n° 20781 | Fiche technique | 24405 caractères | 24405Temps de lecture estimé : 17 mn | 15/02/22 |
Résumé: Toute une vie | ||||
Critères: fh amour | ||||
Auteur : Domi Dupon (Nobody’s my name) Envoi mini-message |
Concours : C'est la première et la dernière fois |
L’homme descend de vélo au bout du chemin. Cadre à l’épaule, il porte son engin sur les derniers mètres. Il s’en déleste et le cale contre un arbre rabougri, atteint par la limite d’âge. Pensée fugitive : « Comme moi, tu n’es pas loin de la fin ». Dans un acte réflexe, il installe son câble anti-vol, usant du tronc du vieillard moribond comme borne d’amarrage. Il pose son sac à dos puis s’assoit au bord de la falaise, les jambes pendant dans le vide.
Pendant un long moment, il observe l’Océan. L’Atlantique ou la Manche ? À chacun de leurs séjours, il se posait la question. « Nous chercherons quand nous rentrerons », lui répondait invariablement Blandine. Mais jamais, ils n’avaient pris le temps. Aujourd’hui, Océan ? Manche ? Quelle importance ! Il a choisi ce lieu car ils y avaient été heureux.
De son sac, il sort un revolver. Une antiquité, vieux souvenir de famille. Un Webley MK6 que son paternel avait ramené après son séjour dans la RAF de 1943 à 1945. Il l’ouvre. Le barillet est vide. Il y glisse une balle qu’il a prise dans sa poche. Il referme l’arme, fait tourner le barillet. Sans aucune hésitation, il presse le canon contre sa tempe et appuie sur la détente.
Première balle… clic… Il pose l’arme sur ses genoux serrés. Son regard s’égare à l’horizon.
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La première fois… plutôt les premières fois. Avec Blandine, elles avaient été nombreuses. La première « première fois » qu’ils se croisèrent, il ne s’aperçut même pas de sa présence. C’était à la fac, elle faisait partie d’un groupe de filles avec qui ses potes bavassaient. Elle, le remarqua. Elle remarqua surtout son air absent. Alors que ses copains se la jouaient conquérants, il paraissait ailleurs, comme dans une autre dimension. Il ne participait aucunement à la discussion et cette fille androgyne qui, pourtant, louchait sur lui, il ne la vit pas.
La seconde fois fut la bonne.
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Il n’a rien de prévu. Le bassiste de leur Band, un « fils à papa » donne une « soirée ». Il se laisse entraîner mais comme d’habitude, au bout d’une petite heure, l’ennui le gagne. Il connaît bien l’endroit : c’est là qu’ils répètent. La maison, loin de tout, leur permet de jouer aussi fort que leurs Marshall leur permettent. Un étang jouxte la propriété. Un ponton auquel est amarrée une barque de pêche lui sert de refuge. C’est là qu’elle le rejoint alors que surfant sur les étoiles, il écrit, dans sa tête, le rock qui va faire de lui une star planétaire.
- — Besoin de tirer un taf, déclare-t-elle en s’asseyant sans façon près de lui.
Surpris, il sursaute. Elle continue :
- — Tu en veux une ? Elle lui tend son paquet. Machinalement, il se sert. Elle lui présente son briquet allumé.
- — Du feu ?
Il secoue la tête négativement.
- — Désolé, je ne fume pas.
Il lui rend la cigarette.
- — Ah ben toi ! Elle parle dans le vide : il est déjà reparti dans son rêve musical. Ses yeux contemplent l’horizon.
Les filles ne l’intéressent pas, elles n’ont pas de place dans son monde. Les élans hormonaux de ses pairs, leur enthousiasme puis leur accablement le déconcertent. Ces nanas qui tortillent du cul, prennent des poses, lancent des œillades l’agacent. Son mutisme suffit en général pour les faire fuir. Il sait qu’il a une réputation de peigne-cul, de « je me la pète » mais il s’en fiche. Il va se débarrasser d’elle à sa même manière habituelle.
Devant son silence persistant, contrairement à d’autres, Blandine ne renonce pas : elle entame une conversation. Il lui répond, mono syllabique. Elle persévère, s’entête. Son discours n’a rien d’enjôleur, d’aguicheur. Rien de la groupie qui traîne autour d’eux lorsqu’ils jouent. Elle lui parle littérature, poésie, évite soigneusement d’évoquer la musique. Peu à peu, malgré lui, il entre dans la conversation pour, in fine, devenir aussi volubile qu’elle. De nombreux sujets défilent. Leurs goûts diffèrent ou se confondent. Longtemps après que la fête soit finie, au lever du jour, la froidure interrompt leur tête-à-tête.
