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n° 20710Fiche technique24486 caractères24486
Temps de lecture estimé : 14 mn
16/01/22
Résumé:  Pour une fois, faisons simple : une journée particulière, et un pur prétexte pour écrire, sur le fil de l’ombre et de la lumière, sans trop se préoccuper de calibrer ceci pour RBB.
Critères:  fh amour journal -couple
Auteur : Amarcord      Envoi mini-message
Hellas






Ils avaient passé la journée à paresser, circulant dans le petit 4x4 de location, sirotant un café sur le port, déambulant dans les ruelles aux maisons immaculées, n’y croisant que de petites vieilles en noir et des chats vagabonds. Ils avaient fait des provisions pour le soir à l’épicerie du village, pâtes, fruits mûrs et légumes parfumés. Et puis, après un détour par leur pied-à-terre isolé, ils s’étaient mis en quête d’une nouvelle crique, encore un peu plus secrète, encore un peu plus déserte.


Ils rangèrent la voiture sur un terre-plein poussiéreux en léger contrebas de la route. De là, un sentier serpentait au flanc de ce rivage escarpé, au milieu de la caillasse et des touffes de chardons, de pimprenelle épineuse et de criste-marine. Ce qu’ils avaient pris pour une courte balade se révéla un long parcours, raide et malaisé, mais délicieusement odorant. Parfois, la trace se perdait entre les éboulis : loin de cheminer sur un sentier répertorié, ils suivaient la piste d’autres audacieux qui avaient un jour tenté ce raccourci hasardeux. Elle n’allait pas nu-pieds, mais presque : la mince couche de plastique de ses claquettes rendait le trajet d’autant plus périlleux. Aussi veilla-t-il sur elle durant toute la descente, assurant ses pas, s’émouvant de la sentir si confiante, si reconnaissante et tendre aussi, puisqu’elle le payait d’un long baiser à chaque halte. C’est presque en la portant qu’il franchit les derniers obstacles, jusqu’à déboucher sur une anse bien cachée sous les falaises abruptes. La plage apparut, les payant de leurs efforts. Une langue de sable et non de galets, bordée de pins maritimes et léchée par des eaux d’émeraude, à peine plus claires que la couleur des yeux de la fille.


De façon aussi inattendue que bienvenue, une buvette assemblée de bric et de broc était installée en retrait de la plage. Ils étaient assoiffés, le soleil tapait dur, les chaises de bois bariolées de couleurs vives les invitaient à la pause sur leurs assises paillées, alors ils s’attablèrent sous la tonnelle de ce bistrot presque clandestin, à bonne distance de la grille où des brochettes suaient sur les braises. On y mangeait mal et gras, à moins de se contenter de l’inratable : ils misèrent judicieusement sur l’inévitable salade grecque. Le patron, un sexagénaire à la nonchalance souriante, répondit à leur curiosité : l’approvisionnement lui arrivait en barque, par la mer, et la plupart des clients aussi, qui déferlaient en rares et modestes vagues d’excursionnistes. Quant à l’accès terrestre, leur apprit-il, il était bien plus commode et rapide via un chemin mieux aménagé remontant vers la route sur l’autre versant, assez loin hélas de leur point de départ.


Ils attendirent que le soleil perde un peu de son arrogance pour quitter l’abri des frondaisons et rejoindre la fine bande de sable sertie entre deux amas de rochers. Il n’y avait pas plus de dix baigneurs paressant sur la plage, et plutôt discrets. Aussi n’hésita-t-elle pas, après avoir étalé la serviette sur le sable, à rouler sur son aine l’élégant maillot échancré qui la mettait en valeur. Avec ses jambes longues, ses épaules rondes et fines, ses seins fermes, son dos concave, son petit cul convexe, elle ajoutait la divine touche finale à ce petit coin d’Eden, comme si elle avait tenu à humilier de tout son corps Aphrodite en personne. Il en fut comme toujours renversé, saisi par un étrange mélange de désir et de mélancolie. Pourquoi le spectacle de la beauté est-il toujours un peu douloureux, y compris quand elle vous est promise ?


