n° 20909 | Fiche technique | 38727 caractères | 38727Temps de lecture estimé : 22 mn | 10/05/22 |
Résumé: Un Homme rencontre dans un magasin une Dame mal fagotée sortant d’une Cabine d’essayage. Tombé sous le charme, il va la convaincre d’entreprendre sa transformation vestimentaire… entraînant un bouleversement dans sa vie de femme. | ||||
Critères: fh essayage amour revede portrait -rencontre | ||||
Auteur : stropimux Envoi mini-message |
À Saint-Nazaire, par un jour de printemps, je me mis en quête d’aller m’acheter une chemise. J’entrai dans le premier magasin venu et, alors que je fouinais dans le portique de vêtements jouxtant la cabine d’essayage, une dame d’une cinquantaine d’années, élancée, deux grands yeux noirs à l’abri de lunettes imposantes, un visage ovale sous une chevelure un peu raide à la couleur cuivrée, une poitrine en poire pointant sous un chemisier chamarré, en ressortit, vêtue d’une robe droite en tulle de soie et dentelle de Calais, sans manches, vert émeraude, courte, la taille descendue au niveau des hanches avec un large décolleté rond laissant apparaître sa ligne de cou…
Elle se planta devant la glace centrale pour juger de l’ensemble et, se tournant vers la vendeuse qui la côtoyait, lui dit :
Mais on la sentait quand même à la fois indécise, semblant quémander la contradiction de la vendeuse. Je ne pus m’empêcher d’intervenir :
La Dame me jeta un regard surpris, étonné, hésitant. Elle était en droit de formuler un reproche, sa bouche s’apprêtait à l’émettre, mais de ses entrailles montait probablement une émotion de remerciement, car ce qui surgit de la commissure de ses lèvres fut un imperceptible frémissement qui, telle une vague, finit par s’épanouir en un sourire merveilleux.
Ne voulant l’importuner plus longtemps, je continuai ma recherche dans le magasin et, ne trouvant rien de bien intéressant, en sortit rapidement pour me diriger vers l’arrêt de bus. En attente de celui-ci, je laissais vagabonder mes yeux alentour et vis cette Dame portant à la main un sac à l’enseigne de la boutique se rapprocher pour probablement emprunter le même moyen de locomotion. Sa démarche était altière mais sa silhouette longiligne semblait jaillir d’une autre époque : les vêtements et accessoires, tels le sac et les chaussures, avaient certainement parcouru de nombreuses années, et le mariage des couleurs était en inadéquation avec le standard de la mode.
Perdue dans ses pensées, elle ne me remarqua qu’au dernier moment. Surprise et gênée, elle m’adressa un petit signe de la tête, ce qui me permit de lui murmurer en me rapprochant légèrement :
Au fur et à mesure que j’égrainais mes idées, je voyais son regard passer par tous les états.
Déconcertée, surprise, éberluée même… elle ne pipait mot, s’accrochant à mes paroles pour y chercher la moquerie qui, paradoxalement, pourrait la rassurer.
Elle éclata de rire ! Un de ces rires libérateurs… profond, éclatant, un de ces rires qui semblait avoir mûri de longues années avant de surgir. Et ce rire avait cette qualité de s’épanouir en ondes successives sur ce corps qui semblait renaître à la vie.
Puis une petite larme…
Ce fut à ce moment-là que le bus arriva. Bien qu’il ne fût pas le mien, je la suivis. Il était comble. Chacune de nos mains s’agrippait à la barre centrale pour s’opposer aux soubresauts du véhicule et, au premier virage, elle s’aplatit contre mon torse. Je fus pénétré d’un parfum délicieux de couleur orangé qui ne tarda pas à m’enivrer. Un tel parfum surgissant de l’ensemble vestimentaire quelconque d’une silhouette qui mériterait un peu plus d’élégance relevait de l’incongru… !
Elle se détourna en rougissant et se mit à se faufiler en jouant du coude pour se rapprocher de la sortie, un bras en avant pour fendre la foule, un bras en arrière pour sauvegarder son sac. J’arrivais alors à extirper en précipitation un stylo de ma poche et inscrivis sur mon ticket de transport « Ludovic 06… » et fis un pas en avant pour le glisser dans son sac.
