévu des vêtements propres pour nous : une robe de cour pour Isabella et ma tenue préférée, bottes, pantalon et pourpoint. Il y avait même mon foulard de capitaine.

Puis nous mangeâmes, nous étions bien.


Cela faisait maintenant quatre heures que nous étions là. La nuit n’était pas encore tombée. On frappa à la porte, Isabella alla ouvrir. C’était le colonel. Elle lui fit la bise. Il entra et s’adressa à moi :


  • — Bravo, Capitaine, le meilleur exercice d’admission que nous n’ayons jamais fait, et de loin. Vous avez été parfaite. Vous avez le document, j’imagine, puisque le coffre de la forteresse a été ouvert ?
  • — Oui Colonel, le voici, voulez-vous que je le décode ?
  • — Ce ne sera pas nécessaire, c’est juste un passage des Écritures, pas vraiment d’intérêt. Merci. Ah, je vois que vous avez bien profité de l’accueil de la maison, dit le colonel en voyant la table. Isabella as-tu bien remercié le meilleur agent du Royaume ?
  • — Oui, Papa. La capitaine est exquise…
  • — Je n’en doute pas. Capitaine, je vous présente ma fille, Isabella de la Vega.

Je tombais des nues, Isabella était la fille du colonel et j’avais fait l’amour avec elle ! Vu les mots utilisés par l’un et l’autre, ce dernier point ne semblait pas leur poser de problème, voire faisait partie du plan !


  • — Ah, Colonel, vous, un homme plein de surprises, répondis-je. Je suis honorée de connaître votre fille. Je pense qu’elle tient beaucoup de vous !
  • — Merci, Capitaine, en matière de surprises, je pense toutefois que vous me surpassez, dit-il en riant.
  • — Il est bientôt l’heure de dîner, Colonel, Il reste largement de quoi manger et boire pour nous trois. Voulez-vous vous joindre à nous ?
  • — Volontiers, Capitaine. En dehors du service et quand nous sommes entre nous, nous pouvons nous appeler par nos prénoms et nous tutoyer.
  • — Avec plaisir, Alejandro.
  • — Merci, Jéromine, cela vaut aussi pour toi, Isabella.
  • — Ne t’en fais pas, Papounet, nous avons pris les devants, Jéromine et moi.

La soirée se termina tard et nous allâmes nous coucher à l’étage. Alejandro prit une chambre et Isabella et moi une autre, avec un grand lit.



*À cette époque, une lieue espagnole fait 4180 mètres. Cette unité sera modifiée sous le règne de Philippe II quelques années plus tard.

**Un pas espagnol = 1,393 mètre.




Chapitre 14 : retrouvailles et adieux



Nous étions à quelques jours de notre départ pour Manaus. Mélanie et moi faisions l’amour une fois par semaine au moins. Cela dit, cela faisait plus de deux mois que je prenais des hormones féminines et les effets secondaires, par rapport au traitement de mes cancers, commençaient à se faire sentir : mes cheveux devenaient plus denses, mes poils du corps plus rares et ma poitrine plus sensible. Plus le temps avançait, plus j’avais de mal à bander. Mélanie m’apprit d’autres caresses pour compenser, comme jouer avec mon anus, avec sa langue puis ses doigts, et enfin les godemichés, qu’elle avait en nombre. Elle m’avait proposé le gode-ceinture aussi mais je ne me sentais pas encore prêt. Elle me dit que ce serait mieux quand j’aurais deux trous… Quelle coquine ! Cela dit, j’allai bien dans ma tête désormais.


Après le succès de ma fin de formation, je fus effectivement reçue par le Prince Philippe et par le Roi. La camériste qu’Alejandro me fit affecter me transforma en dame de la cour. J’appris par ailleurs à faire la révérence. Il est vrai que ma formation d’agent avait été essentiellement masculine ! Enfin, je m’en tirais très bien. Alejandro et Isabella m’accompagnèrent pour cet événement et, évitant toute familiarité, le colonel ne tarit pas d’éloges à mon sujet, évoquant quelques scènes de ma fin de formation. Le Prince et le Roi furent impressionnés par mon imagination et ma capacité d’adaptation. Ils m’assurèrent que mes services seraient reconnus et récompensés, mais que je resterais inévitablement dans l’ombre, étant une espionne et une femme.


