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Temps de lecture estimé : 42 mn
05/01/22
Résumé:  Suivant le plan initial, de suite après la fusillade dans la ruelle, Milly rejoint Charlène et Raïssa à la tour Elizabeth. L’heure des révélations a sonné. Et tout le monde joue triple ou quadruple dans ce monde d’espionnage.
Critères:  hh hplusag hotel amour travesti trans confession policier
Auteur : Samir Erwan            Envoi mini-message

Série : Une licorne sur le corps

Chapitre 04 / 04
Les derniers soupirs

Résumé des épisodes précédents :

Le narrateur, cet espion qui se travestit, a réussi la mission dite « de l’Aristo » : dérober des documents affirmant que le Service était infiltré par un gouvernement étranger.

Pour mettre la main sur les complices de ce gouvernement étranger, il a concocté un piège avec Malika, son amour, qui s’est terminé par la bataille des cinq espions.

Par la suite, Charlène et Raïssa ont proposé à Milly, le MOI féminin du héros, de débriefer ces complices, pour mettre la main sur la tête de ce « réseau parallèle ».

Mais l’Aristo et ses sbires souhaitaient que personne ne s’en sorte vivant. Ils ont canardé la planque. Tout s’est terminé, Milly couverte de sang de ses adversaires, gagnante des duels.






– 28 –


Les procédés narratifs pour raconter une histoire et pour tenir les lecteurs en haleine ne sont pas si aisés à utiliser. Les auteurs jouent régulièrement avec les temps de verbe pour faire voyager le lecteur. Je m’efforce de créer des diégèses, des flash-back, des digressions…

Avec ma réflexion sur les « jalons », comme quoi il y a toujours des étapes marquantes dans une vie, des choix pris, des opportunités saisies, des balises qui nous font évoluer, qui peuvent nous faire basculer drastiquement sur un chemin inconnu, j’ai compris en écrivant que je n’étais pas honnête avec moi-même.

Certes, en tant qu’officier de renseignement, expert ès infiltration et observation, maître ès double jeu, je vivais des existences empruntées, en partie fausses, écrites par un analyste créatif du Service. Je mentais à tous ceux qui m’entouraient ou que je rencontrais. Comme si j’existais à côté de moi-même. Comme si ce MOI que je recherchais depuis un certain temps flottait à côté du personnage de l’espion infiltré.

Milly m’avait aidé à retrouver ce MOI. J’étais double, j’avais besoin de cette double, de cette triple existence constante : la réalité de l’espion intégré dans le Service, le jeu de l’infiltré qu’il me fallait mener, la présence de Milly dans ces deux vies différentes. Milly me donnait donc un point de raccordement. Et mes Supérieurs hiérarchiques ignoraient tout de cette petite femme sportive, aimant la musique et le vin blanc.

La petite culotte de Marie, mon entrée dans le Service, ma rencontre avec Raïssa et Charlène, mon travestisme dévoilé, mon acceptation d’aimer me faire enculer, ma rencontre avec Malika, tout ça m’avait amené à avouer. À m’avouer avoir menti. Avoir menti à mon amour, Malika, qui ne demandait qu’à me connaître simplement comme j’étais. Mais c’était LA question à poser ! Qui étais-je réellement ? Me mentais-je moi-même ?

C’était flou, comme était dans le brouillard de ma mémoire cette discussion avec Malika d’il y a un siècle :



Oui, j’avais de l’expérience, car Milly me côtoyait déjà depuis un certain temps lorsque Malika et moi avons échangé ces phrases, mais : « T’as déjà fait l’amour avec un homme ? » j’ai répondu non. « T’as déjà eu du désir pour un homme ? » J’ai aussi répondu non.

J’ai menti. Et il y a cette dichotomie en moi qui tremble, une divergence « d’acceptation »…



– 29 –


C’était il y a longtemps. Avant même que je ne rencontre Malika à la licorne tatouée sur le corps. Je venais tout juste de prendre possession du magasin de disque Ninnata musica. J’avais fait une bonne communication sur les réseaux sociaux, je m’étais fait interviewer par des médias underground, la clientèle punk et/ou de gauche fréquentait la boutique, achetait des disques, discutait musique et culture. C’est à ce moment que j’ai rencontré Max et Stéphane, nous sommes devenus amis. Parallèlement, j’identifiais les différents courants de pensée de la Métropole, et j’avais dans le collimateur certains leaders étudiants ou progressistes dont Clive, entre autres, travailleur au Refuge de SDF.


Un jour de pluie, un homme dans la fin vingtaine est entré : brun, cheveux mi-longs, barbe de trois jours, habillé en subversif avec des badges anarchistes. Après m’avoir salué automatiquement, il s’est mis à fureter dans les disques 45 tours. J’ai tenté de l’ignorer, je l’avais reconnu. Il me connaissait sous une autre identité. Je ne savais comment esquiver sa rencontre, étant seul dans le magasin. Le Service m’avait affecté à cette mission d’infiltration dans un quartier où j’avais déjà mis mes pénates, sous l’identité d’un professeur de littérature en sabbatique, il y a cinq-six ans. Sept ? C’était à l’époque de « 1000fleurs ». Et cet homme, qui se retournait pour questionner le vendeur de disques – moi ! – s’appelait Éric, avait été le colocataire de Raïssa lorsqu’elle était à l’Université. Et cet homme qui me demandait :



Je l’avais déjà recruté. Puis abandonné.



Mais Éric s’est attardé. Je me suis senti obligé de me retourner et de soutenir son regard. Il n’en croyait pas ses yeux de me retrouver vêtu en grunge, alors qu’il ne m’avait connu qu’en professeur/espion/analyste. J’ai souri. Il restait coi. C’était en partie grâce à lui que j’avais pu coincer la taupe.



Éric a souri aussi, visiblement soulagé, et nous avons engagé une discussion évoquant certains souvenirs et répercussions de la mission d’infiltration « 1000fleurs ». Entre-temps, Éric s’était accoudé au comptoir, me fixait dans les yeux, tentait de me questionner sur une certaine personne sans en avoir l’air. Il a regardé autour de lui pour s’assurer de ne pas être écouté pour me demander ensuite :



Il a acquiescé, me scrutant les yeux, tentant de deviner quelque chose. J’ai eu l’idée de le recruter de nouveau, peut-être m’apportera-t-il des infos sur ces courants de pensées gauche/droite sur lesquels ma mission d’infiltration portait.



Nous nous sommes retrouvés dans l’alcôve d’un bar et avons bu des pintes de blonde. À grandes lignes, je lui ai expliqué ma mission et je l’ai bien averti : actuellement, seul lui, Éric, connaissait le pourquoi de l’ouverture de ce magasin de disques, le Ninnata musica.