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Les jours passèrent, longs, très longs. À chaque sonnerie, je me précipitais sur mon téléphone, impatient, excité puis déçu, très déçu lorsque j’apprenais au décrochage que ce n’était pas elle… Pourquoi ? Pourquoi cette femme, a priori quelconque, anonyme, mal fagotée, m’avait-elle harponné ? Subjugué ? Était-elle vraiment mariée ? Avait-elle des enfants ? Un métier ? Son souvenir m’envahissait chaque jour davantage, accentuant de plus en plus le manque qui était né avec son apparition dans ma vie. Je ne tenais plus en place et, pour m’occuper l’esprit et nourrir ce reste d’espoir qui ne parvenait pas à s’échapper de mon être profond, je me mis à prendre cette célèbre ligne 27, chaque jour, à des heures différentes.
Le temps passait… Puis un jour, un appel qui raccrocha aussitôt. Le lendemain de même, mais au 3e jour, à la même heure, les quelques secondes de silence en plus me permirent de deviner une respiration avant le silence mécanique du raccrochage. C’était elle ! J’en étais sûr ! Cette certitude intime faisait se remonter ce goût d’orange… Je l’imaginais, tenant le combiné du téléphone, hésitante, timide, n’arrivant pas au passage à l’acte de l’appel, torturée de cette montée du désir brisée par le diktat du subconscient qui lui interdisait ce geste… Elle était probablement mariée… Elle était pétrifiée à l’idée du premier mot à dire…
Que dire pour la retenir ? Quel mot choisir pour bloquer cet interdit du subconscient ? Pour suspendre ce geste de raccrochage ? À l’appel suivant, je débitais rapidement « Flower de Paco Rabane ! », un rire cristallin se développa en écho.
Silence…
Silence…
Silence…
Silence…
Communication terminée.
Avait-elle noté ? Assis dans mon fauteuil, ma tête vagabondait… J’étais stupidement tombé amoureux, en « arrêt » à l’écoute de cette femme mystérieuse qui, sous un aspect a priori terne, anodin, dégageait une sensualité puissante mais contenue, probablement depuis très longtemps, peut-être depuis toujours, mais qui sous cette pression augmentée par le temps cherchait à s’échapper par un interstice pour éviter l’explosion. Au cours de ce moment téléphonique ; j’avais vécu la révolte de cette sensualité contre sa propriétaire sous cloche, sous les interdits de son éducation et la pression psychologique de son mari.
Quelle était l’issue du combat ? Oserait-elle enfin une sortie, les seins libérés et ballants sous le chemisier ?
Son mari s’en apercevrait-il ?
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J’ai attendu de jour en jour… La température avait baissé. L’automne avait fait son apparition. Les feuilles brunissaient après avoir déplié successivement leur nuancier et s’être attardées un peu sur le jaune. Ma compagne avait choisi cette saison pour s’en aller comme une feuille détachée de son arbre… Le soleil commençait à décliner. J’étais seul, devant mon ordinateur pour passer le temps, emmitouflé dans une grande écharpe, le fond du cœur triste, sans projet particulier, avide de tendresse. Une notification sonore apparut au bas de l’écran : Message de « ZuttPeinePerdue@gmail.com »
Un frisson me saisit, déroulant ses ondes le long de mon corps. Je m’accaparai de la souris tout en la cliquant avec fièvre, et apparut sur mon écran, comme une bulle émergeant de l’eau, ce message :
Ludovic,
Qui êtes-vous ? Votre souvenir me harcèle. Notre conversation téléphonique a laissé des traces d’ambiguïté. Seriez-vous un obsédé du sexe ? Un charmeur en vadrouille ? Ou, ce que je n’ose espérer, un admirateur naïf mais gourmand ? J’ai créé ce courriel uniquement pour notre échange ou plus simplement pour que vous répondiez à ma question…
À vous.
Louise
Bonjour Louise,
« Enfin ! » serait plutôt le bon mot, car j’ai attendu ce contact de jour en jour, d’heure en heure depuis notre conversation téléphonique. J’ai gardé cet arôme d’oranger…
Qui suis-je ? Avant de vous connaître, tout simplement un homme normal de 58 ans qui se veut bien dans sa tête et bien dans son corps, un homme avec ses qualités et ses défauts, ses manques, un homme maintenant célibataire après bien des souffrances, un homme en manque de vous depuis que je vous connais.