J’eus droit à un mois de congé après cette entrevue. Mes premières vraies missions démarreraient après ce repos. J’étais libre d’aller et venir partout en Espagne, sous l’identité et la tenue que je voulais. Me rappelant mon rêve avec Gaspar et Mercédès, j’eus envie d’aller rendre visite à cette dernière. Alejandro m’avait informé que depuis mon recrutement, il avait fait donner ordre que Gaspar puisse rentrer en Espagne, mettant fin à l’échec répété de ses demandes de retour. Le temps que les ordres arrivent le concernant, de former son successeur et de la durée du voyage de retour depuis Quito, il arriverait à Tolède d’ici quelques semaines.


Je décidai d’aller voir Mercédès en tenue militaire, avec cuirasse, casque et épée, histoire de lui faire une surprise. J’avais pris une escorte de quelques hommes avec moi pour rejoindre le couvent. À la porte, je pris une voix d’homme et demandai à voir la Mère Supérieure.

J’entendis la portière dire à une autre sœur :


  • — Ça recommence, qui vont-ils emmener cette fois ? Et cette pauvre Sœur Jéromine, Dieu seul sait ce qu’elle est devenue !

Je fus emmenée auprès de Mercédès, à son bureau.


  • — Bonjour Ma Mère, fis-je, toujours de ma voix d’homme.
  • — Capitaine ?
  • — Capitaine Jéromine de Murcie, pour vous servir, dis-je enfin de ma voix naturelle.
  • — Jé… Jé… Jéromine, tu es vivante !
  • — Et plus que cela, je suis capitaine au service de Sa Majesté.

J’enlevai mon casque. Mercédès accourut pour me prendre dans ses bras.


  • — Attends, j’enlève ma cuirasse et mon épée, dis-je.
  • — Tu peux tout enlever si tu veux, dit-elle d’un air coquin.
  • — Après vêpres, Ma mère, après vêpres.
  • — Tu as raison. Tu as dîné ?
  • — Non, mais je ne vois pas aller dîner dans cette tenue avec nos sœurs.
  • — Tu as raison, même si ce n’est pas en accord avec la Règle, je peux faire une exception et faire monter un repas dans le bureau pour nous deux.
  • — Faisons cela !
  • — Raconte-moi tout, enfin ce que tu as le droit de me dire.
  • — C’est couvert par le secret, mais j’ai confiance en toi.

Je lui racontai mon recrutement, passant sous silence les détails des tourments que j’avais subis. Je lui parlai de ma formation, de l’épreuve finale.


  • — Je te savais assassin, mais pas guerrière à ce point ! Tu es une sorte d’espionne maintenant ?
  • — Un agent spécial polyvalent, dirais-je.
  • — Et dans ton métier, tu peux être amené à faire des choses avec des hommes ou des femmes ?
  • — Oui, cela fait partie des choses attendues. Jusqu’ici, je n’ai pas eu à le faire, si ce n’est un gros câlin en fin de formation avec la fille du colonel, c’était elle la prisonnière. Tu es jalouse ?
  • — Non, enfin oui, tu devrais te faire pardonner par ta mère supérieure, dit-elle avec un clin d’œil.
  • — Et si j’étais venue pour ça ?
  • — Oh, Jéromine, je t’aime.
  • — Moi aussi, Mercédès, je t’aime. J’ai fait un rêve érotique avec toi pendant ma formation*.
  • — Merci, tu m’honores.
  • — Et nous n’étions pas seules dans ce rêve.
  • — Avec qui, une autre sœur ? Tu sais, je n’ai rien fait avec personne depuis ton départ, si ce n’est me masturber en pensant à toi.
  • — Non, pas une femme, un homme.
  • — Un homme, quelle horreur !
  • — Un homme qui m’est très cher et que tu connais bien : Gaspar, Frère Gaspar de Carvajal.
  • — Mon Dieu, Gaspar ! Et que faisions-nous dans ce rêve ?
  • — Des choses de filles, entre nous. Et puis Gaspar faisait aussi des choses avec moi.
  • — Et moi ?
  • — Dans ce rêve, tu avais inventé un système de sangles pour pouvoir porter ton olisbos comme si c’était un sexe d’homme.
  • — Tiens donc ?
  • — Tu l’as utilisé sur moi et j’ai même eu droit à une double pénétration, toi dans mon con et Gaspar dans mon cul.
  • — Sainte Mère de Dieu !
  • — Tu l’as dit ! Ensuite, tu as sodomisé Gaspar avec ton olisbos.
  • — Sacrément coquin, ton rêve ! Tout un programme.
  • — Gaspar sera de retour en Espagne dans quelques semaines.
  • — Ah oui ? Et ?
  • — Rien…
  • — Embrasse-moi, ton rêve m’a mis la chatte en feu.
  • — Après vêpres, Ma Mère, après vêpres.
  • — Bien Capitaine ! C’est bien comme ça qu’on t’appelle, non ?

