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Temps de lecture estimé : 14 mn
14/01/22
Résumé:  Une clé oubliée peut changer une vie, une actualité trop présente dans notre presse.
Critères:  fh dispute nonéro -rupture suspense
Auteur : Anaclem      Envoi mini-message
La clé






Rita n’avait pas eu le temps de sentir le bébé grandir en elle. Il était parti avant. Elle avait juste eu les seins qui commençaient à durcir, les nausées et la fatigue des premiers mois. D’un coup, plus rien dans le ventre, le vide. Rita comprit ce que cela signifiait dans un corps en évolution. À qui le dire ? Qui comprendrait cette sensation ? Le père était parti. Elle n’avait pas osé le prévenir de peur qu’il ne revienne seulement pour l’enfant, et non pour elle.


Aujourd’hui encore moins, il la rendrait sûrement coupable de ce qu’elle n’avait pas voulu. Cet enfant non plus elle ne le voulait pas mais il était venu et elle s’était faite à cette idée. Elle se demandait même comment elle allait s’organiser à sa naissance. Seule.


Pour elle, un enfant sans père n’était pas un enfant heureux. Pourtant, là aussi, elle s’était faite à l’idée. Elle lui apporterait tout, elle l’aimerait pour deux. Elle avait un but, un prolongement d’elle-même qui allait lui permettre de se construire, de vivre pour lui et pour elle. Elle commençait à l’aimer lorsqu’elle sentit son entrecuisse humide. Du sang, mal au ventre. Pas besoin de mot pour comprendre que la nature en avait décidé autrement.


Le médecin lui a confirmé ce qu’elle savait déjà. Il la réconforta en lui disant qu’elle avait le temps d’en avoir un autre, qu’il fallait qu’elle fasse le deuil. Mais comment faire le deuil sur du vide, quand on n’a aucune image ? Seulement les transformations d’un corps et des projections sur l’avenir.


Rita commença alors à haïr l’homme responsable de ce vide. Lorsqu’il était revenu, penaud, en s’excusant de ses écarts, la haine était telle qu’elle ne supportait plus sa présence, ne supportait plus le poids du silence. Parfois, lorsqu’il la regardait, qu’il essayait de reproduire les gestes tendres du passé, elle avait envie de lui crier sa haine au visage.

Un matin au réveil, après avoir refusé pour la énième fois qu’il la touche, elle lui cracha la vérité au visage et le culpabilisa en lui disant que s’il n’était pas parti pour suivre sa blonde, le bébé serait là, avec eux.


Il sortit prendre l’air et la laissa en larmes dans leur chambre. Paul était abasourdi, il avait pensé qu’elle lui en voulait pour sa conduite mais il avait été loin d’imaginer ce qu’elle venait de lui dire. Comment avait-il pu être aveugle à ce point ? Il était vrai qu’il était parti un peu plus de cinq mois, pourquoi n’avait-elle pas appelé pour lui dire ? C’était lui le père après tout. Il commençait à ruminer tout seul, à la traiter d’inconsciente, d’égoïste. Une rage sourde et aveugle le gagnait. Ce soir, ils allaient parler, remettre les choses à plat et prendre un nouveau départ. Des gosses, il en voulait, donc…

À son retour à l’appartement, ses affaires étaient sur le palier. Il entra dans l’appartement mais il était vide. Il appela sa meilleure amie pour lui demander conseil mais Florence lui dit de respecter cette décision, de partir et d’attendre que Rita fasse un deuil que visiblement elle avait du mal à faire.


Malgré tout, il décida d’attendre pour lui faire part de sa décision. À son retour du travail, Rita trouva les affaires telles quelles et Paul dans la cuisine, il s’excusa de nouveau pour sa conduite et lui dit qu’il allait attendre qu’elle soit prête pour une nouvelle vie, de nouveaux enfants, qu’il l’aimait, qu’il serait patient et qu’il respecterait ses choix.

En réponse, elle lui dit calmement qu’elle ne l’aimait plus, qu’elle ne voulait plus le voir, plus l’entendre, qu’il lui rende ses clés et qu’il se barre. Lorsqu’elle haussa le ton, il quitta la cuisine et claqua la porte d’entrée.


Tout en mettant ses affaires dans la voiture, il sentit sa rage grandir. Pour qui se prenait-elle ? Il s’était excusé, il avait fait profil bas, c’était sa faute à lui si elle n’était pas capable de garder un gosse ?


En montant dans sa voiture, il sentit les clés de l’appartement dans sa poche, il était trop en colère pour remonter et se dit surtout que ça lui donnerait l’occasion de revenir une autre fois. Puis il oublia.