Ils s’enduisirent mutuellement le dos de crème solaire, avant de goûter le plaisir de ne rien faire, en pure harmonie avec le lieu. Elle se plongea bientôt dans la lecture, une casquette Mao enfoncée sur les cheveux, les coudes appuyés à l’équerre sur le drap de bain, inconsciente du ravissement que provoquerait cette pose studieuse faisant saillir ses omoplates sur son dos cuivré, soulignant le galbe de ses seins aux pointes sombres. Elle surprit son regard et n’en fut pas gênée, posa le livre, se glissa contre lui, posant au passage de minuscules baisers sur son torse, son cou, jusqu’à rejoindre ses lèvres.


En se couchant sur lui, elle fut émue de le sentir gonflé de désir, lui murmura des douceurs et des serments, lui dit combien elle l’aimait, à quel point l’endroit était magnifique, et combien elle eut adoré qu’il fût parfaitement désert, pour qu’ils y fassent parfaitement l’amour, accordés au rythme langoureux des vagues timides.


Elle dut avoir pitié de lui ; elle abrégea en tout cas le doux supplice du frottement de son épiderme sur celui de l’homme qui la désirait corps et âme, se redressa, réajusta les bretelles du maillot sur ses épaules, tendit la main à son compagnon, et l’entraîna vers le rivage. Ils s’enfoncèrent dans les eaux cristallines. La pente était abrupte, et ils ne tardèrent pas à perdre pied. Elle nagea vers lui, l’entoura de ses bras et de ses jambes, lui murmurant à l’oreille, en alternant les mots doux et ceux plus crus du désir, les caresses superficielles et celles, très assurées, d’une main glissant sous son short pour y flatter sa verge et ses bourses. Il n’y avait là rien de grivois, tout chez elle était gracieux, et le sexe leur était si naturel et spontané qu’il formait un éblouissement partagé en toute innocence.


Elle se ravisa en entendant approcher le toussotement d’un moteur fatigué. Une barque accostait, elle les longea bientôt, chargée d’une cargaison de touristes qui mitraillaient la crique aux eaux aigue-marine, pointant du doigt un poisson, un oursin, une anémone. Le soleil entamait déjà sa patiente descente sur l’horizon, où se profilait le couvercle d’une masse sombre, une apparition inédite dans un ciel qu’ils n’avaient jusqu’ici connu que dans sa pureté d’azur. Après concertation, ils décidèrent de se séparer : il entreprendrait seul le trajet malaisé vers la voiture, la laissant lire encore quelques chapitres sous le feuillage de la kantina, posant de temps en temps ses lèvres sur le verre d’un café glacé couvert de buée. On se retrouverait sur la route, au sortir du sentier plus commode renseigné par le tenancier : il débouchait non loin d’un panneau routier annonçant la bifurcation vers une chapelle classée, avait-il précisé.


Après lui avoir laissé un long temps d’avance, elle rassembla ses quelques affaires dans le cabas d’osier, puis entreprit la courte mais raide ascension vers le point de rendez-vous, encore enveloppée de la sérénité de cet endroit magique. Au détour d’un virage, celle-ci fut perturbée par deux voix masculines.



Deux types, trentenaires, manifestement pas d’ici, tant leur style détonnait avec celui des locaux. Moustaches fournies, lunettes de pilotes aux reflets bleutés, pantalons à pinces, chemisettes à manches courtes largement ouvertes sur leurs torses velus, paquet de Rothmans coincé dans la poche de poitrine. À cette époque pourtant pas si lointaine, ce modèle de macho d’opérette était encore produit à la chaîne, aussi industrielle que celle, épaisse et dorée, qui soutenait le médaillon surplombant leur moquette pileuse. Ce n’est que peu après que l’évolution darwinienne leur substitua des spécimens de blaireaux guère plus élégants, mais sans doute mieux adaptés au biotope contemporain : maillot de basket sur des biscottos tatoués, barbichettes improbables, casquettes posées à l’envers sur des boules à zéro, bermudas affaissés, sneakers criardes. Tout un attirail emprunté à la culture gangsta rap, mais pour un résultat visuel qui tiendrait plutôt de l’imposture.



Elle adopta la tactique que lui soufflait son instinct, fuyant tout contact oculaire, évitant de répondre, pour ne pas les encourager à insister, mais sans afficher d’hostilité, afin d’éviter que son impassibilité passe pour du mépris et suscite l’agressivité.