À aucun moment la situation n’a dérapé : pas la plus petite caresse, pas le moindre geste tendre, pas d’attouchements tendancieux. Ils sont restés assis sagement, côte à côte, sans voir passer le temps.
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Par la suite, ils se rencontrèrent régulièrement, puis journellement. Les premières fois en duo se succédèrent pour lui : premier ciné, premier concert, premier resto. Ils dormirent l’un chez l’autre d’abord quand leurs bavardages les entraînaient loin après le passage du dernier bus puis simplement parce qu’ils avaient oublié qu’il pouvait y avoir un bus. Ils partageaient tout. Blandine entrait en ligne de compte dans ses décisions. Cependant à nul moment et jusqu’à la fin de cette première année universitaire, il ne fut question ni de sexe, ni d’amour entre eux.
À 19 ans, s’il n’était plus puceau, il le devait à un hasard qu’il considérait comme malheureux. Deux ans plus tôt, Hélène, une amie de sa grande sœur, s’était glissée dans son lit pour l’initier au plaisir de la chair. Elle avait raté son coup. En pleine action, il avait quitté son enveloppe charnelle et avait observé d’un œil critique son corps qui s’agitait au-dessus de celui de la fille. Il s’était trouvé parfaitement ridicule. Conséquence immédiate, sa verge, qu’Hélène, par diverses manœuvres tant buccales que manuelles, avait réussi à faire durcir, s’était ramollie tout à coup. Cet épisode l’avait conforté dans son désintérêt pour la chose. Que Blandine semblât être sur la même longueur d’onde que lui, lui convenait tout à fait. Quant à coller des mots sur les causes de leur attachement, cela lui paraissait une perte de temps.
Leur relation resta ainsi d’une chasteté totale.
Aux vacances, ils partirent chacun de leur côté sans pour autant couper le lien. Internet n’existait que dans les bouquins de SF. Quant au téléphone qui relevait encore du « 22 à Asnières », ni les parents de Blandine, ni les siens ne disposaient d’un abonnement et le coût des communications était loin d’être négligeable. Leur restait la poste. Leurs échanges se firent épistolaires au rythme de plusieurs lettres par semaine.
Juin n’avait pas atteint son apogée que déjà son absence lui était insupportable. Il refoula la vague de sentiments qui le submergeait, enfouit ceux-ci au fond de sa poche et plaqua un gros mouchoir dessus. Heureusement, Blandine, qui devait être dans le même état d’esprit, n’eut pas la même réaction. Elle se rendait à un festival théâtral, qui se déroulait dans une ville située fort opportunément à mi-chemin de leurs domiciles respectifs. Proposition lui fut faite de la retrouver dans un camping ce qui leur permettrait de passer le week-end ensemble tout en assistant aux représentations.
C’est à ce moment que tout bascula. Oublié, le festival. Ils ne quittèrent pas le camping des trois jours, ne sortant de la tente que pour satisfaire des besoins vitaux.
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L’homme sort de son immobilité. Il reprend le revolver. Sa main se pose sur le barillet dans l’intention de… Il interrompt son geste. « Ce serait stupide », pense-t-il, « je multiplie les chances de me rater. ». Sa décision est prise : il ne tournera pas le barillet. Il tirera encore 4 fois. Si la mort ne veut pas de lui, elle le lui fera savoir. Sinon, fin de l’histoire.
Avec la même détermination, pour la seconde fois, il appuie le canon contre sa tempe et presse la détente. Clic… Pourquoi ? Son corps se détend. Sa main lâche le revolver qui choit dans l’herbe. Ce premier week-end de camping…
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Les jours qui précédèrent leurs retrouvailles s’écoulèrent avec une lenteur désespérante. La dernière nuit, il fit un rêve étrange. Le samedi matin, il ne se souvenait de rien mais il ressentait un malaise et… ses draps étaient tachés, fait rarissime. Son impatience était telle qu’il oublia rapidement ces deux évènements.
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À midi, quand il arrive à destination, Blandine l’attend devant la gare. Son père lui a prêté une 4L qu’il utilise pour transporter du fourrage. L’irréparable faillit se produire quand ils se retrouvent face à face. Une envie incompréhensible et irrésistible de l’étreindre le saisit. Il se reprend à l’ultime seconde. Il croit lire de la déception dans le regard de son amie. Un effet de son imagination sans doute.
