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Temps de lecture estimé : 11 mn
16/01/22
Résumé:  Mon bon vieux copain Thomas s’en est allé…
Critères:  nostalgie
Auteur : Iovan            Envoi mini-message
En revenant de Bidarray…






Messe pour un temps passé



En revenant de Bidarray,

Tralalalalalalalalaï…

J’ai rencontré Etchegarray,

Tralalalalalalalalaï…

On a mangé la soupe à l’ail,

Tralalalalalalalalaï…

On a baisé contre un portail


Tu la connais, celle-là… ? Ça se chante sur l’air des lampions…

Ils étaient bien tristes les lampions, alors que j’en revenais, ce soir-là, de Bidarray…


Bidarray…

Ce nom qui sonne, comme une cloche tinte au matin, sonnera, demain, le glas.

Il avait sonné pour Toi, ma belle chérie… Je l’appris des mois trop tard ! J’ai, depuis, refait mille fois le chemin de dernière révérence, mon amour, avec ce goût des choses mal faites. Ça aussi… qui me le pardonnera ?


Pour lui, je l’ai su… Alors je serai là.

Tout le beau village enterrera, demain, mon vieux copain Thomas…

Vieux… Il aurait eu ce « sept sectembre », quatre-vingts ans. Oui… à cet âge-là, les gens disent de vous que vous êtes vieux !

Ce que je garde de lui, à part quelques merdes que la vie, cette pute que j’aime à la folie, vous balance forcément sur les chaussures, un jour, quelque part, c’est notre presque jeunesse.

Je l’ai connu, j’avais vingt ans, lui vingt-huit, le même âge que la « folle coche », que j’avais eu l’intelligence d’épouser… Elle s’était débrouillée pour m’embrouiller dans son « théâtre d’ombres » où elle rejouait la comédie sordide de son enfance, ressassant jusqu’à l’écœurement le folklore absurde et nocif qui avait présidé à la construction de l’orange mécanique qu’elle était, et partant, à l’élaboration de ce qui allait être notre enfer, à mes enfants et à moi. – Mais, on ne parle pas de ces choses-là, Monsieur… on ne parle pas… ! – (N’est-ce pas, Jean-Marc ?)

La vie, drame-farce, comédie ballet, mystère sur le parvis et dans tant d’autres endroits, tendre vacharde, dans laquelle je n’ai pas toujours su tenir les rôles qu’il faut sans cesse s’inventer et à laquelle je n’ai toujours pas tout compris… La vie lui a été ôtée.


Avec le pathos que mettent les bas de plafond (Eh, oui, la même !) quand ils sont confrontés à ce genre d’événement, j’ai su que depuis deux ans que je ne l’avais pas revu, il traînait une saloperie, « d’abord au cœur… mais, alors, après ça avait gagné… et alors, là, le pauvre ! Oh là là ! Il était pas bien ! … Surtout dans les derniers temps… Oh là là… ! »


Je n’ai rien su de ses véritables souffrances. De la part de ses proches, il ne fallait pas m’attendre à quelques confidences. J’aurais voulu savoir, c’était mon copain. Mais j’étais bien certain qu’aussi bien Franxua, Kattin ou Manex, aucun n’en parlerait… Il ne s’agissait pas, là, d’omerta hypocrite, non… mais de pudeur et de respect. Aussi, je ne les questionnai pas.



Quelques années auparavant, j’avais appris, consterné, la maladie de Cassilda, sa femme, je les avais revus tous les deux au cours d’une de mes pérégrinations vagabondes dans le beau pays, ayant demandé l’autorisation d’occuper leur borde dans la montagne pour quelques jours à mes amis les Martea, je m’étais isolé dans le vert et le bleu, me retrempant avec délices dans un bain de jouvence.


Cilou m’avait prévenu… je montai à Mendi Xola – le basque porte le nom de sa maison plutôt que son patronyme – et y trouvai Cassilda, Thomas n’était pas encore rentré.

Je ne l’avais pas revue depuis quelques années, dommages collatéraux d’un divorce catastrophique mais inévitable, et ce que je craignais malheureusement s’avérait : de la femme bien plantée, dynamique et aux formes généreuses ne restait qu’une pâle silhouette diaphane et amaigrie, et même si le ton restait ferme, il n’y avait plus cette impatience frémissante qui caractérisait sa manière de prendre les choses à bras le corps, batailleuse née. Batailleuse, elle le restait, pas une seule fois je n’entendis une plainte, elle trouva même le courage de plaisanter.

Thomas arriva peu de temps après.



Je n’ai pas d’action dans cette boîte, mais depuis des temps immémoriaux, ou presque, c’était notre apéritif de l’été, un quasi rituel… il est vrai qu’au prix où il était, en passant par les petits sentiers de montagne, contrebandiers d’occasion, ç’aurait été une quasi-aberration de ne pas en profiter. Son odeur a le don de me ramener aux années d’avant… les années d’insouciance. Je ne le bois que quand je suis là-bas.


