Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 20764Fiche technique9514 caractères9514
Temps de lecture estimé : 6 mn
08/02/22
Résumé:  Instantané sur un cliché de deux sous. Ou la schizophrénie du voyeur.
Critères:  Rêverie
Auteur : Iovan            Envoi mini-message
Ode à un petit maillot rouge.






« She was a girl in a million, my friend… »

Les paroles de la chanson des Beatles me revenaient, alors que je me perdais dans la contemplation de la photo que je venais de capturer sur l’écran de mon ordinateur.

C’était idiot.

Mais les éclairs de pensées qui te traversent, et parfois s’installent si bon leur semble, apparaissent souvent au prime abord sous le sceau de la bizarrerie, de l’incongru… ouais… l’a une drôle de tête, ce mec-là… !

Idiot, parce qu’est idiot par définition celui ou ce que nous ne comprenons pas immédiatement. Celui qui n’a pas tes codes ne peut être qu’un imbécile… un parfait idiot. Celui dont, peut-être, tu n’as pas les siens.


C’était, de prime abord, je découvris plus tard la mécanique qui se cachait là-dessous, d’autant plus idiot, que ce que je ressentais était exactement à l’inverse de ce que me disaient les paroles de John Lennon : cette fille, dans son minuscule maillot de bain rouge, n’en était pas une parmi des millions d’autres… elle était une merveille parmi les merveilles… Une véritable déesse. Ce que je ressentais devant ce corps de femme, face auquel je me sentais « amazed » disent les Anglais : stupéfait, subjugué… il y a ça dans ce terme, ce plus qui dit l’immobilité et la stupeur qui te figent en respect, t’interrogeant au plus profond… ce que je ressentais, m’écrasait. Je restai, interdit, face à ce que je ressentis comme une révélation…


Je me perdais dans la contemplation de l’agrandissement de cette vignette, faite pour attirer le client… j’étais sur un site de cul, pas dans la Galerie des Offices…

Un site de cul. Oui. Vous savez bien que ça existe… pour vous y être parfois fourvoyé. Comme m’avait dit un jour, un grand philosophe : « La chair est faible… ! ».

On peut, pourtant, y découvrir parfois des trésors… mon petit maillot rouge, tu en étais la preuve.

Le regard perdu dans la contemplation de ta photo, je me dis que j’allais t’envoyer un message, t’appeler… Oui, plutôt t’appeler…


J’eus envie d’entendre ta voix…

Tu avais une très jolie voix, j’en étais certain ! Bien timbrée, douce mais pas trop… un peu rauque, à peine voilée… de ces voix de femmes comme je les adore… Celle de Marie Josée Nat, cette très belle actrice brune dont la voix me transporte… Ou celle de Claudia Cardinale, à qui tu ressemblais…

De ces voix qui sont, en elles-mêmes, pure sensualité.

De ces voix de femmes sublimes, que je ne peux évoquer sans citer celle troublante d’ensorcelante candeur, voix de reine, qu’elle parle ou qu’elle chante, la plus charmante, la plus sensuelle, celle qui me va droit au cœur et me parle au plus profond, de la Femme de ce qu’elle est, sans fard, seulement vêtue de sa splendide et simple nudité. Cette voix divine est celle de la très belle Jeanne Moreau.


Mais non, Toi, bien sûr petit Maillot Rouge, tu ne connaissais pas, tu étais trop jeune… Ou, alors, Jeanne, peut-être… « Ah ouais… d’accord ! »… Toi, c’était la génération Maisie Williams et Tye Sheridan… Hollywood and Co… Quel âge pouvais-tu avoir ? Vingt-cinq ans ? Guère plus en tout cas !

L’âge idéal pour filer le blues à ceux qui ont eu le bol d’en avoir fait le double… et qui en redemandent : « Garçon, s’il vous plaît ?… La même chose ! »



La photo en elle-même était intéressante et accrochait immédiatement le regard… celui qui l’avait prise n’était pas sans talent. Et le choix qui en avait été fait disait beaucoup aussi.

Elle avait été prise dans le décor sobre et de bon goût d’un intérieur aux murs blancs, sur lequel le motif sensuel de ton merveilleux corps doré, sublimé par les trois taches écarlates du petit maillot dessinait ses arabesques charnelles aussi délicates qu’inattendues.


Tu étais arrêtée dans une pose qui me fit penser que tu avais été photographiée alors que tu dansais… ça aussi me parlait… La manière de tenir tes mains dans une tension attentive et délicate…

Tes cheveux bruns tirés en arrière dégageaient ton beau visage aux traits purs qui se tournait de trois quarts, légèrement incliné, et tes yeux presque fermés ombraient de leurs longs cils tes pommettes hautes. Ta belle bouche, sans fard, avait une expression réservée… chaste. Ton long cou gracile ajoutait encore à l’impression de grâce délicate que dégageait ton corps sublime.