Pendant plusieurs mois, elle ne répondit à aucun de ses appels, elle réussit à l’éviter dans quasiment tous les lieux publics, elle recommença à sortir et surtout à le sortir de sa tête. Elle était sûre d’avoir pris la bonne décision. Et puis, il l’avait toujours dénigrée, rabaissée, elle n’était pas assez ceci, assez cela. En bref, elle était beaucoup mieux aujourd’hui.


Rita travaillait à son bureau, il était au fond de l’appartement et communiquait avec la chambre. Parfois, elle regardait les arbres par la fenêtre, ça l’aidait à se concentrer. Elle avait pris un chat pour lui tenir compagnie, un joli chaton tout noir avec une oreille blanche, Domino.

Son bureau était placé dos à la porte, non seulement pour la vue mais aussi pour la lumière. Elle travaillait souvent tard.


Après avoir fini son dernier article de la journée, elle sentit une présence dans son dos. Elle appela Domino mais se rendit compte très vite qu’il était confortablement installé sur son bureau. Elle se retourna, et rien. Il lui sembla juste entendre une porte qui claque. Elle se leva d’un bond, sortit du bureau, inspecta les pièces, la peur au ventre, mais l’appartement était vide. Elle alla éteindre l’ordinateur et partit se coucher. Avant, elle vérifia que sa porte était bien fermée à double tour. Au matin, lorsqu’elle entra dans la cuisine, elle trouva son bol sur la table et le café prêt à couler. Ça lui arrivait parfois de tout préparer la veille mais là, elle n’en avait aucun souvenir.


Paul avait trouvé un petit appartement dans le même quartier. Pour lui, c’était du provisoire car il comptait bien retourner avec Rita. Ils avaient passé plus de 15 ans ensemble, ça ne pouvait pas finir aussi bêtement, pour une histoire de cul qui l’avait transporté. Pour le moment et sur les conseils précieux de sa copine Florence, il n’avait rien fait pour revoir son ex. Il se tenait éloigné des lieux qu’ils avaient fréquentés ensemble, il connaissait ses habitudes et ses horaires donc c’était assez facile. Parfois, il sentait monter la rage en lui, surtout lorsqu’elle refusait ses appels mais il tenait bon. Ne pas la brusquer.


Rita avait rendez-vous avec Florence pour l’apéro, elle savait qu’elle était très amie avec Paul mais c’était aussi la sienne et elle voulait préserver cette amitié. D’un accord tacite, elles ne parlaient jamais de lui. Elles parlaient boulot, fringues, ciné, et de la vie tout simplement. Aujourd’hui, elles étaient en terrasse et riaient à gorge déployée lorsque Paul apparut au coin de la rue. Il s’arrêta net en les voyant, le souffle court. Il aurait dû se douter qu’elles continuaient à se voir, Flo et ses précieux conseils, elle s’était foutue de sa gueule plutôt. Il fit demi-tour et retourna chez lui, fou de rage et de douleur. Il prit le premier sac venu, mit quelques affaires et partit. Il avait besoin de prendre l’air, de prendre du recul. Ah les salopes ! Elles s’étaient bien foutues de lui. Il s’était persuadé que Flo ne la voyait plus, qu’elle avait choisi son camp. Il commençait à imaginer que tous ses conseils à la con étaient dictés par Rita. Elle l’avait tenu éloigné volontairement. Il fit le tour du périphérique tout en se demandant que faire… les affronter ? Retourner voir Rita ? Dire à Flo ses quatre vérités ? Il était seul, avait peu d’amis vers qui se tourner. Il sortit finalement, porte de Bagnolet, et prit la direction de la baie de Somme, voir la mer était la seule chose qui le calmait quand il était en colère. Le bruit des vagues l’apaisait.


La vie continuait tranquillement pour Rita, un collègue du journal pour lequel elle travaillait déjeunait régulièrement avec elle. C’était le premier homme qui lui plaisait réellement depuis sa rupture avec Paul. Cela faisait 8 mois maintenant. Elle n’était pas peu fière d’avoir réussi à l’oublier, à l’avoir rayé de sa vie. Parfois, elle s’étonnait qu’il ait lâché aussi facilement, mais bon, ce n’était plus son problème.


Elle attendait que son collègue fasse le premier pas, ça lui permettait aussi d’apprendre à le connaître. Il était gentil, attentionné, mais elle souhaitait qu’il lui dise qu’il voulait la voir plus souvent, qu’il attendait plus… Mais rien, à part ses intermèdes de mi-journée, la routine s’installait.


