Première séance
- — Bonjour. Je vous en prie, installez-vous.
Porte refermée, il la découvrit, déjà confortablement allongée. Un peu surpris par cette rapide mise en situation, il s’assit dans le fauteuil placé derrière elle.
- — Bien. D’ordinaire, je discute un peu avant mais puisque vous me semblez… en condition, je vous écoute, Madame.
- — J’suis une salope. Une vraie salope. Mais attention ! Pas avec n’importe qui ! J’suis sélective. Très très sélective. Il ne suffit pas d’être beau gosse pour me pécho. Non ! J’ai besoin d’être charmée avant d’être bien baisée. C’est comme qui dirait mon préliminaire à moi.
- — Ha ! Bien. Et vous avez toujours été une… salope, comme vous dites ?
- — Oui, j’ai toujours été comme ça. Jeune, j’étais banale. Je n’intéressais personne. Pas moche, mais transparente. J’me mettais pas en valeur quoi ! Habillée comme un sac, j’paraissais comme une ado qui s’cherche encore. Pourtant j’avais tout c’qu’il faut où il faut. Deux petits seins déjà réceptifs et jamais enfermés dans c’que toutes les copines du même âge portaient fièrement comme signe de maturité j’pense, et des longs poils frisés jamais cachés dans un string que les copines revendiquaient comme marque d’être femme et plus fillette.
- — Un peu paradoxal ce que vous dites, Madame.
- — OK ! j’étais déjà une salope en devenir ! Mais j’y peux rien moi, merde ! J’suis née comme ça !
- — Née… comme… ça, répéta-t-il lentement en l’écrivant.
- — Ouais. Ma première branlette j’devais avoir… douze ans, j’crois… Non, c’était avant. Un peu avant. J’m’en souviens, le jour de mon anniversaire, ils m’ont appelée pour souffler les bougies. J’étais aux chiottes à m’branler. Et c’était pas la première fois que j’le faisais. J’m’emmerdais à table. Et quand j’m’emmerde bah… j’me branle.
- — Ennui… masturbation, marmonna-t-il en couchant ses mots. Continuez, je vous en prie.
- — Mon premier orgasme ? J’crois que j’l’ai eu en classe. La prof, elle expliquait un truc chiant. Je ne sais plus bien quoi, mais c’était barbant. Je sais pas pourquoi mais j’ai mis la main dans ma culotte.
- — Douze ans… culotte.
- — Bah ouais ! J’étais encore une gosse et à c’t’âge, on suit encore l’avis des parents non ?
- — Sans doute oui. Donc, depuis quand vous n’en portez plus ?
- — Vers treize ans, je crois… Oui, c’est ça ! Fin d’cinquième. Un matin, j’ai regardé mon tiroir et impossible de choisir. Elles étaient toutes moches. Alors j’en ai pas mis.
- — D’accord. Et que cela vous a-t-il… comment dire…
- — C’que ça m’a fait ? Un sentiment de liberté. D’émancipation.
- — Émancipation… bien… Et ensuite ?
- — Mon dépucelage ? Le vrai, j’avais un peu plus de dix-huit ans. Pas que les occasions avaient manquées, mais avant j’avais pas eu envie de plus. Je savais à quoi m’attendre pourtant ! J’en avais déjà branlé des queues. Et sucé pas mal aussi.
- — Et personne ne vous avait… comment dire… rendu la pareille ?
- — Non, aucun ne m’avait encore rendu la pareille, comme vous dites si bien. C’étaient des gosses. Enfin, façon d’parler. On avait le même âge mais ils m’intéressaient pas. J’étais en mode découverte, pas en quête, quoi ! Encore trop tôt, j’pense.
- — Je vois. Donc vous attendiez le bon.
- — Le bon ! Non ! Un vieux. Enfin, pour moi. Vingt-huit ans quand on en a dix-huit c’est vieux, non ?
- — Je… sans doute, oui. Et… pourquoi lui ?
- — J’sais pas. Il m’a plu.
- — Bien. Et… il savait que…
- — Non, il savait pas. J’faisais plus vieille. Un peu boulotte mais bien mise en valeur. Maquillée, ongles vernis, robes courtes et décolletées. Et pas la langue dans sa poche surtout. C’est moi qui l’ai abordé, dans l’bus. Ça faisait plusieurs jours qu’il me guettait discrètement. Il a déclenché une envie en moi, sans l’savoir. Sitôt rentrée à la maison, j’filais dans ma chambre et j’me branlais en pensant à lui. C’est le premier que je voyais en l’faisant. Avant lui, j’avais pas besoin d’un visage. Juste d’une ambiance. Enfin, vous voyez c’que j’veux dire, quoi !
- — Oui. Enfin, peu importe. Continuez.
- — Ça c’est fait chez lui, un samedi soir. J’avais dit à mes parents que j’dormais chez une copine, prétextant qu’avant on allait faire les magasins. Parce qu’ils sont coincés du cul mes vioques, si vous voyez c’que j’veux dire. Ils m’ont même donné du fric, les cons ! Alors les magasins j’les ai faits seule. J’m’en souviens comme si c’était hier. J’ai acheté une robe noire super courte et moulante, et des bas. On s’est retrouvé pour un cinoche. À la tête qu’il a faite en m’voyant arriver, je savais qu’c’était gagné. Le film à peine commencé j’ai posé ma main sur la sienne. Il a été un peu surpris mais il a rien dit. Après il l’a plus lâchée. Il m’a invité à boire un coup chez lui pis… bah… on l’a fait, quoi !
- — Bien… donc, vous avez toujours eu une préférence pour les plus âgés.
- — Non ! J’en avais déjà branlé et sucé de mon âge !
- — Oui, exact. Pardon. Votre cas est un peu…
- — Pas commun ?
- — Inhabituel, j’avoue. Mais intéressant. Continuez, je vous en prie.
- — Ça a duré… six mois, j’dirais. On s’voyait tous les samedis. J’aimais bien. Il était gentil… tendre. Attentionné quoi ! Et doué l’salaud ! J’dirais pas qu’il m’a tout appris mais presque ! Mais toujours en douceur. Pis j’en ai eu marre. Ça s’répétait. Repas baise dodo, et bisou à la semaine prochaine. J’commencais à m’emmerder, quoi !
- — Donc vous avez mis fin à cette relation ?
- — Relation ! Tout de suite les grands mots ! Non, on se voyait de temps en temps après. Pour une bonne partie de jambes en l’air. Mais ouais, j’ai été voir ailleurs si l’herbe est plus verte.
- — D’accord… Continuez, je vous en prie. Dites-m’en plus.
- — Plus ? Style pratique et tout et tout ?