Un moment de silence. Éric a enfin fait sortir de sa bouche la question qu’il retenait depuis notre rencontre :



Nous avons recommandé des bières et Éric m’a raconté comment Raïssa et lui s’étaient rencontrés lors de manifestations étudiantes, comment leurs affinités s’étaient affinées, comment ils avaient monté le projet de colocation. Les yeux bruns d’Éric restaient fixés sur les miens, au point de me mettre mal à l’aise à l’occasion. Je lui souriai, j’aimais me rappeler Raïssa il y a des années et être admiratif de son évolution au sein du Service.



Éméchés, nous sommes sortis du bar pour déambuler en ville, comme nous avions fait lors de notre première rencontre où je l’avais recruté dans le réseau « 1000fleurs ». Il a glissé un bras autour de mes épaules et m’a serré à lui avec affection alors que nous titubions et rigolions. Sa joue contre la mienne, j’ai senti ses poils de barbe, sa virilité, sa force et son amour de la vie. Il avait l’âge de Raïssa, une quinzaine d’années moins que moi, j’aimais sa force et sa jeunesse. Je l’ai invité à terminer la soirée chez moi :



Éric a accepté avec joie et nous en avons bu plus d’une tandis qu’il regardait tous les disques que j’avais en stock dans mon appartement payé par le Service. Il a retrouvé un album de Muddy Water et consciencieusement, il a fait tourner « Mannish boy » sous l’aiguille du tourne-disque et le blues a éclaté dans mon appartement. Je souriais de le voir jouer de la guitare invisible en chantant : « Everythin’, everythin’, everythin’s gonna be alright this mornin »/Now when I was a young boy, at the age of five / My mother said I was, gonna be the greatest man alive / But now I’m a man, way past twenty one / Want you to believe me baby, / I had lot’s of fun / I’m a man ».


Éric hochait la tête sous le riff du blues. Je me suis levé et nos corps se sont rapprochés, nos bassins suivant le phrasé des guitares, nos cous se sont retrouvé imbriqués, nos joues collées l’un à l’autre et alors que Muddy Water chantait : « Je suis un homme/J’ai complètement grandi/je suis un homme/Je suis né pour être amant » nos lèvres se sont soudées, sa langue est entrée dans ma bouche, mes mains ont touché ses fesses, les siennes aussi, nos bas-ventres se touchaient au rythme de la batterie. Je me suis aperçu que je bandais. Que j’embrassais un homme d’une quinzaine d’années plus jeune que moi ! L’ex-colocataire de Raïssa, mon agente. Qu’Éric était devenu mon agent aussi ! Qu’il m’étendait sur le sofa ! Qu’il déboutonnait mon pantalon et sortait mon sexe ! Qu’il le masturbait doucement en revenant m’embrasser ! Qu’il me chuchotait :



Sa bouche est descendue le long de mon corps, j’avais chaud, il m’a englobé avec appétit, c’était bon. Sa barbe entre mes cuisses. Il a léché mes couilles, je lui ai demandé de se déshabiller aussi, il l’a fait en une seconde et Éric et moi nous sommes retrouvés tête-bêche, à nous déguster l’un l’autre.


Cette soirée est un des jalons de ma vie que j’ai voulu cacher, je ne sais pourquoi. Car Éric et moi nous nous sommes revus. Nous nous la jouions "mannish" – masculine et viril – en public, mais nous nous retrouvions le soir, en catimini, à sourire de nos cachotteries et de nos cajoleries. Il était le passif dans le couple homosexuel que nous formions la nuit, il ne m’a jamais pénétré, c’était moi qui jouais avec ses fesses et qui m’y insérais.


Et à la même époque, une fois que nous avions joui l’un et l’autre, moi dans son cul et lui dans ma main, alors qu’il partait de mon appartement et que je me retrouvai seul, le soir, devant ma glace, je me transformais en Milly. Et je me faisais prendre dans les toilettes publiques du Saloon, ou bien chez Marco, le rouquin…


Ma vie était dépravée. Le chaos dans ma tête. Éric m’a demandé, en fin de soirée, mon bras autour de lui, sa tête contre mon épaule :



J’ai hésité. Raïssa et moi avions prévu un système de boîte aux lettres mortes, seulement pour nous, juste pour elle et moi, à n’utiliser qu’en cas d’urgence. Certes, que Éric revoit Raïssa n’était pas une urgence en soi : mais j’avais aussi envie de lui reparler. À l’époque, cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas vus…


La même nuit, Milly a glissé une note mystérieuse sous un pot de fleurs d’un appartement au Mile-End. Et comme prévu, Raïssa était présente au rendez-vous dans un parc, deux jours plus tard à l’heure dite, assise sur un banc. Je l’ai abordé de front :



Raïssa semblait inquiète. En effet, nous nous étions avertis l’un l’autre de n’utiliser cette boîte aux lettres morte que pour des urgences. Puis elle a remarqué mon nouveau look de proprio de magasin de disque, elle a chuchoté :



Et Éric est apparu, souriant, et Raïssa s’est jetée dans ses bras, heureuse de le retrouver :



Sans lui laisser le temps de répondre, j’ai interrompu leurs retrouvailles :



Un quelconque service de contre-espionnage étranger pouvait nous filer et, en prenant tous des chemins différents, nous avons retrouvé les cartons de disques et les bouteilles de bières et de vin de mon appartement. J’ai rapidement expliqué à Raïssa le recrutement de son ami dans un nouveau réseau d’informateurs que j’étais en train de monter, sans en dévoiler la teneur. Elle a hoché la tête puis Éric et Raïssa se sont raconté leurs vies. Je guettais le moindre faux pas de mon agente, ne pas qu’elle en dévoile trop sur ses opérations actuelles ou passées, moi-même ne les connaissant pas toutes. Éric avait terminé ses études et travaillait dans une station de radio indépendante en tant que journaliste. Raïssa l’écoutait, intéressée et belle comme à son habitude, avec ses longs cheveux noirs ondulés, ses yeux noirs et brillants, habillée cette fois-ci en style hippie, des bracelets partout aux poignets et des foulards et des breloques autour de son cou. Je devinais ses formes sous son ample tunique, la douceur de sa peau, ses jambes, ses pieds nus, elle avait enlevé ses sandales. Il était tard et nous étions dans un état passablement avancé lorsqu’elle a demandé :



Sans se cacher ni se démonter, Éric a regardé Raïssa tout en s’asseyant à mes côtés, enroulant son bras par-dessus mes épaules, souriant :



Raïssa a fait les yeux ronds, soudainement surprise par cette révélation. Puis son sourire taquin a transformé son visage. Je ne la connaissais que trop, Raïssa. Je savais que cette déclaration venait de lui donner des idées. Elle m’a regardé, souriant d’un côté du visage, avant de murmurer, d’une voix sensuelle que j’adorais dans les lumières tamisées :



Ma réponse était toute prête :



Mais Éric en renchérit, enthousiasmé :



Le visage de mon amant s’est collé au mien, ses lèvres aussi, il m’a chuchoté : « Allez… montre-lui ce que tu sais faire… », nous nous sommes embrassés, j’étais embarrassé de la présence de Raïssa qui regardait Éric tenter de se débarrasser de son futal et du mien.