En rentrant chez elle ce soir-là, et après avoir ouvert sa boîte à lettres, elle se fit la remarque que cela faisait longtemps qu’elle n’avait reçu pas de courrier. Ni factures ni cartes postales du bout du monde, rien. Dès qu’elle ouvrit la porte d’entrée de son appartement et jeta la clé dans le vide-poche, Domino vint se frotter contre ses jambes. Elle le nourrit, le caressa un peu puis s’installa devant son ordinateur. Domino ne tarda pas à la rejoindre pour faire sa toilette sur le bureau. Elle se concentra alors sur l’article du jour. Elle avait la désagréable impression d’être observée, de ne pas être seule dans la pièce. La nuit tombait et lorsqu’elle voulut allumer la lampe de bureau, sa main ne rencontra que du vide. Interloquée, elle tourna la tête et se rendit compte qu’elle n’était plus à sa place. Elle pouvait même dire qu’elle n’était plus là. Elle envoya tout de suite un message à sa femme de ménage, malgré l’heure tardive, pour savoir si elle l’avait cassée et avait oublié de le dire, mais il faudrait attendre sans doute demain matin pour la réponse. Elle ferma alors son ordinateur, se prépara pour se coucher mais resta un moment à réfléchir et à fixer son plafond. Elle avait une sensation bizarre, non rationnelle. La nuit fut courte.


Au matin, Rita fit le tour de l’appartement, elle inspecta chaque pièce, regarda ses bibelots, sa vaisselle, ses placards. Son appartement était un vrai labyrinthe, un appartement typiquement parisien. La porte d’entrée donnait sur un long couloir et les pièces étaient distribuées à droite et à gauche, toutes reliées entre elles par des portes. La première était la cuisine, en face le salon, puis la salle de bain et les WC, une chambre, et tout au bout sa chambre et le bureau.


Lorsqu’elle ouvrit sa boîte à bijoux, elle remarqua immédiatement l’absence de sa bague fétiche, certes, elle n’y passait plus son doigt mais elle l’avait depuis l’âge de 15 ans et elle se trouvait toujours là. Le seul souvenir de sa mère. Elle repensa alors à l’absence de courrier, à cette impression étrange d’être observée parfois, au bol installé dans la cuisine.


La femme de ménage lui répondit enfin que non, qu’elle n’avait rien cassé et que lorsqu’elle était partie, la lampe était toujours sur le bureau. Rita lui répondit pour la remercier et lui demanda si elle avait fait tomber la boîte à bijoux, car il manquait une bague. La réponse fut immédiate et négative. Elle chercha la bague partout, sous le lit, derrière la commode, dans le premier tiroir, rien. Le malaise de Rita allait en grandissant. Domino prenait ça pour un jeu et courait d’une pièce à l’autre.

À midi, elle déjeunerait avec Flo et lui en parlerait. C’était un dimanche ensoleillé, elles avaient rendez-vous à la Bastille, puis prirent la direction des quais pour un déjeuner en terrasse. Elle avait demandé à son collègue de se joindre à elles car elle voulait l’avis de Flo. Il avait accepté, la journée s’annonçait malgré tout sous de bons auspices. Flo et Rita se retrouvèrent juste devant l’opéra Bastille, au moment où Rita voulut lui parler de ce qui se passait chez elle, Simon les rejoignit. Une fois les présentations faites, ils descendirent sur les quais et prirent place au restaurant.


Le déjeuner fut ponctué de discussions et de silences, chacun parlait de sa vie, de son travail, de ses rêves. Flo gobait les paroles de Simon et était d’accord avec tout ce qu’il disait. Lui-même ne calculait plus vraiment Rita. Cette dernière essayait de garder bonne figure mais ça devenait compliqué. Entre la maison et maintenant ce déjeuner, elle fut prise de mélancolie et avait envie de se retrouver à des centaines de kilomètres d’ici. Cette journée qui s’annonçait bien virait au cauchemar. Simon paya l’addition pour les deux et donna son téléphone à Flo. Il leur fit la bise puis partit à pied jusqu’à chez lui.


Une fois seule, Flo lui dit qu’il était vraiment hyper sympa. Quand Rita lui fit remarquer qu’elle l’avait dragué ouvertement, elle se mit à rire et prit un air pincé pour lui dire qu’elle avait une imagination sans borne, qu’elle lui plaisait et qu’il avait juste voulu être aimable avec sa meilleure amie. Elle fit l’impasse sur le téléphone.