Tu tenais tes jambes au galbe troublant, légèrement écartées et fléchies, le creux à l’intérieur de tes cuisses se tendait de part et d’autre du renflement de l’émouvant calice que cachait le triangle rouge du petit maillot.



Petit Maillot Rouge, Tu paraissais si vraie. Antithèse des petits caniches qui posent à longueur de pages, dans ces rubriques accrocheuses, leurs mèches savamment arrangées, le sourire aguicheur, ou affichant une moue vicieuse, ou mieux encore, comme ça se fait beaucoup, tirant la langue dans une posture d’ado attardée tout en exposant leur anatomie comme dans un bouquin de médecine… ou un étal de boucher. Photos à deux balles, pour faire bander le beauf.


Souvenir qui remonte… de la toute première fois où un copain dont le père imprimeur au journal local, profession qui nous semblait tenir un peu de la magie, nous fit dégringoler dans les délices du vice… ! Je repensais, les revoyant presque, à ces « bouquins de cul » qu’il avait « empruntés » à son paternel et qu’il nous avait apportés, prenant des précautions de receleur. Je revoyais les photos en noir et blanc avec leurs modèles au sourire niais et leurs chattes trop poilues… expérience fondatrice partagée avec les potes, cachés de peur qu’« on » nous voie, au fond d’un entrepôt désaffecté pour les feuilleter. Une de ces premières transgressions qui faisaient de nous des mecs !



Ce que j’avais, là, sous les yeux, était la photo d’une beauté sage.

C’était pourtant la photo de ce qu’il est dans les milieux qui s’autorisent à juger verticalement, une pute… Transversalement, une femme… peut-être la leur… cette photo m’avait accroché dès que j’ouvris la page. La vignette n’était pourtant pas bien grande.

Dieu ! Que tu étais belle ! Ton maintien te conférait une dignité que magnifiait ta parfaite féminité. Pourtant, tu étais là pour un motif dont les gens n’aiment pas trop parler… mais qu’ils évoquent toujours en révérence… Tu étais là pour le Fric ! Le Saint Fric, celui qu’ils rêvent, par millions, de gagner au loto en y dépensant leur fortune… ! Alors que toi, le cash, tu le faisais tomber si facilement avec ta belle petite gueule, ton corps sublime et ton joli petit cul… Salope !


Je ressentais devant toi, petit maillot rouge, un sentiment d’écrasement, tout en même temps que de plénitude, ce que les Anglais (encore eux !) appellent, « Awe » : un sentiment de respect mêlé de crainte et de joie, une terreur, en même temps que le frémissement du désir d’appartenir, quoiqu’il se passe, quoiqu’il advienne… Une envie de te rejoindre et me fondre à ton corps, à tes gestes, à tes pensées, à Toi…

Ce que je sais, qu’une personne, qui, depuis, m’est devenue chère, a éprouvé dans son âme et dans sa chair… tombée dans une histoire de domination, soumission, elle devint esclave, calvaire qu’elle endura pendant cinq années et qui l’ont marquée à jamais (elle s’affuble encore du nom de « Slave »). Et tout ça pour un « maître » d’opérette qui la soumettait aux pires sévices et humiliations, mais qui rampait comme un toutou devant sa « légitime » !

D’elle aussi, un jour, je dirai l’histoire.


Chérie, ma belle chérie… Déjà, je te faisais mienne ! Je redoutais ces chaînes, que j’appelais, tout à la fois… de toutes mes forces. Nous avions quitté, toi et moi le quotidien, l’ordinaire, le raisonné et le raisonnable… Alors que j’étais prêt à consentir à ce que les limites n’existent plus, l’ascendant que tu prenais sur moi n’était plus ni à accepter ni à négocier. Il s’imposait.


Tu l’ignorais… J’étais le seul à avoir conscience de tout ce que j’étais sur le point de t’abandonner, tu ne pouvais savoir l’importance qui était tienne alors, ni ne le sais et ne le sauras jamais… !

Et j’en remercie le ciel ! Que je reste, à jamais, protégé de la vassalité, qui met à merci.

Je l’ai en sainte horreur, pour l’avoir apprise et subie, comme tous mes semblables, sans que j’aie, seulement pu en avoir conscience, ne serait-ce qu’une seconde pendant tant de temps : ce qu’on te donne au biberon, tu n’as pas le droit de le suspecter, on t’en confisque, jusqu’à l’idée.

Access denied… avant de longues, longues années.

Et, celle-là, on ne me la faisait plus.

Ton image m’empêtrait dans une toile de contradictions folles, au centre de laquelle Toi seule faisais sens.

Alors, je commençai à avoir peur.