En vous voyant pour la première fois, je suis tombé sous le charme, mais rassurez-vous, de peur de vous perdre, je m’engage dès à présent à ne point vous importuner ni vous amener sur un chemin que vous n’auriez pas choisi. Cela me sera certes difficile mais pas trop car, de métier, je suis peintre. Oh, pas un bien grand peintre ! Mais mon imagination d’artiste a de suite été interpellée par la possibilité pressentie en vous rencontrant, qu’en essayant de vous faire prendre conscience de ce que vous pourriez être, nous pourrions, ensemble, avec nos talents respectifs et votre acceptation, entrer en métamorphose pour participer à la création d’un bel ouvrage, et pourquoi pas, d’une belle création ? Création éphémère probablement pour moi qui suis appelé à disparaître après le mariage auquel vous aurez la gentillesse de m’inviter, mais il ne me sera pas interdit de la penser pérenne pour les autres, car j’imagine mal le Papillon redevenir cocon… Je disparaîtrais donc avec ce souvenir délicieux de votre entrée fracassante au mariage, de l’envol de ce Papillon sorti de sa chrysalide, mais également avec cette morsure atroce de l’Adieu.
Je vous trouve tout simplement belle. Très belle, mais… comment dirais-je, comme une plante desséchée qui a besoin d’être réhydratée pour se redresser, ou plutôt comme une chrysalide, crispée sur elle-même, en état d’hibernation, de métamorphose dans l’attente de l’éclosion en papillon. J’aimerais être cet homme-là, qui vous aide à sortir de ce cocon, en quelque sorte, et qui vous accompagne sur ce chemin difficile !
Jusqu’à notre rencontre, vous ignoriez tout de cette possibilité en devenir, anesthésiée par votre éducation et votre passé, tout en le subodorant en vous de façon inconsciente. Et c’est peut-être cette dichotomie entre l’être et l’inconscient qui interdisait à votre corps, et votre tête de s’épanouir. Je suis peut-être le déclic de cette prise de conscience inopinée.
Mais si vous prenez vraiment conscience que vous pourriez être quelqu’un d’autre, il vous faudra vaincre cette peur de l’inconnu, accepter de gros efforts, briser certains liens qui vous empêcheront d’avancer, laisser les habitudes et conditionnements néfastes derrière vous. En luttant ainsi contre vos peurs et vos démons intérieurs, qui aimeraient bien vous retenir dans le passé, vous découvrirez cependant à l’intérieur de vous-même une force insoupçonnée qui vous poussera à poursuivre cette métamorphose. Vous saurez alors, vous en serez convaincue, qu’en faisant l’effort de déployer vos ailes, vous serez déjà un beau papillon. Il ne vous restera plus qu’à renforcer la structure de vos ailes, à les rendre plus solides, plus souples aussi, et à vous débarrasser de cette « colle » encore contraignante dont elles sont encore imprégnées.
Vous saurez à cette étape que la liberté est proche, vous l’entreverrez en rêve, et vous vous verrez déjà voler… Puis, un beau jour, sans aucun effort, aidée par la lumière d’un beau matin ensoleillé, vous déploierez vos ailes magnifiques, en conscience, ouvrant grands les yeux sur ce Nouveau Monde qui vous apparaîtra, et prendrez votre envol.
La chenille ne sera plus. Elle vivra désormais sa vie de papillon. Elle sera libre comme l’air. Elle le deviendra, même.
Ouh là là ! Que me présentez-vous là ! Si je comprends bien, il me faudra en quelques heures muer de la paysanne brouillonne à une Jeanne Moreau ? Sans préparation, immédiatement, sans attente, et affronter en même temps et le miroir de ma mue et le regard ahuri des autres ? Cela revient, en fait, à me lancer dans le vide du Pont de Saint-Nazaire !
Ou de traverser ce pont. Ces mots ont de l’importance « Traverser le Pont »… passer à l’acte, passer d’un bord à l’autre, de l’ombre à la lumière.
Bon ! J’en ai assez à digérer pour aujourd’hui ! Bonsoir !