Rita ne savait plus si elle devait lui parler de son appartement, mais c’était sa seule amie, alors elle mit ses griefs de côté et lui raconta. Encore une fois, Flo la regarda en grimaçant et lui redit qu’elle avait une imagination fertile, que ce n’était pas la première fois qu’elle pensait perdre des trucs et que finalement, plus tard, elle se rappelait qu’elles les avaient donnés ou jetés car elle faisait souvent le vide chez elle. Bref, elle essayait de la rassurer, mais le cœur n’y était pas et Rita le sentit. Elles se séparèrent sur le quai du métro et Flo la regarda partir avec un grand sourire aux lèvres. Elle allait en avoir des choses à raconter à Paul, ça tombait bien, elle le voyait le lendemain soir.


Lorsque Rita rentra chez elle, son humeur était mitigée, mitigée envers Flo, envers Simon et surtout envers elle-même. Depuis sa séparation d'avec Paul, elle n’avait repris contact avec aucun de ses amis d’avant, elle se sentait bien seule. Jamais elle ne raconterait ses humeurs à sa mère mais elle l’appela quand même, juste pour entendre sa voix. Elles parlèrent de la pluie et du beau temps, des banalités d’usage, et cela fit du bien à Rita.


Elle partit se coucher sans manger et s’endormit assez rapidement. Le sommeil a toujours été un bon refuge. Elle fut réveillée par un bruit de tiroir que l’on ouvre et que l’on referme sans ménagement. Domino était assis au pied du lit, les oreilles dressées. Il semblait suivre des yeux des mouvements que Rita ne voyait pas. À vrai dire, elle ne tournait même pas la tête, elle manquait d’air et fixait son chat avec angoisse. Après ce qui lui parut une éternité, elle entendit la porte claquer. Domino resta encore quelques minutes assis puis se rallongea et se remit en boule pour finir sa nuit. Rita se leva alors d’un bond et ferma la porte de sa chambre qui donnait dans le couloir et celle qui donnait sur le bureau. Elle ne rêvait pas, quelqu’un rentrait chez elle. Ça ne venait pas de chez le voisin, les appartements avaient toujours été bien isolés. Elle se promit de changer ses serrures sous peu. Elle resta éveillée le reste de la nuit.


Le lendemain soir, lorsqu’elle arriva dans le petit appartement de Paul, Flo vit tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond. Il lui avait ouvert la porte sans dire bonjour, rien n’était prêt pour l’apéro prévu depuis dix jours et il ne la regardait pas dans les yeux. Il se contenait, c’est ça… il se contenait et attendait qu’elle parle. Décontenancée par tant de froideur, elle ne dit rien et resta debout. Paul lui avait toujours plu, depuis la fac elle en pinçait pour lui. Elle s’était réjouie de sa séparation d'avec Rita et pensait dès le départ qu’en tant qu’amie consolatrice, elle aurait pu prendre sa place. Elle le conseillait et faisait tout pour l’éloigner d’elle. Mais il ne la regardait pas, depuis presque un an, il ne lui parlait que d’elle et attendait comme un gentil toutou que Rita le siffle pour y retourner. Ce soir, elle allait lui porter le coup de grâce en lui parlant de Simon.


Sauf que Paul était en colère, qu’il avait visiblement des choses à dire et qu’elle, elle ferait mieux de se taire. Elle ne savait pas de quoi il voulait parler aussi, lorsqu’il lui dit les avoir vues toutes les deux, qu’elle lui avait menti depuis le début, qu’elles les manipulaient, Rita et elle, pour le tenir à l’écart, elle ne sut que dire. Elle attendit qu’il reprenne son souffle, se calme mais un flot d’injures déferlait sur elle. D’instinct, elle recula vers la porte. C’est alors qu’il s’approcha d’elle et la gifla à toute volée. Ses larmes furent instantanées, des larmes de douleur, de surprise, de peur. Il recula et s’excusa mais elle en profita pour ouvrir la porte et partir.


Paul resta seul, il mesura la conséquence de son acte mais elle l’avait méritée, sa gifle : elle lui avait menti, et ça depuis le début. Il prit une douche, se rasa, s’habilla et décida de se rendre sur le champ chez Rita. Il n’avait agi que sur les conseils de Flo alors que peut-être Rita l’attendait. Lorsqu’elle ouvrit sa porte, Domino sur ses talons, la surprise se lut sur son visage. Paul ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche et entra dans l’appartement. Rita laissa sa porte ouverte et lui demanda de sortir. Il n’en fit rien et alla s’asseoir dans la cuisine. Domino se frotta contre ses jambes mais Paul le repoussa brutalement. Rita saisit son chat et lui redemanda de sortir. S’il n’était pas dehors dans moins de cinq minutes, elle appellerait la police.