- — Non. Plutôt âge, physique, envies.
- — Que des plus vieux. Pas des vieillards mais plus vieux qu’moi. Physique, j’m’en tape. Pas important. Blonds, bruns, roux, pas important. Grands, petits, beaux, moches, pareil, pas important. Tout c’qui compte c’est qu’ils ont l’air paumés. Qu’ils me donnent envie comme vous dites !
- — Bien. Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?
- — Pareil. J’cours toujours plusieurs lièvres à la fois. En c’moment j’en ai trois. L’plus vieux, pas en âge mais en temps, ça fait deux ans. C’est un plan cul. Il le sait et ça lui suffit. On s’voit quand on a envie, on baise puis bye, à la prochaine. Le deuxième, ça fait trois mois. Il est accro l’pauvre. J’crois qu’il m’aime le con ! Il est mignon tout plein mais… Le troisième, il le sait pas encore mais je sais que bientôt…
Un long silence s’installa. Seul un léger grattement de stylo résonnait dans la pièce.
- — Et… que vous fait dire qu’il va… succomber ?
- — Rien d’plus qu’les autres. Les hommes, ils sont tous pareils. Suffit d’être… comment dire… accessiblement un bon coup, et hop ! ils succombent comme vous dites si bien ! C’est facile de les choper les mecs, ils sont prévisibles.
- — Donc, selon vous, tous les hommes sont attirés par vous ?
- — Non ! Moi ou une autre. Toutes les femmes le peuvent. Suffit juste qu’elles le veulent. C’est faible un homme.
- — D’accord… je vois.
- — Quoi ? Que je suis pas plus salope qu’une autre ou que vous êtes comme tous les types qui bandent pour un cul ?
À nouveau, un silence s’installa, ne perturbant qu’une personne.
- — Bien… où en étions-nous déjà ?
- — J’vous d’mandais si vous bandiez.
- — Madame ! S’il vous plaît !
- — Ouais, ça m’plairait que vous bandiez ! … J’déconnes. Smile. J’sais bien que vous bandez d’façon !
Elle savoura ces quelques secondes d’absence.
- — Madame, je suis thérapeute… et désolé de vous décevoir mais…
- — Quoi ! J’suis pas bandante peut-être ! Pas votre style de femme ? Justement, c’est ça qui fait bander quand sa femme ne fait plus bander ! Vrai ou pas ?
- — Ce n’est pas le sujet de votre présence, je pense, Madame.
- — OK, pas avant que j’m’allonge sur votre divan. Mais si l’envie vous dit, pas de soucis pour moi. Suis open et vous serez le premier. Jamais fait avec un doc.
- — Madame ! Soit vous tempérez vos propos, soit vous sortez !
- — Quoi ? J’suis pas assez cultivée pour vous, c’est ça ?
- — Là n’est pas le propos. Vous êtes ce que vous êtes et moi ce que je suis. Vous êtes une patiente et moi votre thérapeute.
- — Ouais. Déontologie quoi !
- — Voilà, oui. Déontologie.
- — OK. N’empêche que si l’envie de m’offrir un verre vous dit, j’suis pas contre moi.
- — Bien. Je crois que la séance est finie pour aujourd’hui. Voyez avec mon assistante pour définir une date.
Il mima consulter ses notes, mais lorsqu’elle fut dos à lui, il lorgna son cul jusqu’à ce qu’elle disparaisse, ne voulant pas dévoiler qu’effectivement il bandait.
Deuxième séance
Lorsqu’il lut le nom sur le dossier suivant, après avoir raccompagné son précédent patient, étrangement, il se sentit à la fois ravi et inquiet. Rarement il avait éprouvé un tel pressentiment avant une séance. Pourtant, il en avait déjà entendu des confessions sur son divan, et pas des moindres ! Il prit cependant le temps de relire ses notes avant d’aller la chercher.
Elle attendait, souriante, prête à bondir en fixant la porte. Ce qu’elle ne fit pas pour autant : elle ne bougea pas avant qu’il ne prononce son nom.
Lentement, elle se leva, s’approcha, passa devant lui et, encore plus lentement, elle s’installa ; lui, en revanche, contrairement à sa première venue, il la détailla. Et ce qu’il remarqua fut la grâce avec laquelle elle se dirigea, puis s’allongea. Certes, elle n’était pas plus belle qu’une autre, et sans doute ne se serait-il pas retourné sur elle en la croisant dans la rue, pourtant, il émanait de cette femme une attraction particulière. Était-ce sa manière de marcher, de s’allonger, ou d’avoir simplement relu ses notes qui le perturbait ainsi ?
- — Bien. Madame Du…
- — Mathilde. J’aime pas mon nom.
- — Et pourquoi donc ?
- — J’l’aime pas… Pour ce qu’il représente.
- — Vos parents ?
- — Oui. Enfin, non. Enfin, pas que. Ils ont été de bons parents, mais…
- — Pardon. J’ignorais qu’ils…
- — Non ! Ils sont vivants ! Mais on s’voit plus.
- — Désirez-vous en parler ?
- — Bof. Pas grand-chose à dire. Pas intéressant surtout.
- — Comme vous voudrez. Dans ce cas, je vous écoute.
- — Bah… c’est que j’pensais qu’c’était vous qui posiez des questions. J’ai rien préparé moi !
- — Non, enfin, oui. Je pose des questions, mais uniquement lorsque vous… Comment dire…
- — Quand j’amorce la conversation, c’est ça ?
- — En quelque sorte oui. Disons que cette heure est la vôtre. Que je suis une oreille attentive.
- — OK… dans ce cas, je peux dire c’que je veux, c’est ça ?
- — Oui. Si vous ne dépassez pas les limites, évidemment.
- — Comme la semaine dernière ?
- — Comme la semaine dernière, oui.
Elle demeura muette, longtemps, sans qu’il ne perturbe le silence ambiant, pesant pour lui plus que pour elle. Il jouait nerveusement avec son stylo, ainsi le faisait-il plus jeune, lorsqu’il était encore un étudiant en passe de devenir ce psychiatre connu et reconnu.
- — J’peux vous poser une question ? lança-t-elle tel un pavé dans la marre ?
- — C’est-à-dire que…
- — Ouais. J’avais oublié que c’est vous qui posez les questions ici. Pas juste.
- — Vous avez un problème avec la justice ?
- — Voilà ! Bien c’que j’dis ! c’est vous qui posez les questions !
- — Madame…
- — Mathilde s’il vous plaît.
- — Madame, disais-je, n’inversez pas les rôles de chacun s’il vous plaît.
- — Et si justement ça me plaisait d’inverser les rôles comme vous dites ! Vous me diriez quoi vous si vous étiez à ma place ?