Nous mangeâmes d’un bon appétit. La nuit dans la cellule de Mercédès ne fut que câlins, caresses, léchages et jouissance. Je repartis au matin.


  • — Reviens quand tu veux, Jéromine.
  • — Merci, Mercédès, je le ferai. Promis.
  • — Amène Frère Gaspar un de ces jours, qui sait, je vais peut-être penser à ton histoire d’olisbos, dit-elle d’un air malicieux.
  • — Je me demande qui des deux est la plus perverse, Ma Mère.
  • — Oui, je me le demande aussi.
  • — Ne dis rien au confesseur, Mercédès.
  • — Non, je ne lui dirai rien. Au fait, nos sœurs ne craignent rien, il aime les hommes, selon ce qui m’a été rapporté.
  • — Il y en a plus que ce qu’on croit, des hommes qui aiment les hommes, beaucoup plus. Honnêtement, je ne vois pas le problème.
  • — Moi non plus, en fait.
  • — À bientôt, Mercédès.
  • — À bientôt, Jéromine, Dieu te garde, dans ton existence pleine de mystères et de dangers. Je te bénis.
  • — Merci Ma Mère.

Et nous embrassâmes d’un long baiser amoureux. Mon escorte m’attendait à la sortie du couvent. Les soldats avaient fait la fête toute la nuit dans l’auberge où ils logeaient et avaient pour tout dire une bonne gueule de bois. Heureusement que j’étais là, si d’aventure nous devions être attaqués par des brigands.


Je passai ensuite quelques jours au château d’Alejandro. J’étais certes en congé mais on parla tout de même un peu boutique. Et puis il y avait aussi Isabella, qui lui causait du souci, enfin pas directement.


  • — Elle est en âge de se marier et n’en a pas envie, me dit-il.
  • — Je la comprends, lui dis-je.
  • — Oui, moi aussi. Tu me connais assez pour savoir que je ne suis pas un père catho-tradi. Et puis, elle aime les femmes, il faudrait lui trouver un homme gentil, doux, compréhensif, ce qui est très rare de nos jours.
  • — Et que voudrais-tu faire ? Les Ordres ? Cela serait un immense gâchis. Non, tu sais, j’ai réalisé récemment une chose vous concernant tous les deux.
  • — Ah oui, laquelle ?
  • — Tout d’abord, lors de mon test de résistance à l’alcool, tu m’as fait prendre le prénom d’Isabella.
  • — C’est vrai, maintenant que tu le dis. Je ne l’avais pas réalisé.
  • — Ensuite, tu l’as utilisée comme prisonnière pour mon test final.
  • — Avec son accord.
  • — Visiblement, tu l’as formée à un certain nombre de choses, dont monter à cheval comme un homme. Elle a eu un comportement parfait lors de mon test, je ne parle pas bien sûr de ce que nous avons fait ensemble entre femmes.
  • — Où veux-tu en venir ?
  • — Je suis la première agente spéciale du service. Continue sa formation, tu auras bientôt une seconde agente, et de toute confiance. Je peux être son mentor et l’aider dans sa formation entre mes missions à venir.
  • — Tu es sérieuse ?
  • — Oui, très sérieuse, Alejandro. Je pense que c’est la meilleure chose pour elle.
  • — Mais sur le plan physique, tu es aux Amériques là où elle est au village d’à côté…
  • — Certes, cela prendra un peu plus de temps, voilà tout. Parle-lui, je peux être là si tu veux.
  • — Jéromine, tu es un ange !
  • — Alejandro, les anges n’ont pas de sexe…

Le lendemain, Alejandro et moi déjeunâmes avec Isabella.