Elle se contentait de sourire, pendant qu’ils la suivaient à la trace sur le sentier escarpé, mais elle accélérait pourtant le pas, malgré l’inconfort des tongs sur la trace caillouteuse. C’est eux qui peinaient à présent à la suivre, leurs lamentables apostrophes dragueuses butant contre leur souffle court, leurs mocassins trébuchant sur les marches les plus mal dégrossies.



Elle s’appliquait à rester sereine, à respirer régulièrement, alors que son cœur battait la chamade. Elle déboucha enfin du sentier, posa le pied sur le macadam qui l’irradia d’une suffocante bouffée de chaleur. Elle scruta le ruban de la route et fut soulagée d’apercevoir la petite Suzuki immobilisée à quelques dizaines de mètres en contrebas. Souriante, elle leva aussitôt le bras et le pouce.



Au volant du petit 4x4 décapotable, son compagnon s’était immobilisé quelques minutes plus tôt à l’aplomb du panneau bleu souligné d’une flèche et de lettres blanches.


Αγία Άννα - Ἑλλάς


La voyant déboucher du maquis, serrée de près par les deux fâcheux, il se hâta d’embrayer pour la rejoindre.



Elle vit le regard de son compagnon changer, comme si un nuage de gravité venait de plomber la légèreté de leur badinage. Elle haussa les épaules, comme pour chasser cette ombre importune.



Le regard de l’homme s’adoucit, se posant sur elle comme un baiser. Elle se blottit contre lui, l’embrassa. Elle tremblait un peu.



Il reconnut cet air de défi si gourmand qu’elle affichait quand elle se plaisait à le provoquer. Elle entreprit un acrobatique exploit, se contorsionnant pour se débarrasser du maillot sans quitter sa courte robe de plage.



Il se recula avec joie sur le siège passager, ravi à l’avance de la regarder piloter avec adresse, plutôt que d’avoir à se concentrer sur la route. Elle s’installa au volant, hésita un instant à boucler sa ceinture.



Elle souleva ses fesses de l’assise, retroussa le fourreau de coton, le jeta négligemment sur la banquette arrière, mit aussitôt le contact et passa la première, s’abstenant de juger de l’effet de son impulsion érotique sur le désormais passager.


Les virages s’enchaînaient en rythme, il savourait le plaisir de la regarder passer les vitesses à la volée, uniquement couverte de ses Ray-Ban, habillée du désir à la fois doux et éperdu de l’homme qui l’aimait. Cette fille était un permanent miracle, entre force et fragilité, pudeur et audace, gravité et fantaisie. Une âme sauvage et complexe dans un corps inouï, et il lui était impossible de distinguer la part qui en elle le bouleversait le plus. Elle conduisait nue, elle conduisait vite et bien, rétrogradant sur les lacets qui menaient à la maisonnette qu’ils avaient louée sur les hauteurs de l’île, à l’écart d’un hameau. Le confort y était spartiate et la vue égéenne, assortie à son amoureuse : sauvage et nue, cuivrée par le soleil couchant, belle à couper le souffle.



La voiture s’était immobilisée, elle avait tiré le frein à main, coupé le contact. L’air était épais, un grain se rapprochait, irisant la mer. Elle renfila sa robe, il referma la capote du petit tout terrain. La lourde clef déverrouilla la porte de bois, et ils pénétrèrent dans le logis, meublé très simplement, mais doté sur la terrasse du plus luxueux des privilèges : une vue panoramique courant des sommets de l’île, plissés comme un épais drap chiné d’ocres et de verts profonds, jusqu’au grand bleu à perte de vue.


Il ouvrit le réfrigérateur, en retira deux bouteilles fraîches qu’il décapsula aussitôt, et préleva tous les ingrédients nécessaires à la préparation du repas. Quelques bourrasques firent danser les rideaux, et il se dit qu’il serait plus prudent de fermer la porte-fenêtre.



Elle s’approcha à pas feutrés, se blottit contre lui.