- — Je ne suis pas à la vôtre et vous à la mienne, voyons !
- — Dommage. Suis sûre que tout psy que vous êtes, vous avez bien des trucs à raconter.
- — Certes, comme n’importe qui. Cependant, c’est votre heure, non la mienne, madame.
- — OK. Dans ce cas, vous m’appelez et on convient d’un rendez-vous… j’déconne… enfin si vous vous allongez sur mon canap, j’dis pas que… j’déconnes. Smile, quoi !
- — Bien. J’avoue que je ne comprends pas bien votre venue, Madame.
- — Mathilde, merde ! C’est pas compliqué quand même. J’croyais qu’on devait avoir une relation de confiance moi ! Mais si vous m’appelez Madame, c’est mort. J’suis pas une dame moi, j’suis une salope ! Vous l’avez noté ou pas que j’suis une salope ?
- — Je crois que nous en étions restés là la dernière fois en effet. Souhaitez-vous poursuivre sur cette voie ?
- — Putain ! vous êtes bien tous pareils, les hommes !
- — Pardon ?
- — Vous ramenez tout au cul !
Plus aucune parole ne fut prononcée avant qu’il ne referme son dossier et qu’il la raccompagne, l’heure étant écoulée. Des trois derniers patients, il sembla bien distant. Il avait l’esprit encore accaparé par cette Mathilde, cette femme qui, pour la seconde fois de sa carrière, suscitait en lui un intérêt autre que médical.
Troisième séance
Lorsqu’elle s’installa, il se dit de suite que l’ambiance de cette prochaine heure allait encore monter d’un cran. Si des précédentes il avait admiré un cul divinement mis en valeur dans un leggings noir, aussi brillant que moulant, pour celle-ci elle était vêtue d’une robe tout aussi blanche que courte.
Il se fit violence pour ne pas s’attarder sur ces sommets, desquels pointaient deux mamelons bien mis en évidence, et plus encore, fit-il mine de rien lorsqu’elle croisa le pied droit sur le gauche, jambes tendues ; non sans avoir jeté un coup d’œil furtif, mais néanmoins indiscret, jusqu’à la couture qui ne revêtait ses cuisses que peu. Pour peu justement qu’elle ne les ait pas croisées, il aurait constaté de visu qu’elle ne portait pas de culotte, comme avoué lors de la première séance.
Professionnellement, du moins du mieux qu’il put, il s’assit, ouvrit son dossier et prit son stylo en main. Mais ce qu’il devina de face lui apparut de dos. S’il avait apprécié deux cuisses dodues, or non grasses, sa place habituelle lui offrait maintenant une vision tout aussi charnue qu’attirante. Le décolleté n’était pas exagéré, pas provocant, au plus suggestif, pourtant, fût-ce la liberté qu’elle revendiquait de ne jamais porter de sous-vêtements, ou l’irrépressible attirance qu’il avait toujours eue pour les seins, les aimant ronds, fermes et arrogants, ainsi ceux de son épouse, il ne pouvait plus détacher son regard de ce val et des deux monts le creusant.
- — J’sais de quoi j’vais vous parler aujourd’hui.
- — Parfait, je vous écoute, répondit-il d’une voix plus qu’il aurait souhaité moins mielleuse.
- — Vous savez mon plan cul… bah… c’est fini.
- — Ha !
Encore un ton non contenu. Non professionnel.
- — Ouais. Pas un mauvais coup, sinon j’serais pas restée si longtemps avec lui. Bon baiseur mais… j’crois qu’on avait fait l’tour. Toujours un peu pareil : on s’téléphonne et on baise. Pas désagréable mais… répétitif. Limite si on s’parlait à part salut ça va ? Pas mauvais mais… que d’la baise, quoi. Et pas qu’un peu ! Porte à peine fermée que j’étais déjà à poil ! En même temps, j’venais pour ça mais bon… toujours un peu pareil. Alors j’lui ai dit. Et vous savez c’qu’il a répondu ? Si tu veux, j’ai un ou deux potes ! OK ! j’l’ai déjà fait à trois ou quatre, mais quand même ! Salope c’est pas pute, si ? Pas que l’envie me manquait, surtout si ses potes sont aussi bons baiseurs que lui mais… Vous en pensez quoi vous ?
- — Mon avis importe peu. C’est le vôtre qui m’intéresse.
- — Ouais… c’est facile votre job en fait. On écoute et c’est tout. Pourtant j’suis sûre que vous en avez un d’avis. P’tête même depuis le premier jour.
- — En effet, oui. C’est mon travail.
- — C’est pas trop chiant ?
- — Pardon ?
- — Votre job. C’est pas trop chiant de toujours comprendre les gens ? Moi ça me saoulerait de toujours chercher à comprendre tout de l’autre. Votre femme par exemple, quand vous rentrez du taf, vous l’analysez, elle aussi ? … Si vous dites rien c’est que j’ai raison… J’suis une salope mais j’suis pas conne, vous savez. Moi aussi j’analyse les mecs, mais pas comme vous. Pas en écoutant mais en baisant. Vous devriez essayer.
- — Madame, vous approchez d’une limite.
- — Ouais, je sais, j’suis souvent limite. Mais c’est justement ça qui plaît aux hommes non ? Surtout les mariés qui s’emmerdent avec bobonne. C’est ça qu’ils cherchent avec une salope comme moi. Plus d’limites. Tout est permis. Vous êtes marié depuis combien, vous ?
- — Je ne pense pas que ma vie privée vous apporte une quelconque aide.
- — Longtemps, j’dirais. Elle est pas comme vous au moins ? Putain ! ça serait trop cheulou si elle aussi elle est psy ! J’imagine même pas vos soirées baises ! Ça serait trop professionnel pour être bon ! Ou alors vous vous lâcheriez comme des tarés… Ouais, ça ça s’rait cool. Plus d’limites, plus d’tabous. Baise d’enfer quoi !
- — Bien, et si nous revenions à vous, dit-il après l’avoir laissée se perdre dans ses pensées.