Il noie son désir (comment appeler autrement ce qu’il ressent ? ) sous un flot de paroles. Arrivés au camping, les formalités expédiées, ils montent la tente sans attendre et avec frénésie. Ils ne prennent pas la peine de vider la voiture de leurs affaires. La dernière sardine plantée, ils se ruent à l’intérieur et dans les bras l’un de l’autre. La si grande frustration engrangée ne laisse guère de place aux prémices. Blandine, un peu plus expérimentée, prend la direction des opérations. Elle dégrafe son jean, baisse son slip tandis qu’elle se débarrasse acrobatiquement d’une petite culotte encombrante. Sans qu’il ait vraiment tout compris, il s’agite au-dessus d’elle, son pénis fiché dans une vulve trempée. Leurs dents s’entrechoquent dans un fougueux baiser. Ses mains malaxent à travers l’étoffe du t-shirt ses petits seins d’adolescente aux tétons excités. Pas une seconde, il songe à devenir observateur. Il voit des étoiles, son cœur bat à cent à l’heure tandis qu’il s’enfonce encore et encore dans ce corps qui vibre à l’unisson. Dans sa tête résonne un rock endiablé à la rythmique marquée par le staccato de son ventre contre la boucle de la ceinture de la jupe remontée sur le ventre. Une telle prouesse ne peut s’éterniser. Ils se libèrent dans une jouissance commune, simultanée et bruyante.
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Dès leur première étreinte, ils avaient trouvé un timing qui ne les abandonnerait jamais.
Il se rappelait des… du premier mot de Blandine : « enfin ! ».
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Après le petit quart d’heure de récupération nécessaire – quart d’heure silencieux empli de bisous et de caresses –, ils attaquent le second round. Seconde manche tout aussi torride mais plus apaisée où leurs corps prennent le temps de faire connaissance. Oublié le tétin d’Hélène qu’il avait vaguement sucé parce qu’elle lui avait fourré dans la bouche, fasciné qu’il est par les soubresauts qu’il provoque à chaque succion de celui de Blandine. Il goûte à sa cyprine alors qu’elle lèche son gland humide. Quand, couchés sur le côté, ils se soudent collant étroitement leurs ventres, s’enclenche une lente et longue ondulation reptilienne. Ils ne font plus qu’un, ondoyant sur le sol, faisant fi de sa dureté et de ses aspérités, repoussant un coup à droite, un coup à gauche la toile de leur frêle habitat. Leur orgasme enfle, gonfle se construit, se densifie avant d’exploser. Blandine hurle son plaisir sans retenue. Il dure jusqu’à ce que, épuisés, ils se détachent l’un de l’autre pour s’avachir sur le dos. Ils restent ainsi un long moment, les yeux contemplant le ciel de la tente, sa main droite serrant la gauche de Blandine.
Rassasiés momentanément, ils aménagent leur petit nid, se restaurent et remettent le couvert. Ils ont beaucoup de retard à rattraper. Avant que le sommeil ne les prenne étroitement enlacés, ils ont encore grimpé, à plusieurs reprises, les marches du septième ciel. Ils attaquent le dimanche par une nouvelle joute beaucoup plus langoureuse où leurs bouches se montrent si efficaces qu’ils n’ont pas l’occasion de recourir à la pénétration. Raconter leur journée serait ennuyeux. Pour résumer, ce n’est pas love me two times comme le chante Morrison mais love me every time.
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Lorsqu’il reprit le train ce dimanche soir, le cœur joyeux, les bourses essorées, il savait qu’il avait trouvé la femme de sa vie. Et jamais durant toutes ces années, rien n’avait remis en cause cette certitude.
Ce week-end avait jeté les bases d’une relation dont le moteur serait le sexe. Ils partagèrent de nombreuses passions, avaient une philosophie commune de la vie. Leur complicité virait à l’osmose. Leurs rares amis les avaient surnommés les inséparables par allusion à ces petits perroquets car on ne les voyait jamais l’un sans l’autre. Cependant durant leurs presque 50 ans de vie commune, même aux pires moments, l’amour physique resta le ciment qui scellait leur relation.