Raïssa m’a regardé de côté, curieuse, j’ai continué :



Raïssa a soupiré puis a demandé, toujours aussi curieuse, connaissant tout de ma relation ambiguë avec Milly :



Éric s’est empressé d’expliquer notre rencontre et comment toute notre relation a commencé, du recrutement comme informateur aux moments passés au lit. Je l’ai laissé dire. Je préférais ça que son passage à l’acte : si je l’avais laissé faire, Éric se serait empressé sur mon sexe. Je lui aurais caressé les cheveux tout en regardant Raïssa, nymphomane refoulée, qui n’en ratait jamais une pour s’exciter. Elle m’aurait souri alors que j’aurais profité de la fellation d’Éric. Elle se serait touché les seins et je lui aurais peut-être demandé, en pointant la bouche de mon amant sur mon gland :



Silencieuse, elle aurait fait non de la tête, elle aurait souhaité seulement profiter du spectacle et Éric se serait installé en levrette sur le bord du canapé. Machinalement, je me serais redressé, Éric et moi étions déjà des habitués, et je l’aurais pénétré sous le regard perçant de Raïssa qui m’aurait vu sous un nouvel angle. Enculer un homme est différent d’enculer une femme. Nos mains n’attrapent pas les mêmes chairs. Les fesses de Éric étaient musclées, je l’aurais donc pris par la taille alors que lorsque je sodomisais Raïssa ou Charlène, j’aimais prendre leurs fesses à belles mains. Mais, quel que soit le partenaire, je m’y donnais à cœur joie.


Éric aurait râlé, j’aurais su que son orgasme montait, et Raïssa nous aurait contemplés, perdue dans la scène, une main dans sa culotte. Éric aurait taché les coussins en éjaculant sur le canapé, là où Malika m’aurait demandé, quelques semaines plus tard, ce que c’était. Je ne pourrais lui dire que c’est le sperme imaginaire de mon amant/agent. Je me serais laissé aller en lui, m’effondrant sur son dos par la suite. Raïssa nous aurait félicités, sincère, envieuse : « C’est beau votre amour ! ». Tout ça n’est qu’une spéculation de ce qui aurait pu arriver…


Et tandis que Éric racontait certains détails de notre vie sexuelle, Raïssa me scrutait des yeux, souhaitait me sonder, me questionner. J’ai joué mon rôle de gérant de magasin de disque bisexuel, ai avoué en mentant : « Je n’ai jamais fait l’amour devant quelqu’un d’autre… » Raïssa a ri de ma répartie : « J’aurais aimé ça, vous voir… » Éric a par la suite demandé à Raïssa s’ils se reverraient, elle et lui, elle a répondu : « Je dois voyager prochainement, désolé, mais on se recontacte ? »


Ils ont quitté mon appartement pour faire un bout de chemin ensemble, Éric m’embrassant sur la bouche, Raïssa s’attardant sur le pas de porte pour me chuchoter, à ce MOI qu’elle apprenait à connaître encore et encore :



J’ai mis mon index devant mes lèvres en faisant un « Chut », elle a acquiescé, m’a embrassé à son tour sur la bouche, j’ai toujours aimé ses lèvres, puis elle est partie. Nous nous sommes revus à New York, par la suite, dans d’autres circonstances par rapport à un Aristo, toujours dans une ambiance de stupre. Nous sommes rapidement revenus sur cette soirée, sans plus.


De suite après leur départ, Milly est apparue devant le miroir, et j’ai été rejoindre Jojo et Marco.


Je l’ai déjà dit : ma vie était dépravée. Le chaos dans ma tête. Jusqu’à ce que je ne rencontre Malika. À qui je n’ai jamais avoué avoir vécu une relation avec Éric, l’un de mes agents informateurs, ami et ancien colocataire de Raïssa.


Mais je viens de l’écrire. Peut-être lira-t-elle ces feuillets ? Et enfin, saisir tout le roman ?



– 30 –


La nuit est tombée. Nous sommes tous assis dans le salon du studio. Une lampe sur pied illumine le plafond et diffuse des ombres dans la piaule. À l’extérieur, le calme de la ville à pareille heure. Mais dans cette pièce, se sont réunis presque tous les espions du Service impliqués dans cette histoire. William et Nicolas, les deux toujours avec leurs habits noirs utilisés pour tenter de forcer l’appartement de Charlène. William tient ses deux mains entre ses jambes, comme un enfant puni. Nicolas semble ailleurs, les yeux dans le vide, réagissant peu. Juliette est présente, avec ses longs cheveux blonds en natte le long de son épaule, sa chemisette échancrée et sa jupe courte au-dessus des genoux. Elle n’est plus aussi stoïque qu’elle voudrait en avoir l’air, ses grands yeux bleus voyagent entre toutes les personnes de la pièce. Car il y a Charlène, les jambes croisées au niveau des cuisses, dans un jeans serré comme elle a l’habitude, un petit crop top blanc laissant voir son nombril, la forme de ses seins de transgenre, ses longs cheveux noirs aux reflets rouges. Il y a Raïssa, aussi, à la cascade de cheveux fous, vêtue d’une robe noire à maille côtelée, avec une suite de boutons partant de son décolleté en V. La finition à volants de sa jupe semble vouloir chatouiller ses cuisses et rend Milly jalouse. La coupe est si ajustée pour son corps que le monde de la mode semble avoir été inventé pour elle. Raïssa est devant un autre espion, Richard, toujours aussi rond et dégarni, le chef de Comité d’Action. Alain se tient non loin, guettant un geste quelconque qui pourrait s’avérer offensif. Il est aux ordres de Milly. Car je suis là, aussi, sinon je ne raconterai pas la finale de cette épopée de manipulateurs.


De suite après notre fuite du lieu de la fusillade dans la planque et sur les toits, j’ai guidé le chauffeur du fourgon durant une quinzaine de minutes : « À gauche. Continue. À droite à la prochaine. À gauche, dans le parking. Descends la rampe. Ici c’est bien. » Parking sous-terrain, lueur jaunâtre des ampoules, j’ai fait sortir tout le monde et les ai menés à un escalier de secours intérieur : « Montez ! Le chauffeur nous attendra ».


Toujours une arme en main, j’ai dit à Alain :



Il a approuvé, a surveillé Juliette, Nicolas et William durant l’ascension vers un certain étage de la tour Elizabeth, puis lors de la marche dans le corridor. J’ai demandé à tout le monde de s’arrêter devant une porte que je connaissais trop bien. L’AirBnB que j’occupais il y a déjà des siècles. Raïssa m’avait annoncé qu’elle avait continué à le louer, sur ses propres fonds – ou sur l’argent tiré des lingots d’or de MoonWar ? – et que personne du Service ne connaissait l’existence de cette planque. J’avais souri lorsqu’elle m’avait informé cette base de repli. C’était parfait.