- — Moi j’aime surtout la baise avec les mariés. Pour c’que j’viens d’vous dire. Avant-hier soir, j’en ai chopé un. Mignon tout plein en plus. Pas loin d’la cinquantaine, j’dirais. Il avait l’air pas pressé de rentrer. J’les repère d’entrée moi les mecs qui s’font chier à la maison. J’ai l’don pour les mettre à l’aise. Souvent, ils me montrent leurs familles en photos. Femme, gosses, animaux. La totale quoi ! J’crois qu’ça les rassure de m’dire qu’avec moi c’est qu’un coup d’un soir. Les cons ! Ils s’imaginent quoi ? Que je vais remplacer leurs vieilles derrière les fourneaux ? Moi, tout ce que je veux c’est qu’il me raconte leurs tristes vies et qu’ils me baisent. Un truc qu’est sûr, c’est que plus ils sont malheureux chez eux et plus ils se lâchent. Lui, ça faisait presque six mois qu’il avait pas niqué. Il me l’a dit après mais rien qu’à sa tronche je l’savais déjà qu’il allait bien profiter de la salope que j’suis. Déchaîné qu’il était ! Super bon. Et long ! Trois fois en quatre heures. Pas mal, hein ? J’ai connu mieux, mais franchement il a assuré. Vous voulez les détails ?
- — C’est votre heure. C’est vous qui dirigez la conversation.
- — Oui, et vous l’oreille, je sais. Alors, l’oreille elle veut les détails ou pas ?
À nouveau, un long silence s’installa, durant lequel il prit un plaisir certain à la regarder si sensuellement allongée, fixant les deux tétins qui semblaient vouloir percer ce peu de tissu aussi tendu qu’était celui de son boxer, et durant lequel il réfléchit. Non au cas qui était allongé devant lui ni à son couple, mais sur ce qu’il ressentait. Il se sentait mal, très mal à l’aise. Tout thérapeute était-il, il était troublé par sa patiente. Jamais il n’avait pensé à tromper son épouse, et encore moins avec une personne venue en consultation, mais ce que cette Mathilde relatait le mettait face à une réalité. Sa réalité. Il ressentait une étrange impression qu’il mit quelques minutes avant de comprendre : il avait perdu le réel contrôle de cette séance. Ce n’était pas lui qui était allongé sur le divan, et pourtant il réagissait comme tel. Non en parole, comme il incitait à faire, comme on lui avait appris à faire, mais en pensée. Il se parlait à lui-même. Et surtout, il s’écoutait.
- — Bien, Madame Mathilde, la séance est finie, reprit-il conscience lorsque sa montre sonna.
- — OK. À bientôt alors.
Elle se leva et quitta la pièce, le laissant seul méditer quelques minutes encore avant qu’il ne puisse se lever.
Quatrième séance
Jamais il n’avait tant appréhendé une séance. Si les cas retors le passionnaient, celui qui attendait derrière la porte le troublait, tant d’esprit que de corps. Qu’allait-elle lui révéler, non sur elle mais sur lui ? Persuadé que cette heure serait une nouvelle fois forte en vérités, il alla la chercher en salle d’attente, tout aussi impatient qu’angoissé.
- — Bonjour. Je vous en prie.
Il se l’était promis pourtant, mais il n’en fit rien ! Ne pas apprécier la grâce avec laquelle elle se mut avant de s’allonger lui fut aussi impossible que ne pas détailler sa tenue du jour. Ce qu’il remarqua d’emblée, sans pour autant les fixer, fut les cuissardes : longues et brillantes. Ce qu’il supposa ensuite fut qu’elle portait des bas résille, persuadé qu’une femme telle qu’elle s’était décrite ne porte jamais de collants. Il se fit violence pour ne pas quitter des yeux son regard, qu’il découvrit d’un marron profond, presque noir, mais sa vision globale lui envoya une image fidèle de ce qu’il détailla sitôt placé derrière elle. Jupe, jugée selon la souplesse et la matière en cuir, sur laquelle se refermait un corset parfaitement lacé sur le devant, noir lui aussi bien que moins brillant, mais dont le manque d’éclat en magnifiait un bien plus lumineux : un décolleté profond qui ne dévoilait rien d’impudique, or si prometteur. Cent C estima-t-il, confortablement assis à apprécier cette vue plongeante.
- — Je vous écoute, Madame Mathilde. Souhaitez-vous reprendre où nous en étions restés ou aborder un autre sujet ?
- — Ouais. Un autre Paul. Je peux vous appeler Paul maintenant que vous m’appelez Mathilde, hein ?
- — Euh… c’est-à-dire que…
- — Ouais, c’est vrai, la déontologie d’mes deux. Dommage, c’est cool quand vous dites mon prénom. Il sonne bien dans votre bouche.
- — Bien. Je crois que cela dérape déjà un peu…
- — Juste un peu ! J’suis déçue.
- — Si nous commencions. Qu’en pensez-vous ?
- — Rien. C’est pas à moi de penser mais à vous, non ? C’est vous le spécialiste, pas moi !
- — Oui. Enfin, non ! Je suis là pour vous… écouter, précisa-t-il, sentant qu’il avait tendu une perche monumentale !
- — Vous l’aimez-vous ma voix ? Paraît qu’j’ai une belle voix quand j’jouis.
Merde ! se maudit-il de sa bourde.
- — Sans doute oui. Mais je préférerais entendre celle qui vous amène ici, tenta-t-il de recentrer la séance.
- — C’qui m’amène ! Bah… ça se voit non ?
- — Je ne suis pas là pour juger mais pour écouter, Madame.
- — Ah ! Dommage…
- — Quoi donc, Madame ?
- — Que c’est plus Mathilde mais Madame.
- — C’était une erreur et… je m’en excuse. Cela ne se reproduira plus.
- — Bien c’que j’dis. Dommage.
- — Bien… donc… quel sujet souhaitez-vous aborder aujourd’hui ?
- — Sais pas trop… vous avez envie de quoi vous ?
- — De ce qu’il vous plaira d’aborder.
- — Ah ! ouais ! J’peux dire c’que j’veux ?
- — Oui. Vous pouvez aborder tous les sujets qui vous tiennent à cœur. Dans la limite du raisonnable, bien sûr ! précisa-t-il.
- — Ouais. Le problème, c’est que moi j’suis pas raisonnable. Z’avez pas oublié pourquoi j’suis là quand même ?
- — Non. Évidemment, non.
- — Comment j’sais c’que j’peux dire ou pas moi ? J’les connais pas vos limites à la mords-moi-le-nœud, moi !
- — Certes, vous n’avez pas tort. Comptez sur moi pour vous stopper à temps.
- — OK. Alors je peux parler de tout c’qui me passe par la tête, donc ?
- — En quelque sorte oui.
- — Vraiment tout ?
- — Écoutez, commencez et je vous dirai.
- — Vous vous souvenez du type que j’vous ai dit que j’avais envie de lui ?
- — De la troisième personne, oui.
- — Bah… je crois que bientôt j’vais lui mettre le grappin dessus.
- — Vous lui avez parlé donc.