Avais-je bien lu ? Avait-elle bien écrit « il faudra ? » et non « il faudrait ? » Pouvais-je donc en déduire qu’elle était d’accord ? Je renvoyai donc immédiatement un message :
Quelle est la date du mariage ? Accepteriez-vous de m’envoyer un selfie de votre visage (de préférence les cheveux tirés en arrière pour pouvoir essayer virtuellement plusieurs coiffures), puis de votre silhouette (si possible avec le cou et les membres les plus apparents possible) avec par exemple une robe chasuble ? Ceci bien sûr dans un but uniquement pratique : celui de préparer avec un pro une proposition de maquillage et d’habillement. Rien ne peut vous garantir que je ne sois pas un type pervers qui pourrait abuser de vos photos : rien ! Excepté cette fréquence qui semble passer entre nous et dont vous ne semblez ni souffrir ni désireuse, a priori, de vous en désengager. Que pourrais-je faire avec la photo d’un simple visage ? Et bien sûr vos mensurations (taille, pointure, soutien-gorge, etc.).
Le soir, vers 18 h, je cliquai avec avidité sur ma souris, puis sur les deux pièces jointes annoncées avec ce bref commentaire : « Veuillez trouver ci-joint les photos demandées, tirées après l’absorption de trois apéros ! »
Waouh ! Quelle beauté !
Le passage à l’acte était effectué ! Oui, elle l’avait fait ! Youpi ! Je me fis violence en m’extirpant de mon extase pour les sauvegarder sur deux supports différents, de peur qu’un mauvais génie amène à cet instant précis un bug informatique pour détruire ces photos qui provoquèrent malgré moi la montée des lourdes et lentes pulsations du désir.
Je n’en revenais pas ! Sur l’une, Louise se montrait en gros plan avec la robe choisie ; sur l’autre, elle avait cadré de trois quarts son visage à partir du cou – Impeccable pour utiliser le logiciel de relooking virtuel que je venais de suite dénicher sur la toile et que j’utilisai une partie de la nuit – ; et pour finir, quatre chiffres pour ses mensurations.
Il sautait aux yeux que le style qui convenait aussi bien à la personne qu’à sa robe était celui des années 20, à savoir le style Charlerston !
Je commençai donc par lui appliquer sur le visage une poudre abricotée pour lui donner la peau d’une poupée de porcelaine, sans imperfection, et donnai à la bouche du volume avec un rouge à lèvres rouge-carmin en accentuant les extrémités supérieures et inférieures, comme pour former l’amorce d’un cœur. Je poursuivis par les sourcils en les réduisant au minimum et en les camouflant légèrement grâce à un fond de teint, pour les redessiner ensuite par un simple trait fin au crayon et vers le bas, au-dessus des paupières blanches nacrées afin d’attribuer au regard un air dramatique et mélancolique.
Quant à la chevelure, je la choisis crantée avec des ondulations donnant un effet mouillé. Je l’accompagnai d’un chapeau cloche, de boucles d’oreilles XXL, d’un bracelet fin ; pour le chic et l’élégance, je me décidai pour une petite veste-blazer accompagnée d’une petite pochette classique vert foncé ; pour l’allure, une chaussure à talon épais et bout fermé et rond avec bride et lanière ; et pour la sensualité, une paire de collants fins, noirs irisés.
Pour labelliser l’ensemble, il fallait aussi raccourcir la robe et ajouter sur l’ourlet du bas ces franges si typiques des années 20.
Je reculai mon siège de l’ordinateur et admirai l’ensemble, car il s’agissait réellement d’admiration. J’avais réussi cette œuvre d’un seul mouvement. Tout avait jailli comme une eau qui sourdait d’un rocher ! C’était tellement évident ! Si beau, le résultat ! Waouh !
J’hésitai… devais-je l’envoyer de suite au risque de la brusquer, de la bloquer dans un refus ? Ne risquait-elle pas de se sentir déguisée ? Ridiculisée ? Ou devais-je l’avertir d’un résultat superbe qui risquait de la déstabiliser, et que, par conséquent, je souhaitais la rencontrer pour lui présenter le projet avec une amie professionnelle ?
Je choisis cette solution et allai même, pour l’appâter, lui envoyer la photo floutée… Et Top ! Clic ! Envoyée !