J’ai ouvert doucement puis me suis élancé dans la pièce, arme au poing, pour découvrir une Raïssa et une Charlène souriantes toutes les deux, et un Richard menotté. Richard menotté ? Il était assis dans un fauteuil, toujours aussi bedonnant, avec une chemise serrée, et il grommelait en voyant la femme que j’étais surgir dans la pièce de la tour Elizabeth. Son bras droit rejoignait le radiateur, tout près de lui. Et une menotte l’immobilisait. Raïssa, assise sur le canapé un peu plus loin, était radieuse comme toujours. La robe de Raïssa avait des manches très courtes, laissant voir ses épaules musclées et, au bout de son bras, comme moi, un pistolet avec un long canon silencieux :



Richard a levé la tête pour braquer les yeux sur Milly. Celle-ci, depuis la fusillade, n’avait pu se laver le visage. Ainsi, des traces du sang du spadassin tué au couteau avaient giclé sur son cou, sa joue, sa chemisette. Richard, toujours aussi petit, au tour de taille corpulent, avec sa large calvitie au-dessus de la tête, n’était plus du tout affable. Il semblait plus que contrarié. Richard avait gravi les échelons dans le Service. Il avait été mon distinguo, mon analyste, puis nommé chef du Comité d’Action. Ensemble, nous avions déjoué des opérations. Ensemble, nous avions monté des subterfuges pour mettre en lumière certaines activités de groupes illicites et criminels, et même arrêtés des coupables. Indirectement, il avait œuvré aussi pour ne pas brûler Raïssa lors de ces « disparitions chroniques », en m’assignant un travail relax au magasin de disques qui me permettait d’enquêter, de voyager, de refaire ma vie. Tout ce temps à me demander si j’avais été mis au placard, et le retrouver ici, dans le AirBnB, arrimer au radiateur, m’a rapidement interrogé. Richard était un homme qui ne trouvait pas d’âme sœur et qui périclitait, un homme investi à son travail, sans aucun temps pour rencontrer quelqu’un qui puisse l’aimer. Un homme qui n’avait pas fait l’amour depuis longtemps. Un homme malheureux, quelque peu jaloux des femmes que je fréquentais, des aventures que je vivais. Il avait d’ailleurs voulu garder tous les enregistrements – que nous avions pris dans ce même studio ! – pour les réécouter pour son plaisir. Richard, un homme étrange qui, le croyais-je, restait fidèle à ses convictions au nom de la Raison d’État.


Après la bataille des cinq espions, Malika avait soulevé la question :



Et nous avions élaboré notre plan d’attaque. Où je prenais le rôle de Milly pour débriefer les agents impliqués. Où Charlène, du Service des Affaires Internes, recrutait son équipe – Alain, Mikael maintenant décédé et les deux chauffeurs des fourgons – sans en informer aucune autre direction du Service. Et où Raïssa se mettait en rapport avec Richard pour le convaincre du plan que nous montions.


Par la suite, Raïssa était venue me chercher alors que j’étais en plein déménagement. En compagnie de Charlène, Richard avait donné son accord pour que je recrute Milly. Et le voilà, là, menotté au radiateur, car personne d’autre que nous ne connaissait l’emplacement de la planque où a eu lieu la fusillade. Où tout le monde était visé, autant Juliette que William, Nicolas, Alain, Mikael et Milly… Un seul coupable, donc. Une seule personne connaissait où Milly tiendrait les débriefings… nous l’avions pris en plein flag.


Ses yeux braqués sur moi – il détaillait Milly, en fait – en disaient long sur le désir qui le tenaillait, la folie qui l’avait consumé :



J’ai souri en femme confiante. Richard a voulu poser une question. Celle-ci n’a pu sortir de sa bouche, il contemplait mes cuisses fines et musclées, mes hanches, mon visage maculé de sang. « Que, que s’e… ? »



Elles ont simplement hoché la tête. Raïssa s’est levée, son arme toujours à la main. Dans le corridor, j’ai demandé à mon nouveau complice d’entrer avec les prisonniers. En file, William, Nicolas, puis Juliette ont devancé Alain les tenant toujours en joue. J’observais le visage de Richard qui se décomposait au fil de leur arrivée dans le AirBnB.


Puis le chef du Comité d’Action a penché la tête, désespéré, en murmurant « Comment en est-on arrivé là… ? » alors que tout le monde s’asseyait sur les différents fauteuils et sofas.



Mais Richard n’allait pas répondre. Pas à l’instant. Ça viendrait. J’avais des billes pour le faire plier.



– 31 –


Nouveau flash-back : un auteur peut s’amuser en littérature !


Dans la réalité où je n’étais qu’un propriétaire de magasin de disque, je m’ennuyais quelque peu. Je ressassais ma mise au placard, je me questionnais sur mon parcours d’agent de renseignements, mon distinguo ne me donnait aucune nouvelle mission, je collectais des infos sur les groupes de gauche et/ou de droite. Puis j’ai rencontré Éric, nous la jouions manish de jour tout en étant sodomites la nuit. Éric rapportait des infos intéressantes. Travaillant dans une station de radio indépendante de quelques salariés, il avait demandé à son équipe d’enquêter au sujet de mes cibles : « Nous les inviterons en débats publics, sur les ondes ! » disait-il à ses copains journalistes : « mais seulement lorsque nous aurons des dossiers béton ! » Éric n’a jamais donné la parole aux fachos, mais son équipe de fouilleurs m’a rapporté de nombreux éléments. Je les ai fournis au Service. Sans retour.


Alors, la pensée m’a traversé l’esprit, alors que je rangeais divers disques dans des cartons et écrivais au feutre les prix de ces microsillons : « Et si je l’envoyais en honey trap, lui aussi… ? et si ça fonctionnait… ? » Dans ce métier, on ne doit pas avoir d’état d’âme. Et je me répète, je m’ennuyais, on m’avait mis sur la touche.


Le soir même, je lui en ai parlé, à Éric. Il venait de crier à chacun de mes coups dans son cul, il jouissait en couinant sans se retenir et moi, je crispais ma mâchoire, mes mains sur ces hanches, rageur de l’enculer – mais que ça faisait du bien ! Avachis sur le sofa, lui dans les vapes, moi opérationnel, je lui ai demandé :



Éric avait ouvert les yeux, soudainement en service :



Plus tard, dans la semaine, je lui ai montré les photos d’identification de ma cible et lui ai indiqué son lieu d’habitation, ses restaurants fréquentés, ses trajets à pied ou en bus. Éric m’est revenu plus tard, moins de trois semaines après ma demande, tout souriant :



Non, je ne m’étais pas questionné. Je venais de rencontrer Malika et nous avions vécu trois nuits de baises formidables avant de nous dire nos prénoms. Elle venait de dormir à la maison. J’étais subjugué par son tatouage de licorne qui lui chevauchait le corps. J’avais presque oublié Éric…



Éric a souri, indulgent. Si nous n’avions pas été au Ninnata musica, avec mon collègue Stéphane non loin, Éric m’aurait pris dans ses bras, avec un besoin d’affection. Il a seulement chuchoté, en bon agent « informel » qu’il était :



J’ai hoché la tête, comprenant soudainement tout, et l’invitant à l’appartement le soir même. Nous avons fait l’amour. Éric s’est déchaîné sur ma queue, sa succion me faisait mal, mais semblait-il qu’il en avait besoin. Je lui ai tiré les cheveux pour qu’il arrête, je l’ai rapidement retourné, il se laissait faire en passif et je l’ai possédé une dernière fois, sauvagement, comme il aimait se faire prendre, en chouinant longuement, en râlant profondément.