- — Ouais. Plusieurs fois même. Mais sans rien faire encore. Juste causer. On a fait connaissance. En tout bien tout honneur. J’crois qu’il en pince pour moi. Mais pas comme tous les autres. Lui, c’est plus… comment dire… profond. J’crois que lui c’est pas que pour mon cul. Plutôt les seins en fait. Il les reluque sans arrêt. C’est vrai que de ce côté-là j’suis bien lotie. Vous en pensez quoi vous ?
- — Je pense que de voir chez un homme autre chose qu’une occasion est…
- — J’parlais d’mes seins. Vous les trouvez comment vous ?
- — Je suis médecin de l’esprit, pas du corps Madame, voyons !
- — Ouais. N’empêche que des fois l’esprit il s’exprime par le corps. Moi quand j’ai envie j’ai les seins qui pointent. Un peu comme les hommes, ils bandent quoi ! J’sais pas c’que vous ressentez, vous, les hommes, mais moi quand ils sont bien durs bah… c’est le signe que le mec il me plaît.
Elle resta silencieuse, appréciant la caresse du regard qu’elle savait passer de l’un à l’autre de ces deux arrogantes pointes, qu’elle savait poindre, et que lui présumait réceptives.
- — C’est une réaction normale, je pense, répondit-il enfin.
- — Comme une promesse quoi !
- — C’est-à-dire ? Qu’entendez-vous par là ?
- — Les types j’les classe en plusieurs catégories. Y’a ceux qui regardent le look et qui s’font une idée d’la personne rien qu’à ça. Y’a ceux qui louchent sur un cul ou sur des seins. Y’en a d’autres, c’est les moins nombreux, qui jugent pas la marchandise de la première impression mais après avoir parlé. Un peu comme vous quoi.
- — Pardon !
- — Bah oui ! Moi par exemple vous m’avez un peu mal jugée quand j’suis venue la première fois. J’vous en veux pas, c’est normal. C’est… humain. Mais depuis j’suis sûre que vous avez un peu changé d’avis. Même si j’suis toujours une salope, j’suis sûre que vous me voyez autrement maintenant. Pas vrai ?
- — Mon regard sur vous n’est qu’un détail, Madame. Seul celui que vous avez sur vous importe.
- — Ouais, j’sais bien tout ça. N’empêche qu’à votre place, moi, j’verrais qu’une belle salope. Vous z’avez vu ma t’nue ? Pas des habits d’une coincée du cul, hein ? Si c’est pas une promesse alors moi j’y connais rien à rien !
- — Donc, si je vous suis, vous exprimez votre personnalité via vos tenues. C’est cela ?
- — J’exprime pas, j’affiche. Je revendique. Comme la promesse que l’emballage n’est que l’avant-goût de ce qu’il cache. Un peu comme les photos sur les boîtes de conserve ou les plats tout prêts. Sauf que moi, c’est pas d’la pub mensongère. Enfin, vous voyez c’que j’veux dire, hein ?
- — Parfaitement.
- — Les mecs ils jugent de la photo plus que du contenu. La plupart s’en tapent de c’qu’y à l’intérieur de moi, tout ce qui les intéresse c’est de m’foutre à poil. Ils s’en tapent si y’a tromperie sur la marchandise. Le principal c’est d’y avoir goûté !
- — Avis bien tranché concernant les hommes ! se maudit-il d’avoir dit à voix haute et non simplement noté sa remarque.
- — Pas que sur les hommes. Les femmes c’est pas mieux. Entre les coincées du cul qui le font pour faire plaisir à leur mari sans jouir, les Madames tout l’monde qu’osent pas revendiquer leurs envies et qui sont malheureuses en secret, les jalouses qui admirent mais qui n’ont pas les couilles de vivre pleinement leurs sexualités, y’en a peu qui comprennent c’que j’suis vraiment. Comme les mecs quoi. Sauf qu’en plus j’les dégoûte alors que les mecs j’l’ai fait bander.
- — Bien. Vous avez une vision bien tranchée. Ce qui est tout à votre honneur. Cependant, ainsi consciente de l’image que vous renvoyez, pourquoi la mettez-vous tant en valeur ?
- — Pourquoi ? Mais parce que je suis une salope, voyons !
- — Bien… pourtant, je doute que tous ces efforts n’aient pour finalité que de vous afficher telle que vous tentez de paraître.
- — Hein ! Vous essayez de me dire quoi ? Que j’suis pas plus salope qu’une autre, c’est ça ?
- — Non. Je n’essaye en rien de vous influencer, ou de vous changer. Ce que je cherche à vous dire est simplement que vous devriez porter un regard aussi éclairé sur vous que celui que vous avez sur les autres.
- — Parce que vous croyez que j’me connais pas assez ?
- — Non ! Je n’ai pas dit ça ! Mais peut-être croyez-vous vous connaître comme étant, comme vous dites, une salope alors qu’en fait tout ceci n’est, comme vous dites, qu’une promesse. Envers vous-même plus que destinée aux autres.
- — Ouah ! Putain vous êtes trop fort, vous ! Hé ! j’sais c’que j’suis, OK ? J’suis une salope, OK ! Et c’est pas vos années d’études à la con qui vont m’changer en une autre moi !
- — Madame, je cherche juste à ce que vous voyiez les choses sous un autre angle.
- — À me remettre en question quoi ?
- — Oui et non. Plutôt à réfléchir à ce qui a déclenché chez vous un tel sentiment.
- — Sentiment ! Mon cul, oui ! C’est pas d’sentiments qu’il a besoin mon cul. C’est d’une bite.
- — Bien. Pardon si j’ai été un peu maladroit ou rapide. Mais nous avons bien avancé, je pense, et je vous invite à réfléchir au calme à cette discussion.
Elle resta muette et lui à gribouiller, puis il la raccompagna jusqu’à la porte, différente de celle par laquelle il accueillait ses patients afin qu’aucun ne se croise jamais. Il prit ensuite quelques minutes, voulant se remettre les idées en place, et surtout perdre l’érection qui n’avait pas faibli durant cette heure.
Cinquième séance
Contrairement aux précédentes séances, dès le soir même de sa dernière venue, il connaissait et le jour et l’heure pour avoir cherché dans l’agenda de son assistante date et horaire au regard desquels il trouva le nom recherché : vendredi prochain, dix-neuf heures. Elle serait donc la dernière patiente de la semaine à s’allonger sur son divan.
Les jours lui semblèrent bien longs, et les heures passées à écouter ses autres patients bien fades. En bon professionnel, il fit de son mieux pour s’intéresser à leur cas, mais il lui sembla avoir fait plus du sur place que de leur avoir été d’une quelconque aide.