Cette année-là, jusqu’à la rentrée où ils emménagèrent ensemble, ils se virent aussi souvent qu’il leur fut possible. Loin des longues balades romantiques, ils passèrent leur temps à l’horizontale, voire quelquefois à la verticale, quand le désir se montrait trop pressant.
Ce fut à l’occasion de ces épisodes verticaux qu’ils découvrirent ce qui les excitait particulièrement : les étreintes volées dans des lieux insolites où ils risquaient de se faire surprendre. Du traditionnel ascenseur, en passant par la salle d’attente du gynéco de Blandine, la geôle où fut enfermé le divin marquis à Miolans voire le godet d’un tractopelle, rien ne les arrêtait. Quand le désir les prenait ou qu’un lieu les inspirait… Ils s’étaient, bien avant que « Harry rencontre Sally », fait mutuellement jouir à une table de restaurant. Ces instants jubilatoires alimentaient leurs envies quand ils rentraient chez eux. La plupart du temps, se raconter leur ressenti occasionnait des ébats plus élaborés.
Pas de place pour des enfants et guère non plus pour des amis du moins les premières années. Leurs études, les jobs qui leur permettaient à peine de subsister absorbaient une grande partie de leur temps. Ce qui leur restait suffisait à peine à apaiser leur insatiable libido. Il oublia ses rêves musicaux, délaissa sa copie de Les Paul. Blandine était devenue l’unique instrument sur lequel il répétait ses gammes, jouait d’interminables solos qui les faisaient vibrer à l’unisson.
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L’homme se baisse. Il ramasse l’arme qui gît dans l’herbe. Il a hâte d’en finir. La troisième sera la bonne. Sa main ne tremble pas. Le canon appuyé sur sa tempe, il tire… Clic…
Rageur, il balance le revolver. Celui-ci rebondit sur un rocher. Il va tomber de la falaise. Non pas ça ! Il se jette en avant, attrape la crosse du bout des doigts, se retrouve dans un équilibre précaire, une partie du corps dans le vide. Ce serait facile : se laisser aller… le grand plongeon. D’un geste réflexe, il plante sa main dans le sol, agrippe une pierre affleurante et se rétablit. Il pose son « précieux » sur les genoux. Yeux fermés, ses pensées le renvoient dans son passé.
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Avec le temps, ils se lassèrent des étreintes volées dans des lieux insolites − ils en avaient fait le tour − sans pour autant les dédaigner si une nouveauté se présentait. Ainsi lors d’une visite au Louvre, dans la file d’attente. Dès les beaux jours, Blandine tombait la culotte. Ça lui irritait les lèvres prétendait-elle. Dans la cohue, il n’eut qu’à relever sa jupe pour la pénétrer. L’ecclésiastique qui les côtoyait n’en perdit pas une miette allant jusqu’à se signer lorsque sa doulce atteignit l’orgasme.
Bien installés dans leur vie professionnelle, ils la vivaient, lui comme enseignant, elle comme architecte, avec autant de passion que leur amour. Souvent le soir, épuisés par une journée de travail, ils ne pensaient qu’à dormir. Aussi leurs week-ends et leurs vacances étaient programmés pour l’amour. Pas rare, qu’ils passent le dimanche au lit en une longue joute aux jouissances multiples. Ils exploraient, exploraient et exploraient encore. Le Kâma-sûtra n’avait plus de secret pour eux. Ils avaient essayé le SM et les jeux de domination. S’ils avaient recours assez régulièrement aux seconds, s’abandonnant à tour de rôle aux désirs directifs de l’autre, toutes leurs tentatives dans le sado-maso s’étaient terminées dans des fous rires inextinguibles. La seule chose qu’ils en avaient retenue c’était la fessée et sous une forme très ludique. Leurs jeux en duo semblaient les satisfaire. Pourtant…
Chaque année, courant juin, ils fêtaient leur(s) baptême(s) du feu à leur manière : ils louaient une chambre d’hôtel, s’y enfermaient le vendredi soir et n’en ressortaient que le lundi matin. Lors de leur vingtième anniversaire alors qu’ils se remettaient de leur quatrième ou cinquième orgasme de la journée, dans cette minute de sérénité, Blandine lâcha une bombe :
- — Tu as remarqué que Patrick me drague à mort ?
Il l’avait remarqué et en riait sous cape. La suite le cloua.
- — J’aimerais bien coucher avec lui, si tu es d’accord et en ta présence évidemment.
Devant son silence, elle se reprit :
- — N’en parlons plus, c’était une mauvaise idée.