Sa tête au creux de mon épaule, il m’a raconté :


En effet, la cible n’a pas été si difficile à atteindre. Je l’ai rencontré la première fois un matin, à une boulangerie, nous avons échangé des banalités. Puis le lendemain, j’y étais, je l’ai invité à prendre un café avec moi. Il a rechigné un peu, mais s’est assis. Nous avons causé de tout et de rien. Il zyeutait à gauche et à droite, bizarrement inquiet, je l’ai rassuré : « Nous sommes en sécurité ici. » Nous avons donc pris des cafés, chaque matin, durant une semaine. Il n’est pas très beau, il est un peu vieux, plutôt gros, sans cheveux… Mais je me suis plu à le rencontrer les matins, des petits tête-à-tête de quinze minutes, pas plus. Ma présence et ma discussion le rassérénaient, il devenait de plus en plus prolixe : il me racontait les agissements de tel ou tel gouvernement à propos d’opération secrète, de trafic d’armes, m’expliquait ce qu’il comprenait « toujours selon les médias ! » soulignait-il, de ce qui se passait au Moyen-Orient, en Érythrée. Je me disais : « Eh ! il en connaît un tas ! » et j’ai compris pourquoi tu en avais fait ta cible : il en savait trop ! Il ne disait rien de concret, je ne crois pas qu’il ait vendu des secrets d’État, mais le commun des mortels n’analyse pas la géopolitique comme il le faisait ! Il disait souvent : « D’ici un mois, ça se terminera en Érythrée… »


Une ou deux fois lors de cette semaine-là, nous nous sommes touchés : la première fois, il m’a regardé d’un air étrange. La seconde fois, quand j’ai mis ma main sur la sienne en lui disant : « Il ne faut pas s’en faire, les terroristes se feront battre… » il m’a regardé d’un œil intéressé. J’ai saisi ma chance le lendemain. J’avais déjà suggéré aimer les garçons. Je lui avais dit ne pas être heureux en amour, qu’il était difficile pour moi d’admettre mon… identité. Je n’avais pas été plus loin. J’ai saisi ma chance après un de ses longs monologues sur la Syrie, le Qatar ou le Yémen – je ne sais plus – et lui ai avoué : « Je suis en admiration. Vous en connaissez tellement sur le monde ! » La cible a souri, sachant qu’il pouvait me manipuler. Et ça n’a pas manqué. Il m’a invité le soir même. Un appartement, tout simple, qui n’était pas son lieu de résidence. Je me suis questionné, mais j’avais une mission à accomplir, pour toi. Nous avons bu un peu puis il m’a avoué avoir des fantasmes. Il se tenait sur ses gardes, je voyais bien qu’il n’était pas à l’aise, pas habitué à ces… rencontres. J’ai donc pris les devants. Je lui ai dit : « Ces fantasmes, vous voudriez les réaliser ? » Il a hoché la tête, les yeux me fuyant : « Vous voulez enlever votre pantalon avant ou après moi ? – Après. » Je me suis exécuté : « Vous voulez que j’enlève mon slip aussi ? » Il a de nouveau hoché la tête. Je lui ai montré mon sexe. Tu m’excuses, mais je bandais ! Ça m’excitait. Bien qu’avec lui, j’aie laissé croire être passif, j’ai pris la direction !


Me racontant cette histoire, le sexe d’Éric s’était mis à gonfler. Le mien aussi. Nous nous sommes caressés et tout doucement masturbés pendant la suite.


Lui, cette première nuit, ne voulait que sucer. Il ne s’est jamais déshabillé. Il voulait mon sexe dans sa bouche. C’est un débutant, mais je crois l’avoir bien formé. Puis ? Eh bien… j’ai continué à le fréquenter. Les dernières nuits. J’ai dormi là-bas. Au début, il voulait seulement me sucer. Il ne voulait pas que je le touche. Mais je l’ai convaincu : tu m’as bien appris ! J’ai réussi à voir son sexe, tout petit, mais intéressant. Mais il ne voulait pas que je joue avec son pénis, il avait de la difficulté à avoir des érections… mais lorsque j’ai inséré ma langue dans son anus… à cet instant, il s’est révélé… et je me suis retrouvé en tant que dominant dans un couple…


Éric a éjaculé dans ma main. Je lui ai fait lécher. Éric s’est assoupi après avoir raconté sa dernière semaine.



J’ai tiqué : « Ah bon ? » Éric s’est soudainement redressé et m’a fixé dans les yeux :



Éric a posé sa tête contre mon torse et alors qu’il écoutait ma respiration, je lui ai parlé de ma rencontre avec Malika. Que ça s’était passé rapidement, que je n’avais rien vu venir, que mon cœur avait flanché, qu’elle me faisait vivre ! Excuse-moi, Éric…


Il a écouté avec attention mon cœur, justement, lors de ce discours de rupture. Je jouais avec ses cheveux. Il s’est réajusté pour me regarder. M’a embrassé. À cligné des yeux. En larmes :



Nous nous sommes recueillis quelque temps puis il s’est levé : « Faut que j’y aille ». Je lui ai demandé s’il allait continuer de voir Richard malgré tout. Dos à moi, il a tourné la tête, a hoché d’un air grave : « Je serai toujours avec toi. Alors oui, je continuerai à le voir. Et s’il m’apporte des infos, je te les rapporterai. » Il avait de belles fesses, Éric ! Je l’ai remercié, et notre relation amoureuse s’est terminée ainsi.


Je n’en ai toujours pas parlé à Malika. Bon. Peut-être lira-t-elle ces feuillets et n’aurai-je pas à le faire ?



– 32 –


Tour Elizabeth. Studio planqué. Une lampe projetant des ombres. Les rues calmes de la ville. Réunion d’espions. Explications. Richard menotté au radiateur. Raïssa et Charlène maîtresses de la situation. Alain en appui. Juliette, William, Nicolas, honteux de s’être laissés prendre. Et Milly, moi, qui garde le silence. Nous attendons les révélations de Richard. Elles ne sortent pas de sa bouche. Il est responsable de la situation.