Jamais, depuis sa première psychanalyse, il n’avait fait de recherches complémentaires hors du cabinet. Sauf pour elle, cette Mathilde qui suscitait en lui une curiosité nouvelle. Mais nom et prénom tapés dans la barre d’adresse n’avaient renvoyé que quelques profils de divers réseaux sociaux, bien loin de l’espoir qu’il fondait de la discerner autrement qu’allongée sur son divan, cette femme si intrigante. Aussi se fit-il une raison, qui devint les jours passants, et les recherches toutes aussi infructueuses qu’étrangement illogiques, obsédante. Une salope, comme elle se nommait ouvertement, aurait laissé une trace sur le net. Même sous couvert d’un pseudo, mais rien ! Alors le doute germa, et une crainte grandit : lui disait-elle la vérité ?
Ce vendredi matin, il se leva tout aussi impatient que déterminé. Quoi qu’il en coûte, lui en coûte, il ferait tout pour connaître la vérité, quitte à enfreindre tous les principes du métier pourtant siens depuis toujours. À dix-neuf heures, il raccompagna son patient puis demanda machinalement à son assistante si sa dernière consultation était arrivée, avant de lui souhaiter un bon week-end comme tous les vendredis soir. La première entorse qu’il fit fut de prendre la porte menant de l’accueil à la salle d’attente, et non celle de son cabinet.
- — Bonjour. Je vous en prie.
Passée la surprise, elle se leva et le suivit.
- — Si vous souhaitez vous mettre à l’aise, vous avez un porte-manteau ici, Madame, dit-il en contournant le divan d’un pas rapide.
- — Merci, mais je pense que je vais le garder encore un peu.
- — Comme il vous plaira. Installez-vous, je vous en prie.
- — Vous êtes bizarre aujourd’hui, dit-elle le fixant plongé dans son dossier, debout devant le divan. Journée de merde ?
- — Bien plus que la journée, oui ! répondit-il honnêtement.
- — Moi, quand la journée a été merdique j’bois un coup.
- — Oui… Pourquoi pas ? J’vous invite.
- — Hein ?
- — Je vais suivre votre conseil. Vous m’accompagnez ?
- — Mais… et la déontologie.
- — J’ai dit, je vous invite à boire un coup, c’est tout, me semble-t-il.
Interdite, elle le regarda passer sa veste puis se diriger jusqu’à la porte.
- — Vous êtes sûr que ça va ?
- — Mieux que jamais. Vous m’accompagnez ou pas ?
- — Ouais. Clair que j’suis des vôtres, Doc.
- — Appelez-moi Paul, Mathilde, chuchota-t-il au creux de son oreille lorsqu’elle passa devant lui. Le temps de fermer et je suis à vous… enfin, façon de parler, évidemment.
- — Évidemment, Paul. On commencera par un verre. Moi j’suis whisky-coca, et vous ?
- — Sans coca.
- — Cool. Un point en commun déjà, éclata-t-elle de rire.
Il n’enchérit pas. Lumière éteinte et porte verrouillée, ils prirent l’ascenseur.
- — Ça à l’air d’aller déjà mieux.
- — Oui. Quand je sors du bureau, je laisse le travail là où il se doit d’être.
- — Cool. J’me disais bien que vous z’étiez pas que ce cul coincé dans son fauteuil.
- — Et toi, pas qu’une salope, Mathilde. Après toi ! l’invita-t-il à sortir.
- — On s’tutois maint’nant ?
- — Oui. Ça te dérange ?
- — T’es vraiment bizarre toi !
- — Pourquoi ?
- — Bah, tu peux autant être distant que…
- — Attirant ?
- — Clair que t’l’es ! Madame doit être fière.
- — Elle l’est. Et moi très d’elle. Y’a un bar un peu plus loin par là.
- — Ouais. Sinon j’habite à deux rues par là.
- — Commençons par le bar, si tu veux bien.
- — OK. C’est toi le spécialiste, Doc.
- — Non, le Doc il est dans son cabinet, le cul coincé dans son fauteuil.
- — C’est pas une ruse au moins ?
- — Ruse ! Non… viens.
Ils marchèrent en silence, jusqu’à s’installer à une table au fond du bar, et restèrent à se jauger du regard. Commande passée, Mathilde se jeta à l’eau :
- — J’comprends plus rien moi ?
- — Que ne comprends-tu pas, Mathilde ?
- — Bah… toi !
- — Pourtant j’ai l’impression que tu comprends tout. Parfaitement tout.
- — Mouais… Si tu l’dis, ça doit être vrai. C’est toi le spécialiste après tout.
- — Et toi la salope, en effet !
- — Merci du compliment.
- — Justifié… et sincère.
- — Je sais, pour ça que j’apprécie. Pa’ce que t’es pas l’type à dire des trucs pour faire plaisir.
- — C’est vrai. Et toi, pas celle que tu laisses croire.
- — Pourquoi tu dis ça ?
- — Parce que je pense tout savoir de toi Mathilde. Absolument tout.
- — Bah, ça c’est pas compliqué. Une salope, ça n’a pas beaucoup de secrets non plus.
- — Tout le monde en a, crois-moi. Et je suis bien placé pour le savoir.
Le serveur interrompit la conversation.
Si elle ne but qu’une gorgée, lui avala cette dose d’alcool d’un trait.
- — Vache ! T’es pressé ou quoi ?
- — Non, j’ai tout mon temps. Ma femme est dans sa famille.
- — Ah ! Pas grave, j’espère ?
- — Non, elle y va régulièrement.
- — Et pas toi ?
- — Non.
- — T’aimes pas sa famille ?
- — Plutôt eux qui ne m’apprécient pas vraiment.
- — Merde ! C’est con.
- — Bof. Je m’en tape qu’il m’aime ou pas. C’est pas avec eux que je vis.
- — Marrant.
- — Quoi ?
- — T’as dit vivre et pas marié.
- — Exact. Bien vu
- — T’l’aimes plus ?
- — Si ! Comme au premier jour. Elle est tout pour moi.
- — Carrément !
- — Oui. Mais je ne t’apprends rien !
- — Pourquoi tu dis ça ?
- — Arrête de jouer Mathilde, dit-il avant de héler le serveur. Le même s’il vous plaît.
- — J’ai plutôt l’impression que c’est toi qui joues là, pas moi. Tu crois quoi ? Que j’ai envie de toi ? Ouais, j’ai envie de toi. Que tu me baises surtout. Que tu te lâches, quoi !
- — Et toi que crois-tu ? Que je n’ai pas compris ton jeu ?
- — Putain ! c’est pas un jeu, merde ! J’veux que tu m’baises et c’est tout. Merde à la fin !
- — Oui. La baise c’est la finalité mais le pourquoi est la véritable question.