Elle avait été stupide d’ouvrir la porte sans regarder au judas mais elle était loin d’imaginer qu’il reviendrait. Quel culot ! Ce mec était un grand malade et elle avait vécu 15 ans avec… Elle avait tout accepté de lui par amour. Elle le vénérait, l’admirait, s’était fâchée avec tous ses amis d’enfance car il avait fait le vide autour d’elle. Elle n’avait rien dit… jamais. Elle recommençait à vivre, à prendre confiance en elle et là, il était là, dans sa cuisine en train de lui déblatérer des mots d’amour. Elle pensait très fort à Simon pour ne pas écouter ce qu’il disait. Même s’il n’y avait rien de concret avec lui, il occupait la majeure partie de ses pensées.


Paul voyait bien qu’elle n’écoutait pas, il se leva brusquement, la saisit par le menton et la força à le regarder. Il n’avait jamais levé la main sur elle auparavant, les larmes roulaient sur ses joues et elle se mit à hurler. Son voisin sortit immédiatement et entra dans l’appartement. Lorsque Paul le vit, il la lâcha, s’excusa et quitta l’appartement presque en courant. Le voisin de Rita la fit asseoir, lui servit un verre d’eau et lui conseilla de porter plainte. Elle était incapable de parler, tremblait. Lorsqu’il lui proposa d’appeler un proche, le nom de Simon lui vient tout naturellement. À son départ, elle ferma la porte à double tour et retourna s’asseoir dans la cuisine.


Paul n’était pas très loin, il était appuyé sous une porte cochère juste en face de son entrée. Il tremblait lui aussi… mais de rage. La rage était devenue une seconde nature chez lui, jamais on ne l’avait traité de la sorte, jamais on ne l’avait plaqué, jamais on ne lui avait mal parlé, jamais on ne s’était foutu de sa gueule. Lorsqu’il vit qu’un homme, arrivé en courant, entrait dans l’immeuble de Rita, il comprit qu’il allait chez elle. Il n’était pas stupide.


Flo était rentrée chez elle à pied. Elle était à présent sur son lit et sanglotait à n’en plus finir. Elle était stupide, elle aurait dû lui dire qu’elle voyait toujours Rita, ne pas lui mentir. Elle irait s’excuser demain, lui dire qu’elle ne lui en voulait pas, qu’elle comprenait sa colère et du coup, lui parlerait de Simon.


Rita et Simon sortirent pour prendre l’air. Il la tenait par les épaules et elle appuyait sa tête contre lui. Paul, toujours sous la porte cochère, les regarda partir. Rita raconta à Simon, pour la troisième ou quatrième fois, ce qu’elle venait de vivre, elle ne comprenait pas pourquoi elle était restée pétrifiée, pourquoi elle avait ouvert, pourquoi elle n’avait pas téléphoné à la police. Heureusement que son voisin était chez lui sinon elle ne sait pas comment cela aurait fini. Paul semblait hors de lui, furieux contre elle. Leur histoire commune, pour lui, n’était visiblement pas terminée. Simon lui donna le même conseil que son voisin mais elle refusa encore une fois. Elle avait vécu 15 ans avec lui, elle avait porté son enfant, elle ne pouvait pas porter plainte, c’était impensable. Elle demanderait son adresse à Flo et irait le voir pour discuter.


À son retour et après le départ de Simon, elle trouva Domino sous son oreiller, blotti contre la tête de lit, il était terrorisé. Rita le prit, le caressa et alla chercher sa balle, mais Domino retournait systématiquement dans le lit, comme s’il avait peur de quelque chose. Elle vérifia plusieurs fois que sa porte était bien fermée à double tour. Elle vérifia aussi les fenêtres car il leur était déjà arrivé de rentrer par le balcon lorsque la porte d’entrée était claquée avec une clé dans la serrure.


Rita tremblait toujours lorsqu’elle se fit à manger, elle n’avait pas très faim mais se força à reproduire les gestes quotidiens pour se donner une contenance. Après un court passage dans la salle de bain, elle retourna vérifier la porte d’entrée. Sa clé n’était plus dans la serrure, son cœur se mit à battre très fort. Elle se dit qu’elle l’avait machinalement retirée et mise dans le vide-poches, mais rien. Elle regarda sur la table de la cuisine… Rien non plus. Lorsqu’elle se dirigea vers le téléphone pour appeler la police, elle se souvint alors qu’une fois elle avait mis ses clés dans le frigo. Elle fit demi-tour, ouvrit le frigo et rien. C’est lorsqu’elle referma la porte qu’elle sentit la lame du couteau contre sa gorge et qu’elle vit le reflet de Paul dans la porte du frigidaire. Ça lui revint alors comme une fulgurance, Paul ne lui avait jamais rendu sa clé.