Un éclair déchira le ciel. Le menton posé sur l’épaule de son amoureux, elle s’amusait à l’observer compter mentalement les secondes s’écoulant depuis qu’avait frappé la foudre. D’un geste brusque, elle lui abattit soudain le short de bain sur les chevilles, un attentat à la pudeur miraculeusement synchronisé avec le rugissement du tonnerre. Elle rit aux éclats de la double surprise qui venait de le saisir, et la cascade de ce rire forma le plus joyeux, le plus malicieux des contrepoints au fracas de l’orage.


Le ciel déversait à présent une pluie abondante sur la terrasse. Tout à l’heure, après son passage, ils ouvriraient en grand les fenêtres, pour que la maison s’emplisse de la fraîcheur parfumée d’arômes végétaux et terreux. Ils s’enivreraient de leurs effluves, allongés l’un contre l’autre sur le drap blanc, après l’amour, évitant soigneusement de prononcer le moindre mot. Trop banal, il romprait le charme, les précipitant prématurément dans la trivialité du quotidien. Trop chargé de connotations amoureuses, il ne serait qu’un intrus bien maladroit face à ce qu’ils viendraient d’accomplir. Ils étaient à vrai dire assez économes en mots tendres, pour que la rareté des « mon amour » les rende précieux, chargés de sens, presque graves. Tout au plus supportait-elle qu’il prononce parfois un de ces « ma douce », et il lui arrivait elle-même de glisser un affectueux « lover man », depuis qu’il lui avait fait découvrir la version de Charlie Parker, depuis aussi qu’ils avaient dansé un soir, un peu ivres, sur celle de Billie Holiday. Pas de paroles après l’amour, non, et peu de gestes, seule suffirait la douceur d’un doigt suivant le tracé d’une lèvre ou dégageant une mèche rebelle sur un front. Il n’y aurait que des regards, des sourires, le souffle de l’air humide et le temps suspendu.


Mais avant tout cela, à l’instant de l’orage où nous les avons laissés, elle restait collée à son dos, les lèvres toutes proches de son oreille, où elle lui musait une sorte de berceuse, en effleurant son corps d’homme de caresses toujours plus ciblées et plus précises.



Il la laissa faire quand elle le débarrassa de son polo. Il réalisa aussitôt, au troublant contact de ses seins sur son dos, qu’elle aussi était nue.



Alors elle le prit par la main, ils franchirent le seuil en courbant la tête, et furent aussitôt accueillis par la nuée. L’eau s’abattait en gouttes lourdes. Leur trace glacée, les mots brûlants que la fille ne cessait de lui murmurer, l’impatience de ce corps nu réclamant l’étreinte du sien, le fracas du tonnerre, toutes ces sensations puissantes l’enveloppèrent, le firent frissonner, bander, lâcher la bride de tant de désir contenu. Ils s’aimèrent alors en affamés, avec l’énergie désespérée des pêcheurs perdus en mer, noyés dans son triangle des Bermudes, engloutis par la violence de leurs appétits carnassiers. Jamais ils n’avaient eu une telle conscience d’avoir une peau, une bouche, un sexe qu’en les jetant à l’assaut de la peau, de la bouche, du sexe de l’autre. Il faut renoncer à l’écrire. Inutile de tenter de restituer autrement qu’en ombres chinoises ce qu’il y eut à vivre-là.


La pluie cessa, c’est la nuit qui vint sur eux, et lui qui vint en elle, grelottante, gémissante.


Elle, l’adorable lézard aux membres graciles plaqués contre le mur…


Ils restèrent un long moment collés l’un à l’autre avant de rejoindre la chambre, ralentissant le rythme de leur balancement intime, jusqu’à ce qu’il soit à la fois voluptueux et chaste, qu’il apaise leurs corps comme on berce un enfant épuisé.


Que c’est puissant le sexe quand c’est une telle rencontre : un serment, une révolte, une guérison. Dans cette île antique, on se croit alors l’égal des héros et des dieux : n’a-t-on pas volé le feu comme Prométhée, défié le ciel et le soleil comme Icare ? En allant si haut, quelle colère va-t-on provoquer ?


Vient alors l’inquiétude.

Pour une fois, on ne doute pas de soi.

On ne doute pas de l’autre.

Et pourtant on redoute.