Cassilda nous laissa « entre hommes » et partit vaquer à ses occupations, outre le fait qu’elle n’avait jamais su rester inactive, elle était dans la stricte observance de ce qu’elle avait appris depuis sa venue au beau Pays : l’etcheko anderre* ne s’intéresse pas aux histoires des hommes. Ne croyez pas qu’elle en soit exclue, elle ne veut, simplement, pas en entendre parler. Et si vous pensez qu’elle puisse être d’un rang inférieur, détrompez-vous : le chef de la maison, c’est elle.

L’attitude de Thomas ne se trouvait pas changée malgré le chagrin terrible que lui causait la maladie de son épouse, nous conversions presque comme nous le faisions avant.

Cela faisait pourtant trop longtemps que nous ne nous étions revus et tant de choses nous changeaient… Nous étions dans l’effort de nous retrouver… Adieu l’aisance et la facilité des choses évidentes et immédiates !


Le temps, denrée de luxe, nous avait fait défaut, nos choix nous avaient amenés sur d’autres priorités, on coupe, on élague, on jette… pour s’apercevoir qu’il ne fallait pas ! Que… non… ! C’est une erreur.

Erase and rewind* – Mon cul, oui ! Le mal que tu fais un jour est bel et bien fait… pour ta gueule ! Pour des années, peut-être pour toujours…


Toujours… ça me fait rigoler ! Ce mot si souvent employé, alors qu’il n’a aucun sens… « Toujours », « jamais » ne resteront toujours, ou jamais, qu’une vue de l’esprit !

Alors, une fois que le mal est fait… Il ne te reste qu’une chose à faire : tu assumes.

L’amitié, si elle n’est pas cultivée, si on ne développe pas l’effort, le soin, celui du jardinier, au quotidien, pour l’entretenir, si l’on oublie de s’en occuper, fait comme la rose : elle fane et meurt…

C’est à la rose de Saint-Ex que je pense, évidemment… Ce qu’écrit le vieux sage catho… C’est pas faux (pas vrai Karadoc ?). Connerie et profondeur font joujou ensemble, aujourd’hui… – Tiens ! Tu es là, toi… ? Viens, allez ! On danse ? C’est la fête à Neu-neu !

Tant qu’à danser, on peut aussi chanter : « Nous n’irons plus au bois… »


Nous n’irons plus au bois cueillir ensemble les champignons comme nous l’avons si souvent fait…

Ces cueillettes ! Vous souvenez-vous, ami… ? Oui, « Vous ». Malgré plus de quarante années d’amitié et de connivence, nous ne nous sommes jamais tutoyés… C’est comme ça : au beau pays on voussoie qui l’on respecte.

Les époux utilisent le « Vous » pour s’adresser l’un à l’autre, toute leur vie, même quand ils s’engueulent… C’est pas beau, ça ?


Nous y sommes souvent allés « aux champignons » mais il me revient particulièrement cette soirée où après trois jours de fortes pluies, le soleil ayant recommencé à briller et à bien chauffer les sous-bois, en rentrant du boulot, Thomas me proposa d’aller faire un tour « au ravin, sous Erreitto », un endroit pas facile d’accès, mais d’une beauté sublime où coule un torrent au milieu d’un chaos de rochers moussus et de chênes ancestraux, qu’il m’avait fait connaître quelques années plus tôt… Lui connaissait ce coin depuis son enfance, étant né dans la maison qui se trouvait à une demi-heure de marche en contrebas… il connaissait la montagne mieux que personne.

Nous passons par le haut, car il y pousse des chênes au milieu des fougères, et ça, ce sont des coins qu’il faut absolument visiter… Mais rien ! Pas la queue d’un seul !



À grands pas d’échassier, il parcourt la montée, chaussé de ses espadrilles… toujours, quand il n’est pas au travail, mains dans le dos… aisance ! Né sur la pente.

Nous longeons le ravin sur presque toute sa longueur, ne laissant la source qu’à quelques centaines de mètres en amont, toujours rien… puis commençons à redescendre les pierriers abrupts dans la forêt de chênes, et là, dans les affleurements de cette terre rouge qui caractérise la vallée, Thomas me désigne la forme parfaite d’un cèpe tout frais sorti…

Une merveille comme la nature sait en offrir. C’est l’époque où mon appareil photo ne me quitte jamais, j’en prends plusieurs clichés, il est parfait, le pied renflé à la base, sur lequel court le réseau d’un réticule finement dessiné, le chapeau ferme à la couleur bronzée et pruineuse, le léger renflement des pores que l’on devine par en dessous. Il est magnifique… je mitraille.



À quelques mètres en contrebas, une dizaine d’autres, tout aussi beaux !

Les couteaux sortent, et religieusement, nous commençons à cueillir les beaux carpophores, les nettoyant soigneusement un par un avant de les déposer avec des précautions de joaillier au fond du panier qui a été tapissé de feuilles de fougère.

Nous n’avons descendu qu’une centaine de mètres du ravin… en dix minutes, le panier est plein… il y en a à foison, et nous ne choisissons que les plus beaux… Alors que je pose le dernier ramassé dans le panier, Thomas me désigne un endroit un peu plus haut… encore !