Charlène s’énerve soudainement, en se tournant vers moi, alors que Raïssa sourit et fait balancer son arme au bout de sa main :



Je souffle un rire fatigué. Richard redresse la tête et me fixe d’un œil torve. Charlène continue :



Charlène regarde avec une forme de curiosité, une Juliette au visage contracté. Raïssa reprend le fil de l’histoire en pointant Richard :



Richard porte un rictus de mépris sur ses lèvres, comme si Raïssa et Charlène le dégoûtaient. Cette dernière poursuit, pour moi :



Menotté, Richard grommelle et jappe soudainement :



Mais oui, c’est vrai. Richard et sa vie sexuelle refoulée, tandis que moi, j’étais incapable de dire si je préférais Raïssa ou Charlène. Je les aimais toutes les deux et dans ce studio d’airBnB, nous avions dansé comme aucun couple ne pouvait danser lors de la mission « 1000fleurs ». Des images qui reviennent en flash : couché sur le dos, Raïssa me chevauchant, embrasse Charlène qui me sodomise. Ou bien, Raïssa nous suçant en avalant nos deux queues en même temps dans sa bouche. Ou bien, moi, enculant Charlène tandis qu’elle doigte Raïssa, ou la lèche, ou la baise. L’amour oral, anal, vaginal, l’amour de trois êtres heureux de cette réunion des corps et des esprits.


Et Richard qui voulait s’immiscer entre nous, jaloux. Raïssa conclut d’un coup sec :



Richard alors rit d’un rire perfide, tout le monde le regarde de manière étrange. Il avait fermé les yeux, puis les ouvre en grand, en folie tout en arrêtant de rire : les yeux pleins de fureur, il fixe Milly en hurlant :



Il parle de moi. Moi qui ne suis pas là. Mais j’ai peur qu’il m’ait reconnu depuis le début sous mon travestissement. Mais non, il persiste à crier : « Tout ça à cause de lui ! À cause de lui ! », il tire sur la chaîne l’amarrant au radiateur, rien à faire, elle tient bon. J’interviens alors, voulant le calmer :



Mais Richard s’en fiche, il tire la menotte et crie :



Naturellement, il visait Milly quand il a craché « sa pute ».



Sa rage le consume, il s’épuise, son menton se cale sur son torse, Richard est devenu fou… J’ai soif, j’ai besoin de verre, j’ai le corps tout à l’envers par la crise émotionnelle et violente de Richard. Je me dirige vers le minibar, je suis soulagé, il est rempli. Je sors des bières, regarde Raïssa et Charlène qui refusent silencieusement, elles ont été aussi surprises que moi du courroux de Richard. Elles ne savent pas non plus comment réagir. Comment faire sortir les aveux du chef du Comité d’Action, qui semble avoir perdu la raison. Je montre une bière à Alain qui lui, accepte, soulagé de passer à autre chose. Il vient de subir une fusillade, lui aussi !


Oui, j’aurais dû faire plus attention. Oui, j’aurais dû rester aux aguets. Oui. Car alors que je tends une bière à Alain, celui-ci relâche sa vigilance. William, qui n’avait pas bougé ni émis un son depuis son entrée dans le studio, bondit du sofa. Se projette sur l’arme d’Alain, lui pique en deux mouvements, un coup de coude, un renversement de poignet. William tient le flingue et étend son bras. Nous n’avons jamais su qui était la cible. Peut-être était-ce seulement une décision, une action de désespoir. Son doigt allait appuyer sur la détente qu’un coup sourd et étouffé jaillit de l’autre côté de la pièce. Je reçois une giclée chaude et vermeille sur le torse, qui suinte sur mon top blanc. Je suis dégoûté, Milly aussi. Juliette hurle. Nicolas s’exclame d’indignation. Richard rigole. Charlène le frappe. Le corps de William se renverse près de moi, sans vie, le front arraché. Raïssa vient de tirer son ancien amant qui l’avait floué. Je la trouve belle, encore et encore, malgré cet instant sauvage : ses yeux noirs, insondables, il y brille quelque chose de lumineux. Ses lèvres rubis, bien dessinées, assez grandes, pulpeuses, aguichantes, à embrasser. Ses seins compressés, rehaussés dans sa robe laissant deviner sa peau mate. Ses longs cheveux noirs et ondulés qui glissent sur son épaule. D’un mouvement de cou gracile, d’un geste habitué, elle les repousse derrière son dos, obéissant à son corps tout entier. Et sa voix chaude, sensuelle et traînante, presque provocante :



À voir son visage dépité, Alain semble vouloir s’excuser d’avoir lâché son guet. Je lui fais signe que non, tout va bien, c’est ma faute en fait. Mais il s’approche de moi, comme s’il voulait être au petit soin avec une Milly ensanglantée, collant mes vêtements sur mon corps. Je jette un dernier regard à la scène : Richard a la lèvre en sang, groggy, Charlène l’a bien frappé. Elle prend la suite des opérations demandant à Nicolas et Alain de transporter le corps de William plus loin. J’entre dans les cabinets.



– 33 –


Je me démaquille sous la douche. Je lave, frotte puis rince mon corps couvert de sang du premier spadassin et de William. Je fais vite pour ne rien rater à la réunion d’espions, à côté.

Des tenues sont exposées. Une robe en organza, légère, agrémentée d’une encolure en V, d’un ourlet asymétrique et d’une magnifique dentelle. Elle semble décontractée et sophistiquée. Une jupe patineuse à plis plats, noire, idéale pour Milly. Il y a aussi un slip brésilien en tulle, avec de somptueuses arabesques brodées à l’avant, un petit bijou à l’arrière. Charlène et Raïssa ont pensé à tout.


Mais c’est l’heure de vérité. J’opte pour le jeans et la chemise pour homme. Je trouve des élastiques et des baguettes chinoises dans la trousse à maquillage sur le comptoir, j’attache mes cheveux longs en style samouraï, en chignon au-dessus de la tête. C’est comme ça que mon personnage de proprio underground se coiffe, c’est comme ça que Ricard me connaît.


Dans le miroir, je me dévisage. Inspire profondément. Expire.

Je sors.


Silence dans la pièce. Les premières personnes que je vois sont mes alliées de toujours, Raïssa et Charlène. Elles me font un petit sourire de complicité. Nicolas est confondu, il fronce les sourcils, lève un doigt, il indique la place qu’occupait Milly. Puis avec hésitation, montre la porte de la salle de bain d’où je sors. Il refait la même gestuelle quelquefois, ne s’expliquant pas ma présence parmi tous ces convives. Juliette par contre est plus alerte : elle est frappée de stupeur, ouvre la bouche, muette, les yeux braqués sur mon apparition. Et tandis que Richard se met à rire de sa naïveté, je vois Alain ébranlé, il a rapidement saisi que je suis Milly et peine à embrasser le fait avoir été séduit par un travesti.


Richard opine du chef, tout en conservant son gloussement sarcastique :



S’il avait eu ses deux mains libres, Richard aurait applaudi tranquillement. Mais après sa première tirade, il se tourne vers Nicolas et l’interrompt dans ses rêveries :



Celui-ci s’empresse de regarder sa montre :



Richard reste son patron, après tout. Notre chef de Service bedonnant sourit en serrant les lèvres :



Je louche vers Raïssa, elle voit mon stratagème, me pointe subtilement son téléphone : parfait, elle enregistre tout. Nous n’avons qu’à laisser parler Richard. Il est l’heure de passer aux aveux. Richard ignore sa subordonnée et insiste :



Raïssa rigole :



Richard ignore les interventions de mes amies, il me fixe et dans ses yeux, je vois un feu noir. Mais qu’est-ce que je lui ai fait… ?