Dans la journée, je m’empressai de visiter Élodie, l’épouse d’un copain, propriétaire d’un salon de beauté toujours habillée d’une façon atypique, colorée, parfois déjantée, mais toujours très élégante, très design dans ses tenues, elle était devenue au fil du temps mon amie et confidente, pour lui narrer cette « aventure » et lui demander de la recevoir pour donner son avis, la guider et l’accompagner dans cette métamorphose en cas d’acceptation de sa part. Elle était enthousiasmée par ma demande mais ne se gêna pas pour me susurrer ironiquement à l’oreille :
Puis l’attente… qui s’interrompit très vite par une annonce sonore de message de Zuttpeineperdue :
Ludovic,
Cette photo m’intrigue beaucoup ! S’il vous plaît ! Dénudez-moi de ce flou si troublant ! Louise.
Je luis réponds immédiatement :
Louise,
Prenez rendez-vous très vite en vous recommandant de mon nom chez Irène Institut de beauté. Demandez Élodie, la patronne, à qui j’ai confié cette photo qu’elle a ADORÉE ! Et si vous sautez le pas, n’oubliez pas de vous accompagner de la robe… ! Je souhaite de tout mon cœur qu’elle sache vous convaincre.
Bien à vous,
Ludovic.
**************
J’appris par la suite que, trois jours après, Louise avait pris contact et que cinq jours plus tard, elle avait poussé furtivement la porte du magasin à l’heure de fermeture, comme il en avait été convenu.
Elodie me raconta :
Dès qu’elle entra, je m’approchai de suite, de peur qu’elle fasse demi-tour, et l’embrassai pour la rassurer avant de l’aider à enlever son manteau.
Je l’emmenai ceinte d’un peignoir, loin du miroir, et après l’avoir fait asseoir, me mis à l’ouvrage : maquillage, coiffure ramenée en chignon sur le côté du visage. Louise, déjà un peu pompette, ne cessa de babiller en esquissant quelques pas de danse appris. Elle commença à se libérer. Je pris soin de raccourcir la robe apportée avec quelques épingles et d’agrafer avec des trombones de bureau quelques franges à l’ourlet du bas. Je la lui fis enfiler, me reculai pour prendre de la distance et sifflai en claquant des doigts : mazette ! Incroyable ! Marlène Dietrich ! Je lui déposai un baiser sur le front, lui fis faire un demi-tour et la poussai devant le miroir tout en cachant ses yeux avec mes doigts entrelacés que je ne déliai qu’au dernier moment. Louise resta coite, figée, ahurie, les yeux écarquillés, muette, n’arrivant pas à se détacher du miroir. Je claquai trois fois lentement de mes mains en applaudissant : Louise se retourna et fondit en larmes tout en se précipitant dans mes bras ! Ses larmes s’épanouirent en sanglots.
Je relançai un air de chalerston tout en lui reversant une Vodka. Le verre à la main, elle se mit à danser. Je compris alors que la révélation s’était faite d’une façon aussi brusque et révélatrice que le déchirement d’un hymen, que la chrysalide avait éclos.
Sans rien dire, Louise se déshabilla pour reprendre son costume d’antan et ouvrit la porte en m’envoyant par un petit signe de la main un baiser. La porte refermée, je composai ton n° de téléphone pour te narrer la soirée.
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Les cloches sonnaient. Il était 10 h 30 devant la petite église de briques du village de Corsept. Les invités, nombreux et tous endimanchés, attendaient en papotant en famille sur le parvis de l’église que les mariés arrivent. J’essayais, en tant qu’invité inconnu, de faire bonne figure en me présentant, lorsque l’on me le demandait, comme un ami de la famille.
Je l’attendais, bien sûr, avec impatience, ignorant encore si elle avait réussi à passer à l’acte, ignorant aussi, si elle était passée chez Élodie. Et je ne comprenais toujours pas pourquoi celle-ci ne me contactait pas et que son téléphone répondait absent ! Mais bon sang ! Que faisait-elle ? Je trépignais, montais et descendais les marches pour tenter de me calmer.