Le panier est rempli, je retire mon blouson et, nous en servant comme d’une poche, le remplissons en quelques minutes… C’est qu’il y en a encore… ça n’est pas terminé… nous en rions !


Nous décidons de laisser les champignons sur place et revenir les chercher tout à l’heure. Au bout d’un moment, nous arrêtons la cueillette… cela suffit ! Il faut, là aussi, savoir être raisonnable… Le plaisir des yeux est satisfait, chacun a de quoi se régaler, faire des conserves, de quoi offrir aux voisins… Thomas téléphonera à son bon copain Batitta de la ferme voisine dont les enfants vendent souvent leur récolte au bord de la route, histoire d’améliorer un ordinaire pas toujours facile à assurer. Au moins, que cette manne leur profite…

Nous revenons avant la nuit avec une grande corbeille à herbe en bois de châtaigner et emportons notre butin, le portant tous les deux, avec des rires de brigands… je reviens le lendemain afin d’emporter ceux que nous avons dû laisser sur place.


Et puis, ce sont ces virées à Xumux, venta perdue dans la montagne, à cinquante mètres de la frontière française… suffisamment en Espagne, toutefois, pour que le litre de Ricard n’y coûte que cinq francs. Nous montons avec son vieil Unimog repeint en bleu ciel, jusqu’au pont d’enfer sur le Baztan et après c’est la balade par les sentiers de montagne, pour rejoindre l’ancienne maison, tenue par une vieille dame qui y vit, loin de tout, avec sa fille et son frère.


La plupart du temps nous y « prenons le souper » selon l’expression chère à Thomas, menu simple et rustique mais comme c’est agréable, au calme de la grande maison, alors que le soir descend de plaisanter et blaguer de tout et de rien… !

Le repas est souvent bien arrosé, et se termine sur quantité de petits verres de Patxaran*, péché mignon de mon vieux copain, et à la nuit tombée après avoir réglé et salué la maisonnée de l ’« Adio ! » de circonstance, nous repartons par les petits chemins, les sacs bien chargés, et nous aussi, contrebandiers d’occasion que nous sommes.


Nous ne sommes pas moskora*, mais… il n’en faut pas plus pour réveiller le côté sauvage de mon vieux copain et comme j’adore déconner, moi aussi, nous nous complétons parfaitement pour commettre quelques conneries sur le chemin du retour, dont une manque, un soir, de vraiment très mal tourner, mais… bon ! Ce sont péchés de jeunesse… et puis, il y a prescription.


C’est lui qui m’apprendra à pêcher les truites à la main… À la main ! La première fois qu’il m’en parle, je lui demande, s’il n’est pas en train de se foutre de moi.



Sur quoi j’ajoute que comme son saint patron, je ne crois que ce que je vois !



Le lendemain soir, dans le petit bois de chênes, près de la « source des pottoks », à cinq cents mètres du « quartier », dans un petit rigaillou qui court entre les pierres, après avoir enlevé ses espadrilles, il s’agenouille sur un gros caillou, plonge les mains dessous, puis passe à un autre, la tête levée, l’air concentré, et là, au bout de trente secondes, il jette dans l’herbe une belle truite.



Il me regarde, pas peu fier. Je suis cloué. Et faisant mine d’applaudir…



Et il se marre…

Il m’explique comment faire… Au début, je m’y prends mal.



J’applique… et ça marche : en cinq minutes, je prends deux truites. Thomas en attrape encore une et m’offre les beaux poissons pour le dîner.



Il m’apprendra aussi à poser des cordeaux dans la Nive, pour pêcher l’anguille, qui deviendra une entrée incontournable de notre repas de quartier.

Car il y a quarante ans existait, chez nous, et cela depuis toujours, un repas de quartier, hameau de cinq maisons, comme il y en avait partout au Pays basque. Aujourd’hui, nous réinventons laborieusement l’eau tiède en institutionnalisant ce qui, normalement, coule de source.


Ce qui est intéressant est de se poser la question du pourquoi.


Thomas me raconte le pays, comment était la vie, avant. Les heures de marche tous les jours pour aller à l’école, la vie à la ferme, les foins, la contrebande, activité nécessaire pour parvenir à survivre, qui n’était ni un métier de voyou ni de fainéant.



Lui rit, par contre, en me racontant cela. Thomas adore blaguer, plaisanter, pour ça, aussi, nous nous entendons bien. Et des plaisanteries, des blagues, des bêtises, on en dira plein.



Voilà ce à quoi je pense quand je retourne me balader dans nos coins… les coups que nous avons bus, les chansons que nous avons chantées les « connerrries » que nous avons dites… et faites… ! Rien ni personne ne pourra nous les enlever.


La messe est dite… ?

Pourtant, l’autre jour, je suis à peu près sûr d’avoir vu un vieil Unimog repeint en bleu ciel, garé près du petit pont sous le ravin.



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*Erase and rewind : efface et rembobine.

*Etxeko anderre : maîtresse de maison.

*Patxaran : liqueur à base de prunelles et d’anis.

*Moskora : bourré, saoul/cuite.

*Aloua ! : interjection à tout dire (étonnement, colère, plaisir…) typiquement basque.

*C’est pas libre : c’est interdit.