Ils n’en parlèrent plus mais une semaine plus tard, sans prévenir Blandine, il invita Patrick.
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Il laisse Patrick entrer le premier. Il sait ce que celui-ci va découvrir. L’effet est spectaculaire. L’homme se fige à la vision des petites fesses charnues de Blandine occupée à préparer des légumes. Le bruit ou plutôt la cessation de celui-ci la fait se retourner. Elle ne manifeste aucune surprise. Un échange de regard avec son homme et elle s’approche de Patrick, lui claque la bise.
- — Nous avons l’habitude de vivre nus, lui dit-elle sur le ton de la conversation et en commençant à le dévêtir.
Le sexe de leur invité ne reste pas indifférent à cette attaque. Lorsqu’il apparaît, il manifeste un début d’érection prometteur. Blandine, fidèle à elle-même, prend les, enfin plutôt la chose en main et entraîne Patrick dans leur salon. Elle le pousse sur leur canapé et se place, à genoux entre les cuisses de l’homme. Sa bouche absorbe le pénis bandé. Elle entame une fellation mesurée, une mise en bouche.
C’est à son tour de jouer la statue. Lors d’une respiration, elle lui tend la main :
- — Viens mon chéri.
Il prend sur lui pour lui répondre calmement :
- — Non ! C’est ton cadeau. Je regarde.
S’il s’approche… Il vaut mieux pas. Tempête dans son cerveau : fuir, casser la gueule à cet intrus, baffer Blandine. Finalement, il s’écroule dans le fauteuil qui leur fait face. Il ferme les yeux, ne veut pas voir. Mais la bande-son est encore plus « parlante ». Blandine gémit. Il la connaît suffisamment, il sait que seule une langue agile provoque cette réaction. Une excitation malsaine le submerge : il bande.
- — Viens mon chéri ! Je peux pas sans toi.
Il va pour répondre par la négative. Le ton suppliant employé par Blandine lui fait ouvrir les yeux. Patrick, dans l’antique position du missionnaire, la pilonne avec ardeur. Il capte le regard de son amante, la main implorante qu’elle tend vers lui.
Tous ces sentiments mesquins sont balayés. Il prend sa main, plante son regard dans le sien.
- — Il n’y a que toi ! Il n’y a rien sans toi, murmure-t-elle d’une voix mourante.
Il adopte son plaisir et lorsqu’elle atteint l’orgasme, il jouit sans qu’il n’ait besoin de se toucher.
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Après un repas agréable et bien arrosé, la soirée se poursuivit dans leur chambre. Il participa activement.
Pour la seconde manche, Blandine lui offrit Hélène. Comme lui, dans un premier temps, elle resta simple spectatrice, l’accompagna dans son plaisir pour ensuite les rejoindre. La suite logique : ils se retrouvèrent tous les quatre pour une soirée de baise où nul ne resta spectateur.
Ce fut le premier pas vers une certaine forme de libertinage qui leur permit de raviver leur libido. Il lui semblait que cela aurait pu durer éternellement. C’était oublier l’ironie et l’absurdité de la vie.
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À cette pensée, il étreint la crosse de son arme. Il est temps de mettre un terme à cette comédie… La quatrième… Une chance sur trois… Mentalement, il croise les doigts, jette un dernier regard à l’horizon. Canon contre sa tempe… Clic… Il en pleurerait… Jusqu’au bout… Le calice jusqu’à la lie !
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Jusqu’au bout ! Blandine lutta jusqu’au bout… en vain ! Le jour où ils avaient appris ! Le jour où le cauchemar avait commencé. Du sang après une pénétration « normale ». Le rire provoqué par une mauvaise plaisanterie sur le retour intempestif de ses règles céda vite la place à l’inquiétude, au doute. Doute qui se transforma en certitude après un certain nombre d’examens. Résultat hystérectomie totale, espérance de vie limitée. C’est lui qui fondit dans le désespoir, c’est elle qui le soutint.
Après une interminable et pénible chimio, Blandine eut une rémission momentanée. Pendant quelques mois, elle fit illusion. Elle voulut reprendre leurs activités sexuelles mais le cœur n’y était pas. Simuler n’avait jamais fait partie de leur panoplie. Malgré tout son bon vouloir, Blandine, pour qui le clitoris n’était qu’un complément ô combien nécessaire mais insuffisant, parvenait difficilement au plaisir… un plaisir infime auquel elle n’était pas habituée et qui ne la, ne les satisfaisait pas. Il avait compris combien leur jouissance étaient liées… Ensemble ou rien.