Je cherchais à identifier dans les différents groupes le mari de Louise dont elle m’avait envoyé la photo, sans un mot, avec la date et le lieu du mariage ainsi qu’un faire-part. Je ne comprenais là encore pas ce silence total et inquiétant après son passage chez Élodie. Avait-elle détesté ? Paniqué ? M’en voulait-elle ? Pourquoi la présence de son mari et son absence à elle ? Cela signifierait-il qu’elle avait suivi mon conseil de la rupture totale et de sa transformation choc, du passage du pont, de son lancer dans le futur ? La venue d’un grand taxi blanc qui se gara juste dans l’axe du parvis de l’Église allait me donner la réponse. Le chauffeur en descendit pour ouvrir la porte arrière…
En descendit Élodie, suivie de Louise, courbant la tête pour ne pas heurter le chapeau. De sa petite pochette en cuir vert, elle sortit de quoi payer le chauffeur. Elle releva la tête avec un sourire éclatant, égrainant de sa main gauche le collier de grosses perles brillant sur la peau dénudée d’un cou valorisé par un décolleté vaillant, et tout en jetant un regard circulaire, s’apprêta à monter sur le parvis. Le silence se fit entendre.Tous les regards se portèrent sur cette arrivée. Regards stupéfaits, médusés, abasourdis, perplexes. Pouvait-on deviner sous cette nouvelle apparence Louise de la ferme des 4 coins ? Était-ce vraiment elle ? Ce n’était pas possible !
Les femmes qui, bien sûr, s’étaient depuis longtemps et avec beaucoup d’entrain et de recherche démenées pour essayer de paraître les plus belles, hypnotisées par cette apparition sublime, laissaient libérer cette lente montée de la jalousie en ne se privant pas de remarques acerbes sur cette tenue atypique et qui dénotait au milieu de ces robes amidonnées sur des corps bien nourris.
Les hommes par contre s’empressèrent, sous les regards réprobateurs de leurs femmes, à venir saluer et complimenter cette Louise Nouvelle tout en essayant de loucher dans ce petit creux très révélateur qui laissait parfois apercevoir le croisement de deux petits bonnets de soie verte emprisonnant sans un pli des seins blancs fermes et frémissants.
Louise s’avança vers son mari, complètement désorienté, ne sachant ni que dire, ni que faire, ni comment se désembourber de cette situation qui semblait le submerger. Puis, elle s’avança vers moi, s’arrêta à deux pas, me regarda longuement dans les yeux, me gratifia d’un clin d’œil avant de me faire une petite révérence et de glisser dans ma poche une petite enveloppe épaisse blanche sur laquelle était écrit : "À n’ouvrir que demain".
Comme, naturellement, je ne faisais partie ni de la famille ni des amis, je me devais de m’éclipser après le vin d’honneur. Je le fis, tiraillé par l’envie plus que pressante d’ouvrir cette enveloppe soigneusement cachetée, mais décidé aussi à lui résister, car je sentais que, si je ne respectais pas sa demande, le lien délicieux tenu et mystérieux qui nous unissait se fragiliserait. Je dormis très mal, laissant mon imagination vagabonder et s’interroger sur ce contenu qui, à la palpation, semblait relever du tissu. Et si c’était une pièce de lingerie ? Et si celle-ci avait été abandonnée dans l’enveloppe… Cela voudrait signifier qu’elle… Que… Qu’elle était descendue de la voiture sans… !
Dans ce cas, comment interpréter ce geste ? Comme le message signifiant qu’elle avait « passé le Pont », ou que j’étais associé à ce « passage » ? Avait-elle besoin de moi une dernière fois, comme un enfant avait besoin d’une légère poussée de la main pour effectuer le lancer du premier pas, ou m’appelait-elle pour effectuer ce long voyage avec elle ?
Allons Loïc ! me répétais-je, ne délire pas trop… ce ne doit être qu’un simple petit cadeau… !
Et l’aube chassa la nuit…
Au petit matin, je me levai fiévreusement, mis volontairement du temps à me laver, m’habiller, prendre le petit déjeuner avant de me préparer à décacheter enfin cette enveloppe. Je voulais le faire solennellement, aussi doucement qu’une caresse et dans la trajectoire du soleil levant. Les pulsations de mon cœur s’accélérèrent progressivement en s’approchant du moment fatidique de son ouverture.
Je garde encore en mémoire le son qu’elle émit dans son déchirement… alors que le soleil montant avait fini par m’intimer l’ordre de passer à l’acte… apparu alors dans sa chaleur encore douce…