Des cloches d’une église lointaine sonnent. Richard a un rictus au visage. La porte du studio se fait soudainement défoncer par un puissant coup de pied. Des éclats de bois s’envolent. Je me projette par terre. Je distingue qu’une silhouette fine, grande, mince, vient d’entrer en force. Des cuisses musclées et élancées, des fesses toutes rondes et rebondies sous une croupe arquée. Des hanches en A sous une taille fine. Des épaules de nageuse recouvertes de cheveux noirs ondulés dépassant sous sa cagoule. Agressive, la silhouette tient un fusil d’assaut. Elle le porte au visage, l’œil dans le viseur. Le canon est prolongé par un modérateur de son. Ce fusil peut tirer quatre balles à la seconde. Et l’intruse a en ligne de mire Raïssa et Charlène, pétrifiées. Les mêmes pensées que les miennes ont dû leur traverser l’esprit : quatre balles la seconde, un silencieux, ça y est, c’est la fin, on ne peut pas être plus rapide qu’un fusil d’assaut. Surtout que Richard affirmait avoir deux à trois coups d’avance, qu’on ne pouvait rien lui faire, comme s’il avait tout prévu. En effet. Alors, c’est ainsi que tout se termine… Surtout que Richard ricane et persifle :



Personne d’entre nous n’ose un geste quand l’indésirable armé traverse le studio d’un pas agile et sûr. Elle nous vise les uns après les autres, calculant les trajectoires de ses futurs projectiles, ses meilleures chances pour elle, par qui commencer… ?



Entre alors un nouvel intrus, un simple Glock à la main, le danger pointé vers nous. Cheveux en broussailles, petite barbe de trois jours, un hispter. Richard rigole :



Ce nouvel importun, nous le connaissons bien, Raïssa et moi. C’est Éric, notre ami, mon agent infiltré chez Richard. Éric me salue subtilement du menton. Richard continue de délirer :



Éric lève son arme vers Richard qui s’étouffe. La tueuse ne calcule plus la trajectoire de ses balles vers nous, elle se tourne vers le gros homme attaché au radiateur. Elle s’avance parmi nous. N’a jamais eu l’intention de nous tirer dessus. Elle se poste devant Richard qui bafouille. La peur soudaine dans ses yeux. Elle baisse son calibre. Et lui donne un énorme coup de crosse au front. Richard s’effondre, assommé. Enfin muet. Hors d’état de nuire.


La nouvelle arrivante se tourne vers nous et enlève sa cagoule : Malika !



Malika nous sourit, exténuée, et laisse tomber son arme :



Je me précipite vers elle, lui touche le visage, vérifie que c’est bien elle, les yeux verts, son grain de peau, ses lèvres, je balbutie :



Malika lève son regard vers le mien et j’y entre, dans un monde de fruits verts, de pommes et de papayes sucrées, un jardin luxuriant, un monde à découvrir, déjà exploré, toujours à élucider :



Sans réfléchir à autre chose, je la prends dans mes bras. Elle m’entoure des siens. Nous nous perdons l’un dans l’autre, fusion des corps désirés, fragrance à inspirer : mais quel est donc ce monde de dupes dans lequel j’erre depuis trop de temps ?


Je me sens enlacé soudainement par d’autres bras, d’autres cheveux viennent se perdre entre les miens et ceux de Malika, il y a huit mains, six seins, dans mon dos, sur mes épaules, Charlène et Raïssa sont venus nous rejoindre pour nous étreindre. C’est si bon d’être aimé.


Dans le studio de ce AirBnB de la tour Elizabeth, parmi les ombres offertes par la lampe sur pied et par les quelques lumières des réverbères extérieurs, quatre êtres s’embrassent et se pressent sur les cœurs de chacun. Quatre autres personnes sont témoins de ce recueillement : Juliette interdite, Alain qui n’en revient toujours pas d’être tombé sous le charme de Milly, Nicolas qui joue son rôle de dadais pour qui les évènements se produisent trop rapidement. Éric se tient à distance, la tête baissée. Richard, inconscient, ne pourra jamais appréhender le fait que tout le monde s’est retourné contre lui. Nous avons les preuves qu’il conspirait pour des intérêts personnels. Il a trahi tout le monde. Tout le monde l’a trahi à son tour.



Épilogue


Charlène des Affaires Internes a lancé une opération de perquisition dans les maisons et planques connues que Richard utilisait. Il en a résulté que les agents ont découvert d’autres planques et que dans celles-ci, des documents démontrant les agissements de son équipe « extraService ». Ces documents sont devenus des pièces à conviction pour son procès. Actuellement, Richard est en détention dans un centre secret de notre gouvernement. Il sera accusé de conspiration, de trahison, de délit d’utilisation illicite d’une information privilégiée, d’intelligence avec une puissance étrangère et d’incitation à la guerre : l’armement des rebelles en Érythrée pour mettre la main sur le contrôle du détroit de Bab el-Mandeb, reliant la mer Rouge au golfe d’Aden, c’était lui et son équipe. Seulement pour se faire du fric…


Nous sommes dans notre appartement, à Malika et moi, lorsque Charlène vient nous annoncer la nouvelle. Raïssa fume une cigarette sur la terrasse et nous écoute dans l’encadrement de la porte vitrée, sur la terrasse, en contre-jour du soleil couchant. Malika hausse la voix et m’informe que Charlène est là. Je suis dans mon bureau, et je tente d’écrire le plus vite possible pour parvenir à la fin de l’histoire. Je vais les rejoindre quand je termine la phrase : « Tout le monde l’a trahi à son tour. » Mais est-ce que l’histoire est terminée, ou ne sera-t-elle qu’un nouveau jalon dans nos existences ?


Nous sommes tous heureux d’apprendre que Richard restera la fin de ses jours enfermés, qu’il sera puni par la justice et que nous avons de nouveau conclu avec succès une mission des plus hasardeuses. Décidément, Charlène, Raïssa et moi formons une équipe de choc ! Malika a d’ailleurs décidé de changer de côté. Elle a démissionné de son ancien Service pour consacrer son temps à son travail de professeur d’art dramatique, à l’université. Il va sans dire qu’il y a eu des tractations entre les gouvernements, que nous avons mis cartes sur table et que notre Service a pu la recruter.


Ainsi, nous sommes une équipe de quatre espions qui peuvent faire changer le cours des choses.



*



Après le dernier épisode du AirBnb de la tour Elizabeth, une fois que nous avons appelé le chauffeur du fourgon pour qu’il récupère Nicolas et Juliette et les mène au Siège du Service pour interrogatoire sur leur possibilité de complicité avérée avec Richard, nous avons pu questionner Malika. Alain et Éric se tenaient un peu plus loin. J’ai commencé :



Il y a eu un silence dans l’AirBnb : je m’étais fait flouer par celle que j’aimais, Malika, avec son long tatouage en forme de licorne sur son corps. J’aurais dû m’en douter, les documents de l’Aristo l’évoquaient, avec son signe distinctif !