Devant ces fiascos répétés, ils renoncèrent. Lui s’accommodait de cette situation mais Blandine culpabilisait. Elle savait l’importance du sexe dans l’équilibre de leur vie. Elle en arriva à lui proposer qu’Hélène, leur amie et complice de toujours, la remplace. Malgré son refus, un soir en rentrant, il les trouva, nues, dans leur lit en train de papoter. Il parvint à honorer et amener leur amie à l’orgasme, Blandine le guidant, mais il n’y prit aucun plaisir. Il n’y eut pas de seconde fois.
Leur vie sexuelle qui durant près de 50 ans avait habité leur quotidien appartenait au passé. Cette absence n’entama ni leur amour, ni leur complicité. Blandine en arrêt, lui à la retraite, ils profitèrent de cette période pour voyager, découvrir de nouveaux horizons. Même si parfois leurs étreintes torrides, remplacées par de doux et chastes câlins, lui manquaient, il aurait signé des deux mains pour que cela continue. Malheureusement le crabe en décida autrement. Seule et pauvre consolation pour Blandine, la fin fut rapide.
Elle resta égale à elle-même jusqu’au dernier jour…
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… Le dernier jour ! Les images sont gravées dans sa mémoire et le poursuivront jusqu’à sa mort… qui heureusement ne saurait tarder.
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Blandine n’a pas voulu rester en soins palliatifs. Elle a voulu rentrer chez eux. Elle tient à mourir dans leur maison, dans leur chambre, dans leur lit. Les deux dernières semaines, il n’a quitté son chevet que pour se sustenter parce qu’elle l’y obligeait. Trop faible pour parler, elle gardait assez de lucidité pour se faire comprendre.
Leur généraliste est passé ce matin. D’après lui, elle va aussi bien que son état le permet. Le week-end devrait être tranquille (Connard ! ). Il a placé le dvd de « Mourir d’aimer » dans le lecteur, un des films préférés de Blandine. Elle veut le revoir. Alors qu’il s’assoit dans le fauteuil qui jouxte le lit, elle s’empare de sa main, la serre avec une force retrouvée. D’une voix qui a recouvré toute sa fermeté, toute son autorité, elle lui déclare :
- — Léo, je t’aime. Je t’ai aimé dès le jour où je t’ai vu toi, le garçon perdu dans ses rêves. Je voulais en faire partie.
Il en reste ébahi. Les larmes trop longtemps retenues jaillissent. C’est la première fois qu’elle lui dit son amour. La dernière aussi. Il n’a pas le loisir de lui répondre. Sa main devient molle dans la sienne pour tomber au ralenti sur le drap. Ses yeux se ferment pour ne jamais se rouvrir.
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Les jours qui suivirent, Léo erra sans but dans leur maison. Mécaniquement, il prépara les funérailles, des funérailles intimes comme elle les avait voulues. Lorsque tout fut terminé, il ne lui restait que le vide, un vide intersidéral. C’est alors qu’il comprit qu’il ne lui restait qu’une solution.
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Il fallait que ce soit la bonne. Il tire. Clic. La mort ne veut pas de lui. Soit ! Il va lui falloir vivre sans elle. Mais sans elle… Il essaie d’imaginer. Il n’y parvient pas. Il ne veut pas. Ensemble, toujours ensemble, sans elle, ça ne veut plus rien dire. Il place le canon du revolver dans sa bouche. Plus de place pour le hasard. Tenant l’arme à deux mains, il appuie une dernière fois sur la détente. Il a le temps de penser « cette fois… », avant d’entendre le fatidique « clic ».
Furieux, il appuie à plusieurs reprises sur la queue de détente. Rien, rien et rien ! Cette maudite pétoire s’est enrayée. Pire lorsqu’il veut ouvrir le barillet, celui-ci est coincé. De dépit, il jette le revolver dans le vide. Un instant, il pense le suivre. Non ! Le destin lui a signifié que ce n’était pas son heure.
Il se lève, tourne le dos à l’océan et d’un pas lourd et accablé, il s’en retourne vers son vélo.
Chienne de vie…
I want some magic to sweep me away
Visit on this starlit night
Replace the stars, the moon, the light ; the sun’s gone
Fly me through this storm
And wake up in the calm
I fly right through this storm
And I wake up in the calm
Lou Reed