On redoute déjà que tout se retire à l’instant même où on se retire d’elle. Que tout se retire comme la mer se retire, sans même prévenir, que les corps dérivent lentement, portés par le courant, naufragés d’une merveilleuse catastrophe. Que leur charge de pur désir s’estompe en silhouette, comme un adieu sur le rivage, jusqu’à ne former un jour lointain que souvenirs sur le radeau des jours de solitude : clous dans l’âme rouillée, échardes vives plantées dans la mémoire vacillante. Peut-être aurait-il fallu que tout s’arrête ici, se surprend-on à penser, que tout s’efface à tout jamais à l’instant parfait, celui où le corps de l’autre donne enfin un sens au vôtre.


Et on a raison de redouter, parce que parfois le destin s’acharne, il vous attend, il vous guette au détour du chemin qu’on croyait sans danger.



C’est un vrai plouc, le destin, on le prétend aveugle alors qu’il est tout simplement sourd, cet imbécile, il ne comprend rien à rien, il vous tutoie sans que vous ne lui ayez autorisé cette familiarité, il surgit sans qu’on l’invite.








Est-ce aussitôt après, ou est-ce bien des années plus tard qu’il l’inviterait à se coucher avec mille délicatesses sur la page d’un cahier ? Qu’après avoir touché le grain de sa peau, il tracerait son empreinte encore fraîche sur celui du papier ? Il graverait alors comme dans le marbre d’un temple ces petits fragments miraculeux, les seuls ayant pour lui valeur de mystère ou de sacré : leurs corps humides emmêlés sur le grand lit, encore traversés de frissons. Le moment où elle colle une oreille sur son torse pour vibrer au rythme accéléré des pulsations. Le contact vaporeux des draps immaculés dans lesquels ils finissent par s’enrouler. Et puis la lumière qui s’éteint soudainement dans la maison : la foudre avait dû griller un relais. Les flammes des bougies qu’on allume et qui dansent sur le corps de la fille, qui dansent dans les yeux de la fille, qui hantent à tout jamais sa propre mémoire, comme pour réveiller la brûlure de ce jour vécu avec davantage d’intensité que tout autre au cours d’une vie d’homme.


Ce soir, les flammes danseraient à nouveau, et la plume du lover man aussi, en toute liberté, en se foutant pas mal de plaire ou déplaire, en toute ignorance de ce qu’il convient d’écrire ou pas pour satisfaire l’esthétique. Il écrirait sans besoin d’être lu, sans celui d’être compris, sans chercher l’approbation. Ces souvenirs-là surgiraient en images, en parfums, en murmures rebondissant sans fin en échos sur les parois de son cerveau. À quoi bon les partager ? Dans le meilleur des cas, ceux qui s’obstineraient à lire jusqu’au bout ces séquences un peu décousues n’auraient qu’à se démerder avec ça, et à convoquer leur propre vécu pour combler les silences volontaires. Qui sait, peut-être ceux qui aiment ou ont aimé un jour pourraient-ils le suivre. Mais la plupart n’y verraient qu’un fatras obscur ou prétentieux : l’histoire serait mince, lente, fuyante et floue.

Quant à ceux que le récit amoureux aurait alléchés, ils jugeraient rapidement frustrante son obstination à fuir la panoplie du lexique porno prêt à réchauffer au micro-ondes, avec tout ce qu’il faut dans la recette de bites, de chattes, d’orifices lubrifiés et de surenchère dans le gras pour satisfaire l’appétit du consommateur gavé au sexe triste, celui où l’on abuse du piment pour mieux cacher la désespérante fadeur de la chair baisée en batterie. Il s’en moquerait bien, à vrai dire, n’ayant rien promis, rien revendiqué, ne devant rien à personne, et ceci ne formerait en effet pas un texte, juste quelques empreintes vivaces, férocement incarnées, des provisions de beauté sauvage pour survivre à tous les désastres. Ce serait un pur travail d’égoïste : témoigner de ce que fut ce jour-là, faire danser encore la flamme, faire encore glisser sa plume :



Rappelle-toi, mon amour

C’est alors et c’est toujours

Au loin, le tonnerre gronde

Comme notre désir

À peine rassasié

La fraîcheur de la pluie s’éloigne

Les gouttes perlent sur ton corps

Et moi qui pose encore un baiser entre leurs larmes

Entre tes seins

Entre mes lignes éphémères

Puisque tout s’évapore

Hellas

Tout

Ou presque