Elle s’est tournée vers Éric, lui sourit :



Éric a hoché la tête, comme s’il était déjà au courant. Raïssa a soufflé, ébahie : « J’aimerais bien voir ça ! » Malika a plongé ses yeux dans les miens, Charlène et Raïssa écoutaient attentivement ces révélations, Éric a pris la parole :



Un nouveau temps de silence. Alain s’est raclé la gorge puis s’est avancé d’un pas :



Raïssa a éclaté de son rire de gamine que j’aimais tant et est venue enrouler ses bras autour de mes épaules :



Charlène a ri aussi de l’interrogation parfaitement normale d’Alain et nous avons pardonné à Malika qui avait pris notre camp et avait accompli sa mission en assommant Richard, une fois qu’il s’était confessé. Moi je me rendais compte, en regardant Alain, qu’en effet, il ne restait plus que lui à me faire pour avoir baisé tout le monde dans cette pièce…



*



Soleil de fin de soirée, Raïssa écrase sa clope dans le cendrier et entre dans l’appartement. Charlène vient de nous confirmer les accusations portées contre Richard. Malika se réjouit :



Elle porte un haut rouge, serré, à fines bretelles, sans soutien-gorge, semble-t-il, et ses cheveux en queue de cheval contournent son épaule et tombent sur ses seins. Raïssa masse gentiment les épaules de Malika en s’attardant derrière elle :



Elle s’assied sur la table entre Malika et moi en faisant un petit saut. Elle est en jeans, moulant son cul à merveille et une petite chemisette échancrée, blanche, contrastant avec son épaisse chevelure noire.



Malika m’a jeté un coup d’œil complice, Raïssa et Charlène aussi, Malika a dit en riant :



Raïssa s’égaye en entendant ces mots et poursuit le questionnaire :



Malika se tourne vers Charlène, les yeux faussement outrés, la moue sarcastiquement indignée :



Charlène hoche la tête, souriante : « Oui, j’ai raconté à Raïssa mon «opération de séduction ratée» envers toi. Et nos confidences… il y a peu d’enculeuses qui se rencontrent, finalement ! » Raïssa bondit sur ses pieds, lève un doigt, ingénue :



Les trois femmes rigolent ensemble et je suis « faussement » découragé, je tente de dire un mot, puis deux, mais les trois femmes discutent ensemble rapidement, je ne peux me faire entendre, je dis seulement :



Malika vient de leur proposer de leur montrer sa collection d’objets sexuels. Ce sont trois obsédées du sexe. Qu’ai-je donc fait pour en arriver là ? Je les rejoins dans notre chambre après avoir terminé mon café. Malika a tout posé sur le lit, en ordre de grandeur, du simple plug en métal, à celui connecté qu’elle a porté au restau de bord de fleuve, lors de vacances. Puis les godes non réalistes, arc-en-ciel ou en pierre, les vibromasseurs clitoridiens, puis les dildos plus réalistes, à ventouse, que Malika utilise le plus souvent avec son harnais. Elle leur montre aussi les menottes, les poids à pince, les petites roues dentelées :



Charlène tient dans sa main le plus gros godemichet que Malika possède :



Raïssa enfile un harnais, Malika l’aide à bien l’accrocher à ses hanches : à regarder ces trois femmes dans la chambre à coucher, avec Raïssa se réjouissant de porter un gode-ceinture par-dessus son jeans : « Je n’en ai jamais utilisé un encore ! », avec Charlène appréciant avec sa langue pointue un autre pénis en silicone, je ne peux qu’avoir une érection impossible à retenir.



Malika lui caresse la joue : « Nous pourrons toujours revenir ici… » Charlène, toujours avec le plus gros gode dans sa main, interroge Malika : « Et quand tu le prends ? qui prends-tu ? Lui, ou Milly ? » J’interviens alors, joueur :



Raïssa enlève le harnais lui donnant l’impression d’avoir un pénis entre les jambes :



J’acquiesce aussi. Au Saloon ? Revoir Jojo et Marco ? Pourquoi pas ? Je zyeute vers mon bureau et vers le manuscrit en allant à la salle de bain me préparer. Que sera donc la conclusion de cette histoire d’amour ? Car au final, bien que nous soyons dans un polar porno, c’est juste une belle histoire d’amour. Au pluriel.



*



C’est donc quatre femmes enlacées qui déambulent dans les rues du Village gai de la Métropole, toutes plus coquines les unes que les autres. Raïssa me demande si Malika et moi pratiquons l’amour libre, je lui réponds affirmativement, avec le consentement de l’autre. Raïssa m’embrasse, contente, et je remarque Charlène descendre sa main vers les fesses de ma conjointe.


Nous entrons au Saloon et Milly est célébrée pour son retour. Jojo vient lui faire la bise, Marco aussi, quelques autres amies. On ouvre des bouteilles, on festoie. Charlène nous dit qu’elle a passé quelques coups de fil pour la célébration de la réussite de notre mission. Quelque temps plus tard, Éric, Alain et Juliette entrent au Saloon, intrigués. Raïssa accueille tout le monde en hurlant de joie et présente Éric à Milly :



Milly hoche la tête, heureuse de la réaction. Alain boit une bière et l’observe de loin, sourire aux lèvres. Milly se dit qu’il faudra aller le voir, lui parler, peut-être flirter avec lui, qui sait ? Juliette, dont l’enquête a fait preuve de son innocence, semble heureuse d’être là, discutant avec Malika et Charlène. Cette dernière sert le corps de ma compagne, il est vrai qu’elles n’ont pu aboutir leur relation… qui sait comment toute cette soirée finira ?


Raïssa revient vers Milly, deux verres à la main, et lui en donne un : « Buvons ! À nous ! » Elle enlace Milly, puis la surprend soudainement, l’embrasse à pleine bouche. Je suis interloqué, Raïssa rigole, me dit précipitamment qu’elle vient d’en discuter avec Malika, qu’on quitte le Saloon prochainement, que j’ai envie de te prendre, me chuchote-t-elle en prononçant mon nom de garçon. Milly, moi, hoche la tête et sourit à Raïssa :



Je ne sais plus quoi penser, Milly non plus. Raïssa obtient tout ce qu’elle désire et en fait une parfaite espionne. D’ailleurs, qui penserait que dans ce bar LGBTQIA+, sont rassemblés sept agents de renseignements, tous avec de différents genres et attirances sexuelles.


De mon côté, j’ai compris ce qu’il me faut : la possibilité de naviguer d’un genre à l’autre. J’ai besoin des deux, je ne pourrais pas abandonner complètement un genre pour rester tout le temps dans l’autre, peu importe lequel. À voir tout ce beau monde autour de moi, je ne sais pas du tout comment se terminera la soirée. Mais je suis prêt. Je suis prête. À tout.