- — T’es chiant ! J’croyais qu’on n’était pas en séance là. Mais j’me suis encore gourée.
- — Non, on n’est pas en séance comme tu dis. Et non, tu ne t’es pas gouré.
- — Je… j’comprends plus rien à rien moi.
- — T’es pas la seule, crois-moi. Merci.
Comme pour le premier, il avala son verre cul sec.
- — À c’rythme va falloir qu’j’te j’t’aide.
- — À quoi ? À te faire l’amour ?
- — J’espère pas ! J’ai passé l’âge d’expliquer moi.
- — Parce que pas moi ?
- — Bah… toi c’est ton job non ?
- — Oui. Vu comme ça, ce n’est pas tout à fait faux.
- — T’aimes pas c’que t’fais ?
- — Si ! Aider les gens est mon sacerdoce.
- — Carrément ! Pourtant t’as dû en entendre des trucs cheulou ?
- — Oui. Et en deviner surtout, Mathilde.
- — Putain ! T’es chiant à la fin ! T’imagines quoi ? Merde !
- — Si tu savais… t’aurais…
- — Peur c’est ça ?
- — Tu as peur là ?
- — Non ! Pourquoi ? Je devrais Doc ?
- — Non. Je ne suis pas un psychopathe.
- — Dommage, j’me serais bien fait un psychodoc moi !
- — Y’a que ça qui t’intéresses ou tu suis un plan ?
- — Quoi ? De quel plan tu parles ?
- — Du tien. Ou de celui qu’on t’a demandé de suivre.
- — Putain ! t’es grave toi !
- — Ma femme le dit souvent en effet.
- — Ha ! ouais !
- — Ouais. Quand on baise.
- — T’essayes de m’faire peur, c’est ça ?
- — Non. Je joue cartes sur table. S’il vous plaît… un autre.
- — Tu caches bien ton jeu.
- — Salope… salaud… féminin masculin… pareil au même, non ? En fait l’important c’est de savoir qui l’est plus que l’autre, non ?
- — J’m’en tape moi de savoir qui a gagné ! Tout c’que j’veux c’est une bonne baise. Pas toi ?
- — J’aime baiser oui. Ma femme surtout.
- — C’est une salope elle aussi ?
- — En quelque sorte, oui.
- — Et… Elle te trompe ?
- — Ça… dépend.
- — Ça dépend ça dépasse… C’est une blague. Tu connais pas ?
- — Si bien sûr. C’est culte.
- — OK. Donc puisque t’en es conscient, tu veux te venger, c’est ça ?
- — Pas spécialement, non.
- — J’comprends vraiment rien moi.
- — Il n’y a rien à comprendre. C’est une salope. Son mari est un salaud. Et t’es une salope. Point barre.
- — Attends ! Tu me proposes pas un plan à trois là quand même ?
- — Avec elle ? Non ! Elle est pas très…
- — Cool ! Moi pareil. J’préfère de loin la bite. Bien dur et en manque si t’vois c’que j’veux dire.
- — Très bien oui. Merci, dit-il au serveur.
Il fixa le verre posé devant lui, le tenant dans sa main, perdu dans ses pensées.
- — Le même s’il vous plaît… bah quoi ! C’est thérapeutique. L’heure est pas finie, si !
- — Non. Comme dit, j’ai tout le week-end.
- — Carrément ! Monsieur à la folie des grandeurs, plaisanta-t-elle !
- — Plutôt la faiblesse des salopes.
Il fixait toujours son verre, tandis qu’elle l’observait, jusqu’à ce que le serveur dépose devant Mathilde un autre whisky-coca.
Elle le regarda l’avaler d’une gorgée.
- — Désolé mais j’peux pas.
- — Quoi ? Baiser avec une femme ?
- — Non ! cul sec.
- — Ah ! Pourtant j’pensais qu’une salope comme toi savait le faire cul sec ! Ou alors t’es une mytho.
- — C’est c’que tu crois ? Tu crois que j’suis pas une salope, c’est ça ? Pour ça qu’on est là ?
- — Ce que je crois c’est que tu joues. Tu te joues de toi, et de moi aussi. Tu ne me dis pas toute la vérité.
- — Attention, le spécialiste refait surface !
- — Oui, et toi la professionnelle.
- — Hein ?
- — Arrête de jouer, et on gagnera du temps.
- — Du temps ! J’croyais qu’on avait le week-end !
- — On l’a oui. Mais les meilleures choses ont une fin.
- — T’insinues quoi là ? Que je suis pas un meilleur coup qu’ta femme ?
- — La première fois a toujours un goût… un attrait plus… comment dire…
- — Jouissif ?
- — Bandant.
- — Donc je t’attire.
- — Si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas là mais dans mon cabinet.
- — Moi allongée et toi à mater mes seins.
- — Oui. Très comme ceux de ma femme, d’ailleurs.
- — Et qui aiment les câlins. Y sont comment ceux de ta femme ?
- — Comme les tiens. Bien ronds et réceptifs.
- — Donc c’est ça.
- — En partie oui. Elle est plus fine que toi mais elle a un cul comme le tien.
- — Cul toujours à l’air ?
- — Oui. Elle déteste se sentir enfermée, comme toi.
- — Ha ! Pour ça qu’elle dit qu’elle va voir sa famille quoi !
- — Non ! Elle va vraiment voir sa famille. Un week-end tous les trimestres.
- — Mon cul, oui !
- — Pense ce qu’il te plaira mais ces week-ends-là elle est vraiment chez ses parents.
- — Ah ! Pac’que les autres pas !
- — Les autres pas chez eux, en effet.
- — Ouais, j’avais compris. Donc tous les trois mois, c’est la fête à la maison pour toi.
- — Pas assez pour toi ?
- — Moi ! J’suis p’tête une salope mais j’suis pas une nympho non plus !
- — Exact. Pardon.
- — Tu la baises encore ?
- — Bien sûr !
- — Tu la baises comment ?
- — Comment ça ?
- — Bah… en amoureux ou en vieux couple ?
- — Ça dépasse. Pardon, ça dépend.
- — De quoi ? Si elle est en manque.
- — Elle ne l’est jamais.
- — La dernière fois, c’était quand ?
- — Ce matin.
- — T’es du matin donc.
- — Non, plutôt du soir. J’aime prendre mon temps.
- — J’m’en doutais. Et c’était bon ?
- — Très oui. Et toi ?
- — Moi quoi ?
- — Avec le dernier en date ?
- — Pas mauvais, oui. Différent mais… ouais, bon.
- — Il était comment ?
- — Vieux. Plus que toi. Et bien en manque. De trois ou quatre mois j’dirais.