  • — Isabella, commença Alejandro, je sais que ton avenir de femme est compliqué pour toi et je ne veux rien t’imposer.
  • — Le mariage ou les Ordres, c’est ça, dit-elle visiblement énervée.
  • — Non, Jéromine a quelque chose à te proposer. Et je suis entièrement d’accord avec son idée.
  • — Isabella, dis-je, veux-tu intégrer le Service du Roi ? Nous te formerons, je te formerai.
  • — Oh, Jéromine, c’est merveilleux ! Oui, trois fois oui.
  • — Bon, tu risques de finir vieille fille, mais dans notre métier tu auras aussi des amantes, et pourquoi pas des amants ! lançai-je.
  • — Jéromine, je sais que tu es en congé, mais serais-tu prête à commencer la formation d’Isabella demain ?
  • — Avec plaisir, Alejandro, il nous faudra bâtir un programme avec le reste de ton équipe, et rapidement.
  • — Pas de problèmes, ils seront mobilisés dès cet après-midi. Ah, Jéromine ?
  • — Oui ?
  • — Tu peux garder ta chambre ici au château autant que tu voudras, tu l’occupes maintenant depuis plus de deux mois. J’ai beaucoup de place et puis j’ai plaisir à t’avoir ici avec nous.

Je réalisai qu’Alejandro ne m’avait jamais parlé de sa femme. Je ne voulus pas lui en parler directement et le demanderais à Isabella.


  • — Merci, Alejandro, cela me touche beaucoup.

J’avais un chez-moi désormais et une famille aussi. Isabella me raconta que sa mère était morte en couche, en essayant de donner naissance à celui qui aurait dû être son petit frère. Son père ne s’en était jamais remis, n’avait jamais voulu se remarier et l’avait élevé seul, quitte à la faire garder chez des amis quand il partait à la guerre ou en mission. Elle avait grandi dans cette ambiance de servir le Roi et le pays.


Nous nous réunîmes avec les professeurs qui avaient assuré ma formation. Nous convînmes qu’Isabella pourrait être formée en un an vu son potentiel. Elle maîtrisait déjà parfaitement le français et le hollandais, l’équitation aussi et avait eu déjà une bonne initiation au tir aux armes à feu. Le programme fut rapidement établi avec les matières manquantes, en nombre important cependant. J’insistai pour y mettre une bonne dose d’arts du combat et d’entraînement physique. Isabella commença dès le lendemain. On lui donna le grade d’aspirant-officier tant qu’elle n’aurait pas fini sa formation, puis elle passerait sous-lieutenante.


J’étais encore en congé et donc présente au château quand Alejandro m’apprit la mort de Gaspar**. Le galion qui devait l’amener à Cadix avait été attaqué par des pirates en mer des Caraïbes. Aucun n’en avait réchappé, sauf peut-être des membres de l’équipage devenus pirates par conversion. J’étais anéantie. Je me serrai dans les bras d’Alejandro, en sanglots. Je n’avais plus le cœur à rien. Heureusement, j’avais ma première mission à préparer et une jeune femme à former, cela m’occupa l’esprit. Alejandro me demanda si la nouvelle de la mort de Gaspar risquait de mettre en péril ma mission. Je lui répondis que cela ne l’affecterait en rien, me rendant au contraire plus prudente. Il eut l’air soulagé et me demanda de vite revenir quand elle serait terminée.



(à suivre)




*Voir le chapitre 11.

**Note de l’auteur : j’ai pris des libertés avec l’histoire réelle. Gaspar de Carvajal ne mourut qu’en 1584 à l’âge de 80 ans. Outre le fait d’avoir été un grand chroniqueur de la conquête espagnole et en particulier de la découverte de l’Amazonie, il fut surtout un grand humaniste plaidant souvent la cause des Indiens et les défendant. Bien entendu, l’histoire officielle ne parle pas de Frère Jérôme ou de Sœur Jéromine !