- — Un bon coup donc.
- — Pas mal ouais. Mais c’est pas le temps qui compte le plus en fait.
- — Exact. Ce qui compte le plus c’est l’interdit. Le refusé.
- — Ouais. Pour certains, c’est d’m’enculer. Mais pas tous. Y’en a c’est que j’les suce. Et que j’avale surtout.
- — Oui. Et lui, c’était quoi ?
- — De m’sucer. Sa vioque elle aime pas. Bizarre, hein ! Surtout qu’elle adore lui bouffer la queue ! Des fois j’comprends pas tout moi ! C’est vrai quoi ! quand tu fous une bite dans ta bouche ça dérange en quoi d’avoir une langue dans ta chatte ?
- — Les mystères de l’amour sont souvent impénétrables, Mathilde.
- — P’tête oui. Mais là on parle pas d’amour mais de baise. Moi j’fais pas l’amour. On me baise.
- — Et si moi j’ai envie de te faire l’amour ?
- — Toi ! Non… toi tu fais l’amour à ta femme.
- — Erreur Mathilde, grave erreur. Ma femme, je la baise. En salope. En salaud. Toi, je te ferais l’amour. Tendrement
- — Ouais… J’te crois pas.
- — Tu sais Mathilde, tous les hommes ne sont pas égaux. Je sais que la plupart sont des bourrins, des égoïstes, mais je ne suis pas tout le monde. Moi je ne te baiserais pas, je te ferais l’amour.
- — Que dalle oui ! Vous êtes tous pareils ! Une salope c’est une salope pour vous. Tout est permis. Rien interdit.
- — C’est donc ainsi que tu me vois. Je suis déçu, Mathilde. Très déçu. Je pensais que tu m’avais mieux compris que cela. Comme moi je t’ai comprise, Mathilde.
- — Ha ! ouais ! Et tu crois qu’en quatre ou cinq heures tu sais qui j’suis ? Tu sais rien de moi. Rien du tout !
- — Détrompe-toi Mathilde. J’en sais beaucoup sur toi.
- — Ha ! ouais ! Genre ?
- — Que veux-tu que je t’apprenne ? Voyons Mathilde, j’ai été formé pour déceler les gens. C’est mon métier. Un métier que j’aime.
- — N’importe quoi !
- — Mathilde, la vérité est toujours dure à entendre mais l’accepter est le chemin le plus sûr pour guérir.
- — Mon cul oui !
- — Il est magnifique ton cul, mais tu le mets si mal en valeur. Tu t’en sers comme appât, et non comme récompense. Un cul c’est un don, une offrande. Tu comprends ?
- — Bof… ouais peut-être… donc tu vas me baiser pour le mettre en valeur, c’est ça ?
- — Pas te baiser Mathilde. C’est ma femme que je baise.
- — J’te suis plus Doc. Normalement les mecs ils font l’amour à leur vieille et ils me baisent moi !
- — Peut-être n’as-tu rencontré que ceux que tu recherchais pour… comment dire… ce qu’ils sont.
- — Ah ! Ouais. Et il recherche quoi, le Doc ?
- — À toi de me dire ce que toi tu recherches.
- — Bien, c’que j’pensais.
- — Quoi ?
- — C’est une ruse.
- — Non Mathilde. Carte sur table. Je suis peut-être vieux jeu mais avant de faire l’amour j’ai besoin de connaître ma partenaire. As-tu déjà fait l’amour Mathilde ? Je ne parle pas de baiser comme tu dis, mais de partager le plaisir plus que simplement en donner ou en recevoir ?
- — Tu veux dire quoi ? Que j’ai pas de plaisir ?
- — Physique sans doute. Mais que ressens-tu réellement lorsque, comme tu dis, tu te fais baiser comme une salope ?
- — Tu fais chier Doc avec tes questions à la con !
- — Laisse le doc et son cul coincé dans son fauteuil. Que ressens-tu pendant, et surtout après, Mathilde ?
- — Pendant je m’éclate ! Pas compliqué à comprendre, si ? Plus j’me fais mettre et plus j’en veux. Plus c’est hard et plus j’jouis. Après bah… j’ai comme une envie de…
- — Oui. Dis-moi.
- — De r’commencer. J’suis une salope au cas où t’l’aurais oublié !
- — Non. Je n’ai pas oublié les premières paroles que tu as dites : j’suis une salope. Une vraie salope. Mais attention pas avec n’importe qui.
- — Bah quoi ! Une salope, ça doit juste écarter les cuisses, c’est ça ? Ça peut pas choisir avec qui ?
- — Une vraie salope, non, Mathilde. Une vraie ressent un besoin plus grand que celui de choisir.
- — OK. Donc d’après toi, j’suis pas une vraie salope.
- — Je ne pense pas Mathilde.
- — J’suis quoi alors, Monsieur j’sais tout ?
- — Une femme qui se complaît dans ce qu’elle pense être l’amour.
- — Ouais. Encore ta théorie sur faire l’amour et baiser quoi !
- — Oui.
- — Donc, si je suis ton raisonnement, c’est pour ça que tu vas me faire l’amour et pas me baiser. Pour me montrer la différence, quoi !
- — Un peu oui. Mais pas que.
- — Putain, je pige plus rien moi ! Pourquoi alors ?
- — Parce que j’en ai envie, pardi !
- — De me faire l’amour ?
- — Oui. Ou de te baiser pour la salope que tu dis être, Mathilde.
- — T’es space toi ! Un coup tu me dis que tu vas me faire l’amour et après que tu vas me baiser comme une salope ! J’comprends rien à rien moi.
- — Il n’y a rien à comprendre Mathilde. Que l’évidence. C’est le propre de l’humain de vouloir ce qu’il n’a pas. Tu comprends ?
- — Euh… si j’comprends bien, tu vas me baiser parce que tu fais l’amour qu’à ta femme, c’est ça ?
- — Non. Ma femme je la baise pour la salope qu’elle est.
- — J’suis paumée complet là…
- — Moi aussi Mathilde, moi aussi. C’est pour cela qu’on va en rester là. Et j’espère qu’il est inutile qu’on se revoie. Adieu, Mathilde. Je te souhaite de rencontrer l’amour, le vrai. Tu le mérites.
Il ne la revit jamais, mais c’est certain d’avoir éclairé une fois de plus une patiente, bien particulière certes, qu’il baisa sa salope de femme sitôt rentrée, aussi puissamment qu’ils entretenaient leurs dépendances au sexe. Car oui il l’aimait ainsi, et non jamais il ne guérirait cette autre Mathilde, cette maladive et infidèle femme qui était